La lettre juridique n°953 du 13 juillet 2023 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Quote-part du prix de cession, droit de suite : précisions et revirement

Réf. : Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-15.864, FS-B N° Lexbase : A79929ZZ

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N6270BZA

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 18 Juillet 2023

Mots-clés : plan de cession • prix de cession • obligation pour le tribunal d’affecter une quote-part du prix de cession pour l’exercice des droits de préférence des créanciers inscrits • portée • transfert de la charge de la sûreté • droit de suite du créancier inscrit • priorité de paiement de ce créancier par rapport aux créanciers du débiteur (non)

Dès lors que le plan de cession ne porte que sur le fonds de commerce, objet du nantissement, l'absence d'affectation de la quote-part du prix de cession par le tribunal est sans conséquence sur l'assiette des droits du créancier nanti qui est déterminable, comme portant nécessairement sur la totalité du prix de l'actif cédé.

Le créancier d'un propriétaire antérieur qui a fait connaître au liquidateur l'existence de son droit de suite dans le délai de deux mois après l'avertissement de ce dernier, participe à la distribution des biens au même titre que les créanciers de la procédure. Il ne vient pas en premier rang par rapport aux créanciers de la procédure collective du débiteur.


 

Le repreneur en plan de cession n’est pas l’ayant-cause à titre universel du débiteur. En d’autres termes, il n’est pas tenu de payer les sommes dues par le débiteur, mais seulement un prix de cession. L’article L. 642-12, alinéa 1, du Code de commerce N° Lexbase : L9204L7Z oblige le tribunal, qui arrête le plan de cession, à affecter une quote-part  du prix de cession à chacun des actifs grevés d’une sûreté, afin de permettre l’exercice du droit de préférence des créanciers inscrits.

En l’espèce, le 26 novembre 2015, la société Sonia, qui avait acquis de la société Mamy un fonds de commerce, a été mise en redressement judiciaire. Un plan de cession a été arrêté par un jugement du 30 septembre 2016, puis, le 4 novembre suivant, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.
La société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa (la société Paulaner), qui avait consenti à la société Mamy un prêt garanti par un nantissement et qui, n'ayant pas été réglée de la totalité du crédit, était bénéficiaire d'un droit de suite sur le fonds de commerce, a assigné le liquidateur pour être colloquée en premier rang sur le prix de vente à concurrence de la somme de 87 044,13 euros.

Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal a dit que la société Paulaner devait être colloquée sur le prix de vente du fonds de commerce à hauteur de 87 044,13 euros et qu'elle viendrait au rang des créanciers bénéficiaires d'un nantissement sur le fonds de commerce. Le liquidateur judiciaire a, ès qualités, a interjeté appel de cette décision. La cour d’appel [1] a confirmé le jugement, mais, y ajoutant, a jugé que le tribunal de la procédure collective devra définir la quote-part du prix de cession du fonds de commerce de la société Sonia, sur laquelle la société Paulaner devra être colloquée, le tribunal ayant omis de statuer sur ce point, imposé par la loi.

La société Paumaner a alors formé un pourvoi en cassation. La Haute Cour va casser l’arrêt de la cour d’appel en jugeant, au visa de  L. 642-12, alinéa 1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH, estimant que « après avoir relevé que le plan de cession ne portait que sur le fonds de commerce objet du nantissement, de sorte que, en l'espèce, l'absence d'affectation par le tribunal était sans portée sur l'assiette des droits du créancier qui était déterminable, comme portant nécessairement sur la totalité du prix de l'actif cédé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Par conséquent, selon la Cour de cassation, l’affectation d’une quote-part du prix de cession pour l’exercice des droits de préférence des créanciers inscrits sur les biens cédés repreneur ne s’impose que s’il y a plusieurs biens grevés de sûreté. En apparence, la solution peut séduire. En effet, à quoi bon déterminer une quote-part du prix de cession s’il n’y a qu’un seul créancier inscrit sur les biens cédés ? Pourtant, la solution ne convainc pas. En effet, cela revient à permettre à un créancier inscrit d’exercer son droit de préférence sur 100 % des actifs cédés. Or, si parmi les actifs cédés, figurent des actifs non grevés de sûreté, pourquoi faire porter le droit de préférence du seul créancier inscrit sur ces actifs ? En d’autres termes, lorsqu’il n’y a qu’un seul créancier inscrit, il ne nous semble pas y avoir d’interdiction pour le tribunal d’affecter une quote-part du prix de cession à l’actif grevé de sûreté, en laissant libres d’affectation les autres actifs cédés. Par exemple, en présence de stocks qui seraient valorisés à hauteur de 30 % de la valeur totale des actifs et d’un fonds de commerce valorisé à 70 % de la valeur totale des actifs, le tribunal pourrait, nous semble-t-il, affecter une quote-part du prix de cession de 70 % pour l’exercice du droit de préférence du créancier inscrit sur le fonds de commerce, en laissant 30 % libre d’affectation pour permettre de désintéresser les créanciers chirographaires.

Par conséquent, on le voit, la solution n’est pas si évidente que veut bien le laisser apparaître la Cour de cassation.

Une deuxième difficulté se présentait en l’espèce. Elle  tenait au fait que le nantissement grevant le fonds de commerce du débiteur n’avait pas été purgé lors de l’acquisition qui en avait été faite par le débiteur. Par conséquent, le créancier inscrit prétendait exercer un droit de suite et, en vertu de celui-ci, estimait pouvoir exercer son droit de préférence par priorité aux créanciers de la procédure collective. Ce qui était en jeu était donc l’incidence du droit de suite sur le classement du créancier inscrit.

De manière classique, il est estimé que le créancier inscrit du chef d’un précédent propriétaire peut exercer son droit de préférence par priorité aux créanciers du propriétaire actuel du bien grevé. Une ancienne décision de la Cour de cassation [2], raisonnant sur l’application de l’article 2105 du Code civil N° Lexbase : L2340ABB (devenu 2376 N° Lexbase : L1358HI7 [3]), a considéré que cette disposition s’applique au conflit entre créanciers d’un même propriétaire de l’immeuble et non au conflit existant entre des créanciers à privilège général du propriétaire actuel et des créanciers à privilège spécial du propriétaire précédent. Cette solution a été réaffirmée par une cour d’appel [4].

Dans le domaine spécifique du nantissement sur fonds de commerce, la Cour de cassation a également considéré, tant sous l’empire de la législation du 25 janvier 1985 [5], que sous celui de la loi du 13 juillet 1967 [6], que les créanciers nantis du chef du précédent propriétaire l’emportaient par rapport au fisc, titulaire d’un privilège sur le fonds du chef du propriétaire actuel.

C’est ainsi une règle simple qui résulte de cette jurisprudence : un conflit ne peut exister qu’entre créanciers d’un même débiteur. La doctrine approuve cette solution [7]. Elle est d’application générale, si l’on excepte le privilège du conservateur de la chose [8]. Le super privilège des salaires ou encore le privilège des créanciers postérieurs dans la loi de sauvegarde des entreprises ne peuvent la tenir en échec. Les règles des procédures collectives étaient jusqu’alors, faute de texte contraire, impuissantes à l’infléchir.

Cette solution du droit commun n’était pas, jusqu’alors, écartée en cas d’ouverture de la procédure collective. Ainsi, il avait pu être jugé que lorsque le prix de vente de l’immeuble ou du fonds de commerce sera distribué, le créancier hypothécaire ou nanti qui oppose à la procédure collective son droit de suite, l’emportera sur tous les créanciers de la procédure collective [9].

C’est cette solution classique qui avait été en l’espèce appliquée par les juges du fond. Mais la Cour de cassation va ici soulever un moyen d’office portant sur le droit de priorité du bénéficiaire d’un droit de suite par rapport aux créanciers de la procédure collective. Elle a cassé sur ce moyen relevé d’office l’arrêt de la cour d’appel, qui avait cru devoir juger que le titulaire d’un droit de suite l’emportait sur les créanciers du propriétaire.  Elle juge au contraire, au visa des articles L. 642-12, alinéa 1, L. 641-13 N° Lexbase : L2747LBD, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 (ordonnance n° 2021-1193 N° Lexbase : L8998L7E, et R. 643-5 N° Lexbase : L1564MDB du Code de commerce, que « Le premier de ces textes, ayant pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence, ne déroge pas à l'ordre de paiement des créanciers prévu par le deuxième.
Il résulte du troisième de ces textes que, sous peine d'être déchu de son droit de participer à la distribution, le créancier d'un propriétaire antérieur qui a fait connaître au liquidateur l'existence de son droit de suite dans le délai de deux mois après l'avertissement de ce dernier, participe à la distribution des biens au même titre que les créanciers de la procédure.
Pour dire que la société Paulaner vient en premier rang par rapport aux créanciers de la procédure collective de la société Sonia, l'arrêt retient que cette société est titulaire d'un nantissement inscrit sur le fonds de commerce du chef du propriétaire antérieur et qu'une priorité doit lui être accordée sur les créanciers personnels de la société Sonia.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

Ainsi, selon la Cour de cassation, la solution classique selon laquelle le titulaire d’un droit de suite l’emporte sur les créanciers actuels du propriétaire du bien grevé, lorsque ce propriétaire est sous procédure collective, n’est plus d’actualité. Ce qui, selon la Cour de cassation changerait la donne est l’article R. 643-5 du Code de commerce, introduit dans notre corpus juridique par la loi de sauvegarde.

Selon cette disposition, « Les créanciers inscrits du chef d'un précédent propriétaire et titulaires d'un droit de suite ou du chef de l'entrepreneur sur un bien compris dans le patrimoine en cause en garantie d'une créance affectant un autre patrimoine sont avertis par le liquidateur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception qu'ils ont l'obligation de produire leur créance à la procédure d'ordre dans le délai de deux mois à compter de l'avertissement. Cet avis reproduit les deuxième et troisième alinéas du présent article.

La production mentionne la sûreté inscrite sur le bien. Un décompte des sommes dues en principal, intérêts et accessoires et les documents justificatifs sont joints à la production.

À défaut de production dans le délai mentionné au premier alinéa, le créancier est déchu du droit de participer à la distribution ».

Il importe d’observer que les articles R. 643-3 N° Lexbase : L7834IUP, R. 643-4 N° Lexbase : L4543MAI, R. 643-6 N° Lexbase : L9401LUQ à R. 643-14 du Code de commerce s’intéressent tous à la procédure de distribution du prix de vente d’un immeuble, la procédure d’ordre. Au milieu de ces dispositions, se trouve l’article R. 643-5 du Code de commerce. Il nous apparaît assez clairement que ce texte n’intéresse que la vente des immeubles, non celles des meubles. Par conséquent, il nous semble que l’article R. 643-5 ne s’applique pas à la matière mobilière, du fait de la place du texte.

Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que des dispositions communes aux meubles et aux immeubles aient été introduites, peu important qu’elles soient placées avant ou après les dispositions spécifiques aux immeubles. Mais, en tout état de cause, ces dispositions communes auraient dû apparaître comme telles. Or la lecture des articles R 643-3. à R. 643-14 du Code de commerce ne laisse apparaître aucun élément permettant de penser qu’il y a là  des dispositions communes aux meubles et aux immeubles.

La Cour de cassation ne s’est pas expliquée sur ce point. Pourtant, implicitement mais nécessairement, pour parvenir à sa solution, elle considère que l’article R. 643-5 est un texte à vocation générale.

Outre la place du texte, il existe un argument de texte figurant à l’article R. 643-5, alinéa 1 qui contredit ouvertement la solution retenue par la Cour de cassation. En effet, à l’alinéa 1 de l’article R. 643 5 du Code de commerce, il est indiqué que «  Les créanciers inscrits du chef d'un précédent propriétaire et titulaires d'un droit de suite sont avertis par le liquidateur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception qu'ils ont l'obligation de produire leur créance à la procédure d'ordre ». Or personne ne contestera que la procédure d’ordre est spécifique à la matière immobilière. Par conséquent, l’article R. 643-5, alinéa 1, du Code de commerce n’avait aucune vocation à s’appliquer en l’espèce.

La conclusion de la Cour de cassation aurait dû être, par voie de conséquence, différente. Puisque l’article R. 643-5 du Code de commerce et sans application au nantissement sur fonds de commerce, le créancier nanti sur fonds de commerce, titulaire d’un droit de suite, doit se voir appliquer les règles de droit commun en matière de droit de suite, faute de texte contraire en matière de procédure collective. Or, selon ces règles de droit commun, les créanciers inscrits du chef d’un précédent propriétaire l’emportent sur les créanciers du propriétaire actuel, sans même avoir besoin de produire à un ordre [10], ce dernier n’existant pas en matière mobilière. Comme l’énonce Maxence Guastella, « à l’instar du rétenteur, le créancier exerçant son droit de suite dans la procédure collective du tiers acquéreur est affranchi du concours. Son règlement hors concours n’est pas le fruit d’un droit exclusif, mais d’un droit de préférence de premier rang » [11].

On ne peut donc approuver la solution de la Cour de cassation.

On ajoutera, au demeurant, que même si l’article R. 643-5 a vocation à s’appliquer aux sûretés mobilières, il n’a pas, selon nous, pour objet ni pour effet d’entraîner la mise à l’écart des règles du droit de suite. Il est seulement question, avec ces nouveaux textes, d’interdire au bénéficiaire du droit de suite d’exercer son droit de poursuite, en le soumettant à une discipline collective à géométrie particulière. Le bénéficiaire du droit de suite est privé de son droit de poursuite individuelle. Par conséquent il ne peut ni obtenir un titre exécutoire, ni l’exécuter. En revanche il n’a pas à se soumettre à la procédure de déclaration de créance puisque la loi prévoit en substitution une production à une procédure d’ordre. La solution est logique : il n’est pas créancier du débiteur sous procédure collective. Pour le surplus, l’article R. 643-5 du Code de commerce n’indique pas que la règle d’éviction du concours avec les créanciers du débiteur, propriétaire actuel du bien grevé, doit être écartée. Par conséquent, c’est par affirmation purement prétorienne que la Cour de cassation considère que le bénéficiaire du droit de suite entre dans le classement des créanciers d’une procédure collective, comme s’il était créancier, ce que précisément il n’est pas. On voit donc que les choses ne sont pas aussi simples que semble le penser la Cour de cassation.

Pour toutes ces raisons, on ne peut, une fois n’est pas coutume, que désapprouver totalement la décision rendue par la Cour de cassation.

 

[1] CA Paris, 5-8, 16 mars 2021, n° 19/19853 N° Lexbase : A12374LE.

[2] Cass. civ. 1, 20 mars 1956, D., 1956. 374.

[3] Créé par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH.

[4] CA Versailles, 26 mars 1998, n° 1997-5739, D., 1998, Somm. 371, obs. S. Piedelièvre.

[5] Cass. com., 6 juin 2000, n° 97-16.696, F-D N° Lexbase : A2278AZE, Act. proc. coll., 2000, n° 208, obs. Régnaut-Moutier.

[6] Cass. com., 15 avril 1975, n° 74-10.457, publié, D. 1975. 571, note Derrida ; JCP, 1975, II, 18177, note Stemmer.

[7] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil : Les sûretés – La publicité foncière, 7ème éd., « Précis », Dalloz, 2016, n° 512 ; M. et S. Cabrillac, Ch. Mouly et Ph. Pétel, Droit des sûretés, 11ème éd., « Manuel », LexisNexis, 2022, n° 1009.

[8] Mestre, Putman et Billiau, Traité de droit civil, n° 489.

[9] Sur ce principe de solution : Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-21.530, F-D N° Lexbase : A8744I3A.

[10] M. Guastella,  Les principes directeurs des répartitions de fonds en procédure collective, thèse dact. Nice, 2022, n° 288  (en cours de publication BDED).

[11] M. Guastella, op. cit., n° 399. Ade Ph. Pétel, L’exercice d’un doit de suite à l’encontre d’un tiers détenteur placé sous procédure collective, Colloque Sûretés réelles et droit des entreprises en difficulté, Nice, 20 mars 2010, dir. sc. P.-M. Le Corre, LPA, 11 février 2011, n° 30, p. 54 et s., spec. n° 18 et 19.

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