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par Vincent Vantighem
le 27 Avril 2022
À combien aurait-il atterri sans ça ? 29 % ? 30 % ? Plus encore ? Impossible à dire avec exactitude. Mais l’affaire dite « McKinsey » est bien venue perturber la fin de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Mercredi 6 avril, à quatre jours du premier tour du scrutin, le parquet national financier a indiqué, dans un communiqué, avoir ouvert une enquête préliminaire du chef de « blanchiment aggravé de fraude fiscale », après les révélations sur le recours croissant de l’exécutif aux cabinets de conseil privés pour élaborer et établir sa stratégie de gouvernement. Dans ce texte d’à peine cinq lignes, le nom de McKinsey, le plus célèbre de ces cabinets, n’est pas nommément cité. Mais il n’est pas compliqué d’imaginer qu’il est dans le viseur des magistrats du PNF.
« Après avoir pris connaissance du rapport du Sénat daté du 16 mars 2022, établi par la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques […], le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire, le jeudi 31 mars », indique sobrement Jean-François Bohnert, le procureur national financier, dans ce texte. Non sans avoir précisé que ses équipes avaient d’ores et déjà « procédé à des vérifications ».
Dans cette affaire qui a marqué une fin de campagne étrange, déjà percutée par le conflit en Ukraine, il y a deux sujets. Le premier est politique : pourquoi le gouvernement de Jean Castex – et d’Édouard Philippe avant lui – a-t-il massivement payé des sociétés de conseil privées plutôt que de recourir aux ressources publiques pour établir sa stratégie sur des sujets aussi variés que la gestion de la crise du coronavirus, celle de l’aide personnalisée au logement (APL) ou encore sa politique en matière d’Éducation nationale ? C’est la question qu’ont posée les sénateurs qui ont planché sur le sujet au sein d’une commission d’enquête ad hoc avant de rendre un rapport touffu de 385 pages le 16 mars. Tout en assurant que l’exécutif actuel avait eu recours au privé davantage que François Hollande en son temps, mais pas plus que Nicolas Sarkozy avant lui...
Les entités françaises de McKinsey auraient échappé à l’impôt entre 2011 et 2020
Mais le parquet national financier ne fait pas de politique. Et il n’est pas censé en faire. Si la justice a ouvert une enquête, c’est parce que les parlementaires, dans ce même rapport, ont clairement laissé entendre que les cabinets de conseil privés avaient mis en place des stratégies pour échapper à l’impôt en France. Autrement dit : qu’ils touchaient de l’argent public d’une main, mais se gardaient bien d’en rendre, via les impôts, de l’autre. De quoi prêter le flanc à la critique et livrer des arguments tout cuits dans le bec des opposants à Emmanuel Macron, qui ne se sont pas fait prier pour les recracher sur la place publique, à quelques jours des élections.
Fraude fiscale ? Optimisation fiscale ? Le débat est presque aussi vieux que l’invention de l’impôt et des stratégies pour s’y soustraire qu’ont mises en place les plus grosses sociétés aujourd’hui. Selon les sénateurs, certains cabinets ont ainsi optimisé leur gestion afin de limiter la casse fiscale. Il est question ici de bénéfices transférés de filiale en filiale. Tout comme de coûts supportés par certaines succursales pour lisser les résultats nets de la maison-mère. « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France », s’est défendu Karim Tadjeddine, directeur associé du cabinet de conseil McKinsey et coresponsable de l’activité « secteur public » devant les parlementaires, le 18 janvier 2022. Une déclaration pourtant mise à mal par les travaux de recherche de ces mêmes parlementaires qui ont établi que les entités françaises du cabinet américain McKinsey n’avaient pas payé d’impôts entre 2011 et 2020… Ils ont d’ailleurs saisi la justice pour « suspicion de faux témoignage » à son encontre.
Au bon souvenir de François Fillon et du « Penelope Gate »
Pour y voir clair, le parquet national financier a donc décidé de mettre ses plus fins limiers sur le coup. Et si ceux-ci ne s’intéressent qu’à la légalité des choses, ils ne peuvent pas s’empêcher de penser que leur travail va avoir des conséquences politiques. À leur corps défendant. Car, ouvrir une enquête, c’est déjà laisser entendre que les choses ne sont pas nettes. Comme le disait Martine Aubry, la maire (PS) de Lille, en son temps : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup... »
S’il est trop tôt pour le dire, il est indéniable que le travail du parquet national financier ait un impact sur la période électorale. Tout le monde pense immédiatement à l’enquête ouverte, par ses soins, pour « détournement de fonds publics » visant François Fillon et son épouse, Penelope, dans l’affaire dite « des emplois fictifs » en 2017. L’ancien héraut de la droite condamné à cinq ans de prison dont deux ans ferme en première instance et qui attend l’arrêt de la cour d’appel, le 9 mai prochain, a toujours pensé que cette affaire lui avait fait perdre l’élection présidentielle, à l’époque. Et lors du procès en appel, il n’a pas manqué de rappeler et de critiquer la célérité avec laquelle le parquet national financier avait ouvert son enquête le concernant.
À l’époque, c’est Le Canard enchaîné qui avait lancé les hostilités dans un article publié le 24 janvier 2017. Le PNF avait attendu 24 heures et le lendemain, le 25 janvier, avait annoncé l’ouverture d’une enquête. Dans l’affaire McKinsey, le timing est un peu plus long. Le rapport des sénateurs a été publié le 16 mars. Et le PNF a « attendu » le 31 mars pour dégainer son enquête. Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron a bénéficié d’un traitement de faveur avec ce sursis de quinze jours ? Difficile à dire. Mais un rapport sénatorial de 385 pages est sans doute plus long à lire et à analyser qu’un article d’un hebdomadaire satirique...
Une question de timing et de communication
En la matière, difficile de taxer le parquet national financier de partialité ou d’accointances politiques. Pour s’en rendre compte, il suffit de lister les enquêtes un peu sensibles qu’elle a menées ces dernières années. Bruno Le Roux, député PS, soupçonné, lui aussi, d’avoir eu recours à des emplois fictifs : révélations dans l’émission « Quotidien » le 20 mars 2017, ouverture d’enquête le 21 mars ; Ségolène Royal prise dans des soupçons de détournement de fonds de sa mission comme ambassadrice : révélations par France Inter le 15 novembre 2019, ouverture d’enquête deux semaines plus tard… Impossible donc d’en conclure quoi que ce soit…
Seule certitude, le PNF a bien conscience de son impact et semble marcher sur des œufs ces derniers temps. Comme s’il avait peur de son ombre, il a d’ailleurs changé de stratégie. Si en 2017, d’initiative, il publiait immédiatement des communiqués pour informer de l’ouverture de ces enquêtes, il est désormais beaucoup plus « taiseux ».
Prenons le cas de Fabien Roussel, le candidat communiste à la présidentielle. Il a été accusé d’avoir occupé indûment un emploi de collaborateur parlementaire par Médiapart fin février. Pendant des jours, les journalistes ont donc questionné le PNF pour savoir s’il avait ou comptait ouvrir une enquête à ce sujet. La seule réponse fournie étant alors : « Nous ne communiquons pas à ce sujet. » Avant de reconnaître, finalement auprès de l’Agence France-Presse, le 11 mars qu’une enquête avait bien été ouverte. Idem sur l’affaire McKinsey. Il a fallu patienter jusqu’au 6 avril pour découvrir que le parquet avait ouvert une enquête… sept jours plus tôt. Cela peut sembler être un détail d’ordre chronologique, mais sept jours de campagne peuvent sembler une éternité et changer une élection...
Mais pour le parquet national financier, il n’y a pas de bonnes solutions. En déplaise aux opposants à Emmanuel Macron dans ce dossier. Si le PNF avait ouvert une enquête immédiatement et communiqué à ce propos, il aurait été taxé de faire le jeu de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, très offensifs sur l’affaire McKinsey. S’il n’avait rien fait, il aurait été critiqué d’instrumentalisation au profit du président-candidat Macron. En choisissant une voie médiane qui consistait à ouvrir une enquête tout en tentant de rester discret, il a donc opté pour la moins mauvaise solution. Sans garantie, non plus, que cela n’ait pas d’impact sur le scrutin en cours. Pour le savoir désormais, il faudra attendre l’éventuel débat entre les deux candidats qualifiés pour le second tour et, surtout, le résultat du scrutin qui les départagera, le soir du 24 avril.
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