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par Vincent Vantighem
le 20 Septembre 2023
Officiellement, le « califat » de Daesh en Syrie n’existe plus depuis le 23 mars 2019 et la prise de Baghouz. Mais évidemment, on n’a pas fini d’en entendre parler. Le sujet s’est même invité devant la Cour de cassation mardi 19 septembre. Pas question ici d’établir la responsabilité des dirigeants du groupe terroriste qui a secoué l’ordre mondial. Mais bien, l’une des plus grosses entreprises françaises. Le cimentier Lafarge, en l’occurrence.
Poursuivi depuis des années, le géant du ciment a, en effet, saisi la plus haute juridiction française dans le but de contester et de faire annuler ses mises en examen pour « mise en danger de ses salariés » syriens d’une part, et « complicité de crime contre l’humanité » d’autre part. Dans les faits, le groupe est accusé d’avoir mis en danger la vie de ses employés sur le sol syrien en maintenant en activité son usine de Jalabiya de 2012 à 2014 alors que la guerre faisait rage.
Un risque d’enlèvement et d’extorsion pour les salariés syriens
L’histoire fait froid dans le dos et aurait pu aisément nourrir l’imaginaire des scénaristes du Bureau des légendes, cette série sur les agents secrets français. Désormais filiale d’Holcim, le groupe Lafarge est soupçonné, en réalité, d’avoir versé en 2013 et 2014, via l’une de ses filiales, plusieurs millions d’euros à des groupes djihadistes, parmi lesquels l’organisation État islamique. Le but était aussi simple que clair : maintenir l’activité de son usine de Jalabiya alors que le pays sombrait peu à peu dans le chaos. En versant des pots-de-vin, les dirigeants de Lafarge s’assuraient que les terroristes ne s’en prendraient pas à leurs salariés ou à leurs installations. Et peu importe que l’argent serve, au final, à tenter de renverser un État ou à fomenter des projets d’attentats.
Dans ce contexte, Lafarge était donc parvenu à maintenir l’activité de ses salariés syriens sur le site jusqu’en septembre 2014 alors que ses employés de nationalité étrangère avaient, eux, été évacués en 2012. « Les salariés syriens ont été exposés au risque d’extorsion et d’enlèvement » a précisé le rapporteur lors de l’audience devant la Cour de cassation.
La filiale syrienne était une « coquille vide » pour l’avocat général
Car le sujet ici est bien de savoir si le droit français s’appliquait sur le sol syrien dans la mesure où les salariés étaient employés par une filiale de droit syrien mais détenue à 98 % par la maison-mère française. Pour Patrice Spinosi, la réponse est clairement « non ». Avocat du cimentier, il a plaidé que le droit français n’avait pas de valeur en la matière en s’appuyant notamment sur un avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 4 juillet. Autrement dit, pour lui, Lafarge n’avait même pas à former ses salariés syriens à la sécurité comme le prévoient les lois de police française.
En totale opposition évidemment, Catherine Bauer-Violas, avocate du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR) et de deux salariés, a plaidé l’inverse. En expliquant que le contrat de travail de ses clients présentait « plus de liens avec la France qu’avec la Syrie ». Insistant devant la Cour de cassation, elle a précisé que Lafarge exerçait « un réel pouvoir de direction sur les salariés syriens concernés » et « encadrait les règles de sécurité à la filiale ».
Un sentiment auquel s’est rangé l’avocat général qui a préconisé le rejet de l’ensemble du pourvoi porté par le cimentier. D’une façon lapidaire : « Les décisions que Lafarge a prises en France à son siège social ont démontré que sa filiale syrienne n’était finalement qu’une coquille vide... »
La décision sera rendue le 7 novembre prochain. Au-delà du symbole d’une mise en examen pour avoir frayé avec des groupes terroristes, c’est désormais le risque d’un procès qui pointe à l’horizon pour Lafarge.
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