La lettre juridique n°960 du 12 octobre 2023 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] L’indication géographique « Linge basque » validée par la Cour de cassation

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2023, n° 21-25.334, F-B N° Lexbase : A11511IH

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par Caroline Le Goffic, Professeur à l’Université de Lille, Membre du CRDP – Équipe LERADP

le 11 Octobre 2023

Mots-clés :  indication géographique pour les produits industriels et artisanaux – homologation – réputation – savoir-faire

La Cour de cassation rejette le pourvoi contre un arrêt qui avait validé l’homologation par l’INPI du cahier des charges de l’indication géographique « Linge basque ». La Cour indique que pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives.


 

Consacrée par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX) [1], la catégorie d’indication géographique protégeant des produits industriels ou artisanaux constitue un nouveau type de signe distinctif destiné à protéger les produits issus de traditions et de savoir-faire locaux. L’indication géographique est définie par l’article L. 721-2 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L7690IZT comme « la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique ».

La procédure d’enregistrement de ces indications géographiques peut être ainsi résumée [2] : l’organisme de défense et de gestion, représentant les opérateurs concernés par l’indication géographique en cause, dépose auprès de l’INPI une demande d’homologation du cahier des charges de ladite indication géographique. L’INPI procède alors à une instruction de la demande, s'assurant que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique. L’INPI ouvre également une enquête publique et procède à la consultation des collectivités territoriales, groupements professionnels et associations de consommateurs intéressés. Au terme de la procédure, la décision d'homologation de l’indication géographique par l’INPI vaut reconnaissance de l'organisme qui assure la défense et la gestion du produit bénéficiant de l'indication géographique. Cette décision, accompagnée du cahier des charges correspondant, est publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle.

Les indications géographiques de produits industriels et artisanaux (IGPIA) connaissent un succès croissant. Avec l’accroissement du nombre d’IGPIA enregistrées par l’INPI (14 à ce jour) se développe un contentieux relatif à la validité de ces enregistrements. Les recours en annulation se multiplient en effet, la plupart du temps introduits par des opérateurs qui n’acceptent pas le cahier des charges.Ainsi les décisions de l’INPI ayant homologué les indications « Porcelaine de Limoges » [3] ou encore « Pierre Marbrière de Rhône-Alpes » [4] ont-elles fait l’objet de recours en annulation. Dans ces deux cas, les juges ont validé l’enregistrement par l’INPI de ces IGPIA.

On retrouve ce même schéma dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu le 27 septembre 2023 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. En l’espèce, par une décision du 15 octobre 2020, l’INPI a homologué le cahier des charges de l’indication géographique « Linge basque » et reconnu le syndicat des tisseurs du linge basque d’origine comme organisme de défense et de gestion. En décembre 2020, une société de tissage a formé un recours en annulation.

Ce recours était, comme dans les autres affaires précitées, fondé sur deux arguments principaux d’ores et déjà très classiques.

D’une part, la société contestait le lien à l’origine. Elle faisait valoir qu'aucune des spécificités revendiquées dans le cahier des charges n’était propre à la zone géographique visée, à savoir les Pyrénées-Atlantiques, en ce que la culture historique du lin avait disparu de cette zone, que la réputation de robustesse et d'authenticité du linge basque ne lui était pas propre, ces qualités étant communes aux autres linges de qualité de diverses régions de France, et que le savoir-faire des tisserands n’était pas non plus propre au linge basque.

D’autre part, la société requérante contestait également la représentativité de l’organisme de défense et de gestion de l’IGPIA.

La cour d’appel de Bordeaux ayant réfuté ces deux arguments par un arrêt en date du 12 octobre 2021 [5], la société de tissage s’est pourvue en cassation.

Au soutien de son pourvoi, elle n’invoquait plus que le premier argument, à savoir le caractère prétendument insuffisant du lien à l’origine.

Le moyen développé au soutien de ce pourvoi consistait, en substance, à faire valoir que le savoir-faire consacré par l’IGPIA était insuffisamment lié au produit concerné et à sa zone d’origine. Ainsi la société de tissage arguait-elle « qu’un savoir-faire traditionnel ne peut justifier l'octroi d'une indication géographique que si, par sa spécificité, il distingue les produits qui en sont le fruit des produits d'autres provenances géographiques ». Or, en l’espèce, selon le pourvoi, la cour d’appel aurait dû caractériser la spécificité de ce savoir-faire permettant de l'attribuer essentiellement au département des Pyrénées-Atlantiques. La société soutenait corrélativement que le savoir-faire en question « n'était pas propre à la fabrication du linge basque mais correspondait au procédé de fabrication de tout tissage à façon de qualité ».

Afin de rejeter le pourvoi, la Cour de cassation commence par poser le principe suivant : « il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 et L. 721-7, 4° N° Lexbase : L2034KGG, du Code de la propriété intellectuelle que, pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives ».

Cette affirmation résulte davantage du second des deux textes visés. En effet, l’article L. 721-7, 4°, du code précise que le cahier des charges de l’IGPIA mentionne « la qualité, la réputation, le savoir-faire traditionnel ou les autres caractéristiques que possède le produit concerné et qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique ou à ce lieu déterminé, ainsi que les éléments établissant le lien entre le produit et la zone géographique ou le lieu déterminé associé ». Ainsi autorise-t-il le rattachement à l’origine à s’effectuer soit à travers la réputation, soit à travers le savoir-faire. L’article L. 721-2, en revanche, ne mentionne pas le savoir-faire, mais seulement la réputation. Dans l’arrêt qu’elle avait rendu à propos de la porcelaine de Limoges [6], la Cour de cassation avait résolu cette incohérence apparente en considérant qu’ « il résulte de l'application combinée des articles L. 712-2 et L. 721-7, 4° du Code de la propriété́ intellectuelle qu'est une caractéristique du produit, au sens du premier de ces textes, le fait pour ce produit de résulter d'un savoir-faire traditionnel ».

La Cour de cassation rappelle ensuite qu’aux termes de l'article L. 721-3, alinéa 4, du CPI N° Lexbase : L7691IZU, lorsqu'il instruit la demande d'homologation ou de modification du cahier des charges, l'INPI s'assure que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique.

Sur cette base, elle relève que les juges du fond ont caractérisé  la tradition de tissage ancrée dans le territoire en cause, et un savoir-faire particulier, caractérisé, « aux termes du cahier des charges, par un procédé de fabrication découpé en quatre étapes distinctes de tissage, qui doivent toutes être réalisées dans le département des Pyrénées-Atlantiques » pour que le produit bénéficie de l'IG « Linge basque ». Il ressort en effet du cahier des charges et des éléments produits par le syndicat des tisseurs du linge basque d'origine que la culture du lin dans le Béarn et le Pays Basque, dès le XIXème siècle, a favorisé l'installation d'ateliers de tissages familiaux dans la région, d'abord destinés aux besoins agricoles puis essentiellement au linge de maison et de table, ces ateliers se mécanisant au XXème siècle grâce au réseau hydro-électrique dans la région, pour connaître leur apogée pendant les « trente glorieuses » avec l'utilisation du coton en remplacement du lin et la diversification des produits caractérisés par des couleurs et des dessins originaux.
Les juges du fond avaient ajouté que ce savoir-faire ancestral, issu d'une tradition artisanale et industrielle, perdure encore dans ce département.

La Cour de cassation en tire la conclusion suivante : « en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que la réalisation du tissage du linge dans les Pyrénées-Atlantiques résultait d'un savoir-faire local historique, fût-il non exclusif à cette zone géographique, et n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, dès lors qu'elle avait fait ressortir que la réalisation du tissage dans les Pyrénées-Atlantiques était la caractéristique propre et essentielle du linge basque, et qui a établi que le linge tissé dans les Pyrénées-Atlantiques selon un savoir-faire traditionnel développé dans cette zone géographique jouissait d'une réputation de qualité, a, par ces seuls motifs et sans méconnaître les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B, légalement justifié sa décision ».

Cette solution, très favorable à la reconnaissance des IGPIA, s’inscrit dans la droite lignée de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2021 dans l’affaire « Porcelaine de Limoges » [7]. Les juges du fond l’avaient d’ailleurs cité expressément à propos du Linge basque : « la loi du 17 mars 2014, dite loi Hamon, à l'origine de la création des IGPIA, n'exige pas que les matières premières utilisées pour la confection des produits visés proviennent impérativement de la zone géographique concernée, comme l'a jugé un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 14 avril 2021, transposable à plusieurs titres au présent litige ». Dans son arrêt rendu sur un recours formé contre l'homologation de l'IG « Porcelaine de Limoges », la Cour de cassation avait admis l'analyse de la cour d'appel de Paris qui avait rejeté́ l'argument des sociétés requérantes faisant valoir l'épuisement des gisements de kaolin. Dans l’affaire « Linge basque », la cour d’appel de Bordeaux avait ainsi cité l’attendu suivant de la Cour de cassation : « la notion de savoir-faire traditionnel au sens du second de ces textes, n'implique ni exclusivité́, ni caractère secret des techniques mises en œuvre  ». En conséquence, les juges avaient conclu, à bon escient, que « la disparition de la culture du lin dans la zone géographique concernée n'est pas de nature à enlever au produit sa spécificité́ naturelle ».

Cette solution illustre bien la différence entre la notion d’IGPIA et celle d’appellation d’origine en matière agroalimentaire, la seconde étant nettement plus exigeante quant au lien au terroir. S’agissant de produits industriels et artisanaux, le lien à l’origine peut résider dans la seule réputation liée à un savoir-faire historique. Tel est le cas pour le linge basque.  Ici encore, la motivation n’est pas sans rappeler celle développée dans l’affaire « Porcelaine de Limoges. » Le savoir-faire spécifique, en l’espèce, réside dans un procédé particulier de fabrication en quatre étapes qui doivent toutes être réalisées dans le département des Pyrénées Atlantiques. Ainsi le lien à l’origine se trouve-t-il établi.


[1] C. Le Goffic, Les apports de la loi du 17 mars 2014 au Code de la propriété intellectuelle, Prop. ind., 2014, Focus 32.

[2] Cf. C. Le Goffic, Homologation par l’INPI des deux premières indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux, Prop. ind., 2017, alerte 14.

[3] CA Paris, 25 septembre 2018, Propr. intell. 2019, n° 70, p. 70, obs. C. Le Goffic ; pourvoi rejeté par Cass. com., 14 février 2021, n° 19-10.327, F-D N° Lexbase : A79984PW, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 74, obs. C. Le Goffic.

[4] CA Bordeaux, 23 mars 2021, n° 19/06730 N° Lexbase : A21534MP, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 76, obs. C. Le Goffic.

[5] CA Bordeaux, 12 octobre 2021, n° 20/04960 N° Lexbase : A011249Z, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 100, obs. C. Le Goffic.

[6] Cass. com., 14 avril 2021, préc.

[7] Cass. com., 14 avril 2021, préc.

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