Lexbase Avocats n°148 du 25 avril 2013 : Interprofessionnalité

[Le point sur...] Le Conseil national du droit et les juristes d'entreprise

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par Didier Truchet, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), Président du Conseil national du droit

le 25 Avril 2013

Le Conseil national du droit a été placé, par un décret du 29 avril 2008 (décret n° 2008-420 du 29 avril 2008, portant création du Conseil national du droit N° Lexbase : L8859H3I), auprès de la Garde des Sceaux et de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, pour exercer une mission de réflexion et de propositions sur l'enseignement et la recherche juridiques. Il est actuellement composé de 49 membres. En légère majorité, ils représentent le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et les principales professions juridiques, réglementées ou non, publiques ou privées : par exemple, l'Association française des juristes d'entreprise, l'Association nationale des juristes de banque, l'Association des juristes d'assurance et de réassurance. Les autres sont des professeurs des facultés de droit, de l'IEP de Paris, de Dauphine, d'HEC. Il rassemble tous ceux qui forment les juristes et tous ceux qui les emploient. Sa présidence est assurée pour deux ans alternativement par un universitaire et par un non universitaire, le vice-président appartenant à l'autre catégorie. A un tandem Bernard Teyssié (professeur)/Bruno Potier de la Varde (avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation), a succédé en juin 2012 l'équipe que je forme avec Hervé Delannoy (directeur juridique de Rallye SA et président de l'AFJE) que les lecteurs de Le juriste d'entreprise Magazine connaissent bien.

Telle est bien la première idée qui a inspiré la création du CND : mettre fin à la séparation croissante entre les formateurs et les employeurs. Elle n'était pas le fait d'une hostilité, mais d'une ignorance réciproque. Les étudiants et, au-delà, les professions risquaient d'en souffrir.

La deuxième idée était d'exprimer l'unité de la communauté des juristes. Entendons-nous bien ! Il ne s'agissait pas de gommer les spécificités de chacun des métiers du droit, encore moins de promouvoir une profession juridique unifiée de type "Darrois". Le CND s'appuie sur une autre unité, celle de l'appareil normatif, des méthodes, des instruments... : tous, nous "faisons du droit", chacun à sa manière, dans sa discipline, avec ses objectifs, dans son cadre professionnel, mais à partir de la même matière première (la règle de droit), avec des techniques de raisonnement identiques et sans doute en observant quelques principes déontologiques communs (auxquels le CND a d'ailleurs réfléchi).

Le CND est la seule institution (de surcroît, officielle) qui couvre le périmètre du droit dans son ensemble. Ses débats montrent que la confrontation de sensibilités juridiques différentes est très fructueuse. Ils peuvent être vifs mais sont toujours constructifs et marqués par une grande écoute réciproque. La qualité de ses membres y est évidemment pour beaucoup. Le CND, dépourvu de compétence consultative obligatoire et bien sûr de pouvoir de décision, n'est pas un lieu de pouvoir (ce que ses très modestes moyens ne lui permettraient pas d'être) : la parole y est donc particulièrement libre. Il est un espace d'information entre professions (être professeur de droit, c'est aussi exercer une profession du droit) qui, en réalité, se connaissaient étonnamment mal, de réflexion sur la formation, la recherche, le besoin de droit dans notre pays et la manière d'y répondre, et de recommandation.

Il a cependant ses faiblesses. Ses avis sont peu connus. Sauf en de rares occasions, leurs effets pratiques sont difficiles à mesurer (ils se produisent par imprégnation du milieu) et insuffisamment suivis par le CND lui-même. C'est pourquoi j'invite les lecteurs de cette revue à aller sur son site : www.conseilnationaldudroit.fr.

Ils verront que le CND ne chôme pas ! En groupe de travail, puis en séance plénière, il a produit des rapports sur les modalités d'accès aux professions juridiques, sur l'emploi des juristes, la recherche, la labellisation des masters par les professions, les filières d'excellence, la formation commune (à la demande des deux ministres à la suite du Rapport Darrois) etc.. "A chaud", il s'est exprimé sur des questions d'actualité telles que la création de l'école de droit privée HEAD ou, tout récemment, la proposition (non suivie d'effets pour le moment) du Conseil national des barreaux de supprimer l'accès direct des docteurs aux écoles de formation du barreau.

Les juristes d'entreprise ont été très présents, actifs et écoutés dans ses séances. Mais le CND n'avait jamais eu l'occasion d'en parler spécifiquement. C'est désormais en cours : il vient de créer un groupe de travail sur la formation des juristes d'entreprise, sous la présidence de M. Delannoy.

En séance plénière, il leur a déjà consacré, le 18 décembre 2012, une longue et riche discussion dont le compte-rendu est publié sur son site. S'y sont exprimés, outre les juristes d'entreprise, des membres de la Cour de cassation, du barreau, du notariat, de l'Université, d'HEC. Cette large participation est significative de l'intérêt du Conseil pour une profession qui est un gros employeur de juristes et de l'utile décloisonnement de ses travaux.

Publiciste, et donc connaissant peu la fonction de juriste d'entreprise, j'en ai retenu notamment les points suivants :

-la formation menée à l'Université (spécialement avec les DJCE, créés dès 1965) ou dans les écoles de gestion (parfois dans les deux en collaboration) est diverse et manque d'une structure forte (une "colonne vertébrale", a dit l'un d'entre nous), qui lui donnerait une meilleure visibilité ;

-on attend des jeunes gens qui s'y engagent une bonne connaissance du droit français (qu'ils ont en général) mais aussi anglo-saxon (qui leur manque souvent) et des compétences en comptabilité, marketing, ressources humaines... ;

-la formation devrait ajouter aux enseignements théoriques indispensables des aspects pratiques (dans le cursus même, avec des études de cas, ou lors de stages en France ou à l'étranger). La participation de professionnels non universitaires est indispensable mais elle est déjà largement acquise ;

-le diplôme d'avocat est apprécié lors du recrutement de ses collaborateurs par l'entreprise, mais les deux métiers sont différents (je me garderai bien d'opiner sur la délicate question de l'avocat d'entreprise !) ;

-la fonction de juriste d'entreprise n'est pas seulement de conseil et de support, mais aussi de décision et de participation à la stratégie (en particulier au niveau du groupe).

Cette esquisse n'est pas une feuille de route. Je ne veux pas préjuger les conclusions du groupe de travail et en serais d'ailleurs bien incapable. J'évoquerai seulement quelques ignorances personnelles que j'aimerais combler : quelle est précisément la fonction du juriste d'entreprise ? Nos étudiants ont besoin d'en être mieux informés car la profession n'est pas aussi visible, ni aussi charpentée que les professions juridiques réglementées. Les entreprises ont-elles besoin de docteurs en droit ? Existe-t-il une déontologie propre au juriste d'entreprise à laquelle il serait utile de former ceux qui s'y destinent ?

Je ne cache pas que j'aimerais que le CND s'engage un jour dans une réflexion similaire sur les juristes d'administration publique. Il a aussi décidé d'élargir son champ de vision pour appréhender tout le parcours suivi par un jeune juriste de sa première année post-bac à son premier emploi véritable, en incluant son passage éventuel par une école professionnelle. C'est ce qu'il fera en mars 2013 avec les notaires.

Encore faudra-t-il qu'il existe encore. Créé pour cinq ans, le CND expirera le 28 avril prochain. Nous n'avons pas la certitude qu'un nouveau décret le ramènera à la vie pour cinq nouvelles années. Si ce n'est pas le cas, j'aurais la consolation que les juristes d'entreprise lui auront donné l'occasion d'un beau chant du cygne !

* Cet article est tiré du Juriste d'entreprise Magazine n° 16, édité par l'AFJE, mars 2013.

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