Réf. : Cass. com., 15 janvier 2013, n° 11-27.298, FS-P+B (N° Lexbase : A4838I3L) et Cass. com., 26 mars 2013, n° 11-27.423, FS-P+B (N° Lexbase : A2719KBC)
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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan
le 25 Avril 2013
I - Les précisions quant à la notion de défendeur au sens de l'article 1699 du Code civil
Il résulte de la production du début d'année de la Cour de cassation qu'un demandeur reconventionnel peut être considéré comme défendeur pour les besoins de l'article 1699 du Code civil (A), tout comme une caution (B).
A - Qualité de défendeur et demande reconventionnelle
La jurisprudence constante de la Cour de cassation exige que seul le défendeur à l'instance ayant pour objet le droit litigieux puisse valablement se prévaloir des dispositions de l'article 1699 du Code civil (3). Dans la ligne du caractère exceptionnel de la faculté de retrait litigieux, il s'agit, par ce critère, de ne pas offrir une sortie trop commode au débiteur cédé qui pourrait autrement trouver dans sa propre prétention une planche de salut face au cessionnaire de la créance dont il est redevable.
Au cours de la procédure s'étant dénouée devant la Chambre commerciale le 15 janvier 2013, la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 29 septembre 2011, n° 10/11434 N° Lexbase : A3624HYU) avait dénié tout droit à retrait litigieux à la partie qui en estimait être bénéficiaire au nom de ce qu'elle avait introduit une demande reconventionnelle, à savoir "une demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire" (C. proc. civ., art. 64 N° Lexbase : L1267H4P), ce qui lui aurait fait complètement perdre, dans l'esprit des juges d'appel, sa qualité de défendeur à l'instance au fond portant sur la contestation du droit litigieux.
L'arrêt du second degré est, sur ce terrain (comme sur bien d'autres), cassé à juste titre par la Cour de cassation : dans l'instance relative à la créance d'indemnité contractuelle, le demandeur reconventionnel, sans schizophrénie, était bien défendeur. Peu importe donc la demande reconventionnelle : dans un souci d'équilibre, il ne s'agirait pas de trop contraindre la stratégie contentieuse du débiteur cédé.
B - Qualité de défendeur et caution
Dans l'arrêt du 26 mars 2013, la question de droit soumise à la Cour de cassation était, en substance, la suivante : le retrait litigieux peut-il être exercé par la personne s'étant portée caution au titre de la créance cédée ?
A nouveau, il s'agit donc pour la Haute juridiction de jouer avec l'asymptote du régime de l'article 1699 du Code civil. La cour d'appel de Paris (toujours elle) n'avait pas souhaité le faire : à son avis, une caution ne pouvait bénéficier de la faculté de retrait litigieux (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 novembre 2011, n° 10/24014 N° Lexbase : A0666H33). De notre point de vue, ce raisonnement est porteur d'un vice de droit : l'une des caractéristiques essentielles du cautionnement est d'obliger à payer une dette à la place du débiteur si celui-ci ne le fait lui-même (C. civ., art. 2288 N° Lexbase : L1117HI9), ce qui aboutit à ce que l'obligation principale et l'obligation de la caution partagent le même objet. Aussi, il paraît non seulement concevable mais, au surplus, juridiquement indispensable que, face au cessionnaire d'une créance, la caution puisse se libérer pour le prix de cession de la créance cédé, comme peut le faire le débiteur dans les limites posées par l'article 1699 du Code civil, puisque la caution ne peut être tenue plus sévèrement que le débiteur principal (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L1121HID).
C'est cette voie que retient la Chambre commerciale dans sa décision du 26 mars 2013 en ouvrant le retrait litigieux à la caution, dès lors que celle-ci est "défenderesse à l'instance qui [a] pour objet la contestation du droit litigieux". En somme, l'exercice du retrait litigieux impose la qualité de défendeur à l'action en justice relative à la créance mais pas nécessairement à celle en contestation du retrait litigieux lui-même.
Ces quelques précisions quant à ce que la position prétorienne comprend comme le défendeur à une instance ayant pour objet le retrait litigieux sont bonnes à prendre, tant pour ceux qui raisonnent dans le sens du candidat retrayant, puisque se clarifient des situations jusqu'alors frappées d'ambiguïté, que pour ceux qui veulent protéger les intérêts des cessionnaires, car ils y trouveront plus de prévisibilité dans la structuration des opérations d'acquisition de créances. La même prévisibilité est aussi une vertu des avancées jurisprudentielles, même modestes, des dernières semaines à propos de certaines conditions relatives à la cession pour que celle-ci soit éligible au bénéfice de l'article 1699 du Code civil.
II - Les précisions quant à certaines conditions relatives à la cession pouvant bénéficier de l'article 1699 du Code civil
C'est ici l'arrêt du 15 janvier 2013 qui va nous retenir exclusivement, en ce qu'il se prononce relativement à l'incidence sur l'exercice du retrait litigieux du fait que la créance "fasse bloc" avec autre chose (A) et qu'il exclut toute considération pour les motifs de la cession de créance en dessous du nominal (B).
A - Bloc et retrait litigieux
Pour éviter l'application des dispositions de l'article 1699 du Code civil, a été prise l'habitude de procéder à des cessions de créances en bloc, à savoir en cédant des portefeuilles de créances en une seule fois. Le raisonnement sous-jacent tient à ce que, de la sorte, le prix de cession de chaque créance serait plus difficile à déterminer, ce qui couperait court à toute velléité du débiteur cédé de demander un retrait litigieux. La tactique est d'autant plus fondée qu'elle correspond, souvent, à l'appétit de certains cessionnaires qui achètent, à des prix plus ou moins cassés, des portefeuilles de créances.
Mais voilà, la Cour de cassation sait se montrer protectrice des prérogatives offertes à la partie faible que serait le débiteur cédé. C'est ainsi que, dans un arrêt déjà fort ancien, elle avait jugé que "un créancier, en comprenant une créance litigieuse dans une cession en bloc d'un grand nombre de créances, ne saurait détruire ni paralyser la faculté qu'un débiteur tient de la loi [...] d'exercer un retrait litigieux" (4). Cette position générale a été réaffirmée à plusieurs reprises depuis la fin du XIXème siècle, notamment pour préciser que le retrait litigieux reste toujours possible dès lors que le prix de cession de la créance litigieuse peut être déterminé au sein de celui du portefeuille cédé (5).
Dans les faits de l'arrêt du 15 janvier 2013, deux créances, dont celle litigieuse, avait été cédées : dans ce petit bloc, la cour d'appel avait cru y voir un motif suffisant pour refuser toute application de l'article 1699 du Code civil. Sans surprise, pour les motifs classiques évoqués ci-dessous, la Chambre commerciale y trouve un chef de cassation : la cour d'appel aurait dû rechercher "si la part correspondant à la créance litigieuse dans le prix de cession global était déterminable". En ce sens, les juges de cassation se situent purement et simplement dans la ligne existante et ne vouent pas aux gémonies les cessions en bloc : si celles-ci, sans intention frauduleuse, sont réalisées pour un prix forfaitaire ne conduisant pas à appliquer un ratio unique à chacune des créances du portefeuille (ce qu'une clause de la convention de cession peut utilement préciser), le cessionnaire trouve une bonne protection face au risque que constitue pour lui le retrait litigieux.
En fait de bloc, et le point fait également partie de la discussion de l'arrêt du 15 janvier 2013, il faut également envisager l'impact du caractère accessoire de la cession de créance litigieuse par rapport à un droit principal, avec lequel elle ferait donc corps, quant à l'applicabilité du régime de l'article 1699 du Code civil. En la matière, la première chambre civile de la Cour de cassation conçoit, il est vrai, d'écarter toute faculté de retrait litigieux dès lors que la créance contestée en justice est inséparable d'un droit principal (6). En l'espèce, parce que la cession de la créance en cause n'avait été que l'accessoire de la liquidation amiable du débiteur cédé, qu'elle entendait simplifier (c'est réussi...), la cour d'appel de Paris avait, une fois encore, refusé de faire application de l'article 1699 du Code civil. Nouvelle cassation : selon la Chambre commerciale, le caractère inséparable du droit principal, auquel nous faisions référence, n'a pas été suffisamment caractérisé par les juges du fond. On peut voir, comme d'autres (7), dans cette position, une atténuation sensible des exigences du juge du droit qui semble ne plus souhaiter se contenter d'un refuge derrière l'appréciation souveraine des juges du fond comme il pouvait le faire jusqu'alors (8).
B - Spéculation et retrait litigieux
Pour refuser au défendeur le retrait litigieux, la cour d'appel de Paris avait cru bon subordonner l'exercice de cette faculté à l'existence d'une intention spéculative du cessionnaire. Il est exact que le parfum balzacien de l'article 1699 du Code civil est celui d'une farouche envie d'éviter la spéculation autour de créances décotées déjà en procès. Or, dans les faits de l'espèce de l'arrêt du 15 janvier 2013, la cession était intervenue pour la somme d'un euro pour purger le passif du cédant, alors en liquidation judiciaire : en conséquence, on peut affirmer sans trop s'avancer qu'il n'y avait, en effet, aucune intention spéculative derrière la cession de la créance litigieuse.
Pourtant, la Cour de cassation néglige cet argument du cessionnaire au nom d'une lecture littérale de l'article 1699 du Code civil : ce serait ajouter à la loi que d'imposer que le retrait litigieux ne puisse intervenir que si la cession a été réalisée à des fins spéculatives. Au demeurant, ce serait un critère fort délicat à apprécier, susceptible de vider de sa substance l'article 1699 du Code civil. Au final, on ne voit pas trop comment la Cour de cassation aurait pu ne pas casser l'arrêt rendu par la cour d'appel pour avoir exigé que le retrait litigieux ne soit exerçable qu'à la condition que la cession ait été spéculative, et ce, en dépit, de l'interprétation téléologique consensuelle de l'article 1699 du Code civil.
A propos d'une problématique proche, nous pouvons exprimer un regret relatif à l'argumentaire déployé dès l'instance au fond : pourquoi ne pas avoir avancé que la cession ayant été faite pour le prix symbolique d'un euro, elle ne comportait pas de prix, ce qui devrait conduire à exclure les dispositions de l'article 1699 du Code civil ? Certes, la Cour de cassation a déjà admis que le retrait litigieux était possible même en cas de cession à titre gratuit (9), mais il paraît malgré tout dommage de s'être privé d'un beau discours sur ce point, à la recherche d'un revirement de jurisprudence.
A reconsidérer l'ensemble que forme le très sec grand chelem de cassation du 15 janvier 2013 et la cassation unique du 26 mars 2013, on s'aperçoit que la principale innovation dont ils sont porteurs est la précision indéniable de ce que la cession a beau être effectuée sans intention spéculative elle n'est pas pour autant immunisée contre le retrait litigieux. Ces deux arrêts sont aussi révélateurs d'un flux abondant de litiges relatifs au retrait litigieux. Appel sur appel a beau ne pas valoir, quand entre en jeu l'article 1699, litige sur litige vaut clairement.
(1) Cass. civ. 1, 30 juin 1981, n° 79-12.531 (N° Lexbase : A5680CKL), D., 1983, 102, note Abitbol ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 00-20.086, FS-P (N° Lexbase : A8617DAE), Bull. civ. I, n° 17.
(2) Cass. com., 15 avril 2008, n° 03-15.969, F-P+B (N° Lexbase : A9571D7M), Droit & patrimoine, septembre 2008, p. 97, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm. Pour être tout à fait exact, l'arrêt concernait un fonds commun de créances, prédécesseur des organismes de titrisation dont on peut donc assez légitimement penser qu'ils sont soumis au même régime en matière de retrait litigieux.
(3) Cass. com., 26 mars 1973, n° 71-14712, publié (N° Lexbase : A0452CKX), Bull. civ. IV, n° 133 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, préc..
(4) Cass. Req., 30 juin 1880, S. 1881, 1, p. 59.
(5) Voir, en particulier, Cass. com., 29 octobre 2003, JCP, éd. G., 2004, I, 141, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque.
(6) Cass. civ. 3, 31 mai 1978, n° 77-20.007 (N° Lexbase : A6477CK4), Bull. civ. III, 1978, n° 231.
(7) X. Delpech, Cession de créances : précisions sur l'exercice du retrait litigieux, D., 2013, p. 542.
(8) Cass. civ. 3, 31 mai 1978, préc..
(9) Cass. com., 31 mars 1998, n° 96-12.897, inédit (N° Lexbase : A7920C7H).
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