La lettre juridique n°975 du 29 février 2024 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Pacte Dutreil réputé acquis et fonction de direction : le juge confirme que celle-ci ne peut pas être portée par le donateur

Réf. : Cass. com., 24 janvier 2024, n° 22-10.413, FS-B N° Lexbase : A71332GB

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

le 23 Février 2024

Mots-clés : pacte Dutreil •droits de mutation à titre gratuit patrimoine transmission donateur

1.- Le pacte Dutreil permet de bénéficier d’un abattement de 75 % sur l’assiette des droits de mutation à titre gratuit. La mise en œuvre de cet avantage fiscal en matière de transmission implique de réunir plusieurs conditions. Il est notamment nécessaire de conserver les titres d’une société opérationnelle, dans le cadre d’un engagement collectif d’une durée minimale de deux ans, et de conserver ensuite les titres transmis durant une période de quatre ans. Cet engagement individuel de conservation des titres de quatre prend la suite de l’engagement collectif de conservation d’une durée minimum de deux ans.

Il convient également de rappeler que l’engagement collectif doit porter à minima sur 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote au cas d’une société non cotée. Au cas d’une société cotée, les seuils sont respectivement portés à 10 % et 20  %.

En outre, l’article 787 B, d du Code général des impôts exige que l’un des associés signataires de l’engagement collectif ou l’un des héritiers, donataires ou légataires bénéficiaires de la transmission exerce une fonction de direction (société soumise à l’impôt sur les sociétés) ou son activité professionnelle à titre principal (société soumise à l’impôt sur le revenu) durant l’engagement collectif de conservation, et durant les trois années suivant la date de la transmission.


 

2.- En pratique, certaines difficultés peuvent exister quant à la détermination des personnes devant exercer la fonction de direction. Ces difficultés peuvent notamment être liées aux modalités d’application de l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L8080MHQ.

En effet, il existe trois grandes modalités d’application de l’abattement de 75 % :

  • La conclusion d’un pacte écrit collectif ou unilatéral au titre duquel, il est nécessaire de conserver les titres durant une période minimale de 2 ans.
  • L’application du pacte réputé acquis. Celui permet d’une certaine façon de faire l’économie de l’engagement collectif de conservation de deux ans. Pour cela, il est nécessaire que la société soit détenue depuis à minima deux ans par une personne physique, seule ou avec son conjoint, le partenaire de PACS ou son concubin notoire. Il est également nécessaire qu’à la date de la transmission, l’une des personnes citées précédemment exerce son activité professionnelle à titre principal (société soumise à l’impôt sur le revenu), ou une fonction de direction (société soumise à l’impôt sur les sociétés) depuis à minima deux ans [1].
  • La conclusion d’un engagement collectif ou unilatéral post-mortem. Celui-ci doit être conclu dans les six mois qui suivent le décès [2].

3.- L’appréciation de la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis a pu poser des difficultés. La position de l’administration fiscale, notamment jusqu’au 21 décembre 2021 a pu laisser perplexe (I).

La chambre commerciale de la Cour de cassation vient récemment de se positionner également quant à l’identité des personnes pouvant porter la fonction de direction en cas d’application d’un pacte réputé acquis (II). Ces positions doivent ainsi inciter à la prudence dans certaines situations.

I. La poursuite de la fonction de direction par le donateur et remise en cause pour l’administration fiscale 

A. Le bénéficiaire de la transmission doit porter la fonction de direction 

4.- L’article 787 B, d du Code général des impôts est actuellement rédigé comme suit : « L'un des associés mentionnés au a ou l'un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation, pendant la durée de l'engagement prévu au a et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter, ou l'une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l'article 975 lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ».

5.- Il vise ainsi les personnes susceptibles de pouvoir exercer la fonction de direction durant l’engagement collectif et les trois années suivant la transmission. Ces personnes sont :

  • Les associés mentionnés au a de l’article 787 B du Code général des impôts. Le a vise le défunt ou le donateur qui a pris pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés l’engagement collectif de conservation.

Cette rédaction semble ainsi renvoyer aux signataires de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation.

  • Ou, les héritiers, donataires ou légataires qui ont pris l’engagement individuel de conservation. Le texte semble ainsi viser les personnes qui ont bénéficié de l’article 787 B du Code général des impôts.

6.- Au cas d’un pacte réputé acquis, faute d’engagement écrit, il n’y a pas de signataires en tant que tels de l’engagement collectif. Dans le cadre d’une appréciation littérale du texte, on peut penser que le donateur ne peut pas porter la fonction de direction.

Celle-ci devrait impérativement être portée par les héritiers, donataires ou légataires qui ont pris l’engagement individuel de conservation.

5.- L’administration fiscale s’est rangée derrière cette analyse dans le cadre de la réponse ministérielle « Moreau » [3]. Celle-ci précise notamment : « Ainsi, dans l'hypothèse d'un engagement collectif « réputé acquis », le bénéfice de l'exonération partielle ne trouve pas à s'appliquer lorsque, postérieurement à la transmission, le donateur assure lui-même la fonction de dirigeant de la société. En effet, dans cette situation le donateur n'est pas signataire d'un engagement de conservation dès lors qu'il ne remplit pas les exigences fixées au d de l'article 787 B précité ».

B. L’abandon par l’administration de la condition liée à l’absence de poursuite par le donateur de la fonction de direction 

6.- Chose assez surprenante, l’administration fiscale a affiné sa position en ce qui concerne l’exercice de la fonction de direction au cas du pacte réputé acquis.

Celle-ci précisait entre le 6 avril 2021 et le 21 décembre 2021 : « L'exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s'appliquer en cas d'engagement réputé acquis lorsque le donateur continue d'exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission ».

7.- Cette rédaction était susceptible de poser des difficultés dans la mesure où elle empêchait le donateur de poursuivre l’activité. Ainsi, la position de l’administration fiscale aboutissait à limiter ou empêcher la mise en place de stratégie de transmission progressive des « commandes » de l’entreprise. Alors même que l’enfant bénéficiaire de la transmission exercerait son activité principale ou une fonction de direction au sein de la société transmise, la poursuite de celle-ci par le parent donateur empêchait l’application de l’article 787 B du Code général des impôts.

8.- On relèvera que cette rédaction ne collait pas à la lettre de l’article 787 B, d du Code général des impôts, qui s’il fixe la qualité des personnes devant exercer la fonction de direction ou l’activité professionnelle à titre principal, ne pose aucune mesure d’exclusion ou de condition concernant un éventuel exercice exclusif de celle-ci.

Heureusement, dans ses derniers commentaires, à savoir ceux publiés le 21 décembre 2021, l’administration fiscale est revenue à une lecture plus heureuse de l’article 787 B, d du Code général des impôts. Il est ainsi possible pour un parent réalisant la transmission de sa société, de continuer à exercer une fonction de direction, sans disqualifier l’application du régime de faveur, sous réserve et à la condition bien entendu que l’enfant bénéficiaire exerce lui-même la fonction de direction ou son activité professionnelle à titre principal.

Récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est également positionnée sur l’identité des personnes devant porter la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis.

II. La Cour de cassation confirme l’impossibilité pour le donateur de porter seul la fonction de direction au cas d’un pacte réputé acquis 

A. La confirmation de la réponse Moreau 

9.- Dans cette affaire, une personne physique a donné la pleine propriété de 204 actions d’une société anonyme à chacun de ses enfants, soit un total de 408 actions, pour une valeur totale de 3 046 128 euros. La transmission a été effectuée au moyen d’un don manuel le 17 juin 2011, enregistrée le 30 juin 2011.
Le contribuable a fait application de l’article 787 B du Code général des impôts. Le pacte réputé acquis a été utilisé dans ce dossier.

Il ressort du dossier, que les actions avaient fait l’objet d’un engagement collectif de conservation signé par le contribuable, et les enfants, le 15 février 2007. Celui-ci était toujours en cours au 17 février 2011, en sus de l’engagement collectif des titres réputés acquis.

En outre, l’un des enfants a démissionné le 21 octobre 2013 de ses fonctions de membres du directoire et directeur général de la société.

L’autre enfant exerçait la fonction de vice-présidente du Conseil de surveillance.
10.- L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’article 787 B du Code général des impôts, considérant que les enfants bénéficiaires de la transmission n’ont pas exercé pendant les trois ans suivant la transmission une fonction de direction.

La défense s’est organisée autour des personnes pouvant exercer la fonction de direction.

Le contribuable considère que la fonction de direction peut être exercée par tous les associés membres d’un engagement collectif de conservation, et non exclusivement le donateur et les autres associés ayant souscrit un engagement formel.
11.- La Cour de cassation précise : « Il résulte d'une lecture combinée de ces dispositions, qu'en cas d'engagement collectif réputé acquis, l'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, des parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs, prévu à l'article 787 B du code général des impôts, ne s'applique que lorsque, pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, l'un des héritiers, donataires ou légataires exercent effectivement dans la société son activité professionnelle principale, si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter du même Code, ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis dudit Code, lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ».

12.- Le contribuable défendait [4] une approche large des personnes susceptibles d’exercer la fonction de direction, celle-ci intégrant le donateur. Celui-ci considérait que le a de l’article 787 B renvoie à l’ensemble des associés membres d’un engagement collectif, et pas uniquement aux signataires de celui-ci. Le pacte réputé acquis n’est selon cette vision pas une dispense de l’engagement collectif, mais un engagement collectif à part entière.

13.- Comme on peut le voir, la Cour de cassation n’a pas suivi l’argumentation du contribuable. Se retranchant derrière une lecture littérale du texte, la Cour de cassation confirme la position de l’administration, à savoir que la fonction de direction dans le cadre d’un pacte réputé acquis doit être portée par l’un des héritiers, donataires ou légataires durant les trois ans suivant la transmission.

B. Une limite pratique à l’utilisation du pacte réputé acquis 

14.- On relèvera que la Cour d’appel de Bordeaux a notamment pu indiquer, en commentant la rédaction de l’article 787 B, d du Code général des impôts : « Il résulte de cette formulation que les associés auxquels renvoie le d) sont les parties qui ont signé l'engagement avec le donateur, rédaction qui exclut que le donateur, une des parties à l'acte, puisse être dans le même temps un des associés avec qui il a conclu l'engagement ».

Cette rédaction peut laisser perplexe, notamment quant à la possibilité pour le donateur, dans le cadre d’un pacte écrit classique, d’exercer la fonction de direction.

15.- Si la position de la Cour de cassation peut paraître justifier au regard de la rédaction de l’article 787 B du code général des impôts, cela implique de rester prudent quant à la mise en œuvre pratique du pacte Dutreil réputé acquis.

En effet, il convient d’être certain que les enfants pourront poursuivre l’activité. Cela est susceptible de poser des difficultés dans de nombreux cas. Si on pense aux situations de minorité des enfants, on peut également penser à certaines professions qui peuvent nécessiter des qualifications spécifiques (notaires, avocats, expert-comptable…). On peut également penser au monde agricole, où les enfants n’ont pas toujours en temps et en heure la capacité d’exploiter. Ainsi, « l’économie » de temps générée par le pacte réputé acquis, peut se payer cher au regard de la fonction de direction, tendant ainsi à préférer dans certains cas la conclusion d’engagement collectif écrit.

16.- Les difficultés peuvent également exister selon le régime fiscal de la société dont les titres sont transmis. Là encore, les sociétés de personnes relevant de l’impôt sur le revenu, cela concernant notamment le monde agricole, sont susceptibles de poser des difficultés. Il n’est pas rare en pratique que les enfants aient d’autres activités, à l’extérieur de la ferme. L’analyse du d de l’article 787 B du Code général des impôts, oblige ceux-ci à exercer leur activité professionnelle à titre principal au sein de la société dont les titres sont transmis.

Il convient de relever que l’administration fiscale [5] considère ici que, cette condition s’analyse comme en matière d’impôt sur la fortune immobilière, sans pour autant opérer un renvoi complet à la doctrine administrative visant l’IFI et la notion de biens professionnels.

Dès lors, le choix du pacte réputé acquis peut également peut des difficultés et aboutir à la perte du régime de faveur, notamment lorsque les activités extérieures de l’enfant deviennent majoritaires.

Le pacte écrit peut ici permettre de sécuriser certaines situations.

17.- Si ces difficultés ne sont pas nouvelles, elles demandent à avoir une approche vigilante quant à l’utilisation du pacte réputé acquis.

 

[1] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 230, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].

[2] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 220, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].

[3] QE n° 99759 de M. Yannick Moreau, JOANQ 11 octobre 2016, réponse publ. 7 mars 2017 p. 1983, 14ème législature N° Lexbase : L7071LDA ; reprise au BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 395, publié le 21 décembre 2021 [en ligne].  

[4] CA Bordeaux, 23 novembre 2021, n° 19/03867 N° Lexbase : A86337CQ.

[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 280, publié le 21 décembre 2021 [en ligne]

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