La lettre juridique n°944 du 27 avril 2023 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Action en responsabilité contre le liquidateur après clôture de la liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com. 29 mars 2023, n° 21-20.683, F-D N° Lexbase : A00389MD

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N5185BZ3

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 26 Avril 2023

Mots-clés : liquidation judiciaire • clôture pour insuffisance d’actif • action en responsabilité contre le liquidateur • action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers • obligation de reprise de la liquidation judiciaire • nomination obligatoire d’un nouveau liquidateur • irrecevabilité de l’action du débiteur

L’action en responsabilité contre un liquidateur, engagée après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, tendant à la reconstitution du gage commun, présuppose la reprise de la liquidation judiciaire et la nomination d’un nouveau liquidateur. Elle est irrecevable si elle émane du débiteur.


 

Le vieux dicton populaire selon lequel « charité bien ordonnée commence par soi-même » ne fait pas bon ménage avec la défense de l’intérêt collectif des créanciers. C’est pour avoir oublié que l’on ne peut garder pour soi-même le produit d’une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers qu’un débiteur se voit fermer la porte du prétoire, le juge déclarant irrecevable une action en responsabilité engagée contre son ancien liquidateur par ce débiteur après la clôture de sa procédure collective.

En l’espèce, la société I., dirigée par M. O’N., a été mise en redressement judiciaire. Le 28 décembre 1990, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, Me A. étant désigné en qualité de liquidateur.

Un jugement du 29 juillet 1992, confirmé par un arrêt du 1er février 1995, a étendu cette procédure collective à la société P., également dirigée par M. O'N. Par deux ordonnances du 5 décembre 2013, confirmées le 31 mars 2014, M. Le B. a été nommé en qualité de mandataire ad hoc des sociétés I. et P. pour l'exercice de leurs droits propres.

À  la demande de ce mandataire ad hoc, un arrêt du 31 décembre 2014 a prononcé la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif.

Une ordonnance du 24 mars 2017 a désigné M. V. en qualité de mandataire ad hoc avec la mission de représenter les intérêts de la société P. en justice après la clôture de sa liquidation « et, plus généralement, de prendre toutes dispositions pour préserver les droits de cette société et faire en sorte que la liquidation statutaire de la société soit conforme aux règles en vigueur ».

Imputant à Me A., liquidateur judiciaire, des fautes dans sa gestion de la liquidation judiciaire, M. V., ès qualité de mandataire ad hoc, l'a assigné le 31 juillet 2017, ainsi que son assureur, la société Mutuelle du Mans assurances IARD (MMA IARD), en responsabilité civile personnelle afin d'obtenir la réparation du préjudice correspondant à l'actif social existant avant le jugement d'ouverture et perdu en raison des fautes alléguées.

Les juges du fond [1]ont déclaré irrecevable pour plusieurs motifs l’action en responsabilité engagée par le mandataire ad hoc représentant le débiteur, une société.

La société s’est, par l’intermédiaire de son mandataire ad hoc, pourvue en cassation. Elle ne va pas davantage obtenir gain de cause, son action étant jugée irrecevable.

La Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi, va commencer par énoncer le principe selon lequel « L'action en responsabilité contre le liquidateur, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, est soumise à la reprise préalable des opérations de liquidation judiciaire dans les conditions de l'article L. 643-13 du Code de commerce N° Lexbase : L3104I4Q, lorsqu'elle tend à la réparation d'un préjudice qui n'est pas distinct de celui subi par l'ensemble des créanciers de la procédure collective. L'action en responsabilité, qui tend à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne peut donc être exercée que par un nouveau liquidateur, désigné dans les conditions de l'article L. 643-13 précité, qui a seul qualité pour agir dans l'intérêt collectif des créanciers ».

La Cour de cassation relève ensuite que la cour d’appel avait retenu « qu'à supposer fondée l'action introduite contre l'ancien liquidateur par le mandataire ad hoc, pour le compte de la société débitrice, les sommes susceptibles de lui être allouées à l'issue de la procédure constitueraient un actif de la société qui devrait être distribué aux créanciers ». Elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu qu’un nouveau liquidateur devait être nommé « dès lors que cette action avait vocation à faire entrer, dans le gage commun des créanciers sociaux, des sommes devant être réparties entre eux, dans le cadre de la procédure collective ainsi rouverte ».

Pour comprendre exactement l’enchaînement des faits, où l’on voit se succéder deux mandataires ad hoc pour défendre les intérêts de la société I., il faut remarquer que la liquidation judiciaire a été prononcée sur conversion en décembre 1990.  À l’époque, une société était dissoute par l’effet de son placement en liquidation judiciaire. Il fallait désigner un mandataire ad hoc pour exercer les droits propres du débiteur. Puis la liquidation judiciaire de cette société a été clôturée pour insuffisance d’actif. Ensuite seulement, l’ancien dirigeant social de cette société a fait désigner un mandataire ad hoc pour engager l’action en responsabilité contre l’ancien liquidateur judiciaire de la société I.

Cette démarche aurait pu prospérer. Mais, pour qu’il en fût ainsi, il eut fallu que le préjudice dont la réparation était recherchée eut été subi personnellement par la société débitrice, et non par les créanciers de cette société.

À  partir du moment où le préjudice est collectif, sa réparation est attitrée à l’organe ayant en charge la défense de l’intérêt collectif des créanciers. Cet organe est le liquidateur judiciaire pendant la procédure collective. Lui et lui seul a qualité pour agir dans le cadre d’une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers [2].

Si une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers n’a pas été engagée avant la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire, la reprise de cette procédure est possible. Sous l’empire de la législation antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), applicable aux faits de l’espèce, la demande de réouverture n’appartient qu’au créancier, antérieur ou postérieur au jugement d’ouverture.

Par hypothèse, le liquidateur a cessé ses fonctions. Il n’a donc pas qualité, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) applicable aux faits de l’espèce, pour solliciter la réouverture [3].

Le droit pour l’ancien liquidateur de demander la reprise de la liquidation judiciaire sera reconnu par la loi de sauvegarde des entreprises. La solution nouvelle s’applique aux procédures en cours au 1er janvier 2006, mais cela présuppose d’évidence que la procédure ne soit pas clôturée à cette date [4]. La solution est donc inapplicable aux faits de l’espèce.

La demande de reprise de la liquidation judiciaire, que l’on soit avant ou depuis la loi de sauvegarde, ne peut être l’œuvre du débiteur et cela pour deux raisons. Tout d’abord, la loi ne donne pas qualité au débiteur pour demander la reprise de sa liquidation judiciaire. Ensuite, le débiteur n’a pas d’intérêt à demander la reprise de sa liquidation judiciaire : il ne représente pas les créanciers et ne défend pas leur intérêt collectif.

Pour autant, le débiteur n’est pas privé du droit d’agir en responsabilité civile professionnelle contre son liquidateur après clôture de sa procédure collective, mais ses possibilités d’action sont cantonnées : comme le relève justement la Cour de cassation, son action devra tendre à la réparation d'un préjudice personnel ou de la perte d'un éventuel boni de liquidation, distinct de celui subi par l'ensemble des créanciers de la procédure collective. Ce qui est ici en jeu est le monopole de défense de l’intérêt collectif des créanciers.

Évidemment, l’ancien liquidateur judiciaire – qui n’en avait d’ailleurs pas, à l’époque, le droit – n’agira pas contre lui-même en responsabilité et c’est pourquoi, si l’action en responsabilité est dirigée contre lui, un nouveau liquidateur judiciaire doit être désigné. C’est le principe posé par l’arrêt. Il convient immédiatement de préciser que ce liquidateur sera désigné à la demande d’une personne ayant qualité à demander la reprise de la liquidation judiciaire.

Par conséquent, toute autre personne qui viendrait à agir contre l’ancien liquidateur dans le cadre d’une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers serait irrecevable.

Notons ainsi que l’action en responsabilité civile professionnelle contre le liquidateur, engagée par un créancier pendant la procédure collective, suppose identiquement que le préjudice invoqué par le créancier soit distinct de celui subi par la collectivité des créanciers [5].

Par symétrie, c’est ce qui a, en l’espèce, conduit la cour d’appel à déclarer irrecevable l’action introduite par la société débitrice, en l’espèce le mandataire ad hoc de la société I. La solution avait déjà été clairement posée par la Cour de cassation. Elle avait en effet jugé que l’action en responsabilité contre le liquidateur engagée par le mandataire ad hoc d’une société, dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif, est irrecevable, dès lors que les sommes susceptibles de lui être allouées constitueraient un actif, qui devrait être distribué aux créanciers [6].

Cette société, et derrière elle son ancien dirigeant, ne pouvait espérer faire main basse sur le produit de la condamnation prononcée. Il est de plus légitimes destinataires de ce produit de l’action : ceux qui ont été les victimes de la liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, à savoir les créanciers non payés. Touche-pas au grisbi, serait-on tenté de lancer au débiteur !

Le débiteur aura compris que la charité bien ordonnée commande de penser d’abord à ses créanciers, avant de penser à soi, dans le cadre d’un éventuel boni de liquidation.


[1]  CA Poitiers, 27 avril 2021, n° 19/04117 N° Lexbase : A56704Q3.

[2] Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8367NIQ, D., 2015, actu 1205, note A. Lienhard ; D., 2015. pan. 1974, note P.-M. Le Corre et 1977, note F.-X. Lucas ; D., 2015, études, 2207, note S. Tréard ; Gaz. Pal., 21 juillet 2015, n° 200, p. 28, note Ch. Gailhbaud ; Gaz. Pal. entr. diff., 20 octobre 2015, n° 291, p. 29, note I. Rohart-Messager ; Act. proc. coll., 2015/12, comm. 184, note F.-X. Lucas ; JCP E, 2015, chron. 1422, n° 7, note Ph. Pétel ; JCP E, 2015, 1522, note S. Le Gac-Pech ; Gaz. Pal., 2015, 3143, note J. Théron ; Rev. proc. coll., 2016, comm. 73, note D. Jacotot ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, juillet 2015, n° 432 N° Lexbase : N8395BUH.

[3] Cass. com., 5 avril 1994, n° 91-20.987, publié N° Lexbase : A6592ABR, JCP E, 1994, I, 394, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 1995, 247, obs. Dureuil – Cass. com., 29 octobre 2002, n° 99-21.761, F-D N° Lexbase : A4027A3K, Act. proc. coll., 2003/2, n° 22.

[4] Service de documentation et d’études de la Cour de cassation, Q/R n° 14 et Q/R n° 16, JCP E, 2006, 391, p. 1558 – CA Orléans, 22 février 2007, n° 06/01808 N° Lexbase : A0246G4U, RTD com., 2007. 460, n° 15, obs. J.-L. Vallens.

[5] Cass. com., 2 juin 2021, n° 19-23.758, F-D N° Lexbase : A23694UB.

[6] Cass. com., 10 mai 2012, n° 10-28.217, FS-P+B {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6253188, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. com., 10-05-2012, n\u00b0 10-28.217, FS-P+B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A1286IL9"}}, D., 2012, Actu 1325, note A. Lienhard ; Gaz. Pal. entr. en diff., 3 août 2012, n° 216, p. 29, note I. Rohart-Messager ; Act. proc. coll., 2012, comm. 153, note J. Vallansan ; JCP E, 2012, 1479, note Ch. Lebel ; Bull. Joly Entrep. en diff., septembre 2012, comm. 339, note O. Staes.

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