Le Quotidien du 30 novembre 2022 : Procédure civile

[Jurisprudence] Conclusions devant la cour, à propos de la formule d’interpellation du juge compétent

Réf. : Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT

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par Farid Seba, ancien Avoué à la cour, Avocat spécialiste en procédure d’appel, formateur en procédure civile

le 30 Novembre 2022

Mots-clés : appel • conclusions • dispositif des conclusions • formalisme • sanction • conseiller de la mise en état • plaise à la cour • plaise au conseiller de la mise en état • interpellation du juge • saisine de la cour • forme des conclusions

La rédaction des conclusions devant la cour d’appel nécessite un soin particulier quant à la formule d’interpellation du juge compétent pour trancher les demandes des parties. Cette formulation diffère selon que l’on s’adresse au magistrat instructeur ou à la cour au fond et peut, lorsqu’elle est mal employée, conduire à l’irrecevabilité des demandes que présentent les parties.


 

La réforme de la procédure d’appel, dont le point d’origine se situe au décret n° 2009-1524, du 9 décembre 2009 N° Lexbase : L0292IGW, présente la caractéristique principale d’avoir accru considérablement le formalisme dans la rédaction des actes de procédure devant la cour d’appel. Les conclusions des parties n’échappent malheureusement pas à ce constat.

Même si l’application de ce formalisme semble avoir été faite dans le respect du principe du droit à un procès équitable comme prévu à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.[1]

L’un des derniers textes important de cette réforme, le décret n° 2017-891, du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL, auquel on doit la réécriture des articles 542 N° Lexbase : L7230LEI et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile, a clairement introduit un nouveau débat, celui de l’importance que revêt, sur le plan de la régularité procédurale, les mentions portées par les parties dans leurs écritures d’appel.

D’une manière générale, les conclusions qui contiennent l'exposé des moyens de fait ou de droit sur lesquels les parties fondent leurs prétentions, s'entendent à la fois du contenant et du contenu de l’acte.

Sur le plan pratique, cet acte de procédure peut être démembré en trois parties ayant chacune une fonction bien déterminée.

La page de garde qui récapitule identité, fonction et position de chacune des parties dans l’instance d’appel, le corps des conclusions qui contient l’argumentation en fait et en droit, et enfin, le dispositif qui récapitule les prétentions.[2]

À tous les niveaux de ce découpage, le législateur est intervenu pour renforcer les exigences de forme dans la rédaction, quand ce n’est pas pour carrément tenir la plume de l’avocat.[3]

La Cour de cassation lui a emboîté le pas en édictant les sanctions de ce formalisme, sanctions fondées sur les textes applicables et sur les principes généraux de procédure comme la saisine du juge ou encore l’effet dévolutif de l’appel.

L’arrêt que nous évoquons ici a été rendu à propos des éléments contenus dans la troisième partie des écritures, le dispositif.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Appelant d’un jugement prononçant le divorce des époux X, Monsieur X conclut au soutien de son appel le 11 juin 2020. L’intimée qui disposait d’un délai de trois mois pour conclure en réplique en application des dispositions de l’article 909 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7240LEU, remet ses conclusions à la cour le dernier jour, soit le 11 septembre 2020. Ces conclusions peuvent être schématisées de la façon suivante :

Plaise à la Cour

- Moyens et prétentions de l’intimée

Par ces motifs

- Il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état

- Prétentions au fond de l’intimée avec demande de réformation du jugement (appel incident)

Monsieur X saisit alors le magistrat instructeur pour faire juger irrecevables les conclusions de son épouse, motif pris de ce que la référence faite au conseiller de la mise en état dans le dispositif desdites conclusions, ne permet pas de considérer la cour saisie au fond des demandes de l’intimée, les conditions de l’article 909 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7 n’étant pas remplies, l’intimée ne serait plus recevable à conclure. 

Suivant ordonnance rendue le 13 octobre 2020, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles, fait droit à l’incident et déclare les conclusions de l’intimée irrecevables.

Cette décision est déférée à la cour d’appel, qui par arrêt rendu le 18 février 2021, entérine la position du conseiller de la mise en état.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation casse la décision d'appel, au visa de l’article 910-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7041LEI et renvoie la cause et les parties devant la même cour, autrement composée.

Cet arrêt de cassation, qui nous offre l’occasion de préciser que la structure des conclusions telle que vue par la Cour de cassation, procède d’une logique liée à l’utilité procédurale de chacun des éléments qui la compose, ne souffre aucune critique et a pour mérite de corriger les excès dont avocats et magistrats se rendent parfois coupables.

Le reproche fait ici à l’intimée par la cour d’appel, consistait dans le fait d’avoir fait figurer dans le dispositif de ses conclusions, en sus de la récapitulation de ses demandes au fond,  une « adresse » au conseiller de la mise en état sous la forme de la mention suivante : « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état ».

Cette mention aurait eu pour effet de déterminer le choix du destinataire des conclusions ainsi signifiées, en l'occurrence le conseiller de la mise en état. L’erreur dans le choix des mots semblait à la fois irréparable et lourde de conséquences. Pourtant, la confusion n’était qu’apparente.

Rappelons à cet égard que le conseiller de la mise en état et la cour ont des compétences bien définies par le Code de procédure civile, parfois partagées, mais dans la plupart des cas exclusives.

Que les demandes relatives au fond de l’affaire, celles par lesquelles le litige sera tranché, sont sans conteste de la compétence exclusive de la cour. Qu’elles ne peuvent donc être soumises au conseiller de la mise en état par définition incompétent.

Ce qui nous amène à nous poser la question de l’interpellation par les parties, dans leurs conclusions, du juge appelé à statuer sur les demandes que contiennent ces conclusions. C’est précisément le point de discussion de cette affaire.

En effet, dans l’espèce qui nous préoccupe, le juge d’appel a cru devoir accorder à la référence faite au conseiller de la mise en état, une valeur que ni la loi, ni la jurisprudence ne lui accorde. Ce faisant, la cour d’appel a clairement modifié la nature des conclusions de l’intimée en leur attribuant un destinataire qui n’était pas celui que visait l’intimée. Et ce, alors même que tant par leur forme, que par les demandes qu’elles contenaient (demandes au fond et appel incident), les conclusions de l’intimée étaient clairement adressées au juge du fond.

Ce raisonnement que sanctionne la Cour suprême, témoigne manifestement d’une approche trop extensive des suites et conséquences de l’arrêt de la cour de cassation du 17 septembre 2020 qui a ouvert le feu sur la question des mentions figurant au dispositif des conclusions  (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA), et aux termes duquel, «  il résulte des articles 542 et 954 du Code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ».

Il est vrai que depuis cette décision , tout ce que contient le dispositif des conclusions des parties devant la cour, semble avoir pris une importance capitale et doit être analysé et interprété à la lumière du Code de procédure civile, non pas dans un esprit de logique procédurale mais plutôt dans un esprit de sanction possiblement applicable.

Ce raisonnement s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne, mais là encore de manière erronée, de l’arrêt rendu par la même cour le 12 mai 2016 (Cass. civ. 2, 12 mai 2016, n° 14-25.054, FS-P+B, N° Lexbase : A0787RPT), lequel a censuré une partie ayant formé une demande de caducité d’appel, mélangée à des demandes au fond, présentée à la cour dans des conclusions au fond.

Or, une analyse concrète de ces deux décisions, laisse clairement entrevoir que l’interpellation du juge compétent pour statuer sur les demandes qui lui sont soumises, résulte d’une part et principalement de la nature même de ces demandes, demandes au fond ou demande d’incident de procédure, et d’autre part de la mention de la formation de la cour à laquelle s’adresse le demandeur.

En effet, dans son arrêt du 12 mai 2016, la cour de cassation prend soin de préciser que « le conseiller de la mise en état n'est saisi des demandes relevant de sa compétence [...] », ici une demande de caducité dans une affaire relevant du circuit avec mise en état et donc avec présence d’un conseiller de la mise en état, « [...] que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées ». 

Traduction, une demande de caducité d’appel, donc un incident de procédure, n’est correctement orientée vers le juge compétent pour être tranchée, que lorsque ce juge est clairement interpellé par la mention expresse de sa qualité, cette interpellation trouvant sa forme dans le choix, par la partie qui conclut, du titre : Plaise au conseiller de la mise en état ou Plaise à la cour, qui ouvre l’exposé des moyens en fait et en droit qui soutiennent cette demande. Étant précisé que dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt de cassation du 12 mai 2016, la cour d’appel était par ailleurs compétente pour relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la caducité de l'appel. Il n’y a là aucun mystère, puisqu'il ne s’agit là que d’une application pure et simple des dispositions de l’article 914 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7 qui évoquant la compétence du conseiller de la mise en état, mentionnent les conclusions « spécialement adressées » à ce magistrat.

Alors que dans l’espèce qui nous préoccupe, et par transposition du raisonnement de la Cour de cassation développé ci-dessus, la référence malheureuse dans les conclusions de l’intimée au conseiller de la mise en état, référence qui dans ce contexte ne constitue en rien un mode d’interpellation du juge compétent, doit bien entendu être regardée comme superfétatoire et en tous cas sans effet sur la régularité procédurale des écritures.

Décidé du contraire, reviendrait d’une part à dévoyer la jurisprudence de la Cour de cassation déjà suffisamment contraignante pour les avocats, et d’autre part à ajouter une condition à la loi et précisément au texte de l’article 910-1 du Code de procédure civile qui prévoit que les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 du code précité sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige.

Il en va d’ailleurs ainsi de toutes les autres mentions tel que le « donner acte », « dire et juger » et autre « constater », mentions qui en dehors des hypothèses où elles consacrent la véritable reconnaissance d'un droit et non seulement une simple constatation, même si elles n’ont pas leur place dans le dispositif des conclusions, n'enlève rien à la régularité de celui-ci (Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-18.778, F-D N° Lexbase : A46463AC).

Ainsi, même si elle a cru devoir faire référence au conseiller de la mise en état dans le dispositif de ses conclusions au fond, l’intimée s’était bien adressée à la cour afin que soit tranchées au fond des demandes déterminant l’objet du litige.

Il est donc pour le moins regrettable que cette maladresse de rédaction de l’intimée ait suffi à provoquer chez l’appelant l’hystérie procédurale que nous sommes prompts à reprocher habituellement à la Cour de cassation.

Il eut été plus judicieux, si véritablement l’appelant s’était trouvé gêné par cette mention, de solliciter du conseiller de la mise en état qu’il intervienne pour enjoindre à l’avocat adverse de mettre ses conclusions en conformité avec les dispositions des articles 954 et 961 N° Lexbase : L7255LEG du Code de procédure civile, comme le prévoit d’ailleurs l’article 913 du même code N° Lexbase : L7246LE4, plutôt que de tenter de tirer partie de ce qui s’apparente manifestement à une simple erreur de rédaction. 

Mesdames, messieurs les avocats, cher(es) confrères, il serait peut-être temps de cesser de tendre le bâton pour se faire battre !

 

[1] Voir en ce sens: Y. Joseph-Ratineau, Dispositif des conclusions d'appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n°868 N° Lexbase : N7812BYY.

[3] Voir en ce sens v. F. Seba, ÉTUDE : L’appel, Les conclusions devant la cour : la forme des conclusions devant la cour, in Procédure civile, (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E5193499.

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