Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2023, n° 20-23.679, FS-B N° Lexbase : A647387U
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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE
le 29 Mars 2023
Mots-clés : secret professionnel • notaire • notariat • exécution • commissaire de justice • saisie-attribution • déclaration • tiers saisi • héritiers
Si le secret professionnel du notaire est, par essence, absolu, il ne saurait tenir en échec le droit à l’exécution du créancier. Pour mener cette exécution à son terme, le créancier devra toutefois veiller au strict respect des conditions légales.
Une fois n’est pas coutume, la poursuite d’une procédure civile d'exécution est l’occasion de s’intéresser au secret professionnel du notaire.
Un arrêt de la première chambre de la Cour de cassation rendu en date du 11 janvier 2023 (Cass. civ. 1, 11 janvier 2023, n° 20-23.679, FS-B) est en effet venu rappeler le contexte précis dans lequel le notaire doit contribuer à la procédure d'exécution engagée par un créancier.
Cet arrêt a déjà été abondamment commenté. La doctrine s’accorde unanimement pour rappeler le caractère sacré du secret professionnel que le notaire doit à son client.
Attention toutefois ce n’est pas la seule portée de cet arrêt. Nous y reviendrons.
Les faits ayant donné lieu à la décision commentée sont de prime abord, relativement classiques.
Un compromis de vente est déclaré caduc par décision d’un tribunal de grande instance. L’acheteur est condamné à payer une clause pénale ainsi que des dommages et intérêts au vendeur. La mainlevée du séquestre conservé à l’étude notariale est en outre ordonnée. Pour obtenir le paiement du solde des condamnations de l’acheteur, le vendeur est contraint de saisir un huissier afin de procéder à l’exécution forcée du jugement.
Mauvaise surprise pour le créancier-vendeur : l’acheteur a disparu dans l’intervalle. L’huissier de justice ne parvient pas à toucher la débitrice-acheteur afin de mener à son terme l’exécution.
C’est dans ce contexte qu’il interpelle donc son notaire afin que ce dernier lui communique la nouvelle adresse de sa cliente. Le notaire refuse de répondre.
Le créancier-vendeur saisit donc le tribunal de grande instance afin de voir condamner le notaire à lui payer des dommages et intérêts. Il soutient que le silence gardé par ce dernier caractériserait une faute de nature à faire obstruction à l’exécution de la décision de justice précédemment obtenue.
Contre toute attente, le tribunal judiciaire fait droit à la demande du créancier-vendeur et après avoir rappelé les dispositions de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI oppose que ce secret ne saurait dispenser le notaire de révéler, à l’autorité judiciaire qui le requiert, l’adresse de son client alors que cette révélation est indispensable à l’exécution d’une décision et que l’huissier est également débiteur d’un tel secret.
Le tribunal caractérise donc la faute du notaire et le condamne au paiement de dommages et intérêts à l’endroit du créancier-vendeur. La décision étant rendue en dernier ressort, le notaire se pourvoit en Cassation.
Par l’arrêt du 11 janvier 2023, la première chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions le jugement précité.
Si cet arrêt consacre à nouveau le caractère sacré du secret professionnel dû par le notaire à son client, il est surtout l’occasion de rappeler pour les praticiens que ce secret n’est pas sans limite (I) et qu’il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation extensive lors d’une saisie-attribution (II).
I. La possibilité de délier le notaire de son secret professionnel en amont de l’exécution
A. Le principe
Les praticiens de l’exécution sont régulièrement confrontés à des difficultés dans la mise en œuvre de voies d’exécution notamment dans l’hypothèse du décès du débiteur. Difficultés pour identifier le notaire en charge de la succession puis une fois ce dernier identifié, difficultés pour obtenir l’identité des héritiers. Autre hypothèse d’école, le créancier est informé de l’imminence d’une vente d’un bien du débiteur, il sera alors tenté de bénéficier de l’attribution immédiate du produit de la vente en règlement de sa créance par l’effet d’une saisie-attribution diligentée entre les mains du notaire.
Le créancier interroge régulièrement le notaire pour connaître l’avancée de ses opérations. Celui-ci lui opposera au mieux une réponse de circonstance « je ne peux vous répondre ces informations sont couvertes par le secret professionnel ».
Le règlement national et du règlement intercours du Conseil supérieur du notariat le consacre en ces termes : "Le secret professionnel du notaire est général et absolu. Confident nécessaire de ses clients, le notaire est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues par le Code pénal ou toutes autres dispositions législatives ou réglementaires". (article 3.4)
Sa violation pourra être sanctionnée non seulement pénalement, civilement mais également disciplinairement.
Toutefois cette obligation de secret n’est pas sans limite, le créancier ne saurait se laisser paralyser dans son action par sa simple évocation.
Ainsi, l’article 226-14 du Code pénal alinéa premier N° Lexbase : L7491L9C rappelle que la sanction pénale dont est passible celui qui contreviendrait au secret professionnel, à savoir un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, n’est pas applicable lorsque la loi impose ou autorise la révélation du secret.
L’autorisation de révélation du secret n’est pas nouvelle puisqu’expressément prévue à l’article 23 de Loi du 25 ventôse an XI, une disposition vieille de plus de deux cents ans mais qui reste, largement méconnue au regard des circonstances d’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté.
À la faveur de ces dispositions, les notaires ne peuvent, sans une ordonnance du président du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts et d'une amende.
Ainsi, le président du tribunal judiciaire pourra autoriser la divulgation d’informations détenues par le notaire aux termes d’actes établi par ses soins ou ordonner la délivrance de la copie d’actes à des tiers sur requête.
Pour être favorablement accueillie, la demande de levée du secret doit porter sur un élément jugé « indispensable à l’exécution d’une décision de justice », tel sera notamment le cas d’une partie qui dissimulerait son adresse de façon illégitime (Cass. civ. 1, 20 juillet 1994, n° 91-21.615 N° Lexbase : A7436ABZ).
Sur présentation de l’ordonnance ainsi obtenue, le notaire devra répondre à la sollicitation du tiers par la transmission de l’acte dont la communication a été autorisée.
Attention toutefois un arrêt récent est venu préciser que le notaire ne saurait transmettre des informations protégées par le secret professionnel alors que celles-ci ne seraient contenues dans aucun acte qu’il aurait établi (Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-23.160, F-B N° Lexbase : A08847UB).
Stratégiquement, le créancier ne devra donc pas confondre vitesse et précipitation en déposant sa requête auprès du président du tribunal judiciaire de façon anticipée au risque de se voir opposer une fin de non-recevoir lors de la présentation de l’ordonnance au notaire alors que celui-ci n’aurait pas encore dressé son acte…
B. Une situation d’espèce critiquable
Dans l’arrêt commenté, le créancier a omis de solliciter l’autorisation de l’autorité judiciaire c’est la violation de cette obligation qui est sévèrement sanctionnée par la première chambre civile.
Ainsi, en constatant la faute du notaire et en le condamnant à des dommages et intérêts sans avoir recherché si une ordonnance du président du tribunal de grande instance avait délié le notaire du secret professionnel, le tribunal a privé sa décision de base légale.
Le créancier devra systématiquement solliciter cette autorisation du président du tribunal judiciaire en prenant soin de justifier de la nécessité d’obtenir le renseignement convoité tout en veillant à ne pas déposer sa demande trop en amont.
Lorsqu’il initie une procédure d’exécution, le créancier doit en outre garder en mémoire que le commissaire de justice peut, dès lors qu’il détient un titre exécutoire, obtenir des informations permettant de déterminer l'adresse du débiteur, l'identité et l'adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier auprès de diverses administrations de l’État, des régions et départements et ce, depuis la loi du 22 décembre 2010 dite loi Béteille n° 2010-1609 N° Lexbase : L9762INU . Rappelons que cette possibilité a été étendue récemment à l’hypothèse dans laquelle le commissaire de justice détiendrait uniquement une autorisation afin de procéder à une saisie conservatoire sur compte bancaire (CPCEx, art. L. 152-1 N° Lexbase : L1721MAY).
Cette réquisition apparait donc particulièrement efficace et reste naturellement à privilégier en première intention compte tenu notamment de sa célérité
II. Le secret du notaire à l’épreuve de la saisie-attribution
En dépit de ses caractéristiques générales et absolues, le secret professionnel que le notaire doit à son client ne peut en outre résister à l’hypothèse dans laquelle un créancier procéderait à une saisie-attribution entre les mains du notaire. Ce dernier aurait alors la qualité de tiers-saisi.
En effet, en pareille hypothèse c’est encore la loi qui l’autorisera à se délier du secret par application de l’article L. 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L0427L8C faisant peser sur le tiers saisi une obligation d’informations de l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur saisi.
Ces informations devront être fournies sur le champ (CPCEx, art. R. 211-4 N° Lexbase : L6670LT9). Le tiers saisi qui, sans motif légitime ne fournit pas les renseignements sollicités pourra être condamné à payer les sommes dues au créancier.
« Aucune obligation professionnelle, fût-elle aussi justifiée que le secret des confidences reçues, ne saurait tenir l’intérêt général en échec » [1].
Dans cette hypothèse, le droit à l’exécution du créancier prévaut, le secret professionnel du notaire devra être écarté afin de répondre à la demande du commissaire de justice et ne saurait s’analyser comme le motif légitime visé à l’article R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2211IT3.
À défaut de déférer à la demande du commissaire de justice, le notaire s’expose à une demande de condamnation personnelle aux causes de la saisie par application de l’article R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution.
[1] J. De Poulpiquet, Responsabilité des notaires : civile, disciplinaire, pénale, Dalloz, 2009, n°92.131, p. 282.
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