La lettre juridique n°934 du 9 février 2023 : Procédure civile

[Panorama] Actualité 2022 de la procédure civile

Lecture: 51 min

N4271BZ9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Panorama] Actualité 2022 de la procédure civile. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/93056228-panoramaactualite2022delaprocedurecivile
Copier

par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique Lexbase de la revue « Droit privé » et de l’ouvrage de procédure civile

le 25 Juillet 2023

Mots-clés : tentative de règlement amiable • principe du contradictoire • principe de concentration • principe de collégialité • la preuve • mesure d’instruction • communication électronique • procédure orale • appel •annexe à la déclaration d’appel • effet dévolutif •écritures • conclusions • défenseur syndical

L’actualité 2022 de la procédure civile a été riche de près de deux cents décisions. Ce panorama présente une sélection des décisions les plus marquantes. Elle déborde parfois sur l’année 2023 pour signaler des évolutions jurisprudentielles importantes.


 

Sommaire

I. Procédures amiables

- Cass. com., 11 mai 2022, n° 20-23.298, F-B
- Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 20-20.941, F-B
- CE, 5e-6e ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 436939
- Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B
- Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B

II. Les principes du procès

A. Le principe du contradictoire

- Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-19.978, F-B
- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-10.744, FS-B
- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B
- Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-12.190, F-B

B. Le principe de concentration

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 20-21.585, F-B
- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-13.062, F-B

C. Le principe de collégialité

- Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 20-22.099, F-B

III. La preuve

A. Droit à la preuve et demande d’une mesure d’instruction – un contrôle étroit de la Cour de cassation

- Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-21.925, F-B

B. Pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction

- Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.578, F-B

C. Intrusion dans le disque dur personnel d’un salarié par un concurrent de l’employeur

- Cass. civ.2, 30 juin 2022, n° 21-10.276, F-D

D. Mesures d’instruction in futurum sur requête : la motivation doit être circonstanciée

- Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-22.349, F-B

IV. La communication électronique

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.423, F-B
- CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France

V. Procédure orale

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-23.249, F-B
- Cass. civ. 2, 3 février 2022, n° 20-18.715, F-B
- Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-13.060, FS-B

VI. Appel

A. La saga de l’annexe à la déclaration d’appel

- Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B
- Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B
- Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 21-16.804, FS-B

B. Formalisme de la déclaration d’appel et effet dévolutif

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B
- Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-12.720, F-B

C. L’effet dévolutif dans la procédure sans représentation obligatoire

- Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B
- Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456, FS-B

D. Formalisme des écritures

- Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B
- Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B
- Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B
- Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942

E. Le formalisme devant la cour d’appel et le défenseur syndical

- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.186, FS-B+R
- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.487, FS-B


I. Procédures amiables

De mémoire de processualiste, on n’avait jamais vu autant d’arrêts rendus par la Cour de cassation à propos des procédures amiables. Il faut y voir ici un signe des temps, et du changement de culture qui est en train de s’opérer. En effet, d’un côté, les procédures amiables prennent une place de plus en plus importante dans les textes et dans la conduite du procès, mais d’un autre côté, ces procédures sont instrumentalisées par les parties, notamment pour poser des remparts aux actions menées par leurs adversaires. Ainsi, au fur et à mesure que l’amiable devient procédure (et non plus concorde), il revêt des habits de justice pour s’immiscer dans le contentieux sous forme d’irrecevabilité, de prescription ou de forclusion.

Deux arrêts portent d’abord sur les effets des procédures amiables sur les délais. Le premier, rendu par la chambre commerciale (Cass. com., 11 mai 2022, n° 20-23.298, F-B N° Lexbase : A56287WD), concerne l’effet de la saisine du médiateur d’une entreprise sur le cours de la prescription civile. En effet, l’article 2238 du Code civil N° Lexbase : L1053KZZ dispose que la prescription est suspendue du jour où les parties à un litige conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation. En l’espèce, une société en litige avec la poste avait saisi le médiateur institutionnel de ce groupe et la question se posait de savoir si cette saisine suffisait à caractériser une entente entre les parties pour recourir à la médiation. La Cour de cassation confirme l’analyse selon laquelle la mise en place d’un médiateur au sein d’une entreprise caractérise sa volonté de recourir par principe à la médiation. La prescription est donc suspendue à compter du jour de la saisine de ce médiateur par un cocontractant.

Le second arrêt, rendu en 2023 (Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 20-20.941, F-B N° Lexbase : A56287WD), aborde la question plus sensible encore de l’effet d’une médiation sur le délai pour conclure devant la cour d’appel. Dans cette affaire, le conseiller de la mise en état a ordonné une médiation pour une durée totale de six mois. Ce délai étant écoulé, des pourparlers se sont poursuivis entre les parties, le médiateur n’a pas remis de note au juge et l’affaire n’a pas été rappelée à l’audience. Par conséquent, l’appelant a attendu dix mois pour déposer des conclusions aux fins de reprise de l’instance après médiation. La question se posait donc de savoir à quel moment le processus de médiation avait pris fin, entraînant par voie de conséquences la reprise du cours des délais octroyés aux parties pour conclure. La deuxième chambre civile répond fermement à cette question en affirmant que le terme fixé par le conseiller de la mise en état « marque la reprise de l’instance ». La médiation avait donc pris fin au bout des six mois octroyés par le juge, même si l’affaire n’avait pas été rappelée à l’audience. La solution présente le mérite de la clarté. À l’issue du délai fixé par le juge pour s’entendre, les parties doivent reprendre d’elles-mêmes l’initiative de l’instance et conclure dans les délais Magendie.

Plusieurs arrêts portent ensuite sur les procédures amiables obligatoires. Il faut souligner l’importance et l’ambiguïté de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, qui annule l’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5912MBL (CE, 5e-6e ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 436939 N° Lexbase : A16328KN). Cette disposition imposait comme préalable à la saisine du juge, une tentative de résolution amiable pour les litiges portant sur une somme n’excédant pas 5 000€. Cette obligation faisait l’objet d’une dérogation lorsqu’une partie devait faire face à l’indisponibilité de conciliateurs de justice « dans un délai manifestement excessif ». Cette expression a été jugée ambiguë par le Conseil d’État alors même qu’était en jeu l’exercice du droit à un recours effectif devant une juridiction. Le Conseil d’État a donc annulé l’article 750-1 du Code de procédure civile « en tant qu'il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie » (il s’agit de l’indisponibilité des conciliateurs de justice). La portée de l’annulation semblait donc limitée, mais dans son dispositif, le juge administratif annule l’article 750-1 du code précité sans la nuance précisée dans les motifs. Au regard du seul dispositif, il faut donc considérer que cette disposition a disparu du code de procédure civile, au moins provisoirement. On demeure en ce début d’année 2023, dans l’attente du décret qui devrait en toute logique rétablir ce préalable obligatoire, tout en précisant le délai de saisine du conciliateur.

Les procédures amiables obligatoires sont encore à l’honneur à propos de la procédure de référé. L’arrêt rendu le 14 avril 2022 concerne l’article 750-1 du Code de procédure civile désormais annulé par le Conseil d’État, mais sa portée demeure, dans la mesure où cette disposition n’a certainement pas disparu définitivement du code de procédure civile (Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B N° Lexbase : A44707TQ). Dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait une dispense de règlement amiable tenant à l’urgence manifeste. Cette situation paraissait correspondre notamment à la procédure de référé. Cette hypothèse est confirmée par la deuxième chambre civile, laquelle affirme que « la tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3° ».

Le caractère obligatoire de la procédure amiable peut également provenir d’une clause de règlement amiable insérée dans un contrat. La chambre sociale a rendu un avis qui permet d’articuler une telle clause avec l’existence d’une procédure amiable obligatoire devant la juridiction (Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B N° Lexbase : A090977S). Lorsque le contrat de travail contient une clause instituant une procédure de médiation préalable, les parties peuvent outrepasser cette clause et saisir directement le juge prud’homal « en raison de l’existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire ». Autrement dit, les parties ne peuvent se voir imposer de rechercher une solution amiable à deux reprises. Il s’agit là d’une dérogation importante à la force obligatoire de la clause.

Enfin, la dernière question abordée concerne le principe de confidentialité qui caractérise les procédures amiables conduites avec l’aide d’un tiers (médiation ou conciliation). L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 N° Lexbase : Z06405LG dispose de façon générale que la médiation est soumise au principe de confidentialité et plus précisément que les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance judiciaire ou arbitrale sans l'accord des parties. Dans l’espèce étudiée, une partie avait agi en justice en produisant plusieurs pièces issues de la procédure de médiation préalable. L’une de ces pièces était l’avis du médiateur. Dans une formule de principe, la Cour de cassation affirme que « l'atteinte à l'obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l'accord de la partie adverse, soient, au besoin d'office, écartées des débats par le juge. ». Elle en déduit que « le tribunal aurait dû, au besoin d'office, écarter des débats celles des pièces produites par M. [R], issues de la procédure de médiation, qui étaient couvertes par l'obligation de confidentialité ». L’arrêt est important, car il précise la sanction de la violation du principe de confidentialité, laquelle est déduite de l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D. Les pièces couvertes par le secret sont des preuves illicites qui doivent, en tant que telles, être écartées des débats. Toutefois, la Cour utilise, une formule générale et pour le moins ambiguë. En effet, en affirmant que « les pièces produites » doivent être écartées des débats, elle semble indiquer que cette sanction concerne toutes les pièces de la procédure amiable, et pas seulement celles visées par la loi (les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation). Or, durant la phase de médiation, il peut être nécessaire, voire indispensable pour les parties, de produire des pièces (factures, photographies, etc.) pour justifier leurs demandes. Or, la loi n’intègre pas ces pièces dans le champ de la confidentialité. Autrement dit, l’application stricte de la loi devrait conduire à estimer que seules les constatations du médiateur et les déclarations (des parties, des témoins), sont couvertes par le secret et non les autres pièces dont disposent les parties pour se défendre. C’est en ce sens, à notre avis, qu’il faut interpréter l’arrêt commenté.

II. Les principes du procès

A. Le principe du contradictoire

Le principe du contradictoire est, cette année encore, le lieu de litiges récurrents sur la production des pièces et écritures en temps utile. Les solutions sont aujourd’hui bien établies et plusieurs arrêts permettent à la Cour de cassation de rappeler les principes essentiels qui dominent la matière.

La Cour de cassation renvoie l’appréciation du critère du « temps utile » au pouvoir souverain des juges du fond, mais elle contrôle étroitement l’existence d’une motivation. Elle confirme ainsi un arrêt qui a écarté des débats des pièces et conclusions qui ont été communiquées trois heures avant l’audience de plaidoiries, jugeant ainsi que ce comportement était contraire à la loyauté des débats et au principe du contradictoire. La Cour de cassation ajoute que la juridiction du fond n’avait pas à rechercher si la partie en cause avait été en mesure de s’expliquer sur la demande de recherche des écritures et pièces, mais qu’elle devait seulement apprécier si son adversaire avait disposé d’un temps utile pour prendre connaissance de ces documents (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-19.978, F-B N° Lexbase : A14907IZ).

Dans un autre arrêt, la deuxième chambre civile a statué sur la délicate question de la partie qui n’a pas été informée de la date de la clôture (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-10.744, FS-B N° Lexbase : A91838XE). Au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) N° Lexbase : L7558AIR, la Cour de cassation affirme que « des conclusions déposées après l'ordonnance de clôture ne peuvent être déclarées irrecevables lorsque leur auteur n'a pas été préalablement informé de la date à laquelle celle-ci devait être rendue. » Toutefois, c’est à la partie qui a remis ces conclusions après la clôture qu’il appartient de solliciter la révocation de l’ordonnance. Ainsi, la Cour précise que le juge n’est pas tenu de vérifier d’office que les parties ont été avisées de la date de clôture.

Dans une situation plus ordinaire, un arrêt rendu le 19 mai 2022 rappelle que l’obligation de communiquer les pièces simultanément aux conclusions dans la procédure écrite devant la cour d’appel (CPC art. 906 N° Lexbase : L7238LES) n’est assortie d’aucune sanction (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B N° Lexbase : A41057XC). L’obligation de communication simultanée est donc pour le moins fictive et la Cour de cassation se contente de rappeler que le juge est simplement tenu de recherche si les pièces ont été communiquées en temps utile. Ce principe s’applique, même dans la procédure à bref délai de l’article 905-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7035LEB.

En dernier lieu, la Cour de cassation rappelle une règle bien connue, selon laquelle le juge qui constate que des pièces visées par une partie ne figurent pas au dossier, ne peut fonder sa décision sur cette absence de pièce. Le principe du contradictoire, qui s’impose au juge, oblige ce dernier à provoquer l’explication de la partie qui a oublié de produire ces pièces en justice, notamment lorsque la communication des pièces à l’adversaire n’a pas été contestée par ce dernier (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-12.190, F-B N° Lexbase : A792974G).

B. Le principe de concentration

Plusieurs années après sa consécration par l’Assemblée plénière, le principe de concentration est encore marqué par une forte ambiguïté [1]. Deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile illustrent ce phénomène qui conduit la Cour de cassation à osciller entre une conception stricte du principe, ne visant que l’obligation pour une partie de concentrer tous ses moyens dans une même instance, et la conception large du principe, qui réside dans l’obligation de concentrer également les défenses qui sont liées par une même « cause » (Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-13.266, FS-P+B+I N° Lexbase : A7685D87). Cette évolution, initiée par la première chambre civile, a rencontré un temps la résistance de la deuxième (Cf. ÉTUDE : Les principes directeurs du procés civil, § Principe de concentration des demandes, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E026703B). Puis, on a eu l’impression d’un revirement de jurisprudence, lorsque cette même deuxième chambre a jugé qu’une caution ne pouvait solliciter dans une première instance des délais de paiement et agir par la suite contre la banque en responsabilité, car cette action tendait à remettre en cause une condamnation irrévocable à payer les sommes dues au titre du cautionnement (Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-11.706, F-B N° Lexbase : A20304YT). Deux arrêts rendus le 19 mai 2022 par la deuxième chambre civile entretiennent à nouveau la confusion. Dans la première espèce (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 20-21.585, F-B N° Lexbase : A41147XN), les héritiers d’un artiste avaient engagé une première action contre un marchant d’art en lui reprochant d’avoir vendu trois tableaux de l’artiste en violation du contrat de dépôt. Puis, une seconde action était dirigée contre le même marchant, portant cette fois sur la responsabilité de ce dernier dans la dégradation d’un autre tableau. La deuxième chambre affirme alors, comme elle l’a fait par le passé que « s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ». La solution s’entend ici aisément, car on voit mal comment les deux demandes auraient pu être liées entre elles. Dans la seconde espèce (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-13.062, F-B N° Lexbase : A41127XL), les faits étaient plus ambigus, puisqu’un créancier avait agi une première fois pour obtenir la condamnation conjointe de deux débiteurs et qu’il exerçait une seconde action contre l’un d’entre eux pour obtenir une condamnation solidaire. Les deux prétentions étaient, certes, différentes, mais elles portaient sur la même créance. Ici, la différence entre la notion de moyen et celle de prétention apparaissait ténue. Dans son arrêt, la Cour de cassation affirme qu’il appartenait au créancier de solliciter, dès la première instance, la condamnation solidaire des débiteurs.

Le louvoiement de la Cour de cassation à l’égard du principe de concentration est le signe d’un changement profond dans l’esprit de la procédure civile. Les parties ne disposent plus du litige, comme c’était le cas à l’origine du nouveau Code de procédure civile. Prises par l’impératif d’efficacité de la justice, elles doivent concentrer dans une même instance toutes les stratégies qui peuvent soutenir leur action. Ce faisant, cette nouvelle conception du procès remet en cause la traditionnelle distinction entre les prétentions et les moyens et la Cour de cassation peine à trouver une ligne de démarcation claire pour discerner ce qui doit être concentré et ce qui échappe à cette obligation.

C. Le principe de collégialité

Définir la collégialité comme un principe de procédure est osé, tant les prétoires ont été envahis par les juges uniques.

Toutefois, un arrêt récent de la Chambre commerciale vient nous rappeler l’importance du droit à la collégialité, dont bénéficient les parties devant certaines juridictions (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 20-22.099, F-B N° Lexbase : A50778Q4). Cette affaire concernait une procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel. L’article 945-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1034H43 dispose à cet égard que le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. En l’espèce, l’appelant avait formulé, au moment de l’audience de plaidoiries, un renvoi en audience collégiale. Ce renvoi avait été rejeté au motif que les parties avaient été avisées au moment de la fixation, que l’affaire serait inscrite au rôle devant le magistrat rapporteur. Les juges d’appel ajoutaient que la demande de renvoi se heurtait au principe de loyauté. Entre d’autres termes, ils reprochaient à la partie de formuler cette demande par surprise. L’arrêt est cassé et la Cour de cassation affirme de façon générale qu’une partie ne peut être privée de son droit à ce que l'affaire soit débattue en audience collégiale. Elle précise ensuite que l’opposition d’une partie à la tenue de l’audience devant le juge rapporteur peut être présentée le jour même de l’audience. Le principe du droit à l’audience collégiale prend ici toute sa mesure, et constitue un ultime rempart contre l’extension du juge unique.

III. La preuve

Plusieurs arrêts rendus en 2022 reviennent sur les grandes questions contemporaines qui intéressent le droit de la preuve civile. Il s’agit en particulier des décisions qui ordonnent des mesures d’instruction et des droits antinomiques qui peuvent être atteints par ces mesures probatoires.

A . Droit à la preuve et demande d’une mesure d’instruction – un contrôle étroit de la Cour de cassation

Après avoir été formulé initialement à propos d’une offre de preuve (détenue par une partie), le droit à la preuve concerne désormais les demandes de preuves formulées par les parties. À cet égard, un contentieux se développe particulièrement dans le domaine des activités de concurrence déloyale. Pour établir les agissements illicites de concurrents, les entreprises qui s’estiment victimes de ces agissements ont fréquemment recours à l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 qui permet d’obtenir des preuves sur requête avant tout procès. La Cour de cassation définit le cadre de cette demande de preuve en prenant en compte d’une part le droit à la preuve et, d’autre part, la nécessité de respecter le secret des affaires. Elle fixe pour cela un double impératif qui s’impose aux juges du fond : la mesure doit être circonscrite dans le temps et dans son objet. À cet égard, les juges du fond doivent être particulièrement attentifs à la formulation de la décision qui ordonne la mesure d’instruction. Ainsi dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 24 mars 2022 (Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-21.925, F-B N° Lexbase : A27717R3) une société avait sollicité sur requête une mesure d’instruction pour des faits de parasitisme, détournement de clientèle, débauchage de personnel commis par une entreprise créée par un ancien salarié. L’ordonnance autorisant une telle mesure avait été rétractée en appel, au motif que par sa formulation, la décision permettait à l’huissier d’accéder à des informations se rapportant à l’intégralité de l’activité de l’entreprise. Cette décision est cassée et l’espèce permet à la Cour de cassation de préciser la portée de sa jurisprudence. En effet, la haute juridiction affirme que l’huissier était autorisé à appréhender des documents à partir de mots-clés prédéfinis, soit encore à partir de mots-clés renvoyant aux marques, produits et couleurs utilisés par la société requérante, à ses fournisseurs et à ses collaborateurs. Par ailleurs, la Cour de cassation constate que la mesure était circonscrite dans le temps (entre le 4 février et le 9 juillet 2014). Elle en déduit que l’ordonnance instituait des « mesures légalement admissibles proportionnées à l’objectif poursuivi ». L’arrêt est riche en enseignement, notamment car il fait suite à une autre décision rendue dans un contentieux similaire, dans lequel la Cour de cassation avait jugé que les mots-clés « Google », « accord », « entente » et « salariés » étaient génériques et ne permettaient pas de circonscrire la mesure (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR). Au contraire, dans l’arrêt commenté, les mots-clés faisant référence à des marques ont été jugés suffisamment précis. On mesure ici, non seulement la précision qui s’impose aux juges de l’article 145 du Code de procédure civile, mais également l’étroitesse du contrôle que la Cour de cassation exerce sur les décisions des juridictions du fond lorsqu’il s’agit d’apprécier l’opportunité et la licéité de ces demandes de preuve.

B. Pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction

Dans un arrêt du 14 avril, la deuxième chambre civile vient dire à nouveau que l’appréciation de l’utilité d’une mesure d’instruction relève du pouvoir discrétionnaire du juge (Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.578, F-B N° Lexbase : A44717TR). Cette formule, presque sibylline, semble s’inscrire dans un mouvement jurisprudentiel bien établi. En réalité, elle révèle une certaine inconstance de la deuxième chambre civile, et surtout, elle laisse perdurer une conception dépassée du droit de la preuve.

L’inconstance provient du fait que la Cour de cassation varie sur la nature du pouvoir confié aux juges du fond (souverain ou discrétionnaire). Elle a ainsi reconnu un pouvoir souverain de ne pas ordonner une expertise (Cass. civ. 1, 9 septembre 2015, n° 14-15.957, F-P+B N° Lexbase : A9376NNL) ou un complément d’expertise (Cass. civ. 2, 26 juin 2008, n° 07-13.875, FS-P+B+R N° Lexbase : A3655D9A), mais elle a aussi reconnu par le passé que ce pouvoir pouvait être discrétionnaire (Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 02-18.838, F-D N° Lexbase : A8343DBM). Or, la distinction entre pouvoir souverain et pouvoir discrétionnaire est bien connue. Le premier s’exerce à condition que le juge motive sa décision, alors que le second échappe à toute exigence de motivation.

La conception traditionnelle que traduisent ces arrêts tranche avec la reconnaissance plus récente d’un droit à la preuve au bénéfice des parties. Ce droit oblige le juge à procéder à un examen d’utilité de la preuve et de proportionnalité vis-à-vis de droits antinomiques en présence (par ex. Cass. soc. 16 novembre 2016, n°15-17.163, F-D N° Lexbase : A2420SIH). La Cour affirme ainsi que le juge doit rechercher si la mesure d’instruction sollicitée n’est pas « nécessaire » ou « indispensable » à l’exercice du droit à la preuve. Si la Cour de cassation ne précise pas dans ces arrêts ce qu’elle entend par « nécessaire » ou « indispensable », il n’en reste pas moins qu’elle attend du juge qu’il s’expliquer avec précision sur la raison qui le conduit à admettre ou rejeter une mesure d’instruction, notamment dans les contentieux dans lesquels une telle mesure serait de nature à porter atteinte aux droits d’autrui (droit au respect de la vie privée, droit au secret des affaires, etc.). Cette conception rénovée du droit de la preuve n’est pas compatible avec le maintien d’un pouvoir discrétionnaire.

C. Intrusion dans le disque dur personnel d’un salarié par un concurrent de l’employeur

Il y a quelques années, le débat entre le droit au respect de la vie privée des salariés et le droit de l’employeur de contrôler leur activité s’est soldé par un compromis, qui permet à l’employeur d’accéder aux fichiers professionnels du salarié. À cet égard, la Cour de cassation a institué une présomption de caractère professionnel des fichiers lorsqu’ils sont contenus sur un support fourni par l’employeur (ordinateur, disque dur, etc. - Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B N° Lexbase : A0485I8H). La question s’est posée à nouveau dans un contexte différent. À la demande d’une société commerciale, un juge avait ordonné sur requête qu’un huissier réalise une mesure d’instruction au sein d’une entreprise concurrente. A cet effet, l’huissier avec consulté le contenu de l’ordinateur d’un des salariés de cette société et il avait également appréhendé le contenu d’un disque dur qui appartenait au salarié. La question qui se posait dans cette espèce était de savoir si la présomption de caractère professionnel des fichiers informatiques était cantonnée aux relations entre employeur et employés, ou si elle avait une portée plus générale. La Cour de cassation opte pour la portée générale (Cass. civ.2, 30 juin 2022, n° 21-10.276, F-D N° Lexbase : A215879S). Elle affirme ainsi que le disque dur était relié à l’ordinateur professionnel du salarié et que l’huissier de justice « n’avait fait qu’appréhender des documents réputés être de nature professionnelle ». Il appartenait donc au salarié (ou à son employeur) de démontrer que « des documents strictement personnels auraient été saisis ». On déduit de cet arrêt que la présomption de caractère professionnel des fichiers ou des supports utilisés par un salarié n’est pas une règle qui découle du pouvoir de contrôle de l’employeur. Il s’agit d’une présomption attachée au fait qu’en général, le salarié utilise du matériel professionnel dans l’exercice de son activité professionnelle.

D. Mesures d’instruction in futurum sur requête : la motivation doit être circonstanciée

Nous signalons ce dernier arrêt intéressant (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-22.349, F-B N° Lexbase : A24687P4) dans lequel la deuxième chambre civile revient sur le particularisme de la mesure d’instruction de l’article 145 du Code de procédure civile lorsqu’elle est sollicitée sur requête. Dans cette espèce, le juge ayant ordonné la mesure avait motivé trop succinctement sa décision en affirmant qu’il était « établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable ». Une formule aussi générale n’est pas satisfaisante aux yeux de la Cour de cassation. Cette dernière exige que l’ordonnance énonce « les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement » et elle précise également que ce défaut de motivation ne peut faire l’objet d’une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation.

IV. La communication électronique

L’actualité de la communication électronique, après avoir été très dense, se tarit un peu, signe probable que les difficultés liées à cette communication se réduisent doucement. L’évolution de la jurisprudence traduit d’ailleurs un retour a plus de souplesse (comme nous le verrons plus loin également à propos de l’annexe à la déclaration d’appel).

Un premier arrêt reprend une solution déjà posée selon laquelle « aucune disposition n'impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction et de transmettre, par envois séparés » les différents actes et pièces du dossier (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.423, F-B N° Lexbase : A41047XB). Il s’agissait, en l’espèce, d’une procédure à jour fixe devant la Cour d’appel. Cette procédure relève du régime de la communication électronique obligatoire. Le demandeur avait transmis dans un même envoi l’assignation, ses annexes ainsi que les pièces. La taille de l’envoi dépassait 11 Mo et avait été rejetée par le système informatique. Le plaideur avait alors remis au greffe l’ensemble des documents sur support papier, justifiant de la « cause étrangère » prévue à l’article 930-1 al. 2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7249LE9.  La cour d’appel avait pourtant retenu que les fichiers correspondant à l’assignation et à ses annexes atteignaient 2,8 Mo, et que le dépassement de la taille des fichiers n’était dû qu’au volume représenté par les pièces. De façon implicite, la juridiction du fond considérait que le plaideur aurait dû transmettre dans des envois séparés d’un côté l’assignation et ses annexes, et de l’autre côté les pièces du dossier. C’est cette analyse qui est censurée par la Cour de cassation. Les parties ne sont pas tenues de limiter la tailler de leur envoi, et si les « tuyaux » de communication entre RPVA et RPVJ ne permettent pas de transmettre des fichiers numériques dépassant 4 Mo, cette limitation technique constitue une cause étrangère qui autorise les parties à remettre leurs actes au greffe sur support papier.

Cette souplesse dont fait preuve la deuxième chambre civile peut être rapprochée d’un arrêt récent de la CEDH, qui condamne la France pour le formalisme excessif dans la mise en œuvre de la communication électronique (CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France N° Lexbase : A07327Z7). Dans cette affaire, un plaideur avait exercé un recours en annulation d’une sentence arbitrale devant une cour d’appel, alors que la plate-forme e-barreau ne lui permettait de transmettre ce recours par voie électronique et que ni l’arrêté technique, ni la convention conclue entre le barreau et la cour d’appel de Douai ne mentionnaient le recours en annulation parmi les actes relevant de la communication électronique obligatoire. Le plaideur avait alors remis au greffe les documents liés à ce recours sur support papier. Face à l’impossibilité technique d’exercer le recours par voie électronique et au silence des textes, la cour d’appel jugea que le recours en annulation était recevable. À l’inverse, la Cour de cassation jugea que le recours en annulation d'une sentence arbitrale devait être formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 N° Lexbase : L0916H4P à 930-1 du Code de procédure civile, laquelle imposait une communication électronique. Elle ajouta que les conventions passées entre une cour d’appel et un barreau ne pouvaient déroger aux dispositions de l’article 930-1 du Code de procédure civile (Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I N° Lexbase : A7137ZPZ).

L’affaire fut portée devant la CEDH, au motif que la décision de la Cour de cassation portait atteinte au droit au procès équitable et en particulier le droit d’accès au juge. En particulier, le requérant faisait valoir devant la Cour européenne l’impossibilité matérielle de saisir son recours sur la plate-forme e-barreaux. Plus précisément, pour utiliser la voie électronique, ce dernier aurait dû utiliser des « notions juridiques impropres ». La Cour relève également que l’article 930-1 al. 2 CPC semblait autoriser l’usage du support papier à titre exceptionnel. Elle conclut en affirmant que le requérant ne pouvait être tenu responsable de l’erreur procédurale en cause et qu’« il serait donc excessif de la mettre à sa charge ».

En rappelant sa jurisprudence selon laquelle « les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès », la CEDH juge dans cette affaire que les conséquences qui s’attachent au raisonnement tenu par la Cour de cassation sont particulièrement rigoureuses. En ne tenant pas compte des obstacles pratiques, la haute juridiction française a fait preuve d’un formalisme que la garantie de sécurité juridique n’imposait pas. Ce formalisme doit donc être considéré comme excessif.

Cet arrêt de la CEDH s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle importante, qui cherche à établir un équilibre entre le formalisme justifié par la sécurité juridique et la bonne administration de la justice, et l’excès du même formalisme, susceptible de constituer une entrave injustifiée au droit au juge.

V. Procédure orale

Plusieurs arrêts rendus en 2022 témoignent de la grande souplesse formelle qui règne dans la procédure orale.

En premier lieu, dans un arrêt du 19 mai 2022, la Cour de cassation rappelle que le greffier avise le demandeur par tous moyens, alors que le défendeur, lui est convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-23.249, F-B N° Lexbase : A41067XD). Cette règle, applicable également en appel (CPC, art. 937 N° Lexbase : L1431I8I), a été opposée à un appelant qui alléguait n’avoir pas été touché par sa convocation qui avait été communiquée par lettre simple. La Cour de cassation profite de cette espèce pour préciser que c’est à l’appelant de s’enquérir du sort de l’appel qu’il a interjeté et elle en déduit que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’appelant, absent le jour de l’audience, avait effectivement reçu l’avis.

Cette souplesse dans le formalisme de la procédure dite « orale » s’applique également aux parties. On sait que dans la procédure orale pure, les parties ont la possibilité de saisir le juge de leurs écritures lorsqu’elles sont présentes à l’audience et qu’elles s’y réfèrent expressément (Cf. ÉTUDE : La procédure orale, Les principes applicables à la procédure orale, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E8635B4L).

La question se pose toutefois de savoir quel est le sort de ces écritures, lorsque le juge ordonne des renvois d’audience. Dans un arrêt du 3 février 2022, la deuxième chambre civile rappelle opportunément que « en matière de procédure orale, la cour d'appel demeure saisie des écritures, dont elle constate qu'elles ont été déposées par une partie ayant comparu, même si celle-ci ne comparaît pas, ou ne se fait pas représenter, à l'audience de renvoi pour laquelle elle a été à nouveau convoquée » (Cass. civ. 2, 3 février 2022, n° 20-18.715, F-B N° Lexbase : A32137LL). Concrètement, cela signifie que lorsqu’une partie est présente à une audience et qu’elle se réfère à ses écritures, le juge est saisi par lesdites écritures et la partie est, de fait, dispensée de se présenter à une audience ultérieure. Il s’agit là d’une fausse dispense, puisque la procédure ne bascule pas dans sa forme « orale /écrite » (CPC, art.  446-1, al. 2 N° Lexbase : L1138INH), mais l’effet est le même.

On trouve à nouveau une illustration du formalisme atténué de la procédure orale à propos des demandes additionnelles dans un arrêt rendu le 19 octobre 2022 (Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-13.060, FS-B N° Lexbase : A01988QE). En l’espèce, un salarié avait formulé des demandes additionnelles relatives à des notes de frais et des rappels de salaire. Ces demandes avaient été présentées dans des conclusions écrites soutenues oralement et déposées le jour de l’audience. Son adversaire alléguait que ces demandes additionnelles étaient irrecevables, car elles n’avaient pas été présentées dans la requête initiale. Cette espèce soulevait une question technique résultant du caractère mixte de la procédure orale lorsque les parties sont toutes assistées ou représentées par un avocat et que les demandes sont formulées par écrit. Le Code du travail impose alors aux parties de récapituler ces demandes sous forme de dispositifs dans les dernières conclusions (C. trav. art. R. 1453-5 N° Lexbase : L2615K8D). Il s’agit ici d’imposer aux parties le formalisme des conclusions récapitulatives et structurées. La question qui se posait dans cette espèce était de savoir comment concilier la souplesse de la procédure orale, qui permet de présenter des prétentions à l’audience, et le formalisme des écritures. La chambre sociale affirme ainsi que « la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat ». Autrement dit, le formalisme des écritures n’empêche pas le requérant assisté d’un avocat de présenter le jour de l’audience des demandes additionnelles, à condition que ces demandes figurent dans le dispositif du dernier jeu de conclusions et qu’elles soient soutenues à l’audience.

VI. Appel

Comme chaque année, la jurisprudence sur la procédure devant la cour d’appel s’avère très fournie. L’année 2022 a été marquée par la saga de l’annexe à la déclaration d’appel, dont nous rappellerons les grandes lignes, pour nous concentrer ensuite sur les autres nouveautés.

A. La saga de l’annexe à la déclaration d’appel

Cette saga débute bien avant l’année 2022, puisqu’elle est concomitante à la réforme de 2017 qui a imposé aux plaideurs de préciser dans leur déclaration d’appel l’ensemble des chefs de jugements critiqués. Une difficulté technique s’est vite présentée, puisque la plate-forme e-barreaux ne permettait pas d’inscrire dans le message de la déclaration d’appel plus de 4080 caractères. Incités par une circulaire ministérielle, les avocats avaient développé la pratique de l’annexe à la déclaration d’appel. Toutefois, l’usage de cette annexe était peu réglementé, de sorte que cette technique fut utilisée de façon parfois systématique, même lorsque les chefs de jugements critiqués ne dépassaient pas le volume des 4 080 caractères. C’est cette situation qui a donné lieu à l’arrêt du 13 janvier 2022, dans lequel la deuxième chambre civile limitait le recours à l’annexe aux « cas d’empêchement technique » (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU). Cette décision posait donc une contrainte formelle nouvelle, à laquelle s’ajoutait une certaine confusion. En effet, l’annexe était autorisée pour « compléter » la déclaration d’appel dans le cas d’un empêchement technique. Il fallait donc comprendre que les chefs de jugements devaient être inscrits par priorité dans la déclaration d’appel et pour le surplus dans l’annexe, situation qui apparaissait quelque peu ubuesque.

Souhaitant résoudre cette difficulté, le gouvernement profita du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 N° Lexbase : L5564MBP (d’application de la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire) pour modifier l’article 901 du Code de procédure civile en précisant que « la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe ». En réalité, ce texte n’apportait aucune précision utile, puisqu’il ne remettait pas en cause la règle selon laquelle l’annexe était réservée à l’hypothèse de l’empêchement technique.

La délivrance est arrivée de l’avis rendu par la deuxième chambre civile le 8 juillet 2022. La Cour de cassation affirme sans ambiguïté qu’une « interprétation téléologique du décret aboutit à considérer que cet ajout vise à permettre l'usage de l'annexe, même en l'absence d'empêchement technique ». Elle en déduit que « qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du Code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction et ce, même en l'absence d'empêchement technique ». Par ailleurs, le décret du 25 février 2022, tel qu’interprété par l’avis, est jugé applicable immédiatement aux instances en cours, même lorsque la déclaration d’appel est antérieure à son entrée en vigueur (pourvu que cette déclaration n’ait pas été annulée). L’avis du 8 juillet 2022 (Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B N° Lexbase : A72698AH ne constitue pas l’épilogue de cette saga. En effet, dans un arrêt du 12 janvier 2023, la Cour de cassation a dû préciser les règles d’application dans le temps du décret du 25 février 2022 en présence d’un pourvoi en cassation. Elle a ainsi affirmé que l'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel, prend fin avec l'arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte. En d’autres termes, le décret du 25 février 2022 s’applique aux instances en cours devant la cour d’appel, mais pas aux instances qui se sont achevées par une décision de la cour d’appel avant cette date et qui ont ensuite fait l’objet d’un pourvoi en cassation (Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 21-16.804, FS-B N° Lexbase : A646887P).

B. Formalisme de la déclaration d’appel et effet dévolutif

Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL relatif à l’appel en matière civile a transformé l’effet dévolutif de la déclaration d’appel en imposant aux plaideurs de mentionner les chefs du jugement critiqué. Par la suite, la Cour de cassation a dû préciser quelles étaient les conséquences d’une déclaration irrégulière. Plusieurs arrêts rendus en 2022 viennent rappeler les différents principes applicables en la matière :

- l’indication des chefs de jugement critiquées est une formalité requise à peine de nullité. La première sanction est donc celle qui concerne les irrégularités de forme. Elle ne peut être encourue qu’à la condition de démontrer l’existence d’un grief.

- la nécessité d’établir un grief rend la sanction de la nullité peu efficace, puisque l’intimé ne subit, en réalité, aucun préjudice lié à cette irrégularité. La Cour de cassation affirme ainsi, de façon constante, que lorsque la déclaration d’appel ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, « l’effet dévolutif n’opère pas » et ce, même si la déclaration d’appel n’a pas été annulée. La cour d’appel n’est donc saisie d’aucune demande (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG).

- toutefois, s’agissant d’un vice de forme, la déclaration d’appel peut être régularisée. Elle doit l’être, non pas par des conclusions ou par un simple message RPVA de l’appelant, mais uniquement par une nouvelle déclaration d’appel dans le délai imparti à l’appelant pour conclure (Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-12.720, F-B N° Lexbase : A8574783).

- enfin, la Cour de cassation précise que seule la cour d’appel dans sa formation collégiale a le pouvoir de statuer sur l’absence d’effet dévolutif. A contrario, le conseiller de la mise en état, dont la compétence est limitativement définie par le code de procédure civile, ne dispose pas du pouvoir pour se prononcer sur l’effet dévolutif de l’appel (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B).

C. L’effet dévolutif dans la procédure sans représentation obligatoire

La Cour de cassation reconnaît la spécificité de la procédure sans représentation obligatoire. Le formalisme rigoureux de la déclaration d’appel ne correspond pas à cette procédure ouverte à tous les justiciables. Dans un important arrêt dont la motivation est enrichie, la deuxième chambre civile a affirmé « qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement » (Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B N° Lexbase : A857378Z). La solution s’éloigne de la lettre de l’article 562 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM, qui s’applique dans les procédures avec et sans représentation obligatoire. Toutefois, la Cour de cassation est ici sensible au risque de l’excès de formalisme et donc de condamnation par la CEDH. Elle motive donc sa décision en expliquant qu’un « tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive ».

La formulation de l’arrêt est suffisamment générale pour s’étendre à l’hypothèse dans laquelle l’appelant serait tout de même assisté ou représenté par un avocat. Cette analyse est confirmée par un arrêt du 29 septembre 2022, dans lequel la Haute juridiction précise que lorsque la déclaration omet les chefs de jugement critiqués, la dévolution s’opère pour le tout « y compris lorsque les parties ont choisi d'être assistées ou représentées par un avocat » (Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456, FS-B N° Lexbase : A34268LH).

Enfin, pour ajouter à la souplesse de la procédure sans représentation obligatoire, la Cour de cassation admet que l’appel doit être considéré comme total, même si la déclaration omet de préciser que l’appel tend à l’annulation ou à la réformation du jugement (même arrêt).

D. Formalisme des écritures

Le formalisme des écritures en appel traduit la technicité de cette procédure. À cet égard, la structuration des écritures doit se combiner avec les règles sur l’effet dévolutif de l’appel. Une charte de présentation des écritures vient d’ailleurs d’être publiée le 30 janvier 2023 sur le site de la Cour de cassation pour guider les plaideurs dans cet exercice délicat [en ligne]. Cette volonté de pédagogie s’accorde avec une tendance vers un formalisme allégé en la matière.

Dans un arrêt du 3 mars 2022, la Cour de cassation revient sur le dispositif des conclusions de l’appelant. On se souvient qu’elle avait imposé, à plusieurs reprises (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA ; 1er juillet 2021, n° 20-10.694 N° Lexbase : A20054YW) que l’appelant demande, dans le dispositif de ses conclusions, soit l’infirmation, soit l’annulation du jugement. À défaut, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. Une cour d’appel a cru pouvoir ajouter à ce formalisme déjà très précis, l’obligation de reprendre dans le dispositif l’énoncé des chefs de jugement dont l’infirmation était demandée. La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Au contraire, elle juge que l’appelant n’est pas tenu de reprendre dans le dispositif les chefs de jugement dont il demande l’infirmation (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B N° Lexbase : A24677P3).

La Cour de cassation vient aussi préciser que le défaut de mention d’une demande d’annulation ou d’infirmation dans le dispositif des conclusions peut être sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel. Cette sanction peut être prononcée, à la demande d’une partie, soit par le conseiller de la mise en état, soit par la cour d’appel statuant sur déféré (Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B N° Lexbase : A34038LM).

D’autres arrêts traduisent une certaine souplesse dans le formalisme des écritures. Par exemple, si aux termes de l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED, les conclusions doivent comprendre une discussion des prétentions et des moyens, les dispositions de cet article « n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d'appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé “discussion’’. La Cour de cassation impose seulement que « ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions » (Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B N° Lexbase : A24628HN). Dans le même esprit, la Cour affirme que sont recevables, des conclusions adressées à la cour, mais qui comportent dans leur dispositif une référence erronée au conseiller de la mise en état, dès lors que ces conclusions contiennent une demande de réformation, ainsi que des prétention et moyen de fond (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT).

E. Le formalisme devant la cour d’appel et le défenseur syndical

La place du défenseur syndical dans la procédure civile crée de nouvelles difficultés liées à son statut mixte. En effet, d’un côté, le défenseur syndical reçoit une formation pour représenter ou assister les parties dans la conduite du procès, mais d’un autre côté, le défenseur syndical n’est pas un professionnel du droit et, à ce titre, il ne maîtrise pas toujours l’ensemble des finesses liées à la complexité de la procédure devant la cour d’appel et à l’évolution de la jurisprudence. Par ailleurs, il n’a pas accès aux outils de communication électronique sécurisés, tel que le RPVA et il doit transmettre ses actes, soit par remise au greffe, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Ce particularisme de la situation du défenseur syndical a donné lieu à deux arrêts importants rendus le 8 décembre 2022.

Le premier arrêt concernait la question désormais classique d’une déclaration d’appel dépourvue des chefs de jugement critiqués. Cette déclaration avait été formée par un défenseur syndical et elle avait été sanctionnée par le constat d’une absence d’effet dévolutif de l’appel. Dans son pourvoi, la partie déboutée de son appel invoquait le particularisme des circonstances de l’espèce, qui tenait au fait qu’elle n’était pas représentée par un professionnel du droit. Elle reprochait ainsi à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si le formalisme procédural qui lui était imposé ne portait pas atteinte à son droit d’accès au juge. La Cour de cassation rejette cette argumentation (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.186, FS-B+R N° Lexbase : A91828XD). Elle affirme au contraire que s’il n’est pas un professionnel du droit, le défenseur syndical « n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1 Conv. EDH ».

Le second arrêt concernait les modalités de la communication du défenseur syndical. Le moyen du pourvoi invoquait une rupture de l’égalité des armes résultant du fait que le défenseur syndical n’avait pas accès aux outils de communication électronique rapide dont bénéficiaient les avocats. En particulier, était en cause l’impossibilité pour le défenseur syndical d’utiliser le courriel ou la télécopie. À nouveau, la Cour de cassation rejette le pourvoi (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.487, FS-B N° Lexbase : A10298YR) en affirmant que les modalités de transmission des actes par le défenseur syndical « ne crée pas de rupture dans l'égalité des armes, dès lors qu'il n'en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l'impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique ».

Ces deux arrêts tranchent avec la jurisprudence adoptée dans la procédure sans représentation obligatoire. En effet, vis-à-vis du défenseur syndical, la Cour de cassation exige le respect du formalisme tel qu’il est énoncé par le Code de procédure civile. La deuxième chambre civile suit ainsi une certaine cohérence, qui consiste à établir une ligne de démarcation entre les procédures avec et sans représentation obligatoire. Les premières étant très formelles, même à l’égard du défenseur syndical, les secondes étant moins formelles, même à l’égard de la partie représentée ou assistée par un avocat.

Nous signalons également quelques décisions importantes rendues en 2022 :

  • 5 arrêts rendus le 9 juin 2022 ayant fait l’objet d’un panorama Lexbase, portant notamment sur l’indivisibilité du litige et la déclaration d’appel (Y. Joseph-Ratineau, Panorama de jurisprudence : remettre toujours le métier sur l’ouvrage, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 912  N° Lexbase : N1989BZP) ;
  • les délais pour conclure de l’intimé à l’occasion d’un appel incident ultérieurement formé par une autre partie (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-15.827, FS-B N° Lexbase : A793174I);
  • l’autorisation d’un appel réitéré (un nouvel appel principal) lorsque la caducité a été prononcée sur le fondement de l’article 85 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1423LGS (appel sur la compétence) (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.422, F-B N° Lexbase : A41117XK);
  • la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel en matière d’évolution du litige (Cass. avis, 11 octobre 2022, n° 22-70.010, FS-B N° Lexbase : A40718N4).
 

[1] Cf. M. Mignot, Concentration des moyens et des prétentions : le grand désordre ! JCP G, 2022, 875.

newsid:484271