Réf. : CEDH, 14 septembre 2023, req. n° 22296/20 et n° 37138/20, Baret et Caballero c. France N° Lexbase : A27911HT
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N6822BZP
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par Laïla Bedja
le 21 Septembre 2023
► L’interdiction d’exporter des gamètes ou des embryons dans un pays qui autorise l’insémination post-mortem ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la CESDH.
Les faits et procédure. Les deux affaires dont la CEDH était saisie, concernent l’interdiction d’exportation des gamètes du mari de la première requérante (req. n° 22296/20) et des embryons du couple que formaient la seconde requérante et son mari décédé vers l’Espagne, pays qui autorise la procréation post-mortem (req. n° 37138/20). Invoquant l’article 8 de la Convention N° Lexbase : L4798AQR, les requérantes se plaignent que les refus litigieux (CE réf., 24 janvier 2020, n° 437328 N° Lexbase : A83163CY et CE référé, 28 février 2020, n° 438852 N° Lexbase : A14463HZ) qui se fondent sur l’interdiction de la procréation posthume posée par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4562L74 et l’interdiction d’exporter des gamètes ou des embryons à des fins prohibées par la loi française prévues par l’article L. 2141-11-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4571L7G emportent violation de leurs droits.
La décision. La CEDH rejette les requêtes et valide l’interdiction faite par la législation française d’avoir recours à la procréation médicalement assistée posthume en constatant l’absence de violation de l’article 8 de la Convention sur le droit à la vie privée et familiale.
Si la Cour constate que l’interdiction constitue une ingérence dans la vie privée des requérantes, dès lors que la possibilité pour une personne d’exercer un choix quant au sort réserver à ses embryons ou gamètes relève de son droit à l’autodétermination, elle tempère en énonçant que « l’interdiction absolue de l’insémination posthume en France relève d’un choix politique et que, s’agissant d’une question de société portant sur des enjeux d’ordre moral ou éthique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national ».
Elle relève par ailleurs que l’interdiction d’exportation des gamètes ou embryons, qui revient à exporter l’interdiction de la procréation post-mortem sur le territoire national, vise à faire obstacle au risque de contournement des dispositions du code de la santé publique posant cette interdiction. Elle note également que, jusqu’à l’intervention de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, le législateur s’est efforcé de concilier la volonté d’élargir l’accès à l’AMP et le respect des préoccupations de la société quant aux questionnements éthiques délicats soulevés par la perspective de la conception posthume.
Elle estime que les autorités internes ont ménagé un « juste équilibre » entre les intérêts concurrents en jeu, que l’État défendeur n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait et, partant, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la CESDH.
La Cour reconnaît néanmoins que l’ouverture, depuis 2021, par le législateur de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules pose de manière renouvelée la pertinence de la justification du maintien de l’interdiction dénoncée par les requérantes.
Rappelons que l’interdiction de la procréation post-mortem remonte aux origines de la législation bioéthique, en 1994, et a été réitérée à l’occasion des révisions intervenues en 2004 et en 2011.
Dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dans son avis n° 113 intitulé « La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple » (10 février 2011), réitéré dans son avis n° 129 adopté le 18 septembre 2018, s’est prononcé en faveur du maintien de l’interdiction de l’AMP réalisée avec les gamètes d’une personne décédée en raison notamment du « caractère plus difficilement vérifiable du consentement du père au moment même de la procréation et [de] la non-présence d’un embryon qui procéderait des deux membres du couple et concrétiserait ainsi le projet parental ». En revanche, il a préconisé l’autorisation du transfert d’embryon post-mortem. Aussi, le Conseil d’État s’était prononcé en faveur de la levée de l’interdiction de l’AMP post-mortem (Conseil d’État, avis sur un projet de loi relatif à la bioéthique, 18
S’appuyant sur ces différents travaux, le gouvernement a, le 24 juillet 2019, déposé un projet de loi prévoyant de supprimer l’exigence d’une infertilité pathologique à laquelle était subordonnée la possibilité de recourir à l’AMP et d’élargir cette dernière aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ce projet ne prévoyait pas de revenir sur l’interdiction absolue de l’AMP post-mortem en raison des enjeux éthiques spécifiques en cause et des difficultés juridiques que sa levée serait susceptible d’entraîner. À ce titre sont notamment évoqués par le Gouvernement le risque de pressions familiales ou sociales sur les veuves, la possibilité d’un récit identitaire de l’enfant marqué par le contexte de deuil ou, sur un autre plan, le risque de susciter des débats sur le statut de l’embryon.
La loi a été définitivement adoptée, en troisième lecture, par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, à la suite de deux lectures dans les deux chambres du Parlement et d’une commission mixte paritaire qui, du fait d’importants désaccords de fond entre les deux chambres, n’était pas parvenue à élaborer un texte commun. Le texte adopté par l’Assemblée nationale a ouvert l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, et a maintenu l’interdiction de la conception posthume.
Au cours des débats, une cinquantaine d’amendements en faveur de l’AMP post-mortem avaient été déposés devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Ces amendements ont tous été rejetés. Promulguée le 2 août 2021, la loi n° 2021-1017, relative à la bioéthique
Pour aller plus loin : lire l’article de C. Siffrein-Blanc, L’accès à la parenté pour tous, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021, in le Dossier spécial « Loi bioéthique 2021 : les apports en droit des personnes et de la famille », Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8818BYA |
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