Réf. : Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-18.465, FS-P+B (N° Lexbase : A3196KGH)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy, Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy, Présidente de l'AFDR Section Lorraine
le 11 Juillet 2013
I - Droit de reprise du bailleur et contrôle des structures
Déclaration ou autorisation ? Telle est la problématique dans la présente affaire, au regard de la situation du bailleur ou plus exactement du fils de l'ancien associé de la société bailleresse. Plus précisément, il s'agit d'une "reprise intrafamiliale" (3) dont le régime juridique a été assoupli par le législateur en 2006 (4). En effet, cette opération n'est plus soumise à l'autorisation administrative du contrôle des structures, mais fait l'objet d'une déclaration préalable conformément à l'article L. 331-2, II, du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L3130IT4). Ce texte pose trois conditions pour bénéficier du régime de la déclaration : le déclarant doit avoir la capacité agricole, les biens doivent être libres de location au jour de la déclaration (5) et, enfin, les biens doivent être détenus par le parent ou allié depuis au moins neuf ans. De plus, sont assimilées aux biens, les parts d'une société constituée entre les membres d'une même famille. Les conditions d'application de cette disposition légale ont été précisées par une circulaire du 8 août 2006 (6). Tout d'abord, la forme de la société est indifférente. Par conséquent, il importe peu que la société bailleresse soit une société commerciale par la forme (SA) ou une société civile à objet agricole. Elle doit toutefois être exclusivement familiale, précise cette circulaire, alors que la loi dispose que la société doit être constituée entre les membres d'une même famille. Par conséquent, le capital social doit être détenu en totalité par une même famille, ce qui semble indiquer que les associés doivent être parents ou alliés jusqu'au troisième degré inclus (7). Or, dans la présente affaire, 21 actions de la SA étaient détenues par une personne étrangère à la famille, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger plus précisément sur la proximité du lien de parenté. Par conséquent, le bailleur ne pouvait bénéficier du régime de la déclaration.
Dans ces conditions, le fils devait justifier d'une autorisation d'exploiter pour les terres louées. En effet, ayant déjà la qualité d'exploitant agricole, il est titulaire de la capacité agricole. Il ne lui restait plus qu'à avoir l'autorisation requise. Or, sur ce point, la cour d'appel précise que sa demande a été rejetée par l'autorité administrative compétente et fait l'objet d'un contentieux, parallèlement à la procédure relative au bail à long terme. Ainsi, elle ajoute qu'en application de l'article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime, le fils du bailleur doit exploiter personnellement les terres, en participant de façon effective et permanente aux travaux agricole. Or, pour les juges du fond, ce dernier étant à la tête d'une autre exploitation située à une centaine de kilomètres des terres litigieuses, la conduite de deux exploitations aussi éloignées ne lui apparaît pas économiquement viable. Pour cette raison, elle a considéré que les conditions requises pour l'exercice du droit de reprise n'étaient pas remplies. Toutefois, seule l'issue du contentieux administratif permettra de savoir ce qu'il en est véritablement, car le droit au renouvellement du bail n'est pas acquis aux preneurs, condition préalable indispensable pour pouvoir céder le contrat à leur fils.
II - Droit de céder le bail par le couple preneur et mise à disposition du bail
S'il ressort des données disponibles que le droit de reprise n'est pas acquis pour le fils de l'ancien associé de la société bailleresse, il en va de même pour le droit au renouvellement des preneurs. En effet, le bail étant arrivé à son terme, ils ne peuvent le céder qu'après en avoir obtenu le renouvellement.
Dans cette affaire, le bail à long terme avait été conclu par un couple, chaque conjoint ayant la qualité de titulaire du bail. En cette qualité ils sont chacun tenus des obligations afférentes au locataire en application du statut du fermage (8). Au cours de l'exécution du bail, le 1er juillet 2009, le contrat a été mis à disposition d'une EARL, conformément à l'article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L6459HHP). En application de cette disposition, le preneur reste seul titulaire du bail et doit continuer à se consacrer à l'exploitation des biens mis à disposition de la société, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente.
Or, la mise à disposition n'a été réalisée que "partiellement", car seul l'un des deux titulaires du bail a réalisé cette opération, car l'épouse n'est pas associée dans la société exploitant les terres louées. Cette situation est critiquable au regard du droit positif. Toutefois, actuellement, la jurisprudence considère qu'à défaut de préjudice du bailleur, le défaut de qualité d'associé du preneur à bail ne permet pas de justifier la résiliation d'un bail en cours (9). Telle est la solution rappelée par la cour d'appel.
Par ailleurs, le preneur doit avoir la qualité d'associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition des terres louées, à défaut l'opération est qualifiée de cession prohibée du bail (10). Par conséquent, le bail ne peut être renouvelé pour manquement de l'épouse en sa qualité de cotitulaire du bail. Or, l'épouse ne satisfaisant pas à ces conditions, la mise à disposition des terres litigieuses à une société constituée entre son époux et son fils constitue une cession prohibée. C'est pour cette raison que la Cour de cassation censure la cour d'appel en précisant que cette dernière n'a pas tiré "les conséquences légales qui se déduisaient du manquement de la copreneuse aux obligations du bail". Ainsi, soit le couple met à disposition le bail à une société dont ils sont notamment (éventuellement avec le fils) tous les deux associés ; soit ils exploitent en nom propre les biens, objet du bail duquel ils sont cotitulaires. Autrement formulé, lorsque le couple est preneur à bail, il n'est pas possible de dissocier la situation d'un conjoint par rapport à l'autre, comme ce qui avait été réalisé dans cette procédure. Par conséquent, le défaut de qualité d'associé de l'épouse dans la société exploitant les terres louées constitue un manquement justifiant le défaut de renouvellement du contrat de bail. A défaut de renouvellement, le contrat ne peut être cédé au fils des preneurs. Telle risque d'être la solution retenue par la cour de renvoi !
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