Le Quotidien du 7 juin 2023 : Procédure prud'homale

[Brèves] Discrimination syndicale : la communication de bulletins de paie nominatifs est-elle possible ?

Réf. : Cass. soc., 1er juin 2023, n° 22-13.238, F-B N° Lexbase : A64069XK

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N5716BZQ

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par Lisa Poinsot

le 06 Juin 2023

Des salariés protégés, qui soupçonnent, au regard de leur évolution professionnelle et de la moyenne des salaires de leur catégorie, une discrimination syndicale, peuvent saisir la formation des référés de la juridiction prud’homale d’une mesure d’instruction in futurum pour obtenir des éléments nominatifs sur leurs collègues de travail afin de pouvoir effectuer une comparaison utile.

Faits et procédure. Soutenant faire l’objet d’une discrimination en raison de leurs activités syndicales, 31 salariés, exerçant des mandats de représentants du personnel, ont saisi la formation des référés de la juridiction prud’homale pour obtenir les informations permettant l’évaluation utile de leur situation au regard de celle des autres salariés placés dans une situation comparable.

En effet, les salariés n’ont pas pu obtenir les éléments de comparaison demandés à leur employeur en dépit de l’intervention du syndicat auprès de la direction et des réunions qui s’en sont suivies, de la saisine du Défenseur des droits et de celle de l’inspecteur du travail ainsi que d’une mise en demeure.

Rappel. En matière de discrimination, le régime de preuve est spécifique. Le salarié doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination. Au regard de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et matériellement vérifiables (C. trav., art. L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW).

La cour d’appel (CA Chambéry, 7 décembre 2021, n° 21/00571 N° Lexbase : A60847E3) fait droit à leur demande de communication des pièces après avoir relevé :

  • des courriers d’évolution de carrière et des bulletins de paie, que les salariés ont connu une évolution de carrière très lente et que leur salaire et leur coefficient n’ont pratiquement pas progressé ;
  • que le tableau issu de la négociation annuelle obligatoire, dressant la moyenne des salaires des salariés classés dans la même catégorie, montre que les salariés sont tout juste dans la moyenne ;
  • que seul l’employeur détient les éléments demandés qui sont nécessaires afin que les salariés fassent valoir leurs droits dans le cadre d’un procès à venir ;
  • que la demande des salariés repose sur un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige.

Plus précisément, en appréciant si tous les éléments de preuve demandés par les salariés sont indispensables et si l’atteinte ainsi portée à la protection de la vie personnelle des salariés concernés par la comparaison est proportionnée au but poursuivi, la cour d’appel autorise la communication :

  • des informations précises sur les collègues de travail, dont la situation peut être comparée, en termes d’ancienneté, d’âge, de qualification, de diplôme, de classification, quelle que soit la variété du contrat de travail, dès lors que la comparaison doit pouvoir s’effectuer sur des postes semblables ou comparables réclamant la même qualification ;
  • les noms et les prénoms de ces collègues ;
  • les bulletins de salaire avec les indications y figurant ;
  • un tableau récapitulatif établi à partir des éléments ainsi communiqués par l’employeur, dès lors que la demande relative à la communication de ce tableau porte sur le panel de comparaison.

La société forme alors un pourvoi en cassation en soutenant que la cour d’appel a fait droit à la demande de communication de pièces des salariés sans constater des éléments de fait de nature à caractériser l’existence d’un litige potentiel entre les parties. En outre, elle argue que la cour d’appel n’a pas expliqué en quoi la communication des données personnelles de salariés contenues dans les bulletins de salaire sur une période de près de trente ans, tels que l'adresse postale, le numéro de Sécurité sociale, le taux d'imposition, la domiciliation bancaire des salariés concernés par la mesure d'instruction, sans rapport avec une éventuelle discrimination syndicale, était indispensable à la protection des droits des demandeurs et proportionnée au but poursuivi.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en application du Règlement européen n° 2016/679, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données (RGPD) N° Lexbase : L0189K8I, de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 ainsi que des articles 6 N° Lexbase : L7558AIR et 8 N° Lexbase : L4798AQR de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY et de l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D.

La Haute juridiction affirme que dès lors qu’il est saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, il appartient au juge de rechercher :

  • si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination syndicale alléguée et proportionnée au but poursuivi ;
  • s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

Le juge doit ensuite rechercher si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

Pour aller plus loin :

  • sur la communication des bulletins de salaire des collègues masculins pour démontrer une discrimination liée au sexe : Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.482, FS-B N° Lexbase : A08929HI ;
  • lire V. Orif, La richesse des mesures d’instruction in futurum dans le contentieux prud’homal, in Dossier spécial La preuve en droit du travail : évolutions et nouveauté, Lexbase Social, mai 2023, n° 945 N° Lexbase : N5360BZK ;
  • v. ÉTUDE : Le principe de non-discrimination, Les moyens de la preuve en matière de discrimination, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5481EXB ;
  • v. aussi ÉTUDE : L’instance prud’homale, L’administration de la preuve lors d’un procès prud’homal, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E6441ZKR.

 

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