La lettre juridique n°964 du 16 novembre 2023 : Marchés publics

[Jurisprudence] La fourniture de biens spécifiquement destinés à répondre aux exigences d’un marché déterminé relève d’un contrat de sous-traitance

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 465913, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A17861NH

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par Ana Gonzalez, Avocat associé et Sarah Moussous, Avocat, ARISTEE AVOCATS

le 15 Novembre 2023

Mots clés : sous-traitance • CCTP • caractéristiques techniques • paiement direct • silence du titulaire

Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que la fourniture de biens présentant des caractéristiques techniques particulières répondant spécifiquement aux exigences du CCTP du marché doit faire l’objet en l’espèce d’un contrat de sous-traitance.


 

La commune de Viry-Chatillon a conclu un marché public de travaux avec la société S3C Construction, ayant notamment pour objet la réhabilitation de trois écoles maternelles. Par un acte spécial, signé par la commune, le titulaire a confié à un tiers -  la société Maugin -  la « fabrication » de menuiseries.

Le contentieux porte sur une demande de paiement direct au maître d’ouvrage. Pour déterminer le régime du paiement demandé par la société Maugin, le juge qualifie la relation contractuelle en contrat de sous-traitance, retenant que de par la spécificité des biens qu’elle avait fournis et son intervention dans la pose de ses biens, elle ne pouvait être considérée comme un « simple » fournisseur. Le contrat liant la société Maugin avec le titulaire du marché présentait donc bien le caractère d’un contrat de sous-traitance lui permettant de bénéficier du paiement direct par le maître d’ouvrage.

En ce qui concerne le paiement, le refus opposé par le titulaire à la demande en paiement du sous-traitant n’étant pas motivé, et intervenu en dehors du délai légal, il ne saurait faire obstacle au paiement du sous-traitant.

Cet arrêt clarifie la distinction entre le contrat de sous-traitance et les contrats voisins (I.), et il précise le régime du paiement direct du sous-traitant (II.).

I. La clarification de la distinction entre le contrat de sous-traitance et les contrats voisins

A. Un contrat de fourniture n’est pas un contrat de sous-traitance

La sous-traitance est définie par l’article L. 2193-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4572LRR [1] comme :

« l'opération par laquelle un opérateur économique confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution d'une partie des prestations du marché conclu avec l'acheteur. Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l'égard de ses propres sous-traitants. »

Le contrat de sous-traitance suppose que l’entreprise exécute une partie du marché public, ce qui n’est pas le cas en présence d’un contrat de fourniture.

Comme le rappelle Monsieur Nicolas Labrune dans ses conclusions sur cet arrêt :

« Pour qualifier une entreprise de sous- traitant, la seule question est donc de savoir si cette entreprise est bien impliquée dans l’exécution même du marché. C’est là ce qui distingue le sous-traitant du fournisseur : le fournisseur intervient dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux ou de services, en apportant les biens nécessaires à l’exécution des travaux ou des services, mais il n’exécute pas lui-même le marché. Dans les termes du droit privé, que vous avez repris dans votre décision Département du Gard, le contrat de fournitures n’est pas un contrat d’entreprise. Le critère, pour qualifier une entreprise de sous-traitant ou de fournisseur est donc l’objet du contrat qui la lie au titulaire du marché : ce contrat est-il de même nature ou pas que le marché ? L’entreprise est elle chargée d’exécuter des prestations de travaux ou de service ou seulement de fournir des biens ? ».

Dans l’arrêt « Département du Gard » [2], le Conseil d’État avait déjà retenu :

« qu'en jugeant, alors même qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui étaient soumis que les prestations fournies par la société Unibéton relevaient de simples fournitures et non d'un contrat d'entreprise conclu par elle avec la société titulaire du marché, que cette société Unibéton avait droit au paiement direct de ses prestations par le maître d'ouvrage délégué dans la mesure où ce dernier l'avait agréée en qualité de sous-traitante et avait accepté ses conditions de paiement, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; qu'en effet, de telles décisions n'étaient susceptibles d'ouvrir des droits à la société requérante que pour autant que les prestations fournies relevaient du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975, lequel ne concerne que les prestations relatives à l'exécution d'une part du marché et non de simples fournitures au cocontractant du maître de l'ouvrage ; (…) Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Unibéton, dont le contrat conclu avec la société Roure en vue de l'approvisionnement du chantier en béton prêt à l'emploi n'a pas les caractéristiques d'un contrat d'entreprise, n'a pas droit au paiement direct de ses prestations de fournitures par le maître d'ouvrage délégué nonobstant la circonstance qu'elle ait été agréée par ce dernier en qualité de sous-traitante et que celui-ci avait accepté ses conditions de paiement ; que, par suite, la société Unibéton n'est pas fondée à demander la condamnation solidaire du Département du Gard et de la société d'aménagement et d'équipement du Département du Gard à lui payer la somme de 56 267,27 euros avec intérêts de droit à compter du 1er décembre 1998 ».

Cet arrêt permet également de rappeler que l’agrément du sous-traitant ne préjuge pas de sa qualité puisque si les prestations fournies ne participent pas à l’exécution du marché public mais se cantonnent à de la fourniture de matériaux standards, l’entreprise ne pourra bénéficier des avantages du régime de la sous-traitance (même arrêt).

D’autres arrêts illustrent cette distinction :

  • si l’entreprise répond à une exigence du CCTP et fournit un produit qui est spécifique au marché, « sur mesure », alors la qualification de contrat de sous-traitance est retenue [3],
  • si au contraire l’entreprise fournit des produits « prêts à l’emploi » ou de « production courante » [4], la relation sera regardée comme un contrat de fourniture [5].

La question peut également se poser s’agissant d’autres contrats proches de la sous-traitance, notamment dans les opérations de travaux, qu’il conviendra également de distinguer : tels que les contrats de transport, les contrats de location d’engins, ou même parfois un contrat de travail.

B. Les conséquences de la qualification du contrat

Comme le rappelle Nicolas Labrune dans ses conclusions sur l’arrêt commenté :

« ne peut bénéficier du régime juridique de la sous-traitance, notamment du droit au paiement direct par le maître d’ouvrage, que celui qui répond à cette définition légale »

Mais dès lors que la qualification de contrat de sous-traitance est retenue, le sous-traitant bénéficie de son régime de « protection » s’agissant du paiement de ses prestations, notamment. En effet, il est éligible au paiement direct [6] par le maître d’ouvrage, à condition toutefois d’avoir été agréé par le maître d’ouvrage et ses conditions de paiement acceptées par ce dernier [7].

Les modalités de paiement du sous-traitant sont toutefois complexes. L’arrêt commenté apporte une précision utile.

II. Le régime du paiement direct du sous-traitant.

Le « circuit de paiement » du sous-traitant est précis, l’arrêt commenté précise la portée des règles du paiement direct.

Dans un marché public, le régime des paiements du sous-traitant peut être schématisé comme suit 

A. Le circuit de paiement en marché public

                                                                                        

B. La portée du silence du titulaire

 

Le sous-traitant adresse une demande de paiement direct au titulaire et au maître d’ouvrage. Le titulaire dispose de 15 jours pour accepter ou s’opposer à cette demande [8].

Cette opposition doit intervenir dans un délai de quinze jours mais doit être motivée comme l’indique le Conseil d’État dans la décision commentée : 

« Dès lors, le refus qu’il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens de ces dispositions ».

Un refus non motivé équivaut donc à une acceptation tacite [9].

La décision commentée rappelle d’ailleurs que l’acheteur peut, en absence d’opposition du titulaire au paiement direct, contrôler l’exécution effective des travaux ayant fait l’objet du contrat de sous-traitance [10].

Par ce contrôle, l’acheteur peut aussi s’assurer que les travaux effectués par le sous-traitant correspondent réellement aux prescriptions du marché.

On le voit, la jurisprudence « prolonge le caractère protecteur de la loi du 31 décembre 1975, car à défaut de manifestation motivée dans le délai de quinze jours, la facture du sous-traitant est réputée « validée » par l’entreprise.

 

[1] Ce libellé est issu de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance N° Lexbase : L5127A8E, dont on rappelle qu’elle est d’ordre public (voir CCP, art. L. 2193-3 N° Lexbase : L4569LRN : « Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions du présent chapitre »).

[2] CE, 2°-7° s.-s-r., 26 septembre 2007, n° 255993 N° Lexbase : A5992DYL.

[3] CAA Nantes, 7 octobre 2011, n° 10NT02052 N° Lexbase : A8566HYW: « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Tuvaco a pour activité le négoce d'appareils et d'équipements de ventilation, de chauffage, de régulation et de traitement de l'air, la conception et la fabrication de ces appareils et équipements ; qu'il ressort d'une facture du 6 décembre 2005 adressée à la société Atlan VDI que la société Tuvaco a fourni un ensemble de ventilation conforme au cahier des clauses techniques particulières applicable au marché en cause, dont les paragraphes 14.3.34.1 et 14.3.34.1 comportaient des clauses particulièrement précises quant aux caractéristiques techniques auxquelles devaient correspondre les gaines de ventilation et les gaines de soufflage et de reprises ; qu'en particulier, les gaines rectangulaires et les accessoires fournis par la société Tuvaco ont été fabriqués sur mesure pour répondre aux spécificités imposées par le cahier des clauses techniques particulières ; que, dans ces conditions, la société Tuvaco ne peut être regardée comme s'étant bornée à fournir des équipements de production courante ; qu'ayant participé à l'exécution d'une partie du marché en cause, cette société avait dès lors la qualité de sous-traitant au sens des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 » ; ou encore : CAA Lyon, 11 mai 2006, n° 01LY00279 N° Lexbase : A5852DQS : « Considérant que le devis quantitatif estimatif annexé à l'acte d'engagement du marché du lot 1 attribué à la société YC Pose rémunère, en son chapitre 1-5 « la fourniture, la pose et le déplacement d'un échafaudage pour la durée du chantier sur toutes les façades et pignons » à rénover ; que la convention du 6 octobre 1997 par laquelle la société YC Pose a délégué cette prestation à la société Poujaud a eu pour effet de lui confier l'exécution d'une partie du marché de travaux du lot 1 au sens des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975

[4] CAA Nantes, 30 décembre 1999, n° 96NT02356 N° Lexbase : A6289BMU.

[5] CE, 21 octobre 2015, n° 385779 N° Lexbase : A8633NTW : « Considérant qu'après avoir relevé, par une motivation suffisante, que la société Esportec était un fournisseur et non un sous-traitant, et estimé que cette société avait livré un stabilisant de sols, simple matériau qui ne pouvait être qualifié d'ouvrage, de partie d'ouvrage, ou d'élément d'équipement au sens des dispositions de l'article 1792-4 du Code civil N° Lexbase : L5934LTX, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que la responsabilité de la société Esportec ne pouvait être solidairement recherchée devant le juge administratif sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil ».

[6] CCP, art. R. 2193-10 N° Lexbase : L4279LRW.

[7] CCP, art L. 2193-4 N° Lexbase : L3912LRC.

[8] CCP, art. R. 2193-12 N° Lexbase : L4278LRU.

[9] CE, 2°-7° ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 465913 N° Lexbase : A17861NH ; voir aussi CE, 21 février 2011, n° 318364 N° Lexbase : A6973GZB.

[10] CE, 28 avril 2000, n° 181604 N° Lexbase : A9254AGT, Rec. p. 162 ; CE, 9 juin 2017, n° 396358 N° Lexbase : A3913WHE.

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