La lettre juridique n°759 du 25 octobre 2018 : Arbitrage

[Le point sur...] Nouveaux champs de pratique et droit OHADA : l’arbitrage des investissements

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par Talfi Idrissa Bachir, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à la FSJP, Université Abdou Moumouni de Niamey

le 24 Octobre 2018

OHADA - Arbitrage - Investissements

Tel l’Univers en perpétuelle expansion, le champ de l’OHADA ne cesse de connaître, quant à lui, une irrépressible extension. Aussi, le champ matériel de l’OHADA est celui qui connaît l’extension la plus rapide, relativement au champ géographique ou territorial dont la croissance n’est pas aussi rapide [1].

Le champ matériel de l’OHADA a été défini à l’article 2 du Traité (N° Lexbase : L3251LGI). Ainsi cette disposition, dont la rédaction, qui contient une double définition du champ matériel, permet à l’OHADA de scruter de nouveaux horizons, de nouveaux champs de pratique. En effet, si l’article 2 énonce clairement le champ matériel de l’OHADA dans un premier temps, en citant les matières [2] qui entrent dans «domaine du droit des affaires», dans un second temps, l’article 2 précise qu’entre dans ce domaine, «toute autre matière que le conseil des Ministres déciderait d’y inclure conformément à l’objet du Traité». De cette matière, le domaine matériel de l’OHADA n’a de limite que les décisions du conseil des Ministres, elles-mêmes limitées par l’objet du Traité.

C’est ainsi que l’OHADA s’est lancée dans une vaste opération de conquête de nouveaux champs alors même que dans le même temps s’opérait une autre opération de toilettage des anciens Actes uniformes.

Ainsi, s’agissant des nouveaux champs explorés par l’OHADA et non expressément cités par l’article 2 du Traité, et ayant fait l’objet d’avant-projets de textes, on peut citer le droit des contrats [3], de la consommation [4]. Quant aux nouveaux champs non prévus et n’ayant fait l’objet d’aucun avant-projet de textes, mais dont les Etudes ont été commanditées par le Secrétariat permanent de l’OHADA, ils sont au nombre de sept. Il s’agit de : l’affacturage, le Crédit-bail, la médiation commerciale, la sous-traitance, la franchise, le droit des conflits et de la circulation des actes publics et enfin le contrat de partenariat public-privé.

S’agissant du toilettage des anciens Actes uniformes, là également le mouvement enclenché depuis près de huit ans, continue. C’est ainsi que sur les huit premiers Actes uniformes adoptés, six ont déjà fait l’objet de reprise. Il s’agit de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (N° Lexbase : L3037LGL) et au droit des sûretés (N° Lexbase : L9023LGB) (en 2010), l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (en 2014) (N° Lexbase : L0647LG3), de l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives et à l’apurement du passif (en 2015) (N° Lexbase : L0547LGD), de l’Acte uniforme portant harmonisation et harmonisation des comptabilités des entreprises (N° Lexbase : L3767LHY) qui a été repris avec modification de son appellation, il devient désormais Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière (en 2017) (N° Lexbase : L2911LGW). Et enfin, de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (en 2017) (N° Lexbase : L1333LGH). A noter que dans le même temps, avec les révisions des Actes uniformes s’opéraient aussi l’adoption de nouveaux Actes uniformes. C’est ainsi qu’a été adopté en 2010 l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (N° Lexbase : L1886LGX) et en novembre 2017 était adopté l’Acte uniforme relatif à la médiation (N° Lexbase : L4676LHN).

C’est au cours de cette dernière réforme d’il y a à peine un peu plus de onze mois que de nouveaux Actes uniformes OHADA ainsi qu’un nouveau règlement d’arbitrage de la CCJA (N° Lexbase : L4675LHM) ont été adoptés, mettant ainsi l’OHADA de plain-pied dans le droit des MARC. En effet, le 23 novembre 2017, le conseil des ministres de l’OHADA a adopté le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA), dont l’ancien datait déjà du 11 mars 1999, le nouveau Règlement d’arbitrage (RA), dont l’ancien datait aussi du 11 mars 1999 et enfin, un tout nouvel Acte uniforme sur la médiation (AUM) qui n’existait pas auparavant. Il s’agissait là, en réalité pour l’OHADA, de se doter d’outils de modes alternatifs de règlement des conflits (MARC). L’objectif étant de développer davantage les MARC mais aussi et surtout d’accompagner le développement économique et les investissements dans la zone géographique couverte par l’OHADA.

C’est dans cette optique que, dans le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA), il a été expressément inséré des dispositions sur l’arbitrage d’investissement.

 

En effet, le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) consacre formellement l’arbitrage d’investissement [5]. A ce titre, on peut dire qu’il s’agit là pour l’OHADA d’un nouveau champ de pratique, quoique l’arbitrage d’investissement ne soit pas nouveau en soi. De même que l’arbitrage d’investissement ne soit pas non plus nouveau dans l’espace OHADA, car bien que non consacré formellement par l’AUA de l’OHADA, il était pratiqué et le centre d’arbitrage de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) a dû trancher des affaires d’investissements. Mais, avec le nouvel Acte uniforme, l’OHADA passe un cran au-dessus pour prévoir ce type d’arbitrage de façon très solennelle. C’est peut-être dans le souci de se hisser aux standards des autres centres internationaux en la matière.

 

Cependant, avant d’aller plus en avant, et pour mieux planter le décor, il faut, avant tout, s’entendre sur ce que l’on entend par arbitrage d’investissement. Nous ne reviendrons ni sur la définition de l’arbitrage qui, curieusement d’ailleurs, n’est pas dans l’AUA [6], ni même sur celle de l’investissement [7].

Quant à l’arbitrage d’investissement, il n’a pas été non plus défini par la doctrine ohadienne et même par la doctrine récente [8]. La raison en est toute simple. L’OHADA n’avait jusque-là pas fait de distinction entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international ou de commerce international [9]. Un auteur a bien vu que c’est bien parce que le droit de l’arbitrage de l’OHADA est pétri du droit matériel de l’arbitrage interne et de règles matérielles de l’arbitrage international [10].

Pour trouver une définition de l’arbitrage d’investissement, faisons nôtre celle donnée par Walid Ben Hamida  [11] pour qui «l’arbitrage relatif à l’investissement peut être défini comme tout arbitrage opposant des entités publiques à des personnes privées étrangères et portant sur une opération  d’investissement  (construction  et  exploitation  d’autoroute,  concession, exploitation d’une licence de téléphone, usine, BOT)» [12].

Deux critères se dégagent ainsi de cette définition. Le critère des personnes et le critère de l’objet. Les personnes doivent être des personnes publiques et des personnes privées et quant à l’objet, ce doit être une opération d’investissement.

Toujours selon cet auteur, «il s’agit d’une variante de l’arbitrage mixte ou transnational qui oppose les personnes publiques et les personnes privées étrangères. La personne publique est souvent l’Etat, mais peut être une entité infra-étatique (collectivité territoriale ou entreprise d’Etat). La personne privée est souvent une société étrangère, mais parfois une simple personne physique».

Si l’on retient cette définition de l’arbitrage d’investissement, on peut se demander alors quelle en est la source juridique ?

A l’origine de l’arbitrage d’investissement, se trouve la Convention du Centre international de Règlement des Différends relatifs aux Investissement (CIRDI) conclue en 1965, entrée en vigueur en 1966. Pourquoi l’arbitrage d’investissement ? Selon G. Kaufmann-Kohler, «l’arbitrage d’investissement trouve son origine dans le fait que dans les années d’après la seconde guerre mondiale, pour favoriser le développement des pays non industrialisés, il s’est avéré nécessaire de créer des conditions-cadre afin que les capitaux étrangers affluent. Pour cela, il fallait promouvoir les investissements et il fallait aussi donner confiance aux investisseurs et sécuriser leurs apports» [13]. C’est ainsi que le recours aux tribunaux étatiques n’étant pas satisfaisant, on s’est alors tout naturellement tourné vers l’arbitrage international dans un lieu neutre, dont la législation régirait l’arbitrage détaché de tout droit national comme de toute juridiction nationale. C’est cette idée d’un arbitrage réellement international qui a inspiré la Convention CIRDI [14], conclue en 1965, entrée en vigueur en 1966 [15].

En quoi consiste l’arbitrage d’investissement ? Cet arbitrage était jusqu’au début des années 1990 purement contractuel. C’est-à-dire subordonné à l’existence d’une clause d’arbitrage prévue dans un contrat d’Etat ou un compromis conclus entre la personne publique et la personne privée. Mais, le 27 juin 1990, dans l’affaire «AAPL c/ Sri Lanka» [16], un tribunal arbitral a admis pour la première fois (notons que parmi les membres de ce tribunal, il y a un Ghanéen M. Samuel Assante) qu’une personne privée pouvait se fonder sur un Traité international d’investissement pour engager une procédure arbitrale contre un Etat en l’absence d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Deux ans avant cette date, le 14 avril 1988, dans l’affaire «SPP c/ Egypte» [17], un autre tribunal s’est déclaré compétent pour trancher le litige opposant la société SPP à l’Egypte sur le seul fondement de la loi égyptienne sur les investissements qui renvoyait à l’arbitrage. Ces deux tribunaux ont admis ainsi que le consentement des parties à l’arbitrage pouvait être dissocié ou décalé. La personne publique exprime un consentement abstrait à l’arbitrage dans un instrument normatif interne (loi interne) ou international (convention internationale). La personne privée accepte cette «offre publique d’arbitrage» en introduisant sa requête arbitrale. Ce type d’arbitrage se développe très rapidement. Le phénomène a été qualifié d’«arbitrage transnational unilatéral» [18], car «l’instance arbitrale ne peut être engagée que par la personne privée, à l’exclusion de la personne publique» [19].

 

Cependant, l’arbitrage, selon la Convention CIRDI, n’est pas le seul type d’arbitrage international d’investissement. Il y en a d’autres. Il en est ainsi, notamment, de l’arbitrage selon le mécanisme supplémentaire du CIRDI qui permet de recourir à la procédure du Centre, alors même que les conditions contraignantes de compétence tenant à la nationalité qu’impose la Convention, ne sont pas remplies. Ce qui permet de signaler que, bien avant le CIRDI, il existait, en Europe, la Cour d’arbitrage  international  de  Londres  créée  en  1891,  qui occupe  une  grande  place  mais également la  chambre  de  commerce internationale de Paris fondée en 1923 qui jouit, elle aussi, d’une grande notoriété en matière d’arbitrage international. Toutefois, l’arbitrage CIRDI est celui qui occupe le haut du pavé en matière d’arbitrage international.

 

Par ailleurs, certains contrats d’investissements comprennent des clauses d’arbitrage classiques, notamment des clauses d’arbitrage selon le Règlement CCI de la Chambre de Commerce internationale de Paris (CCI) ou selon le Règlement d’arbitrage de la Conférence des Nations unies pour le Développement du Commerce International (CNUDCI).

S’agissant du droit OHADA, c’est l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage qui est la première source d’arbitrage d’investissement. Mais, là encore, il a fallu attendre la réforme de 2017 pour que de façon expresse le législateur OHADA introduise la notion même d’arbitrage d’investissement. En effet, le nouvel AUA du 23 novembre 2017 dispose en son article 3 que «l’arbitrage peut être fondé sur une convention d’arbitrage ou sur un instrument relatif aux investissements, notamment un Code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements». En nous fondant sur cette disposition, nous pouvons alors dire que l’arbitrage d’investissement est formellement consacré.

Quant au Règlement d’arbitrage de la Cour commune de justice et d’arbitrage (RA) du 23 novembre 2017, il dispose aussi en son article 2.1, alinéa 2 que «la  Cour  peut  également  administrer  des  procédures  arbitrales  fondées sur  un  instrument relatif aux investissements, notamment un code des investissements ou  un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements».

L’introduction de l’arbitrage d’investissement de façon expresse dans l’AUA et dans le Règlement d’arbitrage est assurément un tournant dans le droit OHADA.

C’est une question nouvelle qu’aura donc à traiter aussi bien le droit OHADA dans son ensemble (institutions, doctrine, jurisprudence) que les droits internes des pays membres de l’organisation.

On peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi cette référence expresse à l’arbitrage d’investissement aujourd’hui ? Est-ce une volonté des Etats de l’OHADA de s’emparer de la question et de proposer aux Etats membres un centre d’arbitrage d’investissement ? Ou, l’arbitrage d’investissement constitue-t-il une opportunité pour l’OHADA dans son ensemble et pour les Etats membres de l’organisation ?

 

C’est sous cet angle que sera abordée la question en discutant successivement de la consécration textuelle de l’arbitrage d’investissement comme une opportunité pour l’OHADA (II) et en se posant la question de savoir quelles opportunités pour les Etats parties (II)?

           

 

 

I - La consécration textuelle de l’arbitrage d’investissement : une opportunité pour l’OHADA

 

L’arbitrage d’investissement serait une opportunité pour l’OHADA à un double titre : il est nouveau en droit OHADA (A) et il répond à un désir de positionner la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) en centre d’arbitrage des investissements (B).

 

A - L’arbitrage d’investissement : une nouveauté en droit OHADA

 

L’arbitrage d’investissement est une question nouvelle expressément introduite dans le droit OHADA avec la révision de l’AUA et du RA pour sa consécration textuelle. En effet, avant la réforme de novembre 2017, aucune disposition, ni du Règlement d’arbitrage ni de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne faisait référence à l’arbitrage d’investissement. C’est donc réellement l’article 3 de l’AUA et l’article 2.1 du RA qui consacrent l’arbitrage d’investissement dans le droit OHADA. Il est donc indéniable que cela représente une nouveauté pour le droit OHADA.

 

Néanmoins cette nouveauté, si elle est textuelle, elle ne l’est pas du point de vue de la pratique.

 

En effet, il faut bien préciser que si «textuellement» c’est une consécration, l’arbitrage d’investissement n’est pas une question totalement nouvelle dans l’espace OHADA. Non seulement, La CCJA a eu à connaitre de cas d’arbitrage international, mais les Etats membres de l’OHADA étaient déjà parties à des arbitrages d’investissement lors même que leurs lois internes le prévoyaient.

Nombreux sont les cas d’arbitrage d’investissement connus par la CCJA. Ces affaires mettant aux prises les Etats et les investisseurs étrangers. Toutefois, bien avant de connaitre de ces affaires, se fondant sur le dispositif tant  réglementaire qu’institutionnel de l’OHADA en la matière, certains auteurs ont vu dans le dispositif OHADA un arbitrage international [20] et surtout «l’émergence d’un centre d’arbitrage international» [21].

Il n’y a pas non plus de doute qu’ils sont parties à des traités d’investissement bilatéraux (TBI [22]), multilatéraux ou  régionaux.

Par contre, ces Traités, et lois internes font, quasiment tous, référence à l’arbitrage CIRDI et non à l’arbitrage devant la CCJA. Rares sont ceux qui font état de l’arbitrage CCJA pour le règlement des différends liés aux investissements [23].

L’explication la plus simple c’est que, pour la plupart, ces traités et textes normatifs sont antérieurs à l’OHADA [24].

Toutefois, même pour les plus récents (notamment, loi n° 2014-09 du 16 avril 2014 portant Code des investissements en République du Niger), la référence à l’arbitrage CIRDI s’explique aussi par le fait que l’OHADA n’a pas expressément prévu l’arbitrage d’investissement, puisque celui-ci n’est intervenu que récemment avec la réforme de l’AUA et du RA de l’OHADA.

En dépit de tout ce qui précède, c’est donc, désormais, une nouvelle dimension de l’arbitrage qui s’additionne à l’arbitrage traditionnel OHADA qui vient s’ajouter au dispositif OHADA de l’arbitrage. Cette nouvelle dimension, traduit le désir des Etats parties, à travers l’organe législatif qu’est le Conseil des Ministres, de positionner résolument la CCJA en centre d’arbitrage des investissements, comme si le dispositif existant ne le faisait pas suffisamment.

 

B - Le désir de se positionner la CCJA en Centre d’arbitrage des investissements

 

Le principal reproche à faire au dispositif réglementaire de l’OHADA est l’absence de publication de ce que l’on peut appeler «les débats parlementaires». Il n’y a certes pas de parlement OHADA, mais avant l’adoption des Actes uniformes il y a tout un processus permettant de discuter les dispositions des avant-projets et des projets d’Actes uniformes, jusqu’aux discussions des «réunions d’experts»  et l’avis de la CCJA sur les avant-projets d’Actes uniformes permettant de comprendre l’esprit dans lequel les dispositions définitives des Actes uniformes ont été adoptés. Aucune publication des travaux préparatoires (notamment les rapports de présentation des avant-projets ou les rapports de discussions des réunions des experts sur les projets d’Actes uniformes encore moins les rapports de présentation des experts ayant eu la charge de préparer les avant-projets d’Actes uniformes) n’est organisée ou prévue, seuls les Actes uniformes sont publiés au Journal officiel de l’OHADA et parfois aux Journaux officiels des Etats membres. Ce qui ne laisse donc guère pour l’observateur externe que les supputations sur ce qui a pu motiver le «législateur OHADA» à adopter telle ou telle autre mesure dans les Actes uniformes (et les Règlements). Ainsi, on peut dans ces conditions, penser que par le seul fait de prévoir expressément dans une disposition l’arbitrage d’investissements l’OHADA entend par là saisir une opportunité pour désormais capter les différends d’investissements réglés par la  voie de l’arbitrage.

 

 C’est que l’OHADA affiche ainsi son ambition de se positionner sur l’échiquier de l’arbitrage international comme un référentiel en matière d’arbitrage d’investissement et positionner la CCJA comme centre d’arbitrage d’investissements au même titre que les centres internationaux reconnus en la matière.

Cependant, si l’AUA a prévu l’arbitrage d’investissements et que le règlement d’arbitrage ait aussi prévu que la CCJA peut connaitre des différends en matière d’investissements, il se trouve qu’en dehors de ces dispositions énonçant le principe de la connaissance de ce type d’arbitrage aucune autre disposition aussi bien dans l’AUA que dans le RA ne prévoient de procédures particulières s’agissant ce type d’arbitrage. Les dispositions traditionnelles sont maintenues et tout porte à croire que ce sont ces dispositions qui vont régir les arbitrages d’investissements qui seront portés devant la CCJA. Ce qui peut être vu comme une faiblesse du dispositif, car l’arbitrage d’investissements a des contraintes procédurales et même de fond qui ne sont pas prises en compte dans le droit OHADA actuel de l’arbitrage [25]. Ce n’est pas pour autant que ce nouvel dispositif ne constitue point une opportunité pour les Etats de l’OHADA.

 

II - L’arbitrage d’investissement : quelles opportunités pour les Etats parties de l’OHADA ?

 

L’arbitrage d’investissement met en rapport des Etats ou des entités publiques avec des investisseurs privés, généralement étrangers.

Très peu de Centres d’arbitrage existent sur le territoire géographique que couvre l’OHADA. Quant à l’arbitrage d’investissement, aucun des centres nationaux n’en n’offre les prestations.

Dans ces conditions, on peut donc dire que l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements présente des opportunités pour les Etats-parties.

On peut présenter ces opportunités sous deux angles. D’abord par la proximité du centre d’arbitrage mais aussi par rapatriement des différends sur le continent et surtout dans l’espace OHADA.

 

A - Opportunité dans la proximité du centre d’Arbitrage OHADA.

 

Consacrer de façon formelle l’arbitrage d’investissement en droit OHADA peut présenter des opportunités lorsqu’il est loisible aux Etats de s’adresser à un Centre d’arbitrage proche et ne se trouvant pas sur un autre continent.

Cette proximité du centre d’arbitrage peut être appréciée à un double titre. Une proximité géographique et une proximité intellectuelle.

 

1. S’agissant de la proximité géographique. L’opportunité pour les Etats membres de s’adresser désormais à la CCJA pour les arbitrages d’investissements résiderait dans le fait que le centre est géographiquement plus proche que les centres traditionnels connus. En effet, les différents centres d’arbitrage des investissements connus et reconnus sont tous en dehors du continent africain.

La proximité d’un centre sur le continent présente des avantages certains pour les Etats. Le premier serait une réduction considérable du cout de l’arbitrage dans les économies qui seraient réalisées sur pratiquement tous les points de dépenses d’un tel arbitrage (frais liés au déplacement relatifs à la procédure devant le centre, frais d’arbitrage et honoraires des arbitres).

 

2. S’agissant de la proximité intellectuelle. L’opportunité résiderait aussi pour les Etats de voir leurs différends tranchés selon des règles assez connus dans un système juridique connu et donc pas étranger. Ceci pourrait être une source de confiance pour les parties à l’arbitrage. Il est bien vrai que les parties à un arbitrage ont le choix du droit applicable. Cependant, le seul fait d’être en face d’un centre en dehors du territoire géographique de la zone d’influence d’un système de droit connu pourrait aussi présenter de risque de barrière intellectuelle sur le droit applicable au fond du litige. La proximité ou la présence du centre sur le territoire OHADA, rassurerait les parties, surtout les Etats. Actuellement, on peut aisément imaginer il serait moins sûr que les investisseurs internationaux soient, eux, rassurés par le droit OHADA, habitués qu’ils sont par les procédures des grands centres reconnus. Sur ce point de vue, l’OHADA devrait encore poursuivre son œuvre d’attractivité vis-à-vis de ces investisseurs. Quant aux investisseurs du continent, ceux-ci peuvent facilement se rallier à la CCJA pour l’arbitrage de leurs différends.

Un autre avantage de l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements réside dans le fait que le règlement d’arbitrage de la CCJA ainsi que l’arsenal juridique du droit des investissements de l’espace géographique couvert par l’OHADA n’est pas inconnu des arbitres CCJA.

Enfin, le contrat d’investissement pour lequel la difficulté s’élèverait et qui donnerait lieu à l’arbitrage s’exécute sur le territoire géographique couvert par l’OHADA.

Tous ces facteurs font que la CCJA en tant que Centre d’arbitrage des investissements réalisés dans le territoire géographique couvert par l’organisation présente des opportunités non négligeables pour les Etats.

           

B - Opportunité dans le rapatriement des différends d’investissements

 

«L’arbitrage dans les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’investissement se développe. Par réalisme ou par nécessité, ces pays ont compris que pour attirer les investissements étrangers, le recours à l’arbitrage est primordial. Pour cette raison, ces pays signent des conventions d’arbitrage, concluent des traités d’investissement et adoptent des lois renvoyant à l’arbitrage». Tels sont les propos introductifs de la conclusion de l’article de Walid Ben Hamida sur «La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements» [26] .

Le rapport du CIRDI sur les cas d’arbitrage à la date du 30 avril 2016 fait ressortir que sur les 563 affaires enregistrées, 23 %  [27] impliquent des Etats africains [28]. Sur ces 23 %, 20 % ont été introduites par des investisseurs africains et les 80 % par des investisseurs hors du continent africain [29]. Enfin, on relève que sur les 131 affaires (représentant les 23 % des 563 affaires), 46 impliquent des Etats parties de l’OHADA.

C’est donc une grosse part des affaires qui impliquent des Etats parties de l’OHADA. Il serait donc opportun pour les Etats membres de l’OHADA de rapatrier les affaires au centre de la CCJA.

Dans la perspective d’un accroissement des affaires d’investissements, c’est donc une opportunité pour les Etats parties à l’OHADA que la CCJA capte ces affaires. Ainsi fait, la CCJA se positionnerait véritablement comme un centre d’arbitrage des investissements. En effet, tout plaide pour que les différends qui s’élèveraient à l’occasion des investissements réalisés sur le continent soient arbitrés sur le continent et éviter leur exportation. Le juge Keba Mbaye avait bien dit que «L’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance». On peut rajouter que «c’est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique et pour les africains».

Ce rapatriement des affaires ne concernera bien entendu pas les affaires courantes. Il concernera les affaires futures. Et pour ce faire, il faudrait que les TBI ou les codes des investissements des différents Etats qui contiennent des dispositions renvoyant expressément à l’arbitrage CIRDI ou CCI ou autre soient révisés pour intégrer désormais l’arbitrage CCJA. Ce ne serait pas chose facile, mais ce serait aux Etats de savoir imposer cette clause ou disposition. C’est aussi à l’OHADA de convaincre de sa capacité à gérer ces types de différends ce qui serait assurément le meilleur plaidoyer en faveur de l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements.

 

En guise de conclusion

 

L’OHADA a pratiquement tout à gagner à s’engager dans la voie de l’arbitrage d’investissement. C’est non seulement un élargissement du champ de l’arbitrage OHADA mais c’est aussi le prolongement naturel de la philosophie de l’OHADA qui est la sécurisation des investissements par la promotion et le développement de l’arbitrage. Et on le voit, l’arbitrage d’investissement présente certaines opportunités pour l’OHADA.

Un bémol cependant. Si l’arbitrage d’investissement présente des opportunités certaines pour l’OHADA, il faut aussi relever que l’OHADA doit bien asseoir le dispositif de l’arbitrage d’investissement. Le premier pas a été franchi en introduisant expressément l’arbitrage d’investissement dans le système OHADA. Cependant, ce n’est qu’un premier pas. D’autres pas doivent être faits et le plus rapidement possible et ce dans le sens de mieux construire l’édifice du système d’arbitrage d’investissement. En effet, les deux seules dispositions de l’AUA et du RA sont insuffisantes pour faire de l’arbitrage d’investissement. On peut même se demander par quelle légèreté ces seules dispositions ont été introduites sans l’accompagnement de toutes les autres dispositions permettant d’asseoir un véritable système d’arbitrage d’investissement [30]. L’OHADA aura donc tout intérêt à compléter l’édifice juridique de l’arbitrage d’investissement mais aussi à s’adjoindre des arbitres rompus à ce type d’affaires pour rendre ainsi le centre plus attractif et ce d’autant plus que certains modes de règlements des différends d’investissements sont prospectés pour offrir d’alternative à l’arbitrage d’investissements, notamment par la CNUCED [31], car si ce n’est fait, on pourrait, comme se demandait Walid Ben Hamida  «où va l’arbitrage des investissements ?»,  «où irait l’arbitrage d’investissement OHADA ?».

 

[1] Une seule adhésion depuis la création de l’organisation (celle de la RDC) alors que le Traité dispose qu’il est ouvert à tous les Etats membres de l’Union Africaine. Par contre plusieurs pays ont le statut d’observateurs, et le tout dernier à s’intéresser à l’OHADA est le Royaume du Maroc qui après la CEDEAO s’intéresse de près à l’OHADA.

[2] «[…] pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit de la vente et des transports […]».

[3] Qui a connu une mauvaise fortune avec l’élaboration d’un avant-projet, communément appelé le Projet Fontaine, qui a été rejeté (pour les raisons du rejet voir Paul Gérard Pougoué, L’avant projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : les tribulations d’un universitaire, Ohadata D-07-41) puis un Avant-projet d’acte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA qui n’a toujours pas encore été présenté aux Etats depuis plus d’une dizaine d’année aujourd’hui.

[4] Pour lequel un avant-projet d’Acte uniforme a été élaboré mais n’a pas dépassé le stade des observations dans les différents Etats membres.

[5] L’arbitrage d’investissement n’était jusqu’alors pas expressément prévu par les textes de l’OHADA, Voir en ce sens A. Diallo, Réflexion sur l’arbitrage dans l’espace OHADA, Thèse, Université de Perpignan, 2016, p. 246.

[6] En effet, l’arbitrage n’a pas fait l’objet de définition par le législateur OHADA. Ni dans le Traité OHADA, ni dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et encore moins dans le règlement d’arbitrage de la CCJA. Voir P. Meyer, Droit de l’arbitrage, Bruylant, Collection Droit uniforme africain, Bruxelles, 2002, p. 22, n° 39 ; le Professeur P.-G. Pougoué, en donne une définition sans en dire la source. Pour lui, «l’arbitrage  est  un  mode  conventionnel  de  règlement  des litiges  par  des  particuliers  choisis  directement  ou  indirectement  par les parties, et investis du pouvoir de juger à la place des juridictions étatiques  par  une  décision  ayant  force  obligatoire  et  pouvant  être exécutoire», «Prolégomènes : Place de l’Arbitrage dans la Stratégie de l’OHADA (380)», in : Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Volume: 380, Hague Academy of International Law, Brill | Nijhoff, Leiden | Boston, 2015, p. 123..

[7] Sur le droit Ohada et investissement, voir J.-C. Ngnintedem, «Le juge Ohada et l’investissement International», RDAI/IBLJ, N° 1, 2015, pp. 95 à 115 et S. Manciaux, Que disent les textes OHADA en matière d'investissement ?, Revue de l’ERSUMA, n° 1, juin 2012, pp. 268 à 275.

[8] Voir par exemple, C. D. Sossa, La protection des investissements étrangers au regard du droit OHADA : d’une internationalisation rectifiée à une internationalisation consentie, in Les horizons du droit OHADA, Mélanges en honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, Cotonou, 2018, pp. 107 à 145.

[9] Voir article 1er de l’AUA mais aussi G. Kenfack Douajni et Ch. Imhoos, L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans le cadre du traité OHADA, Revue camerounaise de l’Arbitrage, 1999, n° 5, p. 3 ; Ohada.com, Ohadata D-08-78.

[10] A. Diallo, thèse précitée, pp. 12 à 13 et spéc. p. 29.

[11][11] Auteur d’une thèse sur la question : L’arbitrage transnational unilatéral. Réflexions sur une  procédure  réservée à  l’initiative d’une  personne privée contre une personne publique, Thèse, Paris II, 2003.

[12] W. Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012-3, p. 617.

[13] G. Kaufmann-Kohler, L’arbitrage d’investissement : entre contrat et traité - entre intérêts privés et intérêt public, texte  d’une  conférence  prononcée le  24  juin  2004  au Centre libanais d’arbitrage à Beyrouth, p. 4.

[14] Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, ICSID en anglais,  créé par la  Convention (de Washington)  pour le  règlement  des  différends relatifs aux  investissements  entre  Etats  et  ressortissants  d’autres  Etats.

[15] G. Kaufmann-Köhler, op. cit.

[16] AAPL c/ Sri Lanka, Sentence du 21 juin 1990, Journal du Droit International, 1992, p. 217.

[17] SPP c/ Egypte, Première décision sur la compétence du 27 novembre 1985, et deuxième décision sur la compétence du 14 avril 1988, Journal du Droit International, 1994, p. 217.

[18] Voir W. Ben Hamida, L’arbitrage transnational unilatéral. Réflexions sur une procédure réservée à l’initiative d’une personne privée contre une personne publique, Thèse Université de Paris II, sous la direction de Ph. Fouchard, 2003.

[19] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012-3, p. 618.

[20] Ph. Fouchard, Le système d’arbitrage de l’OHADA : le démarrage, PA, 13 octobre 2004, n° 205, p. 52.

[21] A. Ngwanza, L’essor de l’arbitrage international en Afrique sub-saharienne : les apports de la CCJA, Revue de l’ERSUMA, n° 3, septembre 2013, p. 30.

[22] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, op. cit., p. 623. «Chacun des 48 Etats de la région est signataire d'au moins un TBI. Concernant les Etats les plus actifs dans la conclusion des TBI, on classe en première position l’Afrique du Sud avec 46 TBI. Viennent, ensuite, l’Ile Maurice avec 36 TBI, Zimbabwe avec 30 TBI, l’Ethiopie avec 29 TBI, le Soudan avec 27 TBI, Ghana avec 26 TBI, le Sénégal et le Mozambique avec 24 TBI chacun et, enfin, Nigeria avec 22 TBI signés. Les Etats les moins impliqués dans la négociation des TBI sont la République Centrafricaine, l'Erythrée, le Liberia, le Togo qui ont signé, chacun, 4 TBI. Lesotho et Sierra Leone ont signé 3 TBI, chacun. Guinée-Bissau et la Somalie sont signataires de 2 TBI, chacun. Enfin, Sao Tomé-et-Principe a signé un seul TBI».

[23] Voir A. Ngwanza, op. cit., n° 19 et ss.

[24] Voir pour un bref état des lieux sur la question A. Ngwanza, op. cit., n° 9 et ss. Et plus spécialement notes de bas de pages n° 84 et 85.

[25] Voir notamment J.-B. Momnougui, Arbitrage des investissements OHADA : évolution ou révolution ?, Actualités du Droit, Wolters Kluwer, 2018.

[26] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, op. cit. p. 643.

[27] Soit 131 affaires.

[28] The ICSID caseload statistics special focus - Africa (april 2016), p. 7.

[29] The ICSID caseload statistics special focus - Africa (april 2016), op. cit., p. 13.

[30] Voir notamment sur ces dispositions W. Ben Hamida, Où va l’arbitrage d’investissement ?, in F. Osman et A. C. Yildirim, (sous la dir.), Où va l’arbitrage international. De la crise au renouveau. Journées d’études méditerranéennes en l’honneur du Professeur Ali Bencheneb, Lexisnexis, Paris,  2016, pp. 395 et ss. Voir aussi pour les critiques des nouvelles dispositions de l’OHADA B. MOMNOUGUI, op. cit.

[31] Rapport sur «Différends entre investisseurs et État: prévention et modes de règlement autres que l’arbitrage», études de la CNUCED sur les politiques d’investissement international au service du développement, Nations Unies, New York et Genève, 2010, pp. 165.

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