Lexbase Contentieux et Recouvrement n°1 du 30 mars 2023 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Sort et transport des meubles en matière d’expulsion

Réf. : CA Paris, 1, 10, 2 février 2023, n° 22/08170 N° Lexbase : A88199BA

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par Arnaud Leon, Commissaire de Justice associé (Selarl Bonnamy-Vizoso & Leon), Chargé d’enseignement à l’INCJ (Institut National des Commissaires de Justice), IJA (Institut Juridique d’Aquitaine), intervenant EDA (École des Avocats de Bordeaux)

le 29 Mars 2023

Mots-clés : commissaire de justice • procès-verbal d’expulsion • diligences• sort des meubles • transport des meubles • inventaire • séquestre • déménagement

Cet arrêt rendu par la cour d’appel de Paris réaffirme la confiance accordée par le juge au commissaire de justice lorsque ce dernier est particulièrement rigoureux dans ses diligences s’agissant notamment du sort des meubles lors des opérations d’expulsion et de son issue.


Afin d’appréhender tous les enjeux de cet arrêt au regard de la réalité de terrain à laquelle est confronté le commissaire de justice, un rappel exhaustif des faits ainsi que des arguments soulevés par la partie appelante sont nécessaires.

Selon jugement rendu par le tribunal d’instance de Paris le 6 décembre 2019, une procédure d’expulsion est initiée à l’encontre d’un locataire indélicat par la signification d’un commandement de quitter les lieux en date du 11 février 2020. Ce commandement est contesté devant le juge de l’exécution de Paris lequel déboute l’appelant le 4 mars 2021. L’expulsion finit par être réalisée le 14 septembre 2021 suivie d’un procès-verbal de déménagement le 16 septembre 2021. C’est alors que la procédure est à nouveau contestée devant le juge de l’exécution de Paris lequel par jugement en date du 28 mars 2022 déboute le débiteur de l’ensemble de ses demandes lesquelles visaient à l’annulation du procès-verbal d’expulsion, à une réintégration dans le logement outre une demande de dommages-intérêts… Et puisqu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin, il est relevé appel de la décision où tous azimuts, il est reproché au commissaire de justice :

  • que si le procès-verbal d’expulsion contenait un inventaire des biens qui avaient été séquestrés, il n’avait pas pu obtenir du commissaire de justice les coordonnées du garde-meuble auprès duquel ils avaient été déposés et que le commissaire de justice avait refusé de prendre contact avec lui ;
  • que si un procès-verbal de déménagement avait été réalisé le 16 septembre 2021, les biens avaient été détruits entretemps sans signification du procès-verbal alors même que la société disposait de son adresse électronique ;
  • que ses papiers et documents administratifs ne lui avaient pas été restitués ni mis sous scellé si bien que le 5 janvier 2022, il n’avait pu en récupérer qu’une partie seulement ;
  • que le procès-verbal d’expulsion ne contenait pas un inventaire complet et précis des biens, ni d’indication du local où ceux-ci sont entreposés, que ces derniers n’avaient pas été laissés dans les lieux, que notamment le commissaire de justice ne s’était pas donné la peine d’ouvrir les meubles pour dresser une liste de leur contenu et qu’il en était de même des sacs sanglés et des valises ;
  • que la valeur marchande des biens était de 10 000 euros et que ceux-ci n’auraient pas dû être détruits mais vendus ;
  • que le commissaire de justice avait refusé de lui donner des informations sur les conditions d’accès dans lesquelles ses biens avaient été entreposés, se contentant de lui adresser des mails à une adresse qui n’était pas la bonne.

À toutes ces demandes, la cour d’appel répond factuellement en tenant compte des contraintes temporelles et matérielles auxquelles sont confrontés les commissaires de justice. Il est d’ailleurs important de relever que l’argumentation du débiteur se fonde sur des supposées absences de diligences du commissaire de justice, ce qui est totalement faux, puisque ce dernier est même allé au-delà des textes afin d’assurer la sécurité juridique des parties. Et la cour d’appel ne s’y trompe pas (« les opérations d’expulsion ainsi que celles subséquentes ayant été menées dans des conditions exemptes de critiques ») ; elle nous éclaire sur les diligences pouvant être accomplies par le commissaire de justice s’agissant du sort des meubles lors de l’expulsion et de son issue.

I. Le sort des meubles lors de l’expulsion

Chaque commissaire de justice connaît les difficultés liées à l’organisation d’une procédure d’expulsion. En effet, une fois le concours obtenu, il doit se mettre en rapport avec de multiples intervenants dont l’assistance et/ou le concours dépendront du contexte connu sur place : force publique, serrurier, déménageur, entreprise de sécurisation des lieux, entreprise de nettoyage spécialisée, maître-chien, assistance médicale etc… Si les textes imposent au commissaire de justice de maîtriser le déroulé des opérations d’expulsion, la jurisprudence vient en soutien de ses contraintes.

A. Rigueur des textes et temporalité lors de la rédaction du procès-verbal de l’expulsion

Les premiers alinéas des articles R. 432-1 N° Lexbase : L2518ITG et R. 433-1 N° Lexbase : L5601LTM du Code des procédures civiles d’exécution imposent une véritable gymnastique de terrain au commissaire de justice. En effet, non seulement « l'huissier de justice doit décrire les opérations auxquelles il a été procédé (ainsi que l'identité des personnes dont le concours a été nécessaire) mais aussi, si les biens ont été laissés sur place ou déposés par l'huissier de justice en un lieu approprié, le procès-verbal d'expulsion contient un inventaire de ces biens, avec l'indication qu'ils paraissent avoir ou non une valeur marchande et mention du lieu et des conditions d'accès au local où ils ont été déposés ».

Comme nous l’avons évoqué supra, il est reproché au commissaire de justice de n’avoir accompli aucune de ces diligences ou de ne les avoir accomplies que sommairement…Ce qui est faux. En effet, dans les faits de l’espèce, le commissaire de justice a listé les biens présents dans le logement et pour ceux présents en quantité, inventorié par lots (tels les produits d’hygiène, livres…) ; aussi le débiteur n’a pas déclaré de lieu où il convenait de faire transporter les meubles, ils ont alors été séquestrés sur place (lesquels seront par la suite déménagés par le commissaire de justice, voir II). Rappelons d’ailleurs au praticien que les indemnités d’occupation cessent d’être dues dès la signification du procès-verbal d’expulsion et non à compter de la reprise matérielle des biens.

Aussi, il peut-être légitime de s’interroger sur cet inventaire des biens et son exhaustivité. En effet, lorsque le commissaire de justice dresse un inventaire lato sensu, celui-ci est supposé être complet [1] et comprendre l’intégralité des biens meubles jusqu’à la dernière petite cuillère…(sic)…Mais le praticien de terrain est régulièrement confronté à une temporalité et/ou matérialité qu’il ne maîtrise pas. Outre l’impossibilité tenant à l’encombrement des lieux (syndrome de Diogène), bien souvent, la force publique est appelée sur d’autres opérations et vous informe au début des opérations ne pouvoir prêter leur concours que sur une durée réduite (1h, 2h…), et il peut en être de même pour les autres intervenants... La gestion de la procédure sur place (coordination des parties, opposition du débiteur, présence de nouveaux occupants du chef…) qui doit être relatée point par point dans la description des opérations ne permet pas au commissaire de justice de lister de manière exhaustive les biens. Cet inventaire doit-être suffisant comme le rappel la jurisprudence.

Enfin, s’agissant de la valeur marchande des biens, rappelons qu’un procès-verbal d’expulsion n’est pas un procès-verbal de saisie-vente. Il n’existe pas de principe d’insaisissabilité et l’ « appréciation d’apparence » [2] se fait sur l’ensemble des biens. La valeur doit-être suffisante pour couvrir à minima les frais de procédure en cas de vente.

B. Une jurisprudence continue

Il est constant en jurisprudence que lorsqu’une personne est atteinte du syndrome de Diogène, le commissaire de justice est confronté à « un événement de force majeure empêchant l’établissement d’un inventaire détaillé » (voir CA Aix-en-Provence, 20 mai 2021, n° 18/06955 N° Lexbase : A42374SQ et aussi CA Aix-en-Provence, 30 juillet 2020, n° 19/07696 N° Lexbase : A89503RW) ou « lorsque l’ensemble du mobilier est en ruine et extrêmement vétuste ».

Cet arrêt est intéressant car il s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle lorsque le commissaire de justice relate avec précision (ce qui permet au juge d’exercer son pouvoir souverain d’appréciation) les raisons pour lesquelles un inventaire détaillé n’est pas réalisable, et ce en dehors du syndrome sus évoqué. En effet, la cour d’appel fait observer qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose que l’inventaire des biens soit parfaitement exhaustif et recense l’intégralité des objets présents (voir aussi en ce sens CA Versailles, 18 novembre 2021, n° 20/05713 N° Lexbase : A17077C9). Aussi, elle reprend la motivation du juge de l’exécution lequel avait relevé que « s’agissant des biens présents en quantité, il ne pouvait être exigé du commissaire de justice d’en dresser une liste complète ». Il a été aussi jugé (CA Colmar, 10 mai 2021, n° 20/02900 N° Lexbase : A79254RX) l’impossibilité de réaliser un inventaire lorsque « le coût des moyens de manutention dépasserait largement la valeur des choses en place ». D’ailleurs, il ne sera trop recommandé au commissaire de justice d’appuyer son descriptif de photographies ou de vidéos qu’il joindra à son original en cas de contestation.

L’acte du commissaire de justice dans le cas d’espèce répond parfaitement à toutes ces prescriptions et précise bien la possibilité de retirer les biens dans un délai de deux mois à compter de la signification, l’acte ayant été remis de surcroît le jour même à l’expulsé. Quant à l’inventaire des papiers et documents administratifs contenus dans les meubles ou valises, l’arrêt retient que le commissaire de justice n’a pas à procéder à leur ouverture, le débiteur étant présent, il appartient à ce dernier de les ouvrir. Cela signifie donc que le commissaire de justice doit procéder à leur ouverture avec inventaire lorsque l’expulsion se fait en l’absence de l’occupant.

II. Le transport des meubles à l’issue de l’expulsion

L’organisation des opérations d’expulsion suppose que les divers tiers à la procédure soient tous disponibles à la même date. En fonction des contraintes de la force publique, de la date de l’expulsion souvent imposée, de l’urgence (squat, conjoint violent), de l’impossibilité pour le débiteur d’indiquer un lieu où les biens seront transportés le jour des opérations, du besoin du bailleur de reprendre rapidement possession du bien (donc impossibilité de séquestrer les biens sur place), le commissaire de justice peut-être amené à déplacer les biens ultérieurement.

A. Pragmatisme juridique du commissaire de justice : le procès-verbal de déménagement

La procédure d’expulsion impose au commissaire de justice de s’adapter à la réalité du terrain. Et lorsque les textes ne prévoient pas d’actes idoines, il convient d’assurer la sécurité juridique des parties. Le commissaire de justice a créé dans notre cas d’espèce un acte sui generis : un procès-verbal de déménagement.

Le 16 septembre 2021, soit deux jours après l’expulsion, le commissaire de justice a régularisé cet acte qu’il a signifié au débiteur par procès-verbal de recherches infructueuses selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile à l’adresse des lieux antérieurement loués, contrairement à ce qui est soulevé par la partie appelante (laquelle relève que l’acte ne lui a pas été signifié). Et à la suite de cet acte, le commissaire de justice n’a pas manqué de rigueur. En effet, par mails en date des 12 octobre et 15 novembre 2021, il a informé le débiteur qu’il avait procédé au transport des biens lequel a répondu « vu à bientôt ». La cour d’appel soutient cette heureuse initiative du commissaire de justice et ajoute qu’il incombe à la partie expulsée, sachant qu’elle vient d’être expulsée et qu’un délai lui est imparti pour récupérer ses effets personnels, de communiquer ses coordonnées au commissaire de justice et/ou à la société demanderesse pour pouvoir être jointe utilement. Si ce dernier l’a finalement fait par deux lettres recommandées avec demande d’avis de réception, elles ont été adressées hors délai, les deux mois à compter du procès-verbal d’expulsion étant expiré.

La cour d’appel ne relève donc pas cet acte comme frustratoire et/ou inutile. Bien au contraire, tout comme l’information par mail. Ce qui est louable. En effet, et comme il a été évoqué plus haut, tant que le commissaire de justice justifie ses actions au regard d’un contexte particulier, ces actes en deviennent même nécessaires.

B. La nature juridique et les mentions du procès-verbal de déménagement

Dans l’hypothèse de l’arrêt commenté, le procès-verbal de déménagement vise le cas où les biens n’ont pas pu être déménagés sur le champ et que le commissaire de justice se transporte à nouveau sur place pour ce faire après l’expulsion. Cela ne peut être confondu avec la reprise des biens par la partie expulsée, où il n’y a aucune contrainte. En effet, dans le procès-verbal de déménagement, la contrainte sera exercée sur les biens de l’expulsé qui seront déplacés sans son accord ni avertissement préalable. Il ressort de ce qui précède que ce procès-verbal de déménagement constitue un acte d’exécution forcée relevant de la compétence exclusive du commissaire de justice, non en raison de la pénétration dans les lieux (la partie a déjà été expulsée) mais parce que les biens de l’expulsé seront déplacés sans son consentement.

Le procès-verbal de déménagement suppose donc que le commissaire de justice procède à nouveau à l’ouverture des portes. Il va de soi que le propriétaire des lieux n’ait pas eu accès au logement entretemps et que les clés soient restées en possession du commissaire de justice. Cette ouverture devra néanmoins être réalisée dans un délai inférieur à deux mois afin de respecter la temporalité du procès-verbal d’expulsion puisque le procès-verbal de déménagement ne fait pas courir un nouveau délai pour que l’expulsé récupère ses biens.

S’agissant du procès-verbal en lui-même, il n’apparaît pas nécessaire d’établir un nouvel inventaire puisque qu’il s’agit d’un déplacement des biens dans un lieu autre que celui de l’expulsion.

Quelles mentions peuvent alors être indiquées dans l’acte ? Il nous paraît important de préciser, outre les mentions intrinsèques à tous les actes de commissaires de justice, a minima :

  • l’heure de début et de fin des opérations
  • l’identité des personnes ayant assisté aux opérations
  • la description des opérations de déplacement des biens avec indication des biens qui auraient subi des dégradations pendant le transport
  • le lieu de transport des biens.

Demeure une ultime interrogation ? Cet acte est-il répétible auprès du débiteur ?

De prime abord, il serait possible de répondre négativement puisque cet acte n’est pas prévu par le tarif des commissaires de justice. Pourtant, il serait possible de lui attribuer la même base tarifaire du procès-verbal d’expulsion s’agissant de la continuité des opérations d’expulsion.

Cependant, cette position peut être discutée. En effet, et puisque le procès-verbal de déménagement est un acte d’exécution forcée selon nos développements, l’alinéa 1er de l’article L. 111-8 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L7794IZP prévoit expressément qu’il soit à la charge du débiteur puisque cet acte se justifie compte tenu du contexte auquel peut être confronté le commissaire de justice et permet d’assurer la sécurité juridique de toutes les parties.

Pour conclure, la mauvaise foi assumée du débiteur dans notre cas d’espèce et la multiplication des moyens n’ont aveuglé ni le commissaire de justice quant à la réalisation de sa procédure, ni le magistrat quant au prononcé de sa décision. L’expulsé tentera-t-il in fine le pourvoi en cassation ?

 

[1] Revue détaillée, minutieuse, recensement de quelque chose. Définition Larrousse.

[2] Voir L. Assouline,  L’inventaire contenu dans un procès-verbal d’expulsion, EJT, février 2022.

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