La lettre juridique n°939 du 23 mars 2023 : Contrats et obligations

[Brèves] Exécution forcée des promesses unilatérales : pas de modulation dans le temps du revirement de jurisprudence

Réf. : Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399, FS-B N° Lexbase : A80049HW

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

le 22 Mars 2023

► Les promesses unilatérales relevant du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 sont susceptibles d’exécution forcée ; la solution nouvelle ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable, le revirement est donc rétroactif.

A la lecture de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ce ne sont pas tant les faits qui attirent l’attention que la motivation de l’arrêt. Statuant pour la première fois depuis le revirement par anticipation opéré par la troisième chambre civile, sur la question de la rétractation de la promesse unilatérale dans le délai d’option, la Chambre commerciale offre un arrêt motivé avec soin.

Faits et procédure. En l’espèce, un protocole d’accord avait été conclu en 2012, lequel contenait deux promesses unilatérales portant sur la cession de droits sociaux. Le délai d’option, d’une durée de six mois, ne commençait à courir qu’à compter du 31 décembre 2015. L’enchaînement est alors classique : rétractation du promettant pendant le délai d’option puis levée de l’option, pendant le délai conventionnellement prévu. Exécution forcée, et donc application par anticipation de la solution adoptée par l’ordonnance du 10 février 2016 (C. civ., art. 1124 N° Lexbase : L0826KZM) à l’instar de la position désormais retenue par la troisième chambre civile (Cass. civ. 3, 23 juin 2021, n° 20-17.554, FS-B N° Lexbase : A95684WB), ou dommages et intérêts ?

Solution. S’alignant sur la position désormais retenue par la troisième chambre civile, la Chambre commerciale casse l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC. Pour ce faire, elle rappelle d’abord la solution jurisprudentielle qui avait cours avant l’ordonnance de 2016 (exemple : Cass. civ. 3, 15 décembre 2009, n° 08-22.008, F-D N° Lexbase : A7166EP4), ensuite la différence entre l’offre et la promesse, laquelle justifie une différence de régime, puis la solution issue de l’ordonnance (C. civ., art. 1124 N° Lexbase : L0826KZM) qui n'avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, eu égard à l’application dans le temps de la réforme dont les principes sont rappelés par la Cour (article 9 de l’ordonnance), pour enfin préciser qu’ « il apparaît nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la cour pour juger, désormais, à l’instar de la troisième chambre civile, (…), que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire ».

Si la solution était prévisible, la dernière précision n’avait pas encore été formulée jusqu’alors : la rétractation du promettant est sans effet, y compris lorsqu’elle intervient avant que le délai d’option n’ait commencé à courir. Les faits de l’espèce rendaient possibles une telle précision, même si la rétractation était, en l’espèce, intervenue pendant le délai d’option. La solution est désormais entendue pour la Chambre commerciale.

Mais au-delà du principe, elle prend partie sur un point qui n’avait pas encore été envisagé : celui de la modulation dans le temps du revirement de jurisprudence. Ce dernier était-il rétroactif ? On sait que la réponse est intimement liée à celle du droit à un procès équitable (CESDH, art. 6 § 1 N° Lexbase : L7558AIR). Le promettant invoquait non seulement ce fondement, mais également l’article 1er du protocole n° 1 de la CESDH N° Lexbase : L1625AZ9 relatif au droit au respect des biens, ainsi qu’une atteinte disproportionnée et manifeste au principe de sécurité juridique afin d’éviter l’application de la solution nouvelle à la situation en cause, laquelle était née quelques années avant que ne s’opèrent les chamboulements en matière de promesses unilatérales. Les arguments sont balayés par la Chambre commerciale. Pour cela, elle précise que le revirement « n’était pas imprévisible au jour où » le pourvoi en cassation avait été formé car « une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux bien avant la conclusion (de la promesse donnant lieu au contentieux) et la réforme du droit des contrats ». Ce faisant, « le revirement consacré par la présente décision n’a donc pas pour effet de priver, même rétroactivement, (le promettant) de son droit à un procès équitable ». Il y a donc « lieu d’appliquer à la présente espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l’expiration du délai laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».

La référence nourrie aux critiques doctrinales formulée à l’encontre de la solution antérieure ne peut qu’être relevée. La voie de la modulation dans le temps des effets du revirement est donc définitivement fermée par la Chambre commerciale. La solution est donc entendue : exécution forcée des promesses, quelle que soit la date de leur conclusion.

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