Réf. : Cass. civ. 3, 14 septembre 2023, n° 22-13.858, FS-B N° Lexbase : A57291GB
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 20 Septembre 2023
► Les désordres apparents à la réception ne sont pas couverts par la responsabilité décennale du constructeur ;
Le caractère apparent ou non du désordre dépend de la compétence de celui qui réceptionne.
Par principe, la réception sans réserve purge le vice. Cela signifie que les désordres apparents à la réception doivent être réservés. Par conséquent, la question de savoir pour qui et par qui le désordre peut être apparent ou caché est une question récurrente, même si le sujet va rarement jusqu’en cassation. Rien que pour cela, l’arrêt rapporté mérite, en effet, d’être publié.
En l’espèce, une SCI et une société entreprennent la construction d’immeubles comprenant 150 logements. Les lots sont vendus en l’état futur d’achèvement. Les travaux sont réceptionnés. Se plaignant de désordres affectant notamment les installations d’eau chaude sanitaire, le syndicat des copropriétaires a, après la désignation en référé d’un expert, assigné les locateurs d’ouvrage et leur assureur en indemnisation.
La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 24 janvier 2022 (CA Versailles, 24 janvier 2022, n° 19/07492 N° Lexbase : A25087K4), condamne les constructeurs et leurs assureurs in solidum. L’un d’entre eux forme un pourvoi en cassation. Il expose, à juste titre, que seuls relèvent de la garantie décennale, les désordres non apparents au maître d’ouvrage lors de la réception. Selon lui, le désordre qui peut être raisonnablement décelé par un maître d’ouvrage, normalement diligent, procédant à des vérifications élémentaires, est un désordre apparent. Précisément, le désordre affectant le circuit de distribution d’eau chaude sanitaire est apparent puisque sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l’eau chaude, aurait pu et dû être décelé le jour de la réception.
Le moyen est rejeté. Le maître d’ouvrage, qui n’est pas un professionnel de la construction, n’avait pas pu déceler ce désordre tenant à la longueur anormale de la tuyauterie, quand bien même sa manifestation concrète aurait pu être décelée au jour de la réception.
Le raisonnement est subtil puisque la Haute juridiction distingue le désordre de sa manifestation. Le tout doit être compris comme la volonté de protéger le maître d’ouvrage, toujours réputé non-sachant, même lorsqu’il s’agit d’une société de construction ou d’un promoteur.
La décision n’est pas surprenante. L’apparence s’apprécie par rapport à la personne du maître d’ouvrage et la jurisprudence fait depuis longtemps preuve de mansuétude (pour exemple, Cass. civ. 3, 12 octobre 1994, n° 92-16.533 N° Lexbase : A7106ABS).
Pis, l’appréciation du caractère apparent ou caché d’un vice s’apprécie uniquement au regard du maître d’ouvrage, même lorsque celui-ci est accompagné d’un maître d’œuvre (pour exemple, Cass. civ. 3, 17 novembre 1993, n° 91-17.982 N° Lexbase : A5833ABN).
Ce n’est pas la seule exception. La jurisprudence admet, également, que même apparent à la réception, le défaut dont l’ampleur se manifeste dans le délai décennal peut relever du champ d’application de la responsabilité civile décennale du constructeur.
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