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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 04 Juillet 2013
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter la fiscalité applicable, d'une part, aux entreprises implantées au Qatar et, d'autre part, aux investissements effectués dans l'économie locale, sans implantation ?
Arnaud Depierrefeu et Michel Turon : Effectivement, il convient de distinguer deux situations :
1. les entreprises étrangères qui font des affaires avec le Qatar, sans implantation locale : vente d'équipements, prestations de services, prestations intellectuelles réalisées depuis l'étranger ;
2. les entreprises étrangères qui font des affaires au Qatar. Dès lors qu'une activité économique est réalisée localement (par exemple un chantier de construction), la loi sur les investissements étrangers impose à l'entreprise étrangère de disposer d'une implantation locale.
1. Entreprises établies au Qatar (filiales -le plus souvent en "joint venture"- et/ou succursales) :
Les textes à considérer sont : la loi fiscale n° 21/2009, entrée en vigueur le 1er janvier 2010 (la "loi fiscale") et son décret d'application n° 10/2011, entré en vigueur le 9 juin 2011 (le "décret").
La loi fiscale prévoit l'application d'un IS au taux de droit commun de 10 % (1), sauf obtention d'une exemption fiscale très rarement accordée.
L'IS n'est pas applicable aux bénéfices des entreprises à capitaux 100 % qataris et/ou à la part qatarie dans les sociétés à capitaux mixtes (2).
En pratique, c'est l'associé étranger dans une joint-venture qui va supporter l'IS, dont l'assiette sera constituée par le pourcentage de bénéfices qu'il a le droit de percevoir selon les statuts (3). Dans le cas d'une succursale, l'IS s'applique sur la totalité des bénéfices de source locale.
2. Opération au Qatar sans implantation :
Fourniture de biens et/ou matériels
La fourniture de biens et équipements est exclue de l'assiette imposable, à moins que celle-ci n'implique des prestations accessoires réalisées sur le sol qatari ; auquel cas, seules les sommes perçues en contrepartie de ces prestations sont imposables.
Prestations intellectuelles "offshore"
La rémunération de prestations intellectuelles (conseil, bureaux d'études...) n'est pas imposable à partir du moment où ces dernières sont rendues exclusivement depuis l'étranger, sous réserve de l'applicabilité d'une retenue à la source lorsqu'une partie des prestations est rendue sur le sol qatari (cf. infra).
Retenue à la source ("withholding tax")
Dès lors qu'un paiement est effectué par une entité résidente au Qatar à une entité non résidente en rémunération d'une prestation de services au sens large, ce paiement est soumis à une retenue à la source.
Le taux de cette retenue est de 5 ou 7 % en fonction du service concerné :
Aux termes de la loi fiscale, l'obligation de retenue à la source est à la charge de l'entité résidente qui émet le paiement (qu'elle soit de droit privé ou de droit public); ceci implique le dépôt, par l'entité résidente, des sommes retenues auprès du ministère des Finances ("MoF") et la délivrance d'un certificat attestant de cette retenue par l'entité émettrice.
Néanmoins, depuis la promulgation du décret, cette retenue est potentiellement récupérable, lorsque le prestataire peut invoquer une convention fiscale entre son pays de résidence et le Qatar (analyse au cas par cas, cf. infra).
Contrats "mixtes"
Le décret a apporté des précisions en matière de contrats dits "mixtes", comportant des prestations effectuées en partie à l'étranger (design par exemple), et en partie au Qatar, en définissant la notion de "prestations séparées" ("separate services"). Une prestation est considérée "séparée" lorsqu'elle correspond à une phase différente de l'objet du contrat ou nécessite des qualifications et moyens spécifiques.
Seules les prestations réalisées en tout ou en partie au Qatar sont imposables dans cet Etat. Cette disposition générique reste sujette à interprétation mais elle ouvre la voie à l'application d'un régime distinct aux prestations de services "offshore" ou "on shore". La précision de la rédaction des contrats devient d'autant plus critique dans ces domaines.
3. Obligations déclaratives
4. Divers
Lexbase : L'avenant entré en vigueur le 23 avril 2009 prévoit de nombreux régimes fiscaux en faveur du Qatar, qui dérogent totalement des régimes classiquement rencontrés dans les Conventions fiscales signées par la France (articles 8-6°, 17, 20-3° de la Convention, issus de l'avenant du 14 janvier 2008). Quelles sont les raisons de ces encouragements exorbitants ?
Arnaud Depierrefeu et Michel Turon : L'article 8.6. n'est pas un avantage et est une disposition classique des conventions conclues par la France.
En ce qui concerne l'article 17 (ISF), la Convention, en pratique, s'aligne sur le dispositif de droit interne français des nouveaux résidents, qui consiste à exonérer temporairement les biens situés hors de France et détenus par des personnes qui viennent s'installer en France ; au-delà de cette mesure, les dispositions sur l'imposition sur la fortune sont alignées avec celles des conventions conclues avec les autres pays de la région.
Quant à l'article 20, il vise d'abord à éviter les doubles exonérations (et ce à la demande de la France) mais en corrige les effets notamment pour les citoyens qataris, pour que la convention puisse s'appliquer compte tenu du fait que ces derniers ne sont pas soumis, notamment, à un impôt sur le revenu ou sur la fortune au Qatar.
Lexbase : La clause concernant l'élimination de la double imposition, si elle détaille le régime français, opère un simple renvoi à la législation qatarie. En quoi consiste cette dernière ?
Arnaud Depierrefeu et Michel Turon : La loi fiscale et le décret ne comportent pas de chapitres ou sections spécifiques quant aux règles applicables en matière de double imposition et, plus généralement, en matière de hiérarchie des normes.
Ici, il est intéressant de relever que la Constitution du Qatar ne reconnaît pas expressément la suprématie des traités et conventions internationales sur les dispositions du droit interne. Cette constatation étant faite, dans la lignée de la loi fiscale et du décret, l'expérience semble indiquer que le ministère des Finances reconnaît, au moins dans la pratique, que les conventions internationales en matière fiscale priment sur la loi fiscale et le décret.
Une des matières pour lesquelles l'application de ce principe demeure "particulière" est celle de la retenue à la source évoquée ci-dessus. En effet, quand bien même la loi fiscale dispose que cette retenue s'applique "sous réserve des dispositions de conventions fiscales" (4), en pratique la retenue à la source s'applique ab initio et c'est ensuite à l'entité/personne non résidente de formuler une demande expresse auprès de l'administration fiscale en soumettant, d'une part, une demande d'exécution de ladite convention (via un formulaire), et un certificat de résidence fiscale délivré par le pays d'origine, d'autre part, pour pouvoir récupérer les sommes retenues.
Lexbase : L'avenant du 14 janvier 2008 introduit une série de clauses anti-abus concernant, notamment, les dividendes, les intérêts, les redevances et les revenus divers. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une mise en conformité avec les souhaits de la communauté internationale et l'OCDE ou plutôt d'une précaution prise par la France et le Qatar, en vue de mettre fin à une situation qui existait auparavant ?
Arnaud Depierrefeu et Michel Turon : L'avenant ne modifie pas le principe selon lequel ces types de revenus ne sont imposables que dans l'Etat du bénéficiaire, excluant donc tout prélèvement dans l'Etat de la source. Ce principe d'imposition exclusive est également retenu dans les conventions conclues avec les Etats voisins (Koweït N° Lexbase : L6712BH3, Emirats Arabes Unis N° Lexbase : L6686BH4, Arabie Saoudite N° Lexbase : L6661BH8 et Bahreïn N° Lexbase : L7775IT7).
Toutefois, l'imposition unique n'est désormais acquise que si le récipiendaire des revenus en est le bénéficiaire effectif. Cette dernière notion, d'application délicate dans l'ordre fiscal, autorise les Etats à refuser le bénéfice des dispositions de la Convention à ceux qui perçoivent les revenus en tant notamment que mandataire.
Le nouvel article relatif aux dividendes contient un dispositif visant à lutter contre les abus de droit et refusant son application "si le principal objectif [...] de toute personne intervenant dans la création ou la cession des actions [...] consiste à tirer avantage du présent article au moyen de cette création ou de cette cession".
Ce dispositif a été inséré à la demande de la France, conformément au Modèle OCDE (N° Lexbase : L6769ITU). On notera que la recherche du bénéfice de la Convention peut être un objectif principal, sans être nécessairement unique.
En outre, un nouvel article introduit un dispositif d'échange de renseignements permettant aux autorités françaises et qataries de collaborer ensemble, non seulement pour appliquer les règles de partage des impositions prévues par la Convention, mais aussi pour les impôts de toute nature prévus par le droit interne de chaque Etat.
De plus, l'existence d'un secret bancaire ne saurait autoriser le refus d'un des Etats à communiquer. La levée du secret bancaire au demeurant n'est pas liée à la constatation d'une fraude ou d'une évasion fiscale et, en cela, ce nouveau dispositif est plus protecteur pour les Etats et notamment la France si on le compare aux nouvelles règles prévues, par exemple, entre la France et la Suisse (N° Lexbase : L6752BHK).
On notera que la clause d'échange de renseignements prévue par l'avenant avec le Qatar constitue le dispositif le plus abouti en la matière si on le compare avec les conventions conclues avec les pays voisins.
Enfin, l'avenant stipule que les règles dites anti-abus de droit français (CGI, art. 123 bis N° Lexbase : L3247IGD, 209 B N° Lexbase : L9422IT7, 212 N° Lexbase : L5196IRU et 238 A N° Lexbase : L3230IGQ) sont compatibles avec celles de la nouvelle Convention.
(1) Un taux de 35 %, taux marginal sous l'ancienne loi fiscale, a été maintenu dans le domaine des hydrocarbures.
(2) Il convient de relever que cette exonération d'IS pour les entreprises à capitaux 100 % qataris ou pour la part qatarie dans les sociétés mixtes est également applicable aux sociétés résidentes au Qatar dont le capital est détenu à 100 % par une entité ou un individu d'une des nationalités des pays membres du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe ("Gulf Cooperation Council"), parmi lesquels : les Emirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite, Bahreïn...
(3) Si la loi sur les investissements étrangers impose par défaut la création d'une "JV 51/49" (51 % du capital de la joint-venture doivent être détenus par un Qatari ou par une société à capitaux 100 % qataris), il est possible d'aménager la répartition des bénéfices de manière différente (ex : 95 % pour l'associé étranger, même s'il est minoritaire en capital).
(4) L'article 11.2 de la loi fiscale dispose: "In consideration to the provisions of taxation agreements, the amounts paid to non residents in return of activities that are not related to a permanent establishment in the State, shall be subject to a final deduction at source [...]".
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