La lettre juridique n°939 du 23 mars 2023 : Domaine public

[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - La problématique du trait de côte

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par Franck Constanza, Avocat au barreau de Marseille

le 22 Mars 2023

La gestion du recul du trait de côte est au cœur de la loi du 22 août 2021, dite « Climat et résilience » N° Lexbase : L6065L7R et de l’ordonnance du 6 avril 2022, relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte N° Lexbase : L2885MCT [1].

La problématique du recul du trait de côte, en lien avec le thème du présent colloque, n’apparaît pas de prime abord.

Un indice est donné par la définition du trait de côte, dont on observera qu’elle ne ressort pas des textes applicables. On se réfèrera à celle que retient le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), à laquelle renvoie le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Le trait de côte est, à cet égard, regardé comme « la limite portée sur la carte séparant la terre de la mer » [2].

Cette définition recoupe, voire se confond avec celle de rivage de la mer qui participe de la délimitation du domaine public maritime naturel et dont elle est une notion clé.

Le rivage de la mer, tel qu’il est défini dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) [3], est une notion mouvante dès lors que sa délimitation dépend de phénomènes physiques qui, s’ils surviennent, ont pour effet d’étendre d’autant les limites du domaine public maritime naturel, avec pour effet l’incorporation  automatique des propriétés privées à ce domaine.

La délimitation du rivage de la mer contribue ainsi à fixer, selon la formule du Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 mai 2013, « la limite entre le domaine public maritime naturel et les propriétés privées » [4].

La notion de trait de côte ne remplit pas juridiquement la même fonction. Il n’en demeure pas moins qu’elle trace la limite entre terre et mer et qu’à ce titre le recul du trait de côte, tel qu’il est appréhendé par la loi « Climat et résilience », esquisse un domaine public maritime naturel potentiel ou en devenir.

On évitera ici – même si la formule est tentante – de parler de domaine public maritime naturel par anticipation au regard de la jurisprudence « Association Eurolat » [5], qui postule une applicabilité des règles de la domanialité publique à un bien ne relevant pas du domaine public, mais dont l’affectation à un service public est certaine.

Les règles de la domanialité publique ne s’appliquent pas à l’espace délimité par le recul du trait de côte, qui reste encadré par la loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022.

Il nous faut décrire ce corpus législatif, avant d’en apprécier les interactions.
 

I. Le corpus normatif

Le corpus normatif, formé par la loi et l’ordonnance, définit « une politique d’aménagement du littoral, appréhendée au travers du trait de côte, en adéquation avec les réalités du changement climatique » [6].

Il comprend deux volets.


A. La gestion intégrée du recul du trait de côte

Le premier volet met en place une gestion intégrée du recul du trait de côte, qui figure à l’article L. 321-13 A du Code de l’environnement N° Lexbase : L3065MCI.

Cette stratégie existait dans la pratique administrative. Une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte avait été adoptée en 2012, à la suite du Grenelle de la mer en 2009, qui a été actualisée en 2017 et sur le fondement de laquelle ont été élaborées les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte [7].

Il y a donc là une consécration législative de la gestion intégrée du recul du trait de côte.

Cette stratégie se décline à deux échelons.

À l’échelon national, tout d’abord, dans la mesure où il appartient à l’État d’élaborer « la stratégie nationale de gestion intégrée du recul du trait de côte […] qui constitue le cadre de référence pour la protection du milieu et la gestion intégrée et concertée des activités au regard de l’évolution du trait de côte » [8].

Notons que la reconnaissance de la gestion intégrée du trait de côte a été incluse, dans le débat législatif, au cours de l’examen du Sénat en seconde lecture. Le Gouvernement y était défavorable au motif que l’érosion côtière « ne pourrait être assimilée à un risque stricto sensu dès lors qu’il s’agit là d’un phénomène progressif pouvant être anticipé » [9], entendant ainsi exclure la compétence de l’État quant à sa prévention pour la transférer aux collectivités territoriales.

Cette stratégie nationale est établie en concertation avec les collectivités territoriales et le Conseil national de la mer et des littoraux créé, à cet effet, par la loi « Climat et résilience » [10].

Elle est adoptée par décret [11].

À l’échelon local, ensuite, dès lors que les collectivités territoriales sont invitées à adhérer à cette stratégie nationale, mais il ne s’agit, toutefois, que d’une simple faculté.

Les régions, qui comportent des territoires littoraux, ont ainsi la possibilité, à travers le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) [12], de fixer « des objectifs de moyen et long termes en matière de gestion du trait de côte en cohérence avec les orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte » [13].

Les collectivités compétentes en matière de GEMAPI peuvent également élaborer des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte afin de mettre en œuvre « les principes » de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

Ces stratégies locales doivent prendre en compte les objectifs et les règles générales définis par le SRADDET [14].


B. La mise en place d’un zonage protecteur

Le second volet est purement urbanistique.

Jusqu’alors, la prévention des risques liés à l’érosion côtière relevait principalement des plans de prévention des risques littoraux (PPRL), élaborés et approuvés par les services déconcentrés de l’État [15].

L’idée exposée plus haut, selon laquelle l’érosion côtière n’est pas un risque naturel prévisible, a fait son chemin pour aboutir à un renversement de paradigme. Le postulat, qui s’est imposé, a conduit à placer les collectivités territoriales, compétentes en matière d’urbanisme, au cœur même de la lutte contre le recul du trait de côte.

Un premier pas a été franchi avec l’ordonnance n° 2020-744, du 17 juin 2020, relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT) N° Lexbase : L4299LXI [16].
Le document d’orientation et d’objectifs doit définir « les orientations de gestion des milieux aquatiques, de prévention des risques naturels liés à la mer et d’adaptation des territoires au recul du trait de côte » et la possibilité lui est ouverte d’identifier des « secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » [17].

Le SCOT devient ainsi « le principal instrument permettant de planifier les enjeux liés à l’érosion côtière avant la loi « Climat et résilience » [18].

Il était donc cohérent, dans ces conditions, de doter les collectivités territoriales des outils leur permettant d’intégrer, au sein des plans locaux d’urbanisme (PLU), les enjeux liés au recul du trait de côte.

La loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022 sont sur ce point ambivalents. En effet, si la loi permet aux autorités compétentes de mettre en place un zonage protecteur de nature à freiner l’érosion côtière, l’ordonnance apporte des dérogations notables à la loi « Littoral » N° Lexbase : L7941AG9.

Concernant le zonage spécifique, le dispositif juridique en cause n’est ouvert qu’aux seules communes inscrites sur une liste fixée par décret [19], qui tient compte de la particulière vulnérabilité de leur territoire au recul du trait de côte et qui ne sont pas couvertes par un PPRL [20].


1) Le zonage propre au recul du trait de côte

Les communes éligibles doivent préalablement établir une carte locale d’exposition de leur territoire au recul du trait de côte [21].

Le document graphique du règlement du PLU, applicable dans ces communes, délimite alors :

- la zone exposée au recul du trait de côte à l’horizon de trente ans ;

- la zone exposée au recul du trait de côte à un horizon compris entre trente et cent ans [22].

Au sein de la zone 0-30 ans, une distinction est faite entre les espaces urbanisés et ceux qui ne le sont pas.

Dans les premiers, sont autorisés :

- les travaux de réfection et d’adaptation des constructions existantes à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones ;

- les constructions ou installations nouvelles nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau, à condition qu’elle présente un caractère démontable ;

- les extensions des constructions existantes à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones, à condition qu’elles présentent un caractère démontable [23].

Dans les espaces non urbanisés des zones 0-30 ans, seules sont autorisées les constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau, à condition que ces constructions et installations présentent également un caractère démontable [24].

La zone 30-100 ans reste constructible, mais cette constructibilité est relative.

Une obligation de démolition est mise à la charge des propriétaires concernant les constructions nouvelles et les extensions des constructions existantes à compter de la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones, lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au- delà d’une durée de trois ans [25].

En dehors de cette hypothèse, il reste possible de construire à la condition de consigner, entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations, une somme correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état [26].

 Ce zonage protecteur est contrebalancé par une planification stratégique des opérations de relocalisation.


2) Les opérations de relocalisation

En matière de relocalisation des constructions exposées au recul du trait de côte, le SCOT occupe une place essentielle, dès lors que le document d’orientation et d’objectifs peut identifier « des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » [27].

Ces secteurs de relocalisation doivent être situés au-delà de la bande littorale et des zones 0-30 ans/30-100 ans, ainsi qu’en dehors des espaces remarquables du littoral [28].

Il appartient aux auteurs de PLU de retranscrire et parachever la planification des opérations de relocalisation.

À cet effet, les dispositions du Code de l’urbanisme relatives aux PLU ont été adaptées à la prise en compte du retrait de côte :

- les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durables prennent en compte « l’adaptation des espaces agricoles, naturels et forestiers, des activités humaines et des espaces urbanisés, exposés au recul du trait de côte » [29] ;

- des emplacements peuvent être réservés pour « la relocalisation d’équipements, de constructions et d’installations exposés au recul du trait de côte, en dehors des zones  touchées par ce recul » [30].

L’ordonnance du 6 avril 2022 prévoit des dispositions spécifiques concernant les opérations d’aménagement.

Ainsi, lorsqu’un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) prévoit une opération d’aménagement, dont l’objet est de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire d’une ou plusieurs communes figurant sur la liste de l’article L. 321-15 du Code de l’environnement N° Lexbase : L3068MCM, il peut « délimiter sur le territoire qu’il couvre des secteurs de relocalisation de constructions, d’ouvrages ou d’installations menacés par l’évolution du trait de côte » [31].

À l’intérieur de ces secteurs – et c’est toute l’ambivalence du corpus législatif décrit – des dérogations à la loi Littoral sont autorisées sous réserve, toutefois, de l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites :

- le principe d’extension de l’urbanisation en continuité des villages et agglomérations existantes [32] peut être méconnu, à la condition que les biens soient relocalisés en dehors des espaces proches du rivage, des espaces littoraux remarquables et d’une bande d’une largeur d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage [33] ;

- dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages [34], il est possible « d’étendre le périmètre bâti existant », dès lors que les biens sont relocalisés en dehors des espaces proches du rivage et des espaces littoraux remarquables et que cette extension aboutit au plus à la création d’un village, au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9980LML [35] ;

- l’obligation de prévoir des coupures d’urbanisation dans les SCOT et les PLU [36] disparaît, sauf en ce qui concerne les espaces proches du rivage et les espaces littoraux remarquables [37] ;

- les dérogations apportées à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9980LML peuvent, à titre exceptionnel, s’appliquer dans les espaces proches du rivage, les zones 0- 30 ans et 30-100 ans, ainsi que dans les espaces littoraux remarquables, sous réserve de l’autorisation du ministre chargé de l’Urbanisme et de l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites [38].
 

II. Les interactions

A. Les limites futures du domaine public maritime naturel

Il est clair, en premier lieu, que les zones 0-30 ans et 30-100 ans ont vocation à définir les limites futures du domaine public maritime naturel, dans l’hypothèse où l’érosion côtière devait entraîner un recul du trait de côte et, donc, une avancée des limites hautes du rivage de la mer.


B. Les digues à la mer

Il apparaît, ensuite, que le régime applicable dans les zones 30-100 ans, qui peut conduire à la démolition des constructions nouvelles et celle des extensions des constructions existantes, s’apparente à la protection élevée dont bénéficie le domaine public maritime à travers, notamment, les dispositions de l’article L. 2132-3 du Code général de la propriété des personnes publique N° Lexbase : L4572IQE : « Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende ».

Ce point soulève une question.

Si l’on comprend bien le I de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3, les constructions nouvelles et les extensions des constructions existantes, édifiées dans la  zone 30-100 ans, doivent être démolies, à compter de l’entrée en vigueur du PLU délimitant ladite zone, lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà d’une durée de trois ans.

L’obligation de démolition et de remise en état est ordonnée par arrêté du maire [39].

Que sera alors le sort des « digues à la mer », qui sont au cœur de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 mai 2013 précitée [40] ?

Un propriétaire riverain du domaine public maritime naturel peut être autorisé à construire une digue à la mer, conformément à l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807, relative au dessèchement des marais [en ligne].

Lorsque son fonds se trouve submergé par les plus hauts flots, il est automatiquement incorporé au domaine public maritime naturel et « l’État devient propriétaire des ouvrages  construits en même temps que le fonds dont la propriété lui est transférée du fait de l’action des  flots » [41].

Dans cette hypothèse, le propriétaire des ouvrages ne peut se voir contraint à la démolition.

Le Conseil constitutionnel considère en effet que : « Considérant, toutefois, que, lorsqu’une digue à la mer construite par un propriétaire est incorporée au domaine public maritime naturel en raison de la progression du rivage de la mer, il peut être imposé à l’intéressé de procéder à sa destruction ; que ce dernier pourrait ainsi voir sa propriété privée de la protection assurée par l’ouvrage qu’il avait légalement érigé ; que, dans  ces conditions, la garantie des droits du propriétaire riverain de la mer ayant élevé une digue à  la mer ne serait pas assurée s’il était forcé de la détruire à ses frais en raison de l’évolution des limites du domaine public maritime naturel ; que, sous cette réserve, le 1° de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques est conforme à l’article 16 de la Déclaration de 1789 » [42].

Si l’on suit la logique de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3, une telle digue régulièrement édifiée sur un fonds privé, avant même qu’il ne soit recouvert par les plus hauts flots, est condamnée à la démolition, à partir du moment où le recul du trait de côte sera tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà de trois ans.

La démolition et la remise en état incombent alors au seul propriétaire, qui ne pourra réclamer aucune indemnisation, en vertu du VI de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3 [43].

Une telle situation heurte de plein fouet la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Comment, dans ces conditions, combiner les normes en présence ?

Une première piste revient à opposer la décision du Conseil constitutionnel du 24 mai 2013 au VI de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3.

Elle doit cependant être immédiatement relativisée.

En effet, une réserve d’interprétation est d’interprétation stricte. Or la réserve émise par la Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 mai 2013, ne vaut a priori que pour le 1° de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4505IQW.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 2021 relative à la loi « Climat et résilience », ne s’est toutefois pas prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 242 de la loi du 22 août 2021, dont est issu l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3 [44].

Une question prioritaire de constitutionnalité est donc toujours possible.

Reste un point.


C. L’aptitude de l’État à imposer les orientations de la stratégie nationale

Il nous faut, en effet, nous arrêter sur les effets de la stratégie nationale de gestion du trait de côte.

La stratégie de gestion du trait de côte relève du droit souple [45], selon les trois critères d’identification du droit souple retenus par le Conseil d’Etat [46].

C’est d’ailleurs la position du tribunal administratif de Montpellier dans une espèce récente [47].

Les orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte qui, par définition, ne comportent aucune obligation, ne sont pas, pour autant, dépourvues de toute normativité.

Il est clair, à cet égard, qu’en donnant à la stratégie nationale, comme aux stratégies locales, une « assise législative », la loi permet de renforcer leur normativité [48]. Cette normativité reste toutefois faible et diffuse.

La loi « Climat et résilience » ne modifie pas, en effet, la hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme, telle qu’elle ressort des articles L. 131-1 et suivants du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4668LX8 et n’érige donc pas les orientations de la stratégie nationale en normes de  référence.

La pénétration du droit souple, généré par la stratégie nationale de gestion du trait de côte, se fera donc à travers le SRADDET et les stratégies locales.

Le SRADDET doit être élaboré « en cohérence avec les orientations de la gestion intégrée du trait de côte » [49].

Le rapport de cohérence laisse, aux auteurs du SRADDET, une certaine marge de manœuvre dans l’intégration des orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [50].

Quant au rapport SRADDET/SCOT, il s’inscrit uniquement dans une obligation de prise en compte s’agissant des objectifs définis par le schéma régional, qui distend encore un peu plus la normativité des orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [51] et autorise l’instrument de planification « à s’éloigner desdites orientations pour un motif tiré de l’intérêt de l’opération envisagée, dès lors qu’il est justifié » [52].

La pénétration des orientations de la gestion nationale du trait de côte est également favorisée par l’adoption de stratégies locales, lorsque les autorités compétentes décident d’en élaborer une.

Dans cette hypothèse, de telles stratégies locales doivent prendre en compte les objectifs du SRADDET, mais elles sont également tenues par la stratégie nationale, qu’elles ont pour objet de mettre en œuvre [53].

La faible normativité apparente des orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte ne doit, pourtant, pas tromper.

L’État conserve, en effet, un pouvoir de pression non négligeable, ce qui permet à une autrice d’affirmer que « ce dernier demeure le “maître du jeu” des rapports qui se nouent entre lui et les collectivités territoriales » [54].

Cette force de persuasion est susceptible de s’exercer, en premier lieu, à travers la conclusion des PPA, nécessaires à la réalisation des opérations de relocalisation, qui sont un préalable à la possibilité de faire jouer les dérogations à la loi Littoral [55].

Certes, de tels PPA n’imposent pas aux collectivités concernées d’élaborer préalablement une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte.

Il n’en demeure pas moins que les dérogations à la loi Littoral ne pourront être mises en œuvre qu’après que l’autorité administrative compétente de l’État a donné son accord, de telle sorte qu’il y a, là, un moyen de pression pouvant contraindre les collectivités intéressées à adopter une stratégie locale qui, selon les termes de l’article L. 321-16 du Code de l’environnement N° Lexbase : L3069MCN, devra mettre en œuvre les principes de la stratégie nationale.

Les pouvoirs des préfets relatifs à l’entrée en vigueur des documents d’urbanisme, ensuite, peuvent également être un moyen pour l’État d’imposer d’y inclure les orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [56].

Enfin, il n’est pas exclu que l’État utilise sa compétence exclusive en matière de domaine public maritime « pour limiter, voire neutraliser, les projets des collectivités territoriales déviant des orientations fixées par l’État, en particulier, des ouvrages de défense contre la mer » [57].

Il n’est pas exclu, non plus, que les services de l’État élaborent des lignes directrices fondées sur la stratégie nationale afin d’instruire les dossiers de demandes d’utilisation du domaine public maritime, présentées par les collectivités territoriales, ou les demandes de dérogation à la loi « Littoral » dans le cadre des opérations de recomposition spatiale [58].

En conclusion, on voit ainsi que le corpus normatif, composé par la loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022, a une incidence indirecte, mais certaine, sur le domaine public maritime naturel, d’une part, parce qu’il préfigure sa délimitation future en cas d’érosion côtière continue et, d’autre part, parce que l’État est à même d’imposer les règles qui contribueront à sa gestion et s’apparentent à celles gouvernant la domanialité publique, alors même que les terrains concernés restent des propriétés privées.


[1] Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R ; ordonnance n° 2022-489, du 6 avril 2022, relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte N° Lexbase : L2885MCT.

[2] [En ligne].

[3] CGPPP, art. L. 2111-1, 1° N° Lexbase : L4505IQW : « Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques ».

[4] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, SCI Pascal et autre N° Lexbase : Z70645ZI.

[5] CE, 2e-6e s.-sect. réunies, 6 mai 1985, n° 41589 et n° 41699, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3186AMX.

[6] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, RFDA, 2022, p. 444.

[7] Ibid.

[8] C. env., art. L. 321-13 A N° Lexbase : L3065MCI.

[9] J.-F. Struillou, Les règles d’utilisation des sols spécifiques aux zones exposées au recul du trait de côte, RFDA, 2022, p. 460.

[10] C. env., art. L. 219-1 A N° Lexbase : L6481L78.

[11] C. env., art. L. 321-13 A N° Lexbase : L3065MCI.

[12] CGCT, art. L. 4251-1 N° Lexbase : L1811MHK.

[13] C. env., art. L. 321-14 N° Lexbase : L3067MCL.

[14] C. env., art. L. 321-16 N° Lexbase : L3069MCN.

[15] N. Huten, Planification urbaine et recomposition spatiale des territoires exposés au recul du trait de côte, RFDA, 2022, p. 452.

[16] JORF n° 0149, du 18 juin 2020.

[17] C. urb., art. L. 141-13, 3°N° Lexbase : L6897L7L.

[18] N. Huten, Planification urbaine et recomposition spatiale des territoires exposés au recul du trait de côte, préc.

[19] C. env., art. L. 321-15 N° Lexbase : L3068MCM. V. le décret n° 2022-750, du 29 avril 2022, établissant la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral N° Lexbase : L6357MCG. Ce décret fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

[20] C. urb., art. L. 121-22-1 N° Lexbase : L7081L7E.

[21] Ibid.

[22] C. urb., art. L. 121-22-2 N° Lexbase : L7083L7H.

[23] C. urb., art. L. 121-22-4, I N° Lexbase : L3052MCZ.

[24] C. urb., art. L. 121-22-4, II N° Lexbase : L3052MCZ.

[25] C. urb., art. L. 121-22-5, I N° Lexbase : L3053MC3.

[26] C. urb., art. L. 121-22-5, 1, II N° Lexbase : L3053MC3.

[27 ]C. urb., art. L. 141-13, 3° N° Lexbase : L6897L7L.

[28] Ibid.

[29] C. urb., art. L. 151-5 N° Lexbase : L1738MHT.

[30] C. urb., art. L. 151-41, 6° N° Lexbase : L6906L7W.

[31] C. urb., art. L. 312-8 N° Lexbase : L3062MCE.

[32] C. urb., art. L. 121-8, al. 1er N° Lexbase : L9980LML.

[33] C. urb., art. L. 312-9, 1° N° Lexbase : L3063MCG.

[34] C. urb., art. L. 121-8, al. 2 N° Lexbase : L9980LML.

[35] C. urb., art. L. 312-9, 2° N° Lexbase : L3063MCG.

[36] C. urb., art. L. 121-22 N° Lexbase : L2339KIH.

[37] C. urb., art. L. 312-9, 3° N° Lexbase : L3063MCG.

[38] Ibid.

[39] C. urb., art. L. 121-22-5 N° Lexbase : L3053MC3.

[40] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, précité N° Lexbase : A8146KD3.

[41] S. Deliancourt, conclusions sous CAA Marseille, 7e ch., 6 mai 2014,  n° 10MA04256 N° Lexbase : A1620MMX, RFDA, 2014, p. 1075.

[42] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, précité N° Lexbase : Z70645ZI.

[43] « Nonobstant toutes dispositions contraires, les titulaires de droits réels ou de baux de toute nature portant sur des constructions créées ou aménagées en application du présent paragraphe ne peuvent prétendre à aucune indemnité de la part de l’autorité qui a fait procéder à la démolition et à la remise en état ».

[44] Cons. const., décision n° 2021-825 DC, du 13 août 2021 N° Lexbase : A71314Z7.

[45] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[46] Nous renvoyons, sur ce point, au rapport du Conseil d’État, Le droit souple, Documentation française, 2013, p. 61 et s.

[47] TA Montpellier, 4e ch., 21 mars 2021, n° 1905928 N° Lexbase : A91224K3.

[48] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[49] C. env., art. L. 321-14 N° Lexbase : L3067MCL.

[50] V. C. Touboul, conclusions sous CE, 1e-6e ch. réunies, 2 octobre 2017, n° 398322, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6433WTG, BJDU, n° 1/18, p. 18, ainsi que T. Thuillier, La hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme : des clarifications en demi-teinte, BJDU, n° 2/19, p. 91.

[51] C. urb., art. L. 131-2, 1° N° Lexbase : L4669LX9.

[52] T. Thuillier, La hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme : des clarifications en demi-teinte, précité, p. 92.

[53] C. env., art. L. 321-16 N° Lexbase : L3069MCN.

[54] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[55] C. urb., art. L. 312-8 N° Lexbase : L3062MCE.

[56] C. urb., L. 143-25 N° Lexbase : L5042L8A pour les SCOT et C. urb., art. L. 153-25 N° Lexbase : L5037L83 pour les territoires qui ne sont pas couverts par un PLU.

[57] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[58] Ibid.

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