Réf. : Cass. civ. 1, 7 juin 2023, n° 22-15.552, F-B N° Lexbase : A69149YQ
Lecture: 9 min
N5828BZU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Lasserre-Capdeville
le 15 Juin 2023
► D’abord, constitue une perte de chance la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ;
Ensuite, un document émanant de la seule banque, dépourvu de toute signature du client, ne peut utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt selon laquelle l’emprunteur reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d'information normalisée européenne (FIPEN).
Il est rare que la Haute juridiction vienne clarifier l’état du droit applicable au crédit à la consommation, et notamment les obligations ajoutées par la loi n° 2010-737, du 1er juillet 2010; portant réforme du crédit à la consommation N° Lexbase : L6505IMU, c’est-à-dire la loi « Lagarde » (v. néanmoins, Cass. civ. 1, 23 novembre 2022, n° 21-15.435, F-B N° Lexbase : A10748UC, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, décembre 2022, n° 737 N° Lexbase : N3434BZ9 ; J. Lasserre-Capdeville, in Pan., Lexbase Affaires, janvier 2023, n° 741, spéc. § 44 et s. N° Lexbase : N3927BZH). La décision sélectionnée attire par conséquent l’attention.
Faits et procédure. En l’espèce, le 16 juillet 2014, M. et Mme S. avaient souscrit auprès de la banque X. un crédit renouvelable, puis, le 5 septembre 2015, un prêt personnel de 24 000 euros remboursable en 84 mensualités.
Le 3 juin 2019, la banque avait assigné les emprunteurs devant un tribunal d’instance aux fins de paiement de diverses sommes en remboursement de ces prêts. Les emprunteurs avaient formé une demande reconventionnelle de condamnation de la banque au paiement de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde.
La cour d’appel de Reims avait, par une décision du 1er mars 2022 (CA Reims, 1er mars 2022, n° 21/00481 N° Lexbase : A20217PK), condamné la banque à payer aux emprunteurs la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts. En revanche, elle avait considéré qu’il n’y avait pas lieu de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de l’établissement prêteur. Les emprunteurs avaient alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision. La banque avait, pour sa part, formé un pourvoi incident.
Décision. En premier lieu, la banque faisait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer aux emprunteurs la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ». En conséquence, lorsque le juge retient qu’une banque a manqué à son obligation de mise en garde à laquelle il était tenu à l’égard d’un emprunteur non averti auquel il a consenti un prêt, il ne peut faire droit à la demande de celui-ci s’il est certain que si la banque avait exécuté son obligation de mise en garde, l’emprunteur aurait tout de même contracté ce prêt.
Or, en l’espèce, pour accueillir la demande d’indemnisation d’une perte de chance au titre d’un manquement de la banque à son obligation de mise en garde à l'égard des emprunteurs lors de l’octroi du prêt personnel de 24 000 euros du 5 septembre 2015, la cour d’appel, après avoir relevé que les emprunteurs étaient en droit d’être indemnisés du préjudice qu’ils avaient subi en lien avec la faute de la banque, c’est-à-dire de ne pas souscrire ce second concours financier si le prêteur avait exécuté correctement son devoir de mise en garde, avait retenu qu’« il doit être relevé que l'affectation des fonds empruntés correspondant au financement des études des enfants, ce que, selon leurs propres déclarations, les emprunteurs ne pouvaient se permettre d’engager sans aide, il n’est pas acquis qu’une information et une mise en garde effective de la part du prêteur les auraient conduits à renoncer à leur projet d’emprunter, étant ajouté qu'ils sont parvenus à rembourser leurs crédits durant tout de même un peu plus de trois ans » avant de déclarer qu’une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts sera en cela « de nature à réparer de façon juste leur préjudice ».
Dès lors, en accueillant partiellement la demande d’indemnisation d'une perte de chance après avoir pourtant caractérisé l’absence de toute perte de chance des emprunteurs de ne pas contracter le prêt du 5 septembre 2014, la cour d’appel aurait violé, pour la banque X., l’article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
La Cour de cassation rappelle alors qu’en application de l’article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, constitue une perte de chance la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.
Or, la cour d’appel avait fait ressortir qu’il existait une incertitude sur la décision que les emprunteurs auraient prise en cas de respect par la banque de son obligation de mise en garde, et que le risque d'endettement excessif s’était réalisé au bout de trois ans, caractérisant ainsi l’existence de la perte de chance par eux subie. Le moyen n’est donc pas jugé fondé.
Cette solution ne surprendra pas le lecteur. La jurisprudence exige simplement, en matière de manquement au devoir de mise en garde du banquier, la perte d’une chance pour le client de ne pas contracter. Aucune certitude que l’emprunteur aurait souscrit un autre contrat n’est ainsi requise par les juges : une éventualité suffit.
En second lieu, les emprunteurs faisaient grief à l’arrêt d’avoir dit n’y avoir lieu à déchéance de la banque du droit aux intérêts, alors qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que la signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l'offre préalable de crédit comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d'information normalisée européenne (FIPEN) constitue seulement un indice qu'il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires. Or, la fiche, produite par la banque devant le juge, ne comportant pas la signature des emprunteurs ni même leurs initiales, ne saurait valablement compléter la formule pré-imprimée figurant dans l’offre de prêt. Dès lors, en estimant que la banque avait rempli ses obligations légales au vu d’une FIPEN ne comportant ni la signature ni le paraphe des emprunteurs venue compléter une formule pré-imprimée figurant sur l'offre, la cour d’appel aurait violé, selon les époux S., les articles L. 311-6 N° Lexbase : L7513IZB et R. 311-3 N° Lexbase : L2399IUE du Code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause.
Ce moyen parvient à convaincre la Haute juridiction. Cette dernière commence par indiquer qu’en application de l’article L. 311-6, I, du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301, du 14 mars 2016 N° Lexbase : L0300K7A, la signature par l’emprunteur de l'offre préalable de crédit comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur, qui doit rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations, lui a remis la fiche précontractuelle d'information normalisée européenne, constitue seulement un indice qu'il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
Cette dernière solution résulte de jurisprudences bien connues de la CJUE (CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13 N° Lexbase : A7873M7Q) et de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 17-27.066, FS-P+B N° Lexbase : A9189ZDP, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2019, n° 598 N° Lexbase : N9465BXT ; Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 19-20.890, F-P N° Lexbase : A12554P8, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2021, n° 673 N° Lexbase : N7195BY7 ; J. Lasserre-Capdeville, in Chron., Lexbase Affaires, juin 2021, n° 678, spéc. § 6 et s. N° Lexbase : N7767BYC).
Or, pour retenir que la banque avait satisfait à son obligation d’information précontractuelle, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la production par la banque de la FIPEN, renseignée notamment des chefs de l’identité du prêteur, de la description des principales caractéristiques du crédit et du coût du crédit, le document portant sur chacune des trois pages comme référence le numéro du contrat de prêt, même si elle ne portait pas la signature des emprunteurs ni même l’indication de leurs initiales, s’agissant d'un document rédigé avec les caractéristiques essentielles du contrat de prêt, confortait utilement l'offre selon laquelle les emprunteurs reconnaissaient que la fiche d'informations précontractuelles leur avait été remise lors de la conclusion du contrat de prêt.
Dès lors, en statuant ainsi, alors qu'un document émanant de la seule banque ne pouvait utilement corroborer la clause type de l'offre de prêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé. La cassation est alors prononcée sur ce point
Cette solution est heureuse. Depuis quelques années, les juges du fond étaient incertains sur la question de savoir si seule une FIPEN signée par le client est de nature à corroborer la clause figurant dans le contrat de crédit stipulant qu’il a bien reçu la fiche en question. Si certains pensaient que cette signature était nécessaire (v. par ex., CA Douai, 30 juin 2022, n° 20/00624 N° Lexbase : A496179M ; CA Metz, 9 mars 2023, n° 22/01031 N° Lexbase : A78149HU ; CA Douai, 13 avril 2023, n° 21/02847 N° Lexbase : A90549PZ), d’autres le contestaient (CA Versailles, 7 mars 2023, n° 21/07624 N° Lexbase : A33659H4 ; CA Reims, 4 avril 2023, n° 22/01056 N° Lexbase : A49819NS ; CA Douai, 25 mai 2023, n° 20/05221 N° Lexbase : A49049XW). Désormais, la solution est claire : la signature est bien requise !
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le crédit à la consommation, L’obligation de délivrer une fiche d’informations, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E8514B44. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:485828