La lettre juridique n°944 du 27 avril 2023 : Assurances

[Jurisprudence] L’obligation de rappel de la prescription biennale ne comprend pas les hypothèses d’anéantissement de l’effet interruptif

Réf. : Cass. civ. 2, 9 février 2023, n° 21-19.498, FS-B N° Lexbase : A44809CW

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N5258BZR

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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé, Directeur de l’Institut de droit des affaires internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au Caire (Égypte), Codirecteur du Master droit des assurances de l’université de Montpellier

le 26 Avril 2023

Mots-clés : assurance • obligation d’information • prescription biennale interruption de prescription • action en référé

L’exigence de rappel, dans la police, de la prescription biennale, n’implique que celui du point de départ du délai ainsi que des causes d’interruption du délai, à l’exclusion des limites à ces causes d’interruption et, en particulier, la limite tenant au rejet définitif de la demande en justice. Rendue dans la situation particulière d’une ordonnance de référé par laquelle le juge s’était déclaré incompétent, cette décision, intéressante du point de vue du droit des assurances en ce qu’elle précise le contenu de l’obligation de rappel, ne l’est pas moins en droit de la prescription, en ce qu’elle souligne les dangers de cette situation singulière qu’est le rejet d’une demande en référé pour contestation sérieuse.


 

Les actions dérivant du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans [1], délai abrégé eu égard au droit commun de la prescription extinctive en matière mobilière, fixant ce délai par principe à cinq ans [2]. Compte tenu des lourdes conséquences attachées à l’expiration de ce délai, le Code des assurances cherche garantir la prise de conscience, par l’assuré, de cette règle ; objectif qui se traduit par une exigence formelle de rappel, dans la police, de « la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance » [3]. Quoique son délai soit réduit, la prescription propre au contrat d’assurance est soumise au droit commun de la prescription [4] et, en particulier, aux causes d’interruption de son cours [5]. Si la Cour de cassation a été, dans cette décision du 9 février 2023, principalement interrogée sur la question de l’étendue de l’obligation d’insérer au contrat une clause de rappel relative à la prescription biennale, elle n’en trouve pas moins l’occasion d’un utile rappel de l’impact, sur la prescription, du rejet d’une demande en référé pour incompétence.

En l’espèce, une commerçante, assurée au titre d’un contrat multirisques professionnels – contrat qui énonçait que la prescription était interrompue par « toute demande, même en référé » –, avait été victime de deux vols successifs, en mars et juin 2015. Face au refus de couverture par son assureur, elle saisissait – dans le délai de deux ans – un juge des référés d’une demande d’expertise et de fixation d’une provision. Las, ce dernier se déclarait incompétent, invitant les parties à mieux se pourvoir : ce que l’assurée faisait, par assignation au fond de novembre 2017, soit plus de deux ans à compter du sinistre. Saisie de cette demande au fond en deuxième instance, la cour d’appel de Montpellier, par arrêt du 18 mai 2021, déclarait l’action prescrite, conduisant l’assurée à se pourvoir en cassation.

Le pourvoi – tendant à obtenir l’inopposabilité de la prescription biennale, sanction jurisprudentielle du manquement à l’exigence de rappel dans la police des règles relatives à la prescription [6] – reprochait aux juges du fond d’avoir considéré que les dispositions de l’article R. 112-1 du Code des assurances N° Lexbase : L4048IMU avaient été respectées, alors que la stipulation contractuelle, faisant référence à l’interruption de la prescription par « toute demande, même en référé », présentait un caractère déceptif, faute de rappeler les dispositions de l’article 2243 du Code civil N° Lexbase : L7179IA7, selon lesquelles « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ». Or, l’action en référé ayant été rejetée pour incompétence, son effet interruptif en ressortait neutralisé, conférant à l’assignation au fond un caractère tardif… C’est ainsi que le moyen plaçait habilement les débats, par un argument a fortiori, sur le terrain du caractère trompeur de la mention contractuelle : s’il convient de rappeler la règle de la prescription biennale, encore faut-il le faire de manière à ne pas induire l’assuré en erreur…

La Haute juridiction était ainsi interrogée sur le point de savoir si l’obligation faite à l’assureur de rappeler, dans la police, « la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance », emportait, au titre d’un obligation de clarté, celle d’indiquer les causes de neutralisation de l’effet interruptif d’une demande en justice.

C’est une réponse négative que la Cour de cassation retient. Ayant rappelé que l’assureur se doit d’indiquer dans la police, « les différentes causes d’interruption de la prescription mentionnées à l’article L. 114-2 N° Lexbase : L9564LGC et le point de départ de la prescription », elle ajoute qu’« il n’est pas tenu de préciser qu’en application de l’article 2243 du code civil N° Lexbase : L7179IA7, l’interruption de la prescription est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée ». Elle considère alors qu’en l’espèce, les dispositions contractuelles étaient « claires et complètes quant aux règles de prescription applicables entre l’assureur et l’assurée » et que, par conséquent, la prescription était bel et bien opposable à cette dernière…

Cette décision vient utilement préciser le contenu de l’obligation de rappeler, dans la police, la règle de la prescription biennale (I). Elle présente, par ailleurs, l’intérêt d’attirer de nouveau l’attention sur les dangers du rejet, pour incompétence, d’une action introduite devant le juge des référés (II).

I. L’utile précision du contenu de l’obligation de rappel de la prescription biennale dans la police

Succinctes, les dispositions du Code des assurances en matière de rappel de la prescription fondent une exigence jurisprudentielle générale de clarté et d’exhaustivité (A) qui ne va cependant pas jusqu’à englober la mention, dans la police, des limites à l’effet interruptif de l’action en justice (B).

A. L’exigence de clarté et d’exhaustivité des rappels de la police en matière de prescription

Les dispositions du Code des assurances sont, en la matière, pour le moins épurées, l’article R. 112-1 N° Lexbase : L4048IMU n’imposant qu’un rappel de « la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance » ; de prime abord, un simple rappel de la règle de la prescription biennale dont la jurisprudence s’est d’ailleurs, un temps, contentée [7]. Dans un souci de protection de l’assuré par le biais d’une sensibilisation accrue à la règle et à sa portée, la Cour de cassation a, par la suite, enrichi le contenu de ce rappel.

Dans un premier temps, la Haute juridiction a exigé de la police qu’elle rappelle, à peine d’inopposabilité de la prescription à l’assuré, « les causes d’interruption de la prescription biennale prévues par l’article L. 114-2 » du Code des assurances N° Lexbase : L9564LGC [8]. Or, cette dernière disposition prévoit que « la prescription est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription et par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre. L'interruption de la prescription de l'action peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée ou d'un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception, adressés par l'assureur à l'assuré en ce qui concerne l'action en paiement de la prime et par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité ». Outre les causes d’interruption particulières au contrat d’assurance – en particulier l’envoi d’un recommandé pour le paiement des primes ou le règlement de l’indemnité –, le rappel doit porter sur les causes d’interruption de droit commun, dont fait partie l’action en justice [9].

Dans un second temps, la Cour de cassation a imposé le rappel, dans la police, des « différents points de départ du délai de la prescription biennale » [10].

Ces deux exigences sont, en l’espèce, expressément visées, inscrivant la décision commentée dans le prolongement de la jurisprudence antérieure. La Haute juridiction se refuse, en revanche, à aller plus loin.

B. L’exclusion du rappel des causes de neutralisation de l’effet interruptif de l’action en justice

L’occasion était offerte à la Cour de cassation d’alourdir les exigences de rappel relatives à la prescription biennale, en y ajoutant les limites – ou, à tout le moins, certaines d’entre elles – aux causes d’interruption de la prescription. Ce à quoi elle se refuse.

Cette position paraît raisonnable. En effet, l’objectif de ce rappel est d’alerter l’assuré sur le délai, bref, de prescription applicable en matière d’assurance, de faciliter sa computation par l’indication de son point de départ et de favoriser son interruption par indication des événements producteurs d’un tel effet interruptif ; un socle minimal de connaissances permettant, dans la plupart des cas, à l’assuré d’échapper au jeu de ce mécanisme extinctif du rapport d’obligation sans satisfaction du créancier. Aller au-delà supposerait de s’engager sur la voie d’une véritable  leçon sur la prescription, dont la compréhension par l’assuré serait loin d’être acquise mais qui, mieux encore, pourrait obscurcir le propos ou décourager la lecture attentive de la police (pour peu que cela ne soit pas déjà le cas). Singulièrement, en matière d’interruption de la prescription par une action en justice, l’absence de développements techniques dans la police sera, dans la plupart des circonstances, suppléée par l’intervention d’un conseil de l’assuré.

Il n’en demeure pas moins que le moyen du pourvoi met en évidence une limite potentielle de cette exclusion. En effet, il conviendra sans nul doute de vérifier, police par police, que la manière de présenter le rappel des règles relatives à la prescription, n’induit pas en erreur l’assuré, rompant alors avec l’exigence générale de clarté. En l’espèce, la police se bornait manifestement à indiquer, en écho à l’article 2241 du Code civil, que la demande en justice, même en référé, produit cet effet interruptif, ce qui n’était objectivement pas de nature à tromper l’assuré. Il serait pour le moins paradoxal d’exiger de la police qu’elle rappelle les causes de droit commun d’interruption de la prescription pour, immédiatement, lui reprocher un rappel fait dans les termes mêmes de la loi. L’assureur ne nous semble pas devoir être comptable d’éventuelles imperfections de la loi.

Si l’effet interruptif a été, en l’espèce, neutralisé, c’est dans le cadre très particulier de l’incompétence du juge des référés, hypothèse dont la police d’assurance n’a pas à rendre compte. L’assuré – et son conseil – doivent cependant en avoir pleinement conscience ; ce que rappelle, en creux, la décision commentée.

II. L’utile rappel des dangers de l’assignation en référé en matière d’interruption de la prescription

Alors que les dispositions de l’article 1241, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L0949KZ8, précisent qu’une demande en justice, même devant un juge incompétent, interrompt la prescription, une action en référé rejetée pour incompétence peut voir son effet interruptif neutralisé (A), situation à laquelle le demandeur est cependant en mesure d’appliquer quelques remèdes (B).

A. L’incompétence du juge des référés, cause de neutralisation de l’effet interruptif

Une action en justice a pour effet d’interrompre le cours de la prescription ; un nouveau délai – de deux ans pour les actions dérivant du contrat d’assurance [11] – commençant à courir lorsque le juge s’est prononcé. Cette interruption vaut pour une action en référé ou encore devant un juge incompétent [12].

En l’espèce, le juge des référés saisi s’était finalement déclaré incompétent, invitant les parties à mieux se pourvoir. Il peut dès lors paraître surprenant que le délai de prescription de deux ans n’ait pas commencé à courir, de nouveau, le 18 janvier 2016, date de l’ordonnance du juge de l’urgence et de l’évidence. En effet, si l’article 2243 du Code civil N° Lexbase : L7179IA7 affirme que l’interruption est non avenue en cas de demande définitivement rejetée, cette disposition ne peut être lue qu’en contemplation de l’article 2241 du même code N° Lexbase : L7181IA9 [13], réservant les actions devant un juge incompétent ; dit autrement, le rejet de la demande pour incompétence ne peut neutraliser l’effet interruptif [14].

Comment, dès lors, expliquer que la prescription ait été en l’espèce retenue ? Selon toute vraisemblance, cette solution est le résultat de la réitération de la jurisprudence selon laquelle lorsque le juge des référés se déclare incompétent pour inexistence d’une obligation non sérieusement contestable, il rend une décision au fond [15]. En d’autres mots, le rejet de la demande ne serait pas le résultat de l’incompétence du juge des référés, mais de l’absence de droit du demandeur.

La solution – dont le raffinement peut paraître excessif, le demandeur ayant clairement manifesté son intention d’obtenir satisfaction – présente un danger important qui peut cependant être prévenu.

B. Les remèdes à la neutralisation de l’effet interruptif

La neutralisation de l’effet interruptif en cas d’incompétence du juge des référés pour contestation sérieuse, expose le demandeur – en l’espèce, l’assuré – au jeu de la prescription qu’il n’aura pas, par sa demande, interrompue.

Il reviendra alors à l’assuré de saisir, en suite de la décision de référé, le juge du fond, dans le délai de deux ans à compter du sinistre… Si cela lui est encore possible. En l’espèce, l’ordonnance de référé ayant été rendue le 18 décembre 2016 et les sinistres étant intervenus en mars et juin 2017, une assignation au fond aurait encore permis l’interruption du délai.

Afin de se prémunir contre le risque de voir le délai de prescription écoulé à la date de l’ordonnance de référé (notamment dans l’hypothèse où le référé a été introduit à proximité du terme de la prescription) ou, à tout le moins, de devoir introduire une action au fond en toute hâte, l’assuré à tout intérêt à faire usage des dispositions de l’article 837 du Code de procédure civile, lui permettant, en cas de contestation sérieuse soulevée par son adversaire, de demander subsidiairement le renvoi au fond. L’instance se poursuit alors, en cas d’incompétence du juge des référés, sur la base de l’assignation initiale, qui conserve alors son effet interruptif [16]. Malheureusement pour l’assurée, ni l’une ni l’autre de ces possibilités n’a été utilisée, conduisant au rejet définitif de ses prétentions, sans avoir eu l’occasion de lutter sur le fond…

 

[1] C. ass., art. L. 114-1 N° Lexbase : L2081MAC.

[2] C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC.

[3] C. ass., art. R. 112-1 N° Lexbase : L4048IMU.

[4] C. civ., art. 2219 à 2254 N° Lexbase : L7189IAI.

[5] C. civ., art. 2240 à 2246 N° Lexbase : L7225IAT.

[6] Cass. civ. 2, 2 juin 2005, n° 03-11.871, FS-P+B N° Lexbase : A5094DII.

[7] Cass. civ. 2, 10 novembre 2005, n° 04-15.041, FS-P+B N° Lexbase : A5162DLR.

[8] Cass. civ. 2, 3 septembre 2009, n° 08-13.094, FS-P+B N° Lexbase : A8411EKQ ; Cass. civ. 2, 28 avril 2011, n° 10-16.403, F-P+B N° Lexbase : A5346HPP.

[9] C. civ., art. 2241 N° Lexbase : L7181IA9.

[10] Cass. civ. 2, 28 avril 2011, n° 10-16.403, F-P+B N° Lexbase : A5346HPP ; Cass. civ. 2, 18 octobre 2011, n° 10-19.171, F-D N° Lexbase : A8711HYB.

[11] Cass. civ. 1, 3 février 1998, D. 1999, somm. 223, obs. C.-J. Berr.

[12] C. civ., art. 2241 N° Lexbase : L7181IA9.

[13] Pour une application récente de cette lecture coordonnée à l’hypothèse d’un rejet définitif de la demande pour annulation d’un acte de procédure (vice de procédure), v. Cass. com., 26 juin 2019, n° 18-16.859, F-P+B N° Lexbase : A3192ZHP, Gaz. Pal., 5 novembre 2019, n° 362m6, p. 47, obs. L. Mayer.

[14] V. Cass. mixte, 24 novembre 2006, n° 04-18.610 N° Lexbase : A5176DSI, retenant que l’effet interruptif s’applique, indépendamment de la cause d’incompétence.

[15] V. dernièrement  Cass. civ. 2, 14 mai 2009, n° 07-21.094, FS-P+B N° Lexbase : A9704EGI, D. 2009, p. 1545 ; déjà,  Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-18.022 N° Lexbase : A0633ACG.

[16] CA Paris, 2 décembre 2003, n° 2002/11135 N° Lexbase : A9620DAK. Sur cet aspect, V. J.-J. Taisne, J. Cl. Civil Code, art. 2240 à 2246, V° Prescription – Interruption de la prescription, 1er décembre 2021, spéc. n° 93.

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