La lettre juridique n°944 du 27 avril 2023 : Droit pénal de l'environnement

[Jurisprudence] De l’importance de l’avis à parquet en matière environnementale

Réf. : Cass. crim., 21 mars 2023, n° 22-82.343, F-B N° Lexbase : A88349IZ

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N5221BZE

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par Tom Bonnifay et Brice Grazzini, Avocats

le 27 Avril 2023

Mots-clés : droit pénal de l’environnement • ONF • agents • contrôle • procédure pénale • information préalable • parquet

Il résulte de l'article L. 172-5, alinéas 2 et 3, du Code de l’environnement que le non-respect, par un fonctionnaire ou agent mentionné à l’article L. 172-4 du même code, de l'obligation d'informer préalablement le procureur de la République, qui peut s’y opposer, de son accès aux établissements, locaux professionnels ou installations entrant dans ses prévisions affecte nécessairement la validité des actes effectués par ce fonctionnaire ou agent.


 

Le métier d’avocat pénaliste est en pleine mutation, et c’est enthousiasmant.

À la manière de ces explorateurs remontant l’Orénoque à la conquête de fastueux trésors, le pénaliste découvre avec exaltation les richesses du droit pénal de l’environnement. Sur cette terra juridica incognita, il a tout à imaginer en termes de défense. Ni la jurisprudence ni la doctrine n’ont encore totalement balisé ces terres arides. Il faut dire qu’en plus d’être presque neuve (issues en grande partie de l’ordonnance du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du Code de l’environnement N° Lexbase : L7242IRN), la matière est complexe, protéiforme. Elle mobilise de hautes compétences techniques et juridiques. La loi n°2019-773 du 24 juillet 2019 N° Lexbase : L3020LRB a encore simplifié et surtout renforcé cet arsenal législatif en créant notamment l’Office français de la biodiversité et en donnant davantage de pouvoirs à la police de l’environnement, qu’elle soit administrative ou judiciaire. Pourtant, le rapport sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement [1] remis le 7 décembre 2022 par le groupe de travail présidé par François Molins, procureur général près la Cour de cassation, soulignait avec embarras que les inspecteurs de l’environnement et autres agents habilités, souvent très compétents d’un point de vue technique, n’avaient pas de culture judiciaire et étaient peu formés à la procédure pénale. L’avocat pénaliste, fin connaisseur de la matière, peut en tirer de sérieux arguments de défense. L’arrêt commenté en est l’illustration parfaite.

Les faits. Le 4 juillet 2018, lors d’une opération de surveillance aérienne de la gendarmerie et de l’Office National des Forêts (ci-après ONF) sur la commune de Mana (Guyane), les agents constataient que la crique Kokioko charriait une eau boueuse et marron en provenance d’un chantier alluvionnaire. Ce chantier était exploité par une société bénéficiant d’une autorisation préfectorale idoine. Ils constataient également que le ciel était voilé et sans précipitation, ce qui leur laissait présager une pollution des eaux. D’un point de vue technique, on précisera simplement qu’un chantier alluvionnaire consiste à lessiver la terre avec de l'eau sous pression, pour ne conserver que le minerai d'or. L'eau chargée de boue, qui constitue des matières en suspension (MES), est ensuite recueillie dans des bassins de décantation, appelés baranques. Un canal de dérivation permet le maintien de la rivière en dehors du chantier et les eaux de la baranque ne sont rejetées dans le canal de dérivation qu'après décantation.

Ainsi, les agents de l’ONF intervenaient sur le chantier en atterrissant en hélicoptère à proximité de la base de vie de la mine. Ils constataient que les eaux boueuses provenaient de bassins de décantation directement ouverts sur la crique. Après avoir effectué des prélèvements, ils notaient que le niveau de matière en suspension était près de 5 000 fois supérieur à celui autorisé. Il existait donc un risque significatif pour le développement de plantes aquatiques et de la biodiversité dans le milieu. La société était alors poursuivie pour déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer (C. envir., art. L. 216-6 N° Lexbase : L7875K9K) et pour rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire (C. envir., art. L. 432-2 N° Lexbase : L7874K9I)). 

En première instance puis en appel, elle soutenait notamment que le contrôle des agents de l’ONF était irrégulier dans la mesure où le procureur de la République n’avait pas été informé préalablement aux opérations. Le moyen de nullité était rejeté et la société était condamnée à une peine de 10 000 euros d’amende avec sursis. La société condamnée formait un pourvoi en cassation.

Le texte. Dans le Code de l’environnement, les contrôles administratifs (C. envir., art. L. 171-1 N° Lexbase : L7375MGA) côtoient les contrôles de police judiciaire (C. envir., art. L. 172-5 N° Lexbase : L5244LRN). Ces textes sont en majeure partie issus de l’ordonnance 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement N° Lexbase : L7242IRN. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement N° Lexbase : L7066IMN. L’article L. 172-5 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN, qui ne subira aucune modification par la loi du 24 juillet 2019 (N° Lexbase : L3020LRB), permet aux enquêteurs de l’environnement d’accéder, sans l’accord du propriétaire, à des locaux strictement professionnels ainsi qu’à des installations de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.

Au cours de la visite, ils peuvent demander à se faire communiquer tous les documents relatifs à l’objet du contrôle (C. envir., art. L. 172-11 N° Lexbase : L5247LRR). On précisera que « seuls les documents volontairement communiqués peuvent être copiés ou saisis » (Cons. const, décision n° 2023-1044 QPC, du 13 avril 2023, § 33 N° Lexbase : Z398382W).

Outre sa piètre qualité rédactionnelle, l’article L. 172-5 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN a le défaut de n’encadrer ce contrôle d’aucune condition de fond. En d’autres termes, des indices de commission d’une infraction n’ont pas à être identifiés préalablement aux opérations. Ainsi, rien n’interdit à un inspecteur de l’environnement de visiter un local professionnel, sans l’accord de son propriétaire, bien que rien ne lui fasse penser qu’une infraction a été ou est en train de se commettre. Ce grief, très récemment soumis au Conseil constitutionnel, n’a pas trouvé l’écho qu’il méritait (Cons. const., décision n° 2023-1044 QPC, 13 avril 2023, §§ 23 à 29). 

Ce contrôle est toutefois soumis à deux conditions de forme : 

  • une condition horaire : en principe, il ne peut avoir lieu ni avant 6 heures ni après 21 heures. En dehors de ces heures, ils y accèdent si les locaux sont ouverts au public ou si une activité de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation est en cours ;
  • une condition procédurale : le procureur de la République doit être informé préalablement à la visite.

La question. Quelle est la conséquence de l’absence d’information préalable du procureur de la République en cas d’accès, par des agents de l’ONF, à des installations entrant dans les prévisions de la loi édictant une telle obligation d’information ?

Le principe. Le tribunal correctionnel et la cour d’appel avaient rejeté la demande d’annulation du procès-verbal de constat dressé par les agents de l’ONF en excluant toute portée procédurale à l’information préalable du procureur de la République tout en évoquant pourtant l’absence de grief invoqué par la prévenue. La Haute juridiction a rendu aux dispositions en cause leur véritable portée en retenant clairement que les dispositions de l’article L. 172-5, alinéas 2 et 3 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN édictent une règle de procédure pénale et constituent une formalité substantielle.

Le défaut d’information du procureur de la République entraine donc inévitablement la nullité des opérations de constatation et des actes subséquents. Il importe peu que les agents de l’ONF n’aient procédé à aucun acte coercitif puisque l’information préalable du procureur de la République est une formalité dont l’absence fait nécessairement grief dès lors que ce dernier aurait pu s’opposer aux opérations.

La Chambre criminelle pose ainsi un principe de procédure, affirmant un peu plus la nature pénale du droit de l’environnement et donc la nécessité du respect de ses exigences intrinsèques, en particulier le procès équitable visé à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR sur lequel se fondait d’ailleurs le moyen de cassation de la société. La Cour de cassation s’est d’ailleurs inspirée du principe qu’elle avait dégagé dans d’autres domaines du droit pénal technique (ex : pour un inspecteur de santé publique vétérinaire sur le fondement de l’article L. 5411-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L0576IZD  : Cass. crim. 24 mai 2022, n° 21-82.572, F-D, spé. § 12 N° Lexbase : A32077YG ; pour un contrôle sur le fondement de l’article L. 3241-4 du Code des transports N° Lexbase : L7622INM : Cass. crim. 14 novembre 2017, n° 17-81.688, F-D N° Lexbase : A7125WZW).

La portée. Par cet arrêt de principe, la Chambre criminelle renforce l’évolution du droit de l’environnement, donc son effectivité. Il ne faut en effet pas s’y tromper : s’il est possible de s’émouvoir qu’une société qui pollue puisse échapper à toute sanction pénale sur le fondement de règles procédurales, c’est au contraire grâce à ce moyen de défense que le droit pénal de l’environnement s’autonomise et acquiert toute sa légitimité. Le raisonnement de la Cour de cassation est, en ce sens, de pure procédure pénale, rejetant l’approche des juridictions du fond et leurs contradictions.

Était-il possible de soutenir d’un côté que l’obligation d’information du procureur de la République n’est assortie d’aucune sanction et de l’autre qu’aucun grief n’avait été invoqué ? L’absence d’information préalable du parquet est une règle dont le non-respect est susceptible d’entrainer la nullité de la procédure. La Haute juridiction estime donc que, comme toute formalité substantielle de procédure pénale, sa violation est susceptible d’entraîner l’annulation de tout ou partie des actes effectués.

La Chambre criminelle va encore plus loin puisque la cassation n’est pas prononcée au visa de l’article 802 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4265AZY mais au seul fondement de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN, ce qui implique que la question du grief (à prouver ou présumé) n’a pas à se poser ici. La règle édictée par l’article L. 172-5 relative à l’information préalable du procureur est donc étrangère aux dispositions de l’article 802 du Code de procédure pénale, son non-respect portant nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qui l’invoque.

Si l’intransigeance de la Cour de cassation est salutaire, elle ne permet cependant pas de combler l’insuffisance législative relative au contrôle des officiers judiciaires dans l’exercice de leurs prérogatives de police environnementale. En effet, le contrôle exercé par le parquet dans le cadre de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L5244LRN) est minimal en ce qu’il n’exige qu’un simple avis au procureur de la République. Loin donc des règles protectrices du Code de procédure pénale qui prévoient par exemple que les officiers de police judiciaire ne peuvent visiter des locaux professionnels, en vue d’y constater des infractions au droit pénal du travail, que sur réquisitions écrites du procureur de la République, celles-ci devant être présentées à l’intéressé lors du contrôle et viser les infractions au Code du travail que le parquet entend faire rechercher et poursuivre (C. proc. pén., art. 78-2-1 N° Lexbase : L9726L7D). 

L’instauration d’un véritable contrôle judiciaire des visites en matière environnementale, calqué sur le droit commun, est souhaitable. La légitimité du droit pénal de l’environnement est à ce prix.

La conclusion. La lutte contre l’éco-délinquance a vocation à constituer un élément central des futures politiques pénales. Si elle ne constitue que 0,5 % des affaires traitées en 2020, il y a fort à parier que cette situation évolue avec l’amélioration de la formation des inspecteurs de l’environnement à la procédure pénale. Avec la loi 2020-1672 du 24 décembre 2020 N° Lexbase : L2698LZX et le décret 2023-187 du 17 mars 2023 N° Lexbase : L2252MHU, les pouvoirs publics ont renforcé les pouvoirs de certains inspecteurs de l’environnement spécialement désignés en les érigeant au rang d’officiers judiciaires de l’environnement (C. proc. pén., art. 28-3 N° Lexbase : L5526LZP). Ces derniers disposent, pour les enquêtes judiciaires qu’ils diligentent (sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction), des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux officiers de police judiciaire. 

Afin de préserver le caractère équitable de la procédure, il est indispensable que ce nouvel officier judiciaire de l’environnement trouve sur son chemin une défense rompue aux spécificités de la procédure pénale et sensibilisée aux spécificités du droit de l’environnement. Le pénaliste n’a pas fini de se réinventer.


[1] Le traitement pénal du contentieux de l’environnement, Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 2022, p. 21 et 22 [en ligne].

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