Réf. : Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX
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N4730BZ9
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par Antoine Botton, Professeur à l’Université Toulouse 1 - Capitole, Directeur du Master pénal et de l’Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle
le 22 Mars 2023
La LOPMI est sans doute un OLNI (objet législatif non identifié) tant son contenu et sa structure étonnent.
Quant au contenu d’abord, il faut reconnaître, avec le professeur Dreyer [1], que l’incrimination de l’outrage sexiste -au demeurant, aggravé- n’y a pas tout à fait sa place. Pas plus d’ailleurs que les dispositions de procédure pénale étudiées dans ce dossier spécial : que viennent faire dans une loi du ministère de l’Intérieur des dispositions telles que celles étendant le domaine de la procédure pénale dérogatoire [2] ou encore celles permettant le recours à l’amende forfaitaire pour certains délits [3] ? Ne sont-ce pas là des questions ressortissant plutôt à une loi de réforme de la procédure pénale, que ce soit la précédente -Loi de confiance dans l’institution judiciaire- ou la prochaine, celle devant résulter du Plan d’action ?
Ce mélange des genres ou, plus précisément, cette incursion du ministère « de la police » dans le domaine judiciaire, ne manquent pas de surprendre les défenseurs de l’État de droit et de son attribut principal, le principe de séparation des pouvoirs.
Ces défenseurs ont néanmoins concentré leurs efforts sur la manifestation la plus saillante de cette confusion des pouvoirs : la réforme de la police judiciaire. Cette réforme, qui vise également à mieux « armer » les enquêteurs face à l’évolution de la criminalité, place principalement la police judiciaire sous un nouveau commandement départemental, mettant ainsi un terme à sa direction centrale et spécifique. Est-ce la fin de l’indépendance de la police judiciaire et avec elle, de l’autorité qui la dirige lors des enquêtes et instructions ? Beaucoup le craignent en effet [4].
La structure de la LOPMI est tout aussi bigarrée que sa teneur. La lecture de son plan est d’emblée source d’interrogations : en quoi doter la police judiciaire d’« un équipement à la pointe du numérique » (Chapitre II du Titre II) [5] ne relève-t-il pas du « renforce(ment) de la fonction investigation » (Chapitre III du Titre IV) ? De même, comment nettement distinguer cette « fonction » de la « filière » investigation (Chapitre II du Titre IV) tant la refonte de cette dernière poursuit exclusivement l’amélioration de son fonctionnement ?
Au-delà de ces incongruités ponctuelles, pour partie liées aux amendements parlementaires, un reproche formel plus appuyé peut être adressé à la loi. Comment, en effet, la réforme principale qu’elle porte, la restructuration de la police judiciaire, peut-elle n’être connue que par la lecture du rapport annexé à -et approuvé, il est vrai, par- la loi [6] ? Est-ce tout à fait satisfaisant, du point de vue de l’accessibilité de la norme, qu’il faille au lecteur -aguerri ou non- de la LOPMI rechercher au sein de son « annexe » ce qui en constitue sans doute l’essence ?
Heureusement, dès lors, que la rédaction en chef du Lexbase pénal ait conçu le présent dossier. Nul doute en effet qu’après sa lecture, les juristes que nous sommes -ou non- auront, malgré les défauts certains de la LOPMI, une connaissance précise de ses principales dispositions. Ils ne nous restent plus alors qu’à positionner notre œil dans le viseur du téléobjectif afin de tenter d’apercevoir, ne serait-ce que subrepticement, les contours de cet OLNI.
[1] E. Dreyer, Outrage sexiste ou outrage à la raison ?, Gazette du Palais, 14 février 2023.
[2] V. infra, notre contribution : La police judiciaire dans la LOPMI : ses nouveaux acteurs et ses nouveaux actes, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4729BZ8.
[3] V. infra, F. Romey, Extension des incriminations pouvant faire l’objet d’une amende forfaitaire dans la LOPMI (Tableau).
[4] V. notamment, D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », Tribune, Le Monde, 3 novembre 2022 [en ligne] ; Tribune collective, Le projet de réforme de la police judiciaire menace l’efficacité des enquêtes et l’indépendance de la justice, Le Monde, 31 août 2022 [en ligne].
[5] V. Sur ces aspects de la LOPMI, infra, A.-S. Chavent-Leclere, Analyse des dispositions procédurales et substantielles de lutte contre la cybercriminalité dans la LOPMI, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4652BZC ; S. Porcher, La LOPMI ou la consécration de l’assurance des cyberattaques, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4657BZI.
[6] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, n° 2.3.2.
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