La lettre juridique n°929 du 5 janvier 2023 : Sociétés

[Jurisprudence] Le cadre légal relatif aux clauses statutaires d’exclusion au sein de la SAS est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1029 QPC, du 9 décembre 2022 N° Lexbase : A02288Y4

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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

le 04 Janvier 2023

Mots-clés : société par actions simplifiée • associé • exclusion • clause statutaire • cadre légal • conformité à la constitution (oui).

Le premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce, en ce qu’il dispose que les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, et le second alinéa de l’article L. 227-19 du même code, en ce qu’il retient que de telles clauses d’exclusion peuvent être adoptées ou modifiées par une décision prise collectivement par les associés selon les conditions et formes prévues par les statuts, sont conformes à la Constitution.


Les possibilités offertes, par le régime normatif applicable aux sociétés par actions simplifiées, d’insérer dans les statuts des clauses qui prévoient qu’un associé peut être tenu de céder les actions qu’il détient, participent certainement de l’attractivité de cette forme de société. Le caractère contraignant, voire brutal, pour l’associé qui serait ainsi visé par une décision d’exclusion, prise en application des telles clauses statutaires, pouvait toutefois être diversement apprécié et même conduire, le cas échéant, à faire hésiter certains investisseurs à s’intégrer dans cette structure sociétaire avec le risque de devoir la quitter contre leur gré.

C’est une étape importante, si ce n’est décisive, qui est franchie par la décision du Conseil constitutionnel, en date du 9 décembre 2022 [1]. Une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise, le 12 octobre 2022, par la Cour de cassation [2] pour l’examen de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, et spécifiquement au regard des articles 2 N° Lexbase : L1366A9H et 17 N° Lexbase : L1364A9E de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, du premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce N° Lexbase : L6171AIE et du second alinéa de l’article L. 227-19 du même code N° Lexbase : L2386LRS. On rappellera que le premier texte visé dispose que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions » et, qu’au regard de la rédaction du second, issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 N° Lexbase : L1638LR4, de telles clauses peuvent être adoptées ou modifiées par une décision prise collectivement par les associés « dans les conditions et formes prévues par les statuts », ce qui aboutit à ce que, l’unanimité pouvant être écartée, un associé se trouve exclu en application d’une clause à laquelle il n’a pas donné son consentement.

C’est en considération de l’atteinte, éventuelle, au droit de propriété, tel qu’il est garanti par les articles précités de la Déclaration de 1789, que les textes du Code de commerce sont soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel.

Par sa décision du 9 décembre 2022, le juge constitutionnel vient déclarer que les dispositions en cause sont « conformes à la Constitution », apportant ainsi, par l’autorité attachée à l’institution, un renfort significatif pour la permanence de l’usage du cadre législatif propre aux SAS à propos des clauses statutaires d’exclusion.

Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil constitutionnel suit un cheminement en cinq étapes qui doivent être suivies pour tenter de mesurer la pertinence et la portée de sa décision. Il faut, en effet, relever que si les positions exprimées à propos de chacun des points soumis à son appréciation conduisent à la validation du dispositif relatif aux SAS, elles forment autant de conditions qui doivent être remplies, dans chaque société qui en ferait usage, pour pouvoir en invoquer le bénéfice.

I. La clause d’exclusion n’est pas « une privation de propriété »

La première étape suivie par le Conseil constitutionnel, dans son raisonnement devant le conduire à déclarer conformes à la Constitution les dispositions du Code de commerce en cause, apparaît comme la plus difficile à analyser. Le juge constitutionnel expose, d’abord, que ces dispositions « ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire », ce qui relève de la simple constatation d’évidence. Ensuite, toujours sur le même registre de l’évidence, le Conseil constitutionnel relève qu’ « il en résulte qu’un associé peut être contraint de céder ses actions ». La conclusion qu’en tire le juge constitutionnel apparaît pour autant déroutante lorsqu’il retient que les dispositions visées n’entraînent pas « une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ».

On rappellera que le libellé de ce texte proclame que la propriété est « un droit inviolable et sacré » et que « nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Or, dans le cas de la mise en œuvre d’une clause d’exclusion, l’associé visé se trouve bien dépossédé de la propriété des actions qu’il détenait ; il en est effectivement « privé » ; il était propriétaire d’actions et, par l’effet de son exclusion, il ne le sera plus.

On regrettera que, sur un point aussi sensible, le juge constitutionnel se limite à faire usage de la conjonction de coordination « donc » qui, si elle peut être employée dans une démarche de démonstration, amenant la conséquence de ce qui précède, ne saurait se substituer aux arguments préalablement exposés et qui conduisent à la conclusion du raisonnement, annoncée par ladite conjonction. On se surprend à espérer que les étudiants des facultés de droit n’imiteront pas trop le Conseil constitutionnel quand il s’agira de développer une démonstration, en se contentant de recourir à un « donc », sans doute fort commode, mais un peu insuffisant pour emporter la conviction de la valeur de la position avancée. En l’espèce, eu égard au respect dû vis-à-vis de l’institution, on prendra comme acquis que les dispositions relatives aux clauses statutaires d’exclusion, applicables aux SAS, n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789.

II. La clause d’exclusion poursuit un « objectif d’intérêt général »

Pour retenir que, par les dispositions visées, le législateur a poursuivi « un intérêt général », le Conseil constitutionnel retient plusieurs éléments d’appréciation.

En premier lieu, il est relevé qu’en permettant à une SAS de contraindre un associé à céder ses actions, « le législateur a entendu garantir la cohésion de son actionnariat et assurer ainsi la poursuite de son activité ». La remarque est certainement judicieuse au regard de l’usage qui est fait des clauses d’exclusion. Par ce moyen juridique, légalement validé, les associés peuvent imposer à l’un d’entre eux de quitter la société, permettant ainsi que, dans l’entre-soi des associés subsistants, la continuité de l’activité de la société puisse avoir lieu telle qu’elle leur convient, sans devoir subir la présence de l’associé qui, par ses prises de position et l’exercice des droits attachés à sa qualité, pouvait être perçu comme un gêneur.

En second lieu, le juge constitutionnel fait état de ce que, lors de l’adoption de la loi du 19 juillet 2019, qui a permis que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion puisse être décidée sans recueillir l’unanimité des associés, le législateur a entendu éviter « des situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à une telle clause ». Effectivement, la réforme de 2019 a bien été présentée, et adoptée, pour empêcher qu’un associé puisse faire obstacle, par son vote hostile à l’insertion de la clause dans les statuts, à ce qu’il soit lui-même, le cas échéant, visé par ladite clause. Le constat sur lequel se fonde le Conseil constitutionnel est avéré et ne semble guère pouvoir être contesté. On notera, toutefois, qu’en considérant que, ce faisant, le législateur a poursuivi un « objectif d’intérêt général », le juge constitutionnel retient une conception assez accueillante de l’intérêt général, puisque, selon les hypothèses, l’intérêt qui sera satisfait par une clause d’exclusion, adoptée sans exigence d’unanimité, pourrait bien être seulement celui d’un seul coassocié majoritaire qui, par l’insertion de la clause statutaire, va pouvoir se débarrasser de son associé. Dans la famille des intérêts préservés, on a sans doute vu plus « général », mais puisque le juge constitutionnel dit qu’il en est ainsi, on est tenu de le croire.  

III. La clause d’exclusion doit stipuler le motif invoqué

Sans doute ce troisième point invoqué par le Conseil constitutionnel est-il celui qui repose sur un argumentaire de droit des sociétés plus technique et, en définitive, plus sensible. La décision analysée fait état de ce qu’il résulterait « de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts » et ajoute que cette décision « doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive ».

L’aspect tenant à l’exigence d’une précision contenue dans les statuts du motif susceptible d’être invoqué pour justifier la décision d’exclure un associé ne manquera pas de susciter des interrogations. En effet, par un arrêt en date du 9 novembre 2022 [3], la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient justement de juger qu’est licite une clause, figurant dans les statuts d’une SARL à capital variable, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d’exclusion. Sur ce point, le caractère constant de la position jurisprudentielle de la Haute juridiction, sur lequel le Conseil constitutionnel s’appuie, est douteux, tout au moins au regard de la généralité de la formulation.

Sans doute faut-il alors retenir que, pour le juge constitutionnel, le principe doit demeurer d’une identification préalable dans la clause statutaire des motifs susceptibles de justifier une décision d’exclusion et que la position adoptée, dans l’arrêt précité, ne constitue d’une exception admise pour les seules sociétés à capital variable. En toute hypothèse, en ce qui concerne les SAS, il ne sera désormais plus possible d’invoquer l’extension de la position adoptée pour les sociétés à capital variable, sauf à perdre le bénéfice de la conformité à la Constitution du cadre légal. Les statuts d’une SAS devront comporter les motifs d’exclusion qui pourront être repris pour valider une décision d’exclusion d’un associé. Les praticiens sont prévenus.

En relevant, en outre, que la décision d’exclusion d’un associé ne doit pas être « abusive », le Conseil constitutionnel renvoie vers la position traditionnelle de la Cour de cassation, initiée par un arrêt en date du 21 octobre 1997 [4], selon laquelle « il appartient aux tribunaux, quand ils en sont saisis, de vérifier que l’exclusion n’est pas abusive ». Pour le juge constitutionnel, il s’agit-là d’un point essentiel dans la démarche aboutissant à déclarer conforme à la Constitution les dispositions du Code de commerce soumises à son appréciation. Non seulement la cause invoquée doit avoir été prévue dans la clause statutaire, mais elle doit correspondre à la réalité des circonstances et ne pas masquer une autre raison d’exclusion. Le contrôle judiciaire d’un éventuel abus de droit dans la mise en œuvre d’une clause d’exclusion participe de son acceptabilité normative.  

IV. L’exclusion impose le rachat des actions

Le paramètre financier lié à l’exclusion d’un associé est logiquement pris en compte par le Conseil constitutionnel dans sa démarche visant à déclarer conforme à la Constitution le dispositif légal relatif aux clauses d’exclusion au sein des SAS.

Le juge constitutionnel se réfère opportunément à l’article L. 227-18 du Code de commerce N° Lexbase : L6173AIH qui est consacré à la détermination du prix auquel sera effectuée la cession forcée des actions détenues par l’associé exclu. Ce renvoi vers le cadre normatif établi pour la détermination du prix des actions est important en ce qu’il doit attirer l’attention des praticiens sur les options qu’il ouvre et la nécessité de prendre, à leur propos, les décisions les plus pertinentes.

On rappellera seulement ici la possibilité de fixer dans la clause statutaire relative à l’exclusion les éléments à partir desquels le prix des actions sera déterminé ainsi que la date à laquelle il conviendra de se placer pour effectuer l’évaluation. En cas de contestation, ces éléments s’imposeront à l’expert, désigné en application de l’article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR, comme vient de le rappeler la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 9 novembre 2022 [5], à propos d’un retrait d’associé, mais dont la position est transposable à propos d’une exclusion compte tenu du renvoi identique à l’article 1843-4 du Code civil. Ce n’est qu’à défaut de précision de la clause statutaire sur la date à laquelle l’évaluation du prix doit être faite que l’expert sera tenu de se placer à la date à laquelle la société a procédé au remboursement des titres, selon la position retenue par la Chambre commerciale [6].

V. La décision d’exclusion peut être contestée devant le juge

En dernier lieu, la possibilité pour l’associé exclu de contester en justice la décision qui le vise, tant au regard du motif invoqué que du prix de rachat de ses titres, est retenue comme participant de la conformité à la Constitution des dispositions légales en cause.

En réalité, on ne voit pas comment il pourrait en être autrement. Tout associé, comme tout citoyen, a le droit de saisir le juge compétent pour qu’il soit statué sur le contentieux invoqué. Ce droit au juge doit, évidemment, trouver sa place à propos d’une décision d’exclusion dont un associé ferait l’objet et n’apparaît pas, dès lors, comme étant de nature à influer sur la validation du dispositif légal relatif aux clauses d’exclusion au sein des SAS. Sans doute, faut-il comprendre que le Conseil constitutionnel fait référence à la faculté pour l’associé de contester en justice la décision d’exclusion comme une sorte de filet de sécurité qui va permettre que l’exclusion soit examinée par un tribunal afin de vérifier qu’elle est bien mise en œuvre en conformité avec le cadre normatif spécifique aux SAS, mais, plus largement, au regard du droit commun.

En définitive, la décision rapportée vient enraciner plus solidement encore le droit spécial applicable aux SAS sur le terrain, sensible, des clauses statutaires permettant de procéder à l’exclusion d’un associé. Pour autant, si la conformité à la Constitution des dispositions légales sur ce point ne manquera pas d’être invoquée, en cas de contentieux, il ne faudra pas oublier que cette position est conditionnée par les éléments mis en avant par le Conseil constitutionnel pour la justifier. Si un seul point fait défaut, le paravent constitutionnel pourrait bien s’effondrer.  

 

[1] Cons. const., décision n° 2022-1029 QPC, du 9 décembre 2022 N° Lexbase : A02288Y4, P. Cathalo, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 739 N° Lexbase : N3605BZK.

[2] Cass. com., 12 octobre 2022, n° 22-40.013, FS-B, QPC N° Lexbase : A55188NP, P. Cathalo, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 732 N° Lexbase : N2952BZD.

[3] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 21-10.540, FS-B N° Lexbase : A12918SM, B. Saintourens, Lexbase Affaires, novembre 2022, n° 736 N° Lexbase : N3343BZT.

[4] Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-13.891, publié N° Lexbase : A1823ACI, Rev. Sociétés, 1998, p. 99, note B. Saintourens.

[5] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.830, F-B N° Lexbase : A12928SN.

[6] La première chambre civile retient, pour sa part, « le jour du retrait » : Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-19.459, F-D N° Lexbase : A0656EBW ; pour la troisième chambre civile, c’est la date « la plus proche du retrait » qui doit s’imposer à l’expert : Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 00-22.505, inédit N° Lexbase : A9084AY4.

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