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par Vincent Vantighem
le 18 Septembre 2023
Peut-on dessiner Jacques Attali manipulant un pantin déguisé en Emmanuel Macron sans arrière-pensées ? Une fois de plus, la justice a dû se pencher sur un délicat dossier de liberté d’expression artistique, à son corps défendant. Pas question ici de la punchline d’un rappeur en mal d’audience ou de l’œuvre d’un écrivain que l’époque actuelle a rendu problématique. Mais de street-art. De graffiti pour être exact.
Sur ce terrain-là, c’est le tribunal judiciaire d’Avignon (Vaucluse) qui s’y est collé en jugeant Léonard Petotte, plus connu sous le sobriquet de Lekto, en référence, selon lui, à « un ectoplasme ». Cet artiste très suivi sur les réseaux sociaux et les sphères complotistes est accusé d’avoir peint une fresque géante sur l’un des murs d’Avignon. L’œuvre a été perçue par plusieurs associations comme étant antisémite. Dans le détail ? Un Jacques Attali géant et sombre dessiné en marionnettiste en train de manipuler un Pinocchio qui n’est autre qu’Emmanuel Macron. L’affaire avait fait grand bruit dans la Cité des Papes en juin 2022.
De l’aveu même de certaines parties civiles, c’est un « dossier difficile ». Comment considérer que ce dessin est antisémite ? Évidemment, l’intéressé s’en défend. Expliquant qu’il est spécialiste en « calembours visuels », il déclare, un peu perdu à la barre, qu’il n’a jamais voulu attaquer la religion : « C’est vous qui essentialisez Jacques Attali à sa religion. Pas moi... » Pour lui, cette fresque n’était qu’un moyen de singer Jacques Attali qui s’est vanté d’avoir « fait » Emmanuel Macron en le présentant à François Hollande en 2010. On connaît la suite de l’histoire.
Un Macron avec une moustache à la Hitler
Mais comme toujours, le diable se niche dans les détails, en l’occurrence, dans ceux de la fresque. Il y d’abord les gants blancs portés par l’économiste et la voûte étoilée sous laquelle se déroule la scène. Des symboles maçonniques, selon les parties civiles. Pas pour l’artiste. « Ce sont les gants de Mickey… C’est une façon de dire que la politique, c’est du spectacle. » Qu’en est-il du titre du dessin ? « La bête 2, l’événement ». Lekto prétend avoir entendu cette phrase prononcée par Emmanuel Macron un jour (« La Bête de l’événement est là, elle arrive. Qu’il s’agisse du terrorisme, de la pandémie ou d’autres chocs... ») sans savoir qu’elle a été, depuis, reprise et détournée par les réseaux complotistes.
Bien loin de l’idée de mettre en avant la liberté d’expression, le jeune artiste de 31 ans a surtout plaidé l’ignorance en fait. Un peu benoîtement, il explique ainsi qu’il ne savait pas que Jacques Attali était juif : « Je l’ai peut-être lu, mais je ne me suis pas arrêté là-dessus... ». Pour les avocats des parties civiles, cela fait beaucoup de coïncidences. La dernière d’entre elles étant que le jeune homme a choisi comme avocat Emmanuel Ludot, l’ancien conseil de … Dieudonné.
Celui-ci a tenté de redresser la barre en indiquant qu’il suffisait de regarder les réseaux sociaux de l’artiste pour se rendre compte qu’il n’est pas antisémite. Sur son compte Instagram, le jeune homme se moque autant de Francis Lalanne que de Bilal Hassani, de Sandrine Rousseau ou de Marlène Schiappa.
Le parquet a du mal à être convaincu. Sans doute parce qu’en parallèle de cette procédure, Lekto est également connu pour une autre caricature qui, il y a encore quelques mois, a fait encore plus de bruit. Toujours dans le Vaucluse, celle-ci représentait Emmanuel Macron avec une moustache à la Adolf Hitler composée des chiffres 49.3… « Vous ne dupez personne. Même pas vous-même », lance le procureur avant de requérir, à son encontre, une amende de 6 000 euros, dont 2 000 avec sursis. Le jugement sera rendu le 23 novembre.
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