Lexbase Affaires n°336 du 25 avril 2013 : Baux commerciaux

[Chronique] L'excès en bail commercial - Compte-rendu de la réunion de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris du 27 mars 2013 (seconde partie)

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N6779BTA

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par Vincent Téchené, rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 25 Avril 2013

La sous-commission "Baux commerciaux" de la Commission ouverte de droit immobilier du barreau de Paris tenait, le 27 mars 2013, sous la responsabilité de Gilles Hittinger-Roux, une réunion sur le thème "L'excès en bail commercial". Après une présentation, par Maître Jean-Pierre Blatter, avocat, professeur des Universités associé (CNAM), spécialiste en droit immobilier et Chartered Surveyor (Frics), de l'actualité jurisprudentielle des derniers mois en matière de baux commerciaux, le thème de la réunion a été abordé successivement par Maître Gilles Hittinger-Roux, qui a exposé ses réflexions sur l'excès en droit civil à travers la thèse du Professeur David Bakouche (excusé), Maître Jehan-Denis Barbier, avocat à la Cour, qui a envisagé la problématique du "contrat prévu", et Maître Pascale Bernert, avocat à la Cour, qui a examiné l'équilibre économique du contrat confronté à des travaux imposés dans l'industrie hôtelière. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion, à travers deux parties (pour la première partie cf. N° Lexbase : N6778BT9). II - L'excès et les baux commerciaux
  • L'excès en droit civil, par Gilles Hittinger-Roux sur les travaux de Monsieur le Professeur David Bakouche (excusé)

L'exposé de Gilles Hittinger-Roux s'est articulé autour de trois questions :
- Quelle est la définition de l'excès ?
- Existe-t-il un principe général de l'excès ?
- Dans quel domaine peut-on identifier l'excès ?

1 - Existe-t-il une définition de l'excès ?

Il est impossible de donner une définition juridique précise de l'excès. Cette notion renvoie elle-même à d'autres notions dont il est possible de l'apparenter. Ce qui est excessif est habituellement ce qui est à l'extérieur d'une norme, ce qui est démesuré, exagéré, ou encore exorbitant. Ainsi, l'excès doit être considéré comme synonyme d'une démesure objective dont il faut apprécier l'écart entre l'état d'un fait et la normalité.

Pour autant, la notion est facile à comprendre et elle est même vécue au quotidien par tous. L'excès scande nos vies et, par conséquence, nous tentons de lutter en permanence contre celle-ci. L'excès de vitesse, l'excès d'alcool, de tabac, d'exposition au soleil. Toutes ces situations sont mortifères. Pour autant, l'excès de modération n'est-il pas signe de l'ennui comme le rappelait Madame Michelle Gobert dans la préface de la thèse de David Bakouche.
Un respect peu scrupuleux de la limitation de vitesse sur autoroute entraîne une réduction de l'attention du conducteur, voire même un état de somnolence. Il n'est pas certain d'ailleurs que si Balzac n'avait bu que du Coca-Cola, il aurait pu rédiger autant de lignes et nous donner d'aussi bons romans.
Une appréciation identique peut être faite à l'égard de Baudelaire et de ses poèmes ou du Comte de Lautréamont s'agissant de certaines substances.
Aujourd'hui, les baux commerciaux évoluent dans la sphère des opérations de commerce complexes et risqués tant pour les investisseurs fonciers que par les enseignes de commerces. En permanence, dans une stratégie capitalistique, des positions sont prises par l'une ou l'autre des parties avec fréquemment des attitudes proches de positions dominantes ou à tout le moins dans des rapports de dépendance.
Le droit des contrats a pour objectif de rechercher des équilibres. Le rôle du juge est ici fondamental puisque c'est auprès de ce magistrat que l'on se tournera afin qu'il identifie et vérifie éventuellement l'équilibre entre les parties.
Ne pas être en mesure de définir la notion d'excès n'est pas dirimant. Le Doyen Cornu relève que dans le droit français il existe de nombreuses expressions qu'il qualifie de notions cadre. Ces notions ont une valeur intrinsèque en elles-mêmes et sont perçues par chaque individu avec une valeur souvent commune. Il en est notamment ainsi du bon père de famille, de la bonne foi, ou encore de l'intérêt de l'enfant.
Il appartient aux magistrats de définir en permanence le contenu.
Le bon père de famille va-t-il disparaître au profit de la bonne mère de famille, ou même des bons parents ?

2 - L'excès est-il un principe général du droit ?

Selon le Doyen Ripert, le principe général du droit est celui qui est établi par un nombre indéterminé d'actes ou de faits. C'est en fait une série indéfinie d'application. Alors savoir si l'excès est un principe général du droit relève finalement de l'office du juge. Un concept juridique n'existe en tant que principe juridique que s'il a été qualifié en tant que tel par le juge. Or, concernant l'excès, la réponse est pour l'instant négative ou, pour autant, pas encore totalement positive si le législateur ne l'a pas expressément visé. Très peu de décisions jurisprudentielles se fondent en effet sur cette notion. Pour autant, il est vraisemblable que sur des principes moraux ou de justice distributive la notion d'excès pourrait être un sous-ensemble d'un autre principe général du droit.

Il appartient donc aux avocats et aux juristes de faire valoir cette nouvelle mention auprès des magistrats afin que ces derniers puissent prendre des décisions sur ce fondement.

En tout état de cause, il faut retenir l'excès comme une évolution notable du droit civil contemporain. Depuis quelques années, il existe une profonde mutation du système juridique et il convient de poursuivre les incidences sur la théorie générale du droit. Il est certain qu'apparaît une influence forte des contrats spéciaux tels que ceux du droit de la consommation, de la concurrence qui, précisément, sont mis en exergue par la sanction de l'excès. Peut-être que ces derniers serviront de modèle au droit commun.

3 - Le recensement de l'excès

Le recensement de l'excès dans les textes

Ainsi, au cours des cinquante dernières années, de nombreux textes ont permis aux magistrats de réduire, de supprimer, de corriger les engagements qui auraient été pris par l'une ou l'autre des parties.

S'il est en vrai qu'en 1804 il existait une présomption d'égalité des individus, de nos jours la présomption est plutôt d'inégalité, si bien que le législateur souhaite rétablir l'égalité, l'équilibre ou la proportionnalité quand ce n'est pas instaurer la fraternité.

. La loi du 13 juillet 1965 (loi n° 65-570 N° Lexbase : L8190AI8) écarte-t-elle toute solidarité entre époux lorsque l'un d'eux a souscrit des dépenses "manifestement excessives" au sens de l'article 220, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2389AB4), susceptible de menacer l'équilibre financier d'un ménage.
Il faut d'ores et déjà noter que l'abus, la déloyauté, la mauvaise foi, sont bien souvent à l'origine de l'excès et en constitue, d'une certaine manière, la cause efficiente. Cependant, le Magistrat ne recherchera pas la cause éventuelle de l'excès, mais il effectuera une appréciation objective de cet excès.

. La loi de 1968 (loi n° 68-5 N° Lexbase : L8081HUT) sur la protection des majeurs (C. civ., art. 491-2 N° Lexbase : L3052ABN et 510-3 N° Lexbase : L3086ABW) permet d'écarter des actes qui ne sont pas pris dans l'intérêt de ceux-ci ou qui paraissent tout à fait excessifs. Le tiers contractant aura vraisemblablement abusé de la faiblesse de l'incapable ou en tout état de cause il y aura une présomption d'un tel excès.

. La loi de 1975 (C. civ., art. 1152, alinéa 2, N° Lexbase : L1253ABZ) était l'un des textes certainement le plus discuté. Il portait sur la révision de la clause pénale. En effet, la doctrine traditionnelle considérait qu'il était impossible aux juges de s'insérer dans un rapport contractuel et de le remettre en cause.
Les arguments développés portaient sur l'absence de sécurité juridique, laquelle suppose un niveau de prévisibilité. Certains de la doctrine avaient qualifié le texte comme étant l'exemple de la grande peur de "l'aléa judiciaire". Ce sentiment d'aléa était d'autant plus marqué par l'emploi d'une notion à contenu variable tel que "l'excès".

Pour autant, de grands noms étaient foncièrement contre ces clauses pénales qualifiées d'injustes :
- Bruno Boccara y voyait "des clauses choquantes et léonines" ;
- pour Philippe Malaurie "la clause pénale a souvent donné lieu à des abus, soit qu'elle fut dérisoire, soit surtout qu'elle fut excessive" ;
- Jean Carbonnier évoquait la notion de "tyrannie";
- et pour Denis Mazeaud, il s'agissait de "terrorisme contractuel".

Finalement, la loi du 9 juillet 1975 permet aux magistrats, concernant les clauses pénales, même d'office, "de modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire" (C. civ., art. 1152, alinéa 2 [LXB=L1253ABlZ]) par ce texte régulièrement utilisé par les magistrats ; la notion d'excès a trouvé ses grandes lettres de noblesse.

. La loi du 10 janvier 1978, sur les clauses abusives (loi n° 78-23 N° Lexbase : L4196ITL, mais plus encore celle du 1er février 1995 (loi n° 95-96 N° Lexbase : L2605DY7) (C. consom., art. L. 132-1 N° Lexbase : L6710IMH) s'est inscrite dans la même philosophie.  
L'ancien article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3301DAI) considérait comme abusives "les clauses imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de puissance économique" du professionnel conférant à celui-ci un "avantage excessif". Le nouveau texte issu de la réforme de 1995 caractérise les clauses abusives comme "ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".
La modification est essentielle. Avant la réforme de 1995, la qualification de clause abusive supposait la réunion des deux éléments unis l'un à l'autre par un lien de causalité :
- l'abus de puissance économique, critère personnel ou subjectif tenant au comportement de l'un des contractants était relatif à l'origine de la clause ;
- l'avantage excessif critère matériel ou objectif concernant l'effet de celle-ci.

En fait, il fallait rapporter la preuve de l'abus par le demandeur. 
Depuis 1995, l'abus a disparu des critères d'identification des clauses visées par l'article L. 132-1. L'avantage excessif se muant en déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le législateur a ainsi substitué à la notion d'"avantage excessif" à celle de "déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat". Il est possible de penser que le "déséquilibre significatif" suppose de tenir compte de l'équilibre général du contrat et implique une appréciation "in concreto".

Sous l'empire de la loi de 1978, le caractère excessif de la clause était apprécié en lui-même, abstraction faite de l'économie du contrat. Le juge peut donc désormais uniquement examiner l'effet de la clause sur l'équilibre contractuel, sans se préoccuper de la clause du déséquilibre.

. Au fil des années, l'excès s'est largement décliné en droit bancaire et droit des sûretés, domaines dans lesquels il occupe une place importante avec les notions de crédit excessif ou de cautionnement manifestement disproportionné.
En effet, à l'origine prévue à l'article L. 313-10 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6786ABX), inséré par la loi du 26 juillet 1993 dans le Code de la consommation reprenant ainsi les dispositions de la loi "Neiertz" du 31 décembre 1986, ces dispositions furent reprises en droit commun pour la jurisprudence, pour y être finalement consacrées par le législateur (C. consom., art. L. 341-4 du Code de la consommation N° Lexbase : L8753A7C, issu de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3557BLC).
C'est sur le même fondement de la lésion que le Code de la consommation a reconnu le pouvoir souverain au juge du fond, de réduire le prix de cession des offices ministériels s'il est excessif (Cass. Req. 11 juin 1890) et les rémunérations excessives des mandataires et agents d'affaires indiquent, par un arrêt de principe en date du 12 janvier 1863 que les juges du fond avaient "le droit et le devoir de rechercher le rapport de l'importance des soins, démarches et peines des mandataires avec l'importance de la rémunération convenue, et de la réduite dans le cas où elle paraîtrait excessive".
Cette décision a été régulièrement reprise et étendue aux honoraires des notaires, des avocats, des experts comptables aux généalogistes,...

. D'autres textes existent, eux, depuis toujours et ne sont pas directement issus de ce mouvement récent de développement de la notion d'excès dans notre droit. Il s'agit notamment des dispositions en matière de lésion où le législateur a fixé un seuil.
L'article 887, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L0027HPP) prévoit ainsi que le partage est lésionnaire "lorsqu'un des héritiers établit, à son préjudice, une lésion de plus du quart". De même, en matière de vente immobilière, selon l'article 1674 (N° Lexbase : L1784ABP), le prix de l'immeuble est lésionnaire "ni le vendeur a été lésé de plus de sept douzième", c'est-à-dire s'il reçoit moins des cinq douzième de la valeur de l'immeuble.

Le recensement de l'excès dans la jurisprudence

L'une des meilleures illustrations quant au refus de toute considération subjective tenant au comportement d'un individu relève de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. En effet, il n'est fait aucune analyse du comportement de l'individu, mais le fondement de la responsabilité en la matière réside dans l'anormalité ou le caractère excessif du trouble. Ce principe de responsabilité est ancien : il date d'un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 1844 rendu au visa des articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil.

Dans un premier temps, cet arrêt a été rattaché à la responsabilité. L'exercice d'un droit peut constituer une faute si le titulaire du droit, tout en restant dans les limites légales apparentes de celui-ci, l'exercice dans des conditions abusives. Mais la preuve d'une faute par son auteur était introuvable, à moins de présupposer une obligation de ne pas troubler son voisin dans l'exercice de son droit. Finalement, dans un arrêt du 4 février 1971 (Cass. civ. 3, 4 février 1971, n° 69-12.528 N° Lexbase : A9758CE7, Bull. civ. III, n° 179 et n° 180), la Cour de cassation détache la faute de la responsabilité pour trouble de voisinage en consacrant une responsabilité purement objective.
Le sens de ces jurisprudences est que les inconvénients liés au voisinage doivent être supportés jusqu'à une certaine limite, parce qu'ils sont inhérents à la vie en société.

Au-delà d'un certain seuil, la responsabilité sera engagée, même en l'absence de faute de l'auteur du trouble, parce que la gêne devient intolérable et ne peut plus être justifiée par des relations de voisinage.

Il y a bien une distinction entre :
- l'usage abusif des droits ;
- et le seuil de tolérance lié au voisinage.

Le détachement progressif de l'appréciation de l'anormalité du trouble des notions de faute et d'abus est extrêmement révélateur de la prise de conscience des Juges de l'autonomie de la notion d'excès par rapport à des notions éminemment subjectives qui supposent, pour les caractériser, une véritable investigation psychologique.

. Aussi, il est possible d'effectuer une première conclusion permettant d'établir qu'il y a une réelle indépendance entre les notions d'abus et de faute d'une part, et de l'excès d'autre part. 
Il y a donc délaissement des notions subjectives au profit de seules considérations objectives dans l'appréciation de l'excès. Pour la partie débitrice, plus encore pour le juge, seul compte le caractère excessif. La cause, l'abus, la faute éventuelle demeurent indifférents à toute appréciation par le juge.
En d'autres termes, en passant par "l'excès", la preuve pour le débiteur sera grandement facilitée et donc corrélativement, l'appréciation de la sanction.

. Souvent, l'excès trouve sa cause dans le comportement répréhensible ou blâmable d'un individu.
La mauvaise foi serait un critère idéal pour assurer la qualification de l'excès. Toutefois, il existe les dispositions essentielles du droit civil en cette matière et notamment 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1135 (N° Lexbase : L1235ABD) du Code civil. Ainsi, en matière de dette ménagère, la bonne foi et la mauvaise foi sont intégrées dans le texte (C. civ. art. 220, alinéa 2 N° Lexbase : L2389AB4). Les dépenses du ménage s'apprécient "eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne foi ou mauvaise foi du tiers contractant".
Cependant, la bonne foi ou la mauvaise foi n'est pas un critère d'appréciation du caractère excessif. Ce n'est qu'au stade de la mise en oeuvre de la sanction de l'excès que la question de savoir si le tiers est ou non de mauvaise foi.

. La seconde conclusion est donc de permettre au juge, sans qualifier le comportement de l'une ou l'autre des parties, de maintenir le rapport contractuel en réduisant son champs ou certaines des obligations prévues au contrat.
L'excès se veut être une notion résolument objective détachée à toute appréciation comportementale, elle est aussi indifférente à la morale. En ce sens, l'excès serait facile à appliquer en matière de loyer pour les baux commerciaux et ne blessera personne.
A titre d'exemple, l'excès pourrait être utilisé dans le cadre d'une nouvelle notion qui a semblé voir le jour ces dix dernières années : celle du taux d'effort. Les bailleurs ont souhaité revaloriser leurs prétentions en matière de loyer par le rapprochement le chiffre d'affaires réalisé avec le loyer payé. Le pourcentage ainsi dégagé constituerait le taux d'effort. Chaque fois que le loyer payé serait faible au regard du chiffre d'affaires, le bailleur devrait nécessairement augmenter le loyer. Or, aujourd'hui compte tenu de la dégradation de la situation économique et alors que les loyers demeurent constants, le taux d'effort tend à devenir excessif (entre 15 et 40 % du chiffre d'affaires). Aussi, pour Gilles Hittinger-Roux, se pose la question de savoir s'il faut utiliser ce type de mécanisme pour reprendre les clauses financières des loyers, et ce en dehors même des révisions classiques fondées sur les articles 148 et suivants du Code de Commerce. Une telle solution permettrait de répondre rapidement à la situation économique et éviter la perte de points de vente et d'emploi. Par ailleurs, les modifications des conditions de loyer s'effectueraient en dehors des comportements des locataires et des bailleurs. En aucune manière, le bailleur ne pourrait être inquiété par des baisses de loyer qui pourraient être qualifiées de soutien abusif.

Pour l'intégralité de ces développements, il vous est proposé de vous reporter à l'excellente thèse publiée aux Editions LGDJ par Monsieur David Bakouche, préfacée par Michelle Gobert (n° 432).

  • L'excès de contrat, par Jehan-Denis Barbier

L'excès est une notion relative : ce qui paraît excessif aujourd'hui, ne le paraissait pas il y a trente ans. Ce qui paraissait excessif il y a trente ans n'est plus ressenti comme tel aujourd'hui. L'excès a pour mesure ce qui paraît normal à la société, à un moment donné. Il est donc historiquement relatif. Tout dépend des limites posées par la société à un moment donné, de l'état d'esprit, de l'ambiance du moment. 

Le droit des baux commerciaux offre un bon exemple de ce relativisme : qu'est-ce qui est excessif, la réglementation ou le contrat ?

Dans les années 80-90, l'opinion était quasiment unanime pour critiquer l'excès de réglementation du statut des baux commerciaux. Aujourd'hui, la réglementation est admise, les critiques se focalisant sur l'excès de contrat, au vu du volume qu'ont pris les baux commerciaux.  Ainsi, dans les années 80-90, doctrine et jurisprudence était unanime pour considérer que la réglementation en droit des baux commerciaux était excessive, les critiques se dirigeant, essentiellement, en direction du plafonnement, du statut lui-même et des prix judiciaires.

Critique du plafonnement

Le professeur Derruppé a pu ainsi écrire que "la règle du plafonnement est un mal qui empoisonne le statut des baux commerciaux". Pour François Robine, "le plafonnement est si pervers que personne n'ose le défendre". Il était alors considéré comme une règle anti-économique, inéquitable, source de litiges, dépourvue de sens. Cette unanimité se traduisait même au sein de la Cour de cassation dont le rapport de 1999, contenait une étude de Madame Fossaert Sabatier, selon laquelle "il est possible de discerner dans la jurisprudence récente une tendance à l'élargissement des hypothèses d'exclusion de la règle du plafonnement". C'est dans ce contexte que la Cour de cassation a rendu un arrêt important le 13 juillet 199^9 (Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-18.295, N° Lexbase : A8130AG9), dans lequel elle avait jugé que la modification des facteurs locaux de commercialité n'avait pas à être favorable pour entraîner le déplafonnement dès lors qu'elle était notable. Elle avait également retenu que l'addition de plusieurs petites modifications, chacune d'elles étant insuffisante par elle-même, pouvait néanmoins constituer la modification notable autorisant le déplafonnement (Cass. civ. 3, 2 décembre 1998, n° 97-12.138, N° Lexbase : A6398AG3). Cette jurisprudence est aujourd'hui abandonnée.

Critique du statut

Dans les années 80-90, le statut des baux commerciaux était largement décrié. En témoigne, par exemple, l'organisation par Madame le Professeur Françoise Auque, en 1999, d'un colloque intitulé "Faut-il supprimer le statut des baux commerciaux ?". Ce statut était considéré comme excessivement protecteur du locataire. Les loyers apparaissaient sous-évalués et l'indemnité d'éviction surévaluée.

Critique des prix judiciaires

Dans les années 80-90, l'écart entre les prix judiciaires et prix de marché était considéré comme néfaste. Le marché, quant à lui, était vu comme le lieu de la vérité (vérité des prix) et de la liberté.

Aujourd'hui, l'état d'esprit et le contexte ont totalement changé. Après la première crise des années 1994-1997, puis la crise actuelle, les critiques pointent désormais un excès de contrat. Le marché n'est plus le lieu de la vérité mais celui de l'excès, il n'est plus le lieu de la liberté mais la cause des déséquilibres et de l'instabilité.
En outre, la règlementation n'est plus véritablement considérée, même pas les propriétaires, comme excessive. Ceci a pu notamment se remarquer lors de la mission "Pelletier" en 2004, mise en place pour étudier la nécessité d'une reforme du droit des baux commerciaux, dans le cadre de laquelle les propriétaires n'ont pas demandé pas la suppression du statut. L'immobilier commercial s'est, en outre, largement développé ces trente à quarante dernières années dans ce cadre, la réglementation ayant, au contraire, accompagné ce développement. Les propriétaires ne critiquent plus le plafonnement ; ils le demandent.

Le contrat est donc, aujourd'hui, considéré comme excessif. Il contient un nombre excessif de clauses et de pages. Le Professeur Françoise Auque, dans le cadre d'un article sur les baux dans les centres commerciaux, a même démontré que ces derniers sont de vrais contrats d'adhésion déséquilibrés dans lesquels les clauses ne sont pas négociables. La doctrine parle ainsi de "contrat-contrainte", conçu non pour régir de façon équilibrée les relations des parties, mais pour assurer la domination du bailleur et la soumission du preneur. 
Ce caractère excessif a été également évoqué dans le cadre de la mission "Pelletier", le rapport qui en fut issu mentionnant que "la rédaction actuelle de certains baux, inspirée parfois de pratiques anglo-saxonnes, se caractérise par la longueur du contrat et la densité de ses stipulations. Les locataires évoquent de véritables contrats d'adhésion et se plaignent du corps excessif des obligations mises à leur charge".

Cet excès de contrat n'est pas expressément sanctionné dans la loi (1) mais peut être rééquilibré par le juge (2).

1 - L'absence de sanction expresse par la loi

En matière des baux commerciaux, il n'y a pas de réglementation des clauses abusives ou des clauses excessives, comme en droit des baux d'habitation. Les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5763ISA) du Code de commerce frappent de nullité les clauses contraires au droit au renouvellement, à la durée du bail, à la déspécialisation, aux révisions légales, au droit de céder le fonds de commerce... Les clauses nulles sont donc celles qui portent atteinte à la propriété commerciale, mais non les clauses excessives.

Une clause nulle n'est pas nécessairement excessive. Ainsi, la clause d'enseigne est-elle jugé nulle par la Cour de cassation comme portant atteinte à la propriété commerciale (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-21.671 N° Lexbase : A9125AG3). Une telle clause n'est pas en soi excessive ; il est, en effet, tout à fait, compréhensible que le propriétaire d'un centre commerciale souhaite conserver des enseignes notoires et organiser la commercialité. Cette nullité est donc sans aucun rapport avec l'excès. De même la clause d'association, imposant au locataire d'adhérer à l'association de commerçant du centre commercial a été déclarée nulle par la Cour de cassation, sur le fondement de la liberté d'association, la notion d'excès étant ici tout aussi étrangère (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-10.778, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7273C8U ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.587, FS-P+B+I N° Lexbase : A7510IQ9). Il en est également ainsi de la nullité de la clause prévoyant un congé par lettre recommandée (Cass. civ. 3, 5 novembre 2003, n° 01-17.530, FS-P+B N° Lexbase : A0655DAI).

Inversement, la clause excessive n'est pas nécessairement nulle. Ainsi, la clause transférant au locataire l'intégralité des charges (pour les charges de chauffage, cf. Cass. civ. 3, 3 octobre 2012, n° 11-21.108, FS-P+B, préc.), des taxes (pour la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, cf. Cass. civ. 3, 13 juin 2012, n° 11-17.114, FS-P+B, préc.) des travaux (par ex., Cass. civ. 3, 6 mars 2013, n° 11-27.331, FS-P+B, préc.) bien qu'elle puisse paraître parfaitement excessive, n'est pas frappée de nullité si elle bien rédigée. Egalement, ne sont pas nulles les clauses d'interdiction imposant au locataire l'accord du propriétaire pour toute une série de démarches, pourtant nécessaires à l'exploitation de son activité, telle que celle qui suppose l'autorisation du bailleur pour effectuer des travaux imposés par un service de contrôle. De même, les clauses de contrôle et d'investigation, notamment dans les centres commerciaux, qui permettent au bailleur de vérifier la comptabilité, le chiffre d'affaires du locataire, s'il s'est acquitté de ses obligations auprès de l'URSSAF, etc., et qui sont assurément excessives, n'en sont pas moins valables.

2 - Le rééquilibrage par le juge

Le juge, par nature modéré, sera donc sollicité pour rééquilibrer le contrat et combattre ainsi les excès du contrat et du marché. Deux types de clause peuvent illustrer ce propos.

Il s'agit, d'abord, des clauses mettant à la charge du preneur des charges exorbitantes. Ainsi, aux termes de l'article R. 145-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0046HZQ), "les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative". Pour fixer la valeur locative, le juge va donc appliquer un abattement tenant compte des charges exorbitantes mises à la charge du preneur.

Ainsi, dans un arrêt du 30 novembre 2011, la cour d'appel de Paris a retenu que "l'impôt foncier pèse en principe sur le bailleur et l'allégation que l'usage en centre commercial est de faire supporter par le preneur la charge de l'impôt foncier est inopérante dès lors qu'un tel usage, à le supposer établi, ne peut contrevenir à une disposition claire de la loi [...]. Il convient en conséquence d'approuver le premier juge en ce qu'il a déduit le montant de l'impôt foncier de la valeur locative" (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 30 novembre 2011, n° 10/05085 N° Lexbase : A2352H3I).

Egalement, le 3 avril 2012, la cour d'appel d'Angers a jugé que "les travaux de mise aux normes et l'impôt foncier incombant normalement au bailleur, c'est à juste titre que [le preneur] demande qu'ils viennent en déduction de la valeur locative. La circonstance que de telles clauses figurent habituellement dans les baux relatifs à ce type de locaux implantés dans des zones commerciales est indifférente, les obligations particulières mises à la charge du preneur s'appréciant par rapport à la loi" (CA Angers, 3 avril 2012, n° 09/04378 (N° Lexbase : A0875IIA).

Le juge, par le biais de l'article R. 145-8 du Code de commerce, va donc rééquilibrer le contrat, puisque tout ce que le propriétaire gagne d'un coté en application des clauses exorbitantes, il le perd de l'autre, par l'application d'un abattement.

Il s'agit, ensuite, des clauses relatives à l'obligation de délivrance. Ces dernières années, la Cour de cassation a rendu de nombreux arrêts fondés sur l'obligation de délivrance, pour limiter la portée de certaines clauses excessives. Selon l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL) "le bailleur est obligé, par la nature du contrat [...] de délivrer au preneur la chose louée [...] d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée". C'est une obligation essentielle du contrat sans être pour autant d'ordre public.

Trois arrêts récents, rendus dans le courant de l'année 2013, illustrent l'intervention du juge sur le fondement de l'obligation de délivrance, pour rééquilibrer le contrat.

- Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-28.170, FS-P+B (N° Lexbase : A1513IZ3)

En l'espèce, avait été donné à bail un ensemble de parcelles en nature de terre, bois et landes, pour y exploiter une activité de parc de chasse. L'activité de parc de chasse est définie à l'article L. 424-3 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3486ISW) qui impose la présence d'une habitation attenante et d'une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage du gibier et celui de l'homme. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2012, les lieux loués étaient dépourvus d'une habitation attenante et d'une clôture continue, si bien que le locataire s'était vu opposé l'interdiction d'exploiter. Le preneur avait alors demandé la résiliation du bail aux torts de la bailleresse. Pour rejeter cette demande, la cour d'appel de Nîmes avait retenu que si la destination des biens donnés à bail était celle de parc de chasse, le bail mettait expressément à la charge du preneur la mise en conformité des lieux loués avec les règlements en vigueur ainsi que toutes les transformations et réparations nécessitées par l'exercice de son activité, de sorte que la clause de non-garantie de l'obtention des autorisations nécessaires à l'utilisation de l'immeuble loué en vue de l'exercice de l'une des activités autorisées était parfaitement licite, les parties ayant la faculté de limiter l'étendue de l'obligation de délivrance du bailleur (CA Nîmes, 29 septembre 2011, n° 09/01354 N° Lexbase : A9026H8S). La décision est censurée au visa de l'article 1719 du Code civil : la cour d'appel a violé ce texte, dès lors qu'aucune clause ne peut décharger le bailleur de son obligation de délivrer une chose conforme à sa destination

- Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n° 11-12.970, FS-D (N° Lexbase : A3352IW3)

Dans cette affaire, la cour d'appel de Douai (CA Douai, 2ème ch., sect. 2, 16 novembre 2010, n° 09/00499 N° Lexbase : A6146GKT) avait retenu que le bail exonère le propriétaire de son obligation de délivrance en bon état comme de son obligation d'entretien et de réparation en cours d'exécution du contrat, y compris pour les grosses réparations et celles résultant de la vétusté. La Cour de cassation censure également cette solution : "les clauses du contrat de bail ne pouvaient décharger le bailleur de son obligation de délivrance d'un local en état de servir à l'usage contractuellement prévu".

- Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n° 11-20.660, FS-D (N° Lexbase : A3357IWA)

Dans cette affaire, la locataire de locaux à usage de café-restaurant, situés dans un centre commercial, se plaignant d'entrées d'air froid dues au mauvais fonctionnement des portes d'accès à ce centre l'empêchant d'exploiter normalement les lieux loués, a assigné la bailleresse en réparation de son trouble de jouissance. La cour d'appel de Rennes avait rejeté la demande du preneur (CA Rennes, 16 mars 2011, n° 09/06450 N° Lexbase : A8854HCW), au motif qu'une clause du bail stipule que le preneur s'interdit tout recours en diminution de loyer du fait de l'interruption dans le fonctionnement des appareils communs , ladite clause rendant sa demande irrecevable. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel : la clause litigieuse ne décharge pas la bailleresse de son obligation de délivrance et ne prive pas la locataire du droit de demander l'indemnisation de son trouble de jouissance.

Ainsi, à la lecture de ces décisions, Jehan-Denis Barbier relève que, si les juges du fond appliquent les clauses contractuelles, la Cour de cassation prive d'effet les clauses excessives.

  • La valorisation excessive des droits au bail fixés dans le cadre de procédure d'éviction, par Pascale Bernert

A l'issue du bail, le bailleur peut refuser le renouvellement, en application du droit absolu qu'il tire de l'article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII). Il doit alors sauf exception au preneur une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. L'alinéa 2 précise alors que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. Il en résulte que ce texte pose une présomption de disparition du fonds du fait du non-renouvellement, qui constitue la base sur laquelle le locataire doit être indemnisé. Cette présomption peut être combattue si le bailleur apporte la preuve que le préjudice subi par le locataire est moindre, en démontrant que le transfert du fonds est possible. Mais cette preuve n'est pas évidente à rapporter car il a été jugé que l'acquisition ou la création d'un nouveau fonds de commerce par le locataire ne suffit pas à écarter cette présomption. Ainsi, dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 12 avril 2008, le locataire évincé, qui exploitait précédemment sur une enseigne, avait trouvé de nouveaux locaux et s'était réinstallé avec la même enseigne. Le propriétaire soutenait qu'il y avait bien eu transfert du fonds de commerce. Pourtant, pour la cour d'appel de Montpellier l'exploitation par le preneur d'une nouvelle enseigne identique à la précédente, dans les lieux loués avant l'éviction et la restructuration globale des activités commerciales du locataire évincé sous cette même enseigne ne démontrent nullement que le fonds a été simplement déplacé. L'exploitation d'un commerce de détail dépend de son emplacement. Le preneur évincé était privé d'un emplacement spécifique et peu important le choix par le preneur d'un emplacement différent et de l'exercice d'une activité commerciale un petit peu plus large.

Par conséquent, la première vérification à faire dans chaque contentieux d'éviction va consister à déterminer si le fait pour le preneur de devoir quitter les lieux entraîne ou non la perte du fonds de commerce. Si le refus de renouvellement entraîne la perte du fonds, le bailleur doit régler l'indemnité dite de remplacement qui aura pour assiette la valeur du fonds. Si, au contraire, le fonds de commerce peut être déplacé sans perte de clientèle, le bailleur ne devra régler qu'une indemnité dite de déplacement ou de transfert qui aura pour assiette la valeur du droit au bail. Les indemnités accessoires sont dues dans les deux cas et en particulier les frais de réinstallation pour un fonds de même valeur (Cass. civ. 3 18 décembre 2012 n° 11-23.273, F-D N° Lexbase : A1639IZQ).

Seront donc examinées successivement la valeur de déplacement, puis la valeur de remplacement dans les cas particuliers où le droit au bail est pris en compte comme indemnité principale.

1 - Le droit au bail dans le cadre de la valeur de déplacement

La valeur de déplacement suppose donc que le fonds de commerce peut être transféré. Le bailleur doit établir que l'exploitation peut être poursuivie sans perte significative de clientèle. Ce sera le cas essentiellement pour des grossistes, des locaux industriels, des bureaux, des entrepôts, des commerces de détail de forte notoriété, ou lorsque le commerçant trouve une possibilité de se réinstaller à proximité immédiate. On considère toutefois que le preneur subit un préjudice lié à la perte de l'économie de loyer, le loyer qu'il devra payer pour se réinstaller pouvant être supérieur à celui qu'il paye pour les locaux dont il est évincé. Il s'agit du droit au bail, dont la valeur est déterminée par la capitalisation de la différence sur un an entre la valeur locative des lieux loués et ce qu'aurait été pour le locataire évincé le loyer de renouvellement. Il faut donc identifier plusieurs éléments et en premier lieu ce montant du loyer de renouvellement ce qui impose de vérifier si ce dernier aurait été plafonné ou déplafonné. Il convient ensuite d'évaluer la valeur locative des lieux loués hors du plafonnement. Se pose dès lors la question de savoir s'il s'agit d'une valeur locative de renouvellement déterminée en fonction de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9), c'est-à-dire en fonction des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage ; ou de la valeur locative de marché du local libre de toute occupation, c'est-à-dire le prix du loyer pour une location nouvelle sans versement de droit d'entrée pour le commerce qui serait le plus adapté à l'emplacement, celui qui génèrera le chiffre d'affaires le plus élevé au mètre carré.

Chaque fois que le déplafonnement est pratiquement acquis en raison de la durée du bail ou parce qu'il existe un motif relativement inconstatable de déplafonnement, il doit en résulter une forte minoration du droit au bail. En revanche, si la valeur locative de renouvellement est appliquée, il n'y a alors plus du tout de valeur de droit au bail, sauf à appliquer une valeur locative "compassionnelle" pour reprendre les termes de François Robine.

Si la valeur locative du prix marché est appliquée, le droit au bail correspondra alors à une valeur résiduelle qui sera la différence entre le prix de renouvellement et le prix de marché. Mais dans ce cas, peut-on estimé que l'on est encore dans une économie de loyer ? La réponse semble négative, dans la mesure où l'on est dans le cadre de la valeur du droit au bail lui-même que le locataire pourrait éventuellement vendre à un autre locataire pour exercer, dans les locaux loués, une activité différente, étant entendu que, dans ce cas, il lui faudra souvent obtenir l'accord du bailleur puisque dans la quasi-totalité des baux interdisent la cession libre du seul droit au bail.

Concernant la détermination du multiple, à une certaine époque était appliqué un multiple de 9, considérant que l'économie de loyer se faisait sur 9 ans. Le différentiel d'une année de loyer était donc multiplié par 9. Or, payer un capital en une seule fois et faire une économie de loyer sur neuf ans sont deux choses différentes, si bien qu'à cette méthode lui a été ensuite préférée l'application d'un coefficient financier. Cette technique a également été abandonnée, la pratique retenant aujourd'hui un coefficient dit de commercialité qui varie de 2 à 10 voire 12 :
- coefficient de 2 ou 3 pour les situations médiocres ;
- coefficient de 4 ou 5 les situations moyennes ;
- coefficient de 5 pour les bonnes situations ;
- coefficient de 6 pour les très bonnes situations ;
- coefficient de 10 voire 12 pour les situations exceptionnelles à Paris.

Il s'agit donc du calcul théorique de la valeur du droit au bail dans le cadre de l'indemnité de déplacement.

Lorsque l'activité est transférable, il apparaît logique que la valeur du droit au bail soit appréciée en prenant en considération, exclusivement, les locaux dont le preneur est évincé. A ce niveau, surgit, néanmoins un problème, lorsque le preneur prend l'initiative d'un transfert en cours d'instance, avant que l'indemnité soit définitivement fixée.

Considérant les indemnités dites accessoires, il est d'usage de prendre en comptes le préjudice effectivement subi et justifié par le preneur : le frais de déplacement, éventuellement le double loyer et le trouble commercial.

Mais, en ce qui concerne le droit au bail, lui-même, doit-on faire abstraction de la valeur du droit au bail des locaux dans lesquels le commerce exercé a été effectivement transféré ou, au contraire doit-on prendre en comptes les modalités de réinstallation ? Si le locataire s'est réinstallé en faisant l'acquisition d'un droit au bail, appelé pas de porte, fort logiquement la mesure de l'indemnité sera fournie par le droit au bail. En revanche, lorsqu'il n'y a pas de droit au bail, il existe des divergences entres juridictions du fond.

Certaines semblent exclure la prise en considération du loyer payé pour le nouveau local. Ainsi, dans une affaire jugée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en 2003, une activité de garde meuble était exercée à Nice en centre-ville. Le locataire trouve de nouveaux locaux pour se réinstaller dans un nouvel immeuble à Saint-Laurent du Var. L'expert judiciaire commis a considéré que le locataire pouvait transférer son activité sans perte de clientèle. Le bailleur faisait donc valoir que ces nouveaux locaux, plus commodes et plus économiques pour le locataire, anéantissaient la valeur du droit au bail. La cour d'appel considère que la méthode du différentiel de loyers n'a pas à prendre en considération le loyer effectivement payé pour un nouveau local ni même les nouvelles conditions économiques de l'activité déplacée, telle une exploitation plus rationnelle.

En revanche, la même cour d'appel a pu considérer que concernant le différentiel de loyer à prendre en compte, la différence se fait entre le dernier loyer payé par le locataire et le prix du marché et non la valeur locative de renouvellement. La cour d'appel de Paris a considéré, au contraire, que la valeur locative à retenir et non pas celle des locaux en cause, mais celle que la société locataire va devoir payer pour des locaux équivalents. Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 2006, elle a retenu que le preneur ayant retrouvé un local correspondant à ses besoins, l'indemnité principale d'éviction, qui doit réparer l'intégralité du préjudice réellement causé par l'éviction, n'a pas à être calculée sur une valeur locative théorique, mais sur la différence réelle entre le loyer du local dont le preneur est évincé et celui qui le remplace. Cela paraît parfaitement logique ; rien d'excessif dans tout cela.

Dans un arrêt du 12 mars 2008, la cour d'appel de Montpellier fait la même analyse. Dans cette affaire, l'expert avait mis en évidence le transfert de l'activité du preneur dans de nouveaux locaux situés à proximité des locaux, objet du congé, l'opération n'ayant pas nécessité de rachat de fonds de commerce. Dès lors, en raison du transfert de l'existant, l'indemnité principale se résume à la valeur du droit au bail et en l'absence de contrat de bail, la valeur du droit au bail est déterminée en fonction des loyers versés. Or, le loyer versé est inférieur au loyer des locaux, objet du congé, de telle sorte que la valeur du droit au bail est nulle et que ne doit être versée qu'une indemnité pour trouble commercial.

La Cour de cassation considère quant à elle que c'est au juge du fond d'user de leur pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer la valeur du droit au bail dès lors que le preneur s'est réinstallé dans des locaux équivalents.

En conclusion sur cette indemnité de transfert, il est généralement admis que la valeur du fonds de commerce majorée des indemnités accessoires constituerait le maximum de cette indemnité susceptible d'être reçue par le locataire. Dès lors qu'il se réinstalle, il est en effet considéré légitime que le locataire reçoive une indemnité supérieure à celle qu'il aurait reçue s'il avait perdu le fonds. Aussi, si indemniser le transfert s'avère plus onéreux qu'indemniser la perte du fonds, il convient, dans la logique de l'article L. 145-14 du Code de commerce, s'en tenir à l'indemnisation du fonds. En effet, il se peut que des indemnités de transferts soient infiniment plus onéreuses que la valeur du fonds. Ce sera notamment le cas pour les sites industriels pour lesquels le transfert est particulièrement lourd financièrement.

2 - Le droit au bail dans le cadre de la valeur de remplacement

Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle il existe une valeur de plancher du droit au bail et uniquement du droit au bail. Il peut en effet y avoir une valeur de fonds même en présence d'une entreprise déficitaire, la valeur du fonds étant alors réduite à celle du droit au bail. En d'autres termes, le résultat déficitaire d'une exploitation n'est pas de nature à priver le locataire évincé d'une indemnité d'éviction. Si cela peut paraître curieux, il ne s'agit que de l'application de la méthode de l'actif net qui s'impose dans l'évaluation de n'importe quelle entreprise. Dans le cas de fonds de commerce faiblement déficitaire ou exercé dans des locaux important géographiquement ou physiquement, tout le centre de la gravité du calcul de l'indemnité de remplacement va basculer vers l'évaluation du droit au bail.

On retrouve ici le calcul de l'économie de loyers ou de différentiel de loyer avec le montant du loyer théorique de renouvellement comparé à la valeur locative des lieux loués hors plafonnement. Se pose donc toujours la même question : s'agit-il de la valeur locative de renouvellement ou bien de la valeur locative de marché, valeur du local libre de toute occupation sans versement de droit d'entrée ?

Selon certains experts, il convient d'appliquer la valeur locative telle qu'elle est déterminée par les règles du marché. Sur ce dernier point, d'un point de vue économique le droit au bail est défini comme la somme versée par un locataire à un autre locataire pour acquérir le droit d'occuper un local commercial. La valeur du droit au bail déterminée selon les règles du marché correspond donc à la différence entre la valeur locative de marché et le loyer. Les commerçants recherchent la rentabilité directe mais également les beaux emplacements et les emplacements de prestige pour leurs répercussions sur les autres boutiques exploitées sous la même enseigne pour l'effet vitrine, afin de multiplier le concept et valorisation de la marque. Or, les emplacements d'exception sont rares, ce qui crée une véritable valeur de droit au bail et un véritable marché du droit au bail. Ainsi, lorsqu'il est exercé dans une boutique ou un commerce qui n'est plus adapté à la rue, il est fréquent que la valeur du droit au bail soir très supérieure à celle du fonds. Dans ce cadre économique, la valeur du droit au bail est bien la différence entre le loyer théorique de renouvellement et le loyer au prix du marché.

Mais dans cette même pratique du marché que se passe-t-il dès lors que le fonds de commerce est librement cessible alors que la plupart des baux interdisent au preneur de céder sans l'accord du bailleur le seul droit au bail ? Naîtra donc une négociation tripartite entre le vendeur, l'acquéreur et le bailleur, dans la mesure où le vendeur n'a pas d'autre choix que de faire intervenir le bailleur qui monnayera son accord. Il autorisera en effet la déspécialisation et à vendre le droit au bail en contrepartie du versement d'une indemnité de déspécialisation ou le plus souvent d'une réévaluation du loyer. Le bailleur ne devra être avoir des exigences financières mesurées, au risque de faire baisser excessivement la valeur du droit au bail et d'entraîner une cession du seul fonds de commerce. Le bailleur profite donc de la demande de changement d'activité pour réévaluer son loyer et en obtenir une hausse qui met fin au plafonnement et permet de rétablir, malgré tout, un équilibre contractuel locatif lorsque le loyer est plafonné depuis des années et que la valeur du droit est bail est parallèlement très élevé. C'est ce que l'on appelle la valeur partagée.

Mais que se passe-t-il en matière d'indemnité d'éviction ? Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle le loyer est plafonné et le bailleur préfère payer une indemnité d'éviction plutôt que de rester sur un loyer qui n'est plus en adéquation avec le marché. Or, par le système du droit au bail, plus le loyer est bas plus l'indemnité d'éviction sera élevée, voire excessive dans les emplacements prestigieux. Dès lors, le bailleur perd ici toute faculté d'augmentation du loyer. En effet, il ne trouvera jamais de locataire prêt à payer un droit au bail très élevé et une valeur locative de marché. Aussi, retenir une valeur de droit au bail, dans le cadre d'une indemnité d'éviction, tout commerce constitue un enrichissement pour le locataire lorsque cette valeur est supérieure à celle du fonds de commerce et cette valeur revient à avoir des valeurs de droit au bail parfaitement excessive.

Pour éviter ces écueils, il conviendrait, dès lors, de considérer que si le droit au bail n'est pas cessible seul, il n'a pas de valeur patrimoniale. Un arrêt de la cour d'appel de Dijon de septembre 1993 a ainsi réduit de moitié la valeur du droit au bail pour tenir compte du fait qu'il n'était pas librement cessible.

La deuxième solution consisterait à estimer que, lorsque le locataire fait l'objet d'une éviction, l'indemnité qui doit compenser le préjudice subi devrait se rapprocher de la valeur de droit au bail susceptible d'être négociée sur le marché avec l'accord du bailleur.

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