Lexbase Affaires n°334 du 11 avril 2013 : Commercial

[Jurisprudence] La nature commerciale d'un acte s'apprécie au jour de sa conclusion

Réf. : Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11.765, F-P+B (N° Lexbase : A9772I9S)

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N6561BT8

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

le 11 Avril 2013

Il y a des ouvrages qui bien que quotidiennement pratiqués sont sans cesse remis sur le métier. On pense à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD) et la jurisprudence vertigineuse qu'il alimente (1). On pense aux dispositions impératives du livre II du Code de commerce que les parties peuvent, nous dit la jurisprudence, conventionnellement aménager, et qu'il faut, non sans mal, absolument identifier afin de connaître le régime de la sanction en cas de non-respect (2). Sur le même registre de la chasse aux trésors, on pense aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux (3) qu'il faut, de la même manière, identifier, glaner à la lecture du livre I du Code de commerce, avec ici aussi beaucoup de difficultés. Et puis il y a des questions que l'on pense à peu près réglées, mais qui reviennent ici ou là sur le devant de la scène à l'occasion de très modestes affaires. En droit commercial, il en va ainsi de la solidarité (4), de la preuve par tous moyens posée à l'article L. 110-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5547AIB) que l'on retrouve fréquemment en conflit avec les articles 1326 (N° Lexbase : L1437ABT), 1328 (N° Lexbase : L1438ABU) et 1341 (N° Lexbase : L1451ABD) du Code civil (5), ou bien de la prescription quinquennale -anciennement décennale- de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7242IAH) (6), à propos de laquelle la Cour de cassation a récemment réaffirmé qu'elle régissait non seulement les relations entre commerçants, mais encore celles entre commerçants et non-commerçants, c'est-à-dire qu'elle s'applique même dans les actes mixtes et sans distinguer selon que la qualité de demandeur -en l'espèce un particulier assignait en justice une officine de pharmacie- ni selon la nature contractuelle ou délictuelle de la relation ni non plus selon qu'il s'agit d'actions en responsabilité ou d'actions en garantie (7). Il en va ainsi également de la commercialité des actes, et subséquemment de la compétence du tribunal de commerce. En l'occurrence, une personne physique assigne devant le tribunal de grande instance plusieurs sociétés commerciales en nullité de contrats de location et de financement conclus avec ces dernières. Or, l'une d'elles soulève une exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce. Dans un arrêt du 20 septembre 2011 (8), la cour d'appel d'Aix-en-Provence rejette l'exception d'incompétence, retenant qu'ayant été inscrite au registre du commerce et des sociétés à compter du 4 juin 1999, la commerçante, demandeur, avait été radiée le 10 mai 2007 et que, par conséquent, même si certains contrats avaient pu être conclus lorsqu'elle avait encore la qualité de commerçante, elle avait perdu cette qualité au moment où elle avait introduit l'instance. La société forme un pourvoi en cassation que la Chambre commerciale de la Cour de cassation accueille favorablement. Reprenant l'argument selon lequel la nature commerciale de l'acte s'apprécie à la date à laquelle il a été passé, peu important que son auteur ait perdu depuis lors la qualité de commerçant, elle censure l'arrêt des juges du Palais Verdun au visa de l'article L. 721-3 du Code commerce (N° Lexbase : L7624HNP) (9). Pour apprécier la commercialité d'un acte, il faut donc se placer au jour de sa conclusion, ce qui impacte nécessairement la liste des actes de commerce (I) et la compétence matérielle du tribunal de commerce (II).

I - La détermination des actes de commerce au jour de leur conclusion

Si de prime abord la question de la détermination des actes de commerce est assez simple, compte tenu notamment des listes d'actes posées aux articles L. 110-1 (N° Lexbase : L1282IWE) et L. 110-2 (N° Lexbase : L5546AIA) du Code de commerce et des solutions jurisprudentielles, cette détermination peut s'avérer délicate dans certaines circonstances sujettes à discussion.

Notre Code de commerce est gouverné par une conception plutôt objective du droit commercial, mettant en cela l'accent sur les actes de commerce plus que sur le commerçant. Ces actes de commerce se distinguent en deux très grandes catégories. D'une part, les actes de commerce par nature, définis par la loi, se sous-distinguant eux-mêmes entre les actes de commerce par nature en raison de leur fond, et les actes de commerce par nature en raison de leur forme. D'autre part, les actes de commerce par accessoire, qui sont une création de la jurisprudence puisqu'ils n'existent pas dans le Code de commerce. Il s'agit d'actes dont la nature première est civile mais qui seront qualifiés d'actes de commerce en raison du fait qu'ils sont pris par un commerçant pour les besoins de son activité. L'acte, quoique non commercial par nature, est intégré aux actes de commerce car il relève de l'activité du commerçant. On dit que "l'acte baigne dans un contexte commercial". Le principal (commerce) prime sur l'accessoire et l'accessoire suit le principal (10). Cette qualification d'acte de commerce par accessoire est justifiée par ailleurs par le fait que les actes passés par les commerçants bénéficient d'une présomption légale de commercialité. La théorie de l'accessoire joue également à l'inverse, de sorte qu'un acte de commerce issu de la liste de l'article L. 110-1 peut se voir appliquer le régime des actes civils s'il demeure l'accessoire de la profession civile de son auteur (11). En réalité, la théorie de l'accessoire est double : il s'agit non seulement de l'influence de la profession de l'auteur de l'acte sur l'acte lui-même, mais également de la nature de l'opération. Il faut ainsi distinguer entre les obligations contractuelles et celles extra-contractuelles.

Ces deux grandes catégories posées, il faut bien comprendre que même s'il existe des listes légales et des solutions jurisprudentielles, même s'il y a des constantes dans tout acte de commerce (12), d'abord, aucun critère n'est réellement suffisant pour définir et délimiter les actes de commerce, ensuite, il ne suffit pas toujours de dire que l'acte est commercial pour appliquer le droit commercial. Ainsi par exemple, la rédaction très précise de l'article L. 110-3 du Code de commerce impose de réunir la double condition de commerçant qui passe un acte de commerce, ce qui pose le problème des associations qui ont une activité commerciale, frauduleusement ou en toute légalité (13), dont on sait qu'elles peuvent alors relever de la compétence du tribunal de commerce (14), mais sans pour autant être qualifiées de commerçants de droit (15) puisqu'elles ne sont pas immatriculées au Registre du commerce et des sociétés (16), sans non plus pouvoir bénéficier du statut des baux commerciaux, sauf évidemment accord du bailleur.

Autres exemples : la nature de la profession d'expert en diagnostic immobilier, jugée commerciale nonobstant la prédominance de la matière immobilière et la nature intellectuelle de la prestation fournie (17), ou le sempiternel problème de la compétence du tribunal de commerce en présence d'un artisan, qui ne devrait cependant, en pratique, poser aucune difficulté puisqu'il s'agit d'une profession civile, et non commerciale, et que donc la compétence juridictionnelle devrait être revenir tout naturellement au tribunal de grande instance (18), tout du moins lorsque l'artisan est défendeur au procès (19). Mais parce que l'artisan est une profession très proche du commerçant, parce qu'il est souvent immatriculée cumulativement au répertoire des métiers et au registre du commerce et des sociétés, nos juges consulaires ont plutôt tendance à reconnaître leur compétence juridictionnelle en présence d'un tel professionnel. On pourrait encore citer le cas de l'agent commercial, immatriculé sur un registre spécial tenu par le greffe du tribunal de commerce, dont le statut figure dans le Code de commerce, mais qui, compte tenu de sa qualité de mandataire, n'est pas du tout un commerçant, et relève par conséquent en cas de litige du tribunal de grande instance. On pourrait citer enfin l'abondant contentieux qui s'est noué autour du cautionnement, autour des cessions de droits sociaux (20) voire des fautes de gestion commises par les dirigeants de sociétés commerciales par essence non-commerçants (21).

Dans ce magma d'incohérence, il y a toutefois des valeurs sûres, comme l'acte de commerce par excellence, qui est l'achat d'un bien, meuble ou immeuble, corporel ou incorporel, pour la revente. Peu importe la nature du bien vendu ou acheté, peu importe que ce bien ait été transformé ou pas, peu importe le devenir de ce bien, peu importe que l'intention de l'acheteur ne soit plus de vendre ledit bien mais de le garder, dès lors qu'au jour de la vente l'acquéreur a eu l'intention de le revendre, l'acte est commercial. C'est cette intention première qui doit être prise en considération pour déterminer la nature commerciale ou non de l'acte. Et par identité de solution c'est donc bien au jour de la conclusion du contrat -quel qu'il puisse être- qu'il faut se placer pour apprécier la nature civile ou commerciale d'un acte.

Au demeurant, la solution de se placer au jour où l'acte est passé, qui ressort de l'arrêt annoté et qui est issue du droit commun, permet de répondre de manière satisfaisante à certaines interrogations, comme celle du juge compétent. Mais elle ne concerne que la nature de l'acte, aucunement la qualité de l'auteur de l'acte. En effet, la règle ne doit pas nous semble-t-il être comprise comme pouvant impacter également la qualification de l'auteur de l'acte. Car d'un côté il y a l'acte et sa nature ; d'un autre, il y a la qualité de l'auteur de l'acte. Et entre les deux une cloison parfaitement étanche. Un non-commerçant peut ainsi réaliser des actes de commerce, et se retrouver justiciable du tribunal de commerce, conformément à la compétence du juge consulaire pour les actes de commerce passés entre toutes personnes (22). Tout comme un commerçant peut aussi passer des actes non-commerciaux.

Les opérations juridiques portant sur un fonds de commerce permettent d'appréhender parfaitement ces situations, à travers des "commercialités par anticipation" dans des cas où des non-commerçants accomplissent leur premier acte de commerce, et des "sorties de la commercialité" dans des cas où des commerçants réalisent leur dernier acte de commerce. Il est acquis que, toutes les opérations juridiques portant sur un fonds de commerce sont des actes de commerce, même si elles sont le fait de non-commerçant. Ainsi, la location-gérance, l'achat, la vente, la promesse d'achat, la promesse de vente portant sur un fonds de commerce constituent tous sans exception des actes de commerce. Par exemple, un non-commerçant qui promet d'acheter un fonds de commerce fait un acte de commerce et ce, même si l'option n'est pas levée, si bien qu'en cas de litige les tribunaux de commerce seront compétents, alors pourtant que le promettant n'est pas encore une commerçant, et que peut-être il ne le sera jamais. Il s'agit là d'une commercialité par anticipation, en devenir, fondant la compétence du tribunal de commerce en cas de problème d'exécution lié à ladite promesse.

Corollaire de cette commercialité par anticipation, celui qui vend ou promet de vendre son fonds de commerce réalise par cette vente ou promesse de vente un acte de commerce, son dernier, qui va le faire sortir de la commercialité. Mais au jour où il passe ce dernier acte, il est toujours dans la commercialité, il est toujours commerçant, toujours professionnel. C'est la raison pour laquelle, par un arrêt en date du 8 juin 1993, la Cour de cassation a considéré que la cession d'un fonds de commerce présentant le caractère d'un acte de commerce, les cédants, en l'absence de stipulation contraire, s'obligent solidairement au respect de la clause de non-rétablissement stipulée à l'acte et à la réparation du préjudice en résultant. Dès lors des époux, vendeurs d'un fonds de commerce, s'étant interdits de créer ou de faire valoir aucun fonds similaire pendant un délai et dans un rayon géographique déterminés, il ne peut être fait grief à la cour d'appel de les avoir condamnés l'un et l'autre à réparer le préjudice causé par la violation de cet engagement quand bien même il ne résulterait pas des constatations de l'arrêt que l'un des cédants a personnellement manqué à la clause de non-concurrence ou qu'il a été le complice de son conjoint (23).

Malgré ce raisonnement plein de bon sens, il a été jugé que la clause compromissoire insérée par les anciens commerçants, à la retraite au jour de la conclusion, et le cessionnaire et locataire, dans deux contrats portant le premier sur la cession du fonds de commerce, le second sur le bail commercial de l'immeuble d'exploitation du fonds cédé, est nulle au sens de l'article 2061 du Code civil, dès lors qu'une seule des parties exerçait alors une activité professionnelle (24). Il s'agissait précisément dans cette affaire d'un couple de commerçants qui vendait leur fonds de commerce et consentait simultanément un bail commercial - ils étaient propriétaires des murs - sur les locaux abritant l'activité. Or, au jour de la conclusion de la cession du fonds et de celle du bail commercial, ils étaient tout deux à la retraite (25), de sorte que la Cour de cassation a pu juger que l'une des deux parties signataires n'exerçant plus aucune activité professionnelle à la date de la conclusion des contrats renfermant la clause compromissoire, celle-ci est nulle et de nul effet. Mais même à la retraite, même sortis de la commercialité, ils n'en accomplissaient pas moins à travers la cession de leur fonds et la conclusion du bail commercial un double acte de commerce, qui aurait dû in fine légitimer la compétence matérielle du juge consulaire, et non celle du juge civil.

II - La compétence matérielle du tribunal de commerce

En vertu de l'article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7624HNP), les tribunaux de commerce sont compétents dans trois hypothèses : ils connaissent "[...] 1) Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit ou entre eux ; 2) De celles relatives aux sociétés commerciales ; 3) De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes [...]".

Bien que l'indice n° 3 de ce texte soit le plus à même d'élargir la compétence du tribunal de commerce puisque mettant l'accent sur l'acte de commerce lui-même et tourné vers la conception objective du droit commercial, et bien que le visa de l'arrêt n'indique pas d'indice en particulier, il semblerait ici que ce soit plutôt l'indice 1 qui est concerné. En effet, les actes ayant donné lieu au contentieux sont des contrats de location et de financement. Il ne s'agit pas d'acte de commerce par nature, mais d'acte civil par nature. Néanmoins, conformément à la théorie de l'accessoire, ayant été passés par un commerçant, pour les besoins de la profession, ils sont devenus commerciaux par accessoire, toute la question étant de déterminer, en l'espèce, la qualité de l'auteur de l'acte.

Pour principal argument la Cour de cassation retient que, la nature commerciale de l'acte s'appréciant à la date à laquelle il a été passé, et la signataire des contrats querellés étant immatriculée au RCS justement à la date de leur conclusion, il ne fait aucun doute que le tribunal de commerce est compétent pour connaître du litige. Les juges aixois s'étaient quant à eux placés à la date de l'acte introductif d'instance. Or, à cette date, la signataire était radiée du RCS depuis plusieurs mois, d'où le rejet de l'exception d'incompétence soulevée par le commerçant défendeur. Raisonnement cassé à juste titre. Rien à ajouter sur ce point.

Cela étant, à bien lire l'arrêt d'appel, on remarque certaines incohérences. D'abord, la requérante avait produit des liasses fiscales faisant apparaître des bénéfices industriels et commerciaux, ce qui témoignait de sa volonté de se placer sur le terrain du droit commercial, notamment avec la preuve par tous moyens de l'article L. 110-3 du Code de commerce, à l'encontre du moins des sociétés. Ensuite et surtout, la requérante a eu semble-t-il, après son statut de commerçant, celui d'artisan, c'est-à-dire une profession par nature civile, profession d'ailleurs que les juges du fond s'emploient à définir parfaitement : "il n'est nullement démontré qu'elle ait une activité commerciale ni même la qualité de commerçante ; que d'une part il n'est nullement démontré qu'elle ait employé plus d'un salarié, ni qu'elle se soit livrée à une activité commerciale, l'intéressée n'ayant exercé qu'une activité basée essentiellement sur son travail personnel, sans spéculer sur la vente d'une quelconque marchandise ni sur la main-d'oeuvre employée ; qu'elle est donc fondée à revendiquer l'exercice d'une activité artisanale [...]". Pas de spéculation, ni sur le travail d'autrui, ni sur les machines. D'où la confusion avec la profession d'artisan, et subséquemment la question de la juridiction compétente.

Confusion d'autant plus permise, et d'autant plus pardonnée aux juges aixois à la lecture de la seconde branche du moyen unique, que la Cour de cassation ne reprend pas : "alors que 2°) que la nature commerciale de l'acte s'apprécie au moment où il a été passé, peu important que son auteur ait depuis lors perdu la qualité de commerçant ; que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ni se contredire au détriment d'autrui ; qu'il était fait valoir en l'espèce que les contrats visés par Madame [X] avaient été conclus entre le 19 décembre 2006 et le 6 février 2007, date à laquelle il n'est pas contesté que Madame X... avait la qualité de commerçante, et que le contrat conclu n° 08249 du 24 janvier 2008 avait été conclu en avenant au contrat antérieur sans faire mention de sa radiation et en produisant au contraire l'intégralité de ses liasses fiscales antérieures sur lesquelles elle apparaissait en qualité de commerçante ; que sur l'ensemble des bons de livraison émis et des contrats signés, même postérieurement à sa radiation, Madame [X] avait apposé son tampon mentionnant son numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; qu'en ne recherchant pas si ces éléments ne suffisaient pas à empêcher Madame [X] de se prévaloir de la compétence du tribunal de grande instance, la Cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles L. 110-1, L. 123-7 (N° Lexbase : L5565AIX), L. 123-8 (N° Lexbase : L5566AIY) et L. 721-3 du Code de commerce ensemble l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ni se contredire au détriment d'autrui".

Si l'on peut passer sur l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans, en revanche l'argument de l'estoppel nous paraît ici fort à propos, compte tenu justement desdites incohérences. Dans ces conditions, il aurait donc peut-être été opportun de citer l'indice 3° de l'article L. 721-3 du Code de commerce dans le visa de la Cour de cassation pour couper court à toute discussion, mettre en avant la conception objective du droit commercial, mettre l'accent sur l'acte de commerce, et rappeler que le tribunal de commerce est compétent pour les actes de commerce entre toutes personnes, donc même dans les litiges opposant des non-commerçants à des commerçants.

Bien sûr, raisonner ainsi, aurait complètement changé l'issue de cette affaire, et aurait conduit à faire litière de la qualité de commerçant de l'auteur de l'acte au moment de la signature. Mais cela aurait peut-être pu éviter tout simplement que les sociétés commerciales assignées devant le TGI de Toulon ne soulèvent d'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce. En effet, lorsqu'un non-commerçant assigne un commerçant, il bénéficie d'une option de juridiction : il a le choix entre les juges civils ou les juges consulaires. Ce choix n'existe pas en sens inverse : si le commerçant est demandeur, il doit assigner le non-commerçant défendeur devant les juridictions civiles. Et ce choix peut être perturbé en présence de clauses attributives de juridiction ratione materiae et ratione loci, étant précisé que ces clauses sont inopposables au défendeur non-commerçant (26) et que, pour qu'elles soient opposables, il faut démontrer que leur débiteur qui ont pu les accepter en avait connaissance (27). Mais pour adopter cette position encore fallait-il sacrifier la commercialité de l'auteur de l'acte sur l'autel de la commercialité de l'acte lui-même, ce à quoi s'est refusée la Cour de cassation.


(1) V. en dernier lieu, Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11.666, F-P+B (N° Lexbase : A4789I3R) ; BRDA, 5/2013, inf. 1 ; JCP éd. E, 2013, 1129, note B. Dondero ; V. Téchené, Expertise sur la valeur des droits sociaux : date d'évaluation des parts sociales de l'associé retrayant d'une société civile, Lexbase Hebdo n° 325 du 31 janvier 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N5571BTI).
(2) Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-15.283, F-P+B,(N° Lexbase : A5907KAZ), Dalloz actualité 28 mars 2013, A. Lienhard, D. Gibirila, Société civile : nullité des délibérations des associés et dissolution pour mésentente entre eux, Lexbase Hebdo n° 334 du 11 avril 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6558BT3).
(3) J.-D. Barbier, Ordre public, ordre privé, en droit des baux commerciaux, Gaz. Pal., 29 septembre 2012, n° 273, p. 7 ; J. Monéger, La périodicité dans la clause d'indexation du loyer et l'ordre public monétaire, JCP éd. E, 2011, Etude, 1723.
(4) A. Hontebeyrie, Un invité mystère dans la présomption de solidarité en matière commerciale ?, D., 2012, p. 2580 ; B. Dondero, La présomption de solidarité en matière commerciale : une rigueur à modérer, D., 2009, p. 1097 ; nos obs., La solidarité passive en droit commercial : une présomption pas si simple... (note sous Cass. com., 30 octobre 2007, n° 06-18.239, F-D N° Lexbase : A2366DZN), LPA, 9 juin 2008, n° 115, p. 20.
(5) Pour l'article 1326 du Code civil, v., par exemple, Cass. civ. 1, 18 mai 2004, n° 01-17.007, F-P (N° Lexbase : A1929DCG), RTDCom., 2004, p. 24, obs. B. Saintourens ; Cass. com., 21 février 2006, n° 05-10.363,F-D (N° Lexbase : A1869DNK), LPA, 2007, n° 14, p. 6, note F. Guerchoun. Pour l'article 1328 du Code civil, v., par exemple, Cass. com., 25 avril 1983, n° 81-16.804 (N° Lexbase : A0019AH8), Bull. com., n° 122 ; Cass. civ. 3, 29 novembre 2005, n° 04-11.321, FS-P+B (N° Lexbase : A8466DL7), Bull. civ. III, n° 228 ; Cass. civ. 3, 20 décembre 2000, n° 99-12.391 (N° Lexbase : A2031AI3), Bull. civ. III, n° 195 ; Cass. civ. 3, 31 mai 2012, n° 11-17.534, FS-P+B (N° Lexbase : A5219IMA), Gaz. Pal., 30 juin 2012, n° 182, p. 13, spéc. p. 12, note J.-D. Barbier. Pour l'article 1341 du Code civil, v., par exemple, Cass. civ. 1, 8 février 2000,n° 98-10.107 (N° Lexbase : A9265ATC), Bull. civ. I, n° 35 ; Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 98-23.080 (N° Lexbase : A3518ATH), Bull. civ. I, n° 108.
(6) Cass.civ. 1, 29 avril 1997, n° 95-10.199 (N° Lexbase : A0245AC3), Bull. civ. I, n° 134 ; Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 99-14.711, F-P (N° Lexbase : A4815AWA), Bull. civ. I, n° 258.
(7) Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-24.496, F-D (N° Lexbase : A1153IZQ).
(8) CA Aix-en-Provence, 1re ch. A, 20 septembre 2011, n° 09/22283 (N° Lexbase : A7977H7L).
(9) D., 2013, p. 769 ; D., actualité du 29 mars 2013, obs. X. Delpech ; Dictionnaire Permanent Droit des affaires, Bull. n° 785, avril 2013, p. 11, obs. C. Thiercelin ; Lexbase Hebdo n° 331 du 21 mars 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6264BT8).
(10) "Accessorium sequitur principale" ayant pour origine une maxime relative à l'accession immobilière : "superficies solo cedit"
(11) Cas du médecin "de campagne" vendant des médicaments qu'il aura au préalable achetés.
(12) Acte de spéculation, idée de lucre et de circulation de richesse, utilisation d'une entreprise, acte d'entremise.
(13) Pour être légale, l'activité commerciale de l'association doit être mentionnée dans les statuts et déclarée en tant que telle à la préfecture.
(14) Cass. com., 14 février 2006, n° 05-13.453, F-P+B (N° Lexbase : A9918DMB), Bull. civ. IV, n° 35 : une association qui offre de manière permanente aux particuliers un site internet visant à favoriser les échanges d'immeubles effectue des opérations d'intermédiaire pour l'achat et la vente d'immeuble et relève, dans le cadre de cette activité, de la compétence des tribunaux de commerce.
(15) Situation à rapprocher de celle d'une fédération sportive qui est une entreprise pouvant réaliser des actes de commerce mais sans être nécessairement un commerçant : D. Poracchia, note sous CA Lyon, ch. réu., 20 octobre 2011, n° 11/03097 (N° Lexbase : A9426H7A), Cah. dr. sport, n° 26, 2011, p. 64.
(16) Par exception, certaines associations sont autorisées à s'inscrire au RCS : les associations qui émettent des obligations ou des titres de créances négociables, ou celles qui effectuent habituellement des opérations de change manuel.
(17) Cass. com., 5 décembre 2006, n° 04-20.039, F-P+B (N° Lexbase : A8274DSA), Bull. civ. IV, n° 236 ; JCP éd. E, 2007, n° 1011, note B. Grimonprez ; RTDCom., 2007, p.673, obs. B. Saintourens.
(18) Ou au tribunal d'instance voire au juge de proximité (jusqu'à ce qu'il disparaisse), en fonction du montant du litige.
(19) Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20.089, F-P+B (N° Lexbase : A3951D7H), JCP éd. E, 2008, 2050, note Ch. Lebel : cet arrêt réaffirme la définition jurisprudentielle de l'artisan, à savoir une personne qui travaille seule, sans l'apport d'une main d'oeuvre interne ou externe, qui exerce de manière prépondérante une activité de production, transformation et prestation de services dont elle tire l'essentiel de sa rémunération ; travailleur indépendant dont les gains proviennent essentiellement du produit de son travail personnel et qui ne spécule ni sur les marchandises ni sur la main d'oeuvre.
(20) Cass. com., 26 mars 1996, n° 94-14.051 (N° Lexbase : A1397ABD), D., 1996, somm. p. 342, obs. J.-C. Hallouin ; Cass. com., 28 novembre 2006, n° 05-14.827, F-D (N° Lexbase : A7782DSZ), Dr. sociétés, février 2007, comm. n° 30, note H. Hovasse ; Cass. com., 14 février 2006, n° 03-19.823, F-D (N° Lexbase : A9794DMP), JCP éd. E, 2007, 1390, note J.-P. Legros, Rev. sociétés, 2006, p.787, note B. Saintourens ; Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-16.548, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2503DXY), Bull. Joly Sociétés, 2007, 1242, note D. Porrachia, Dr. sociétés, 2007, comm. n° 179, note H. Hovasse, D., 2008, p. 518, note D. Thevenet-Montfrond, RTDCom., 2007, p. 783, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; Rev. sociétés, 2007, p.793, note B. Saintourens, V. Téchené, Compétence d'attribution des tribunaux de commerce pour connaître des litiges relatifs à une cession de parts ou d'actions de sociétés commerciales, Lexbase Hebdo n° 270 du 26 juillet 2007 - édition privée (N° Lexbase : N9610BBK) ; Cass. com., 15 janvier 2008, n° 07-12.102, M. Philippe Tourrette, F-P+B (N° Lexbase : A7792D3Y) ; sur la cession d'un compte courant, cf. Cass. com. 12 février 2008, n° 07-14.912, F-P+B (N° Lexbase : A9332D4E), Rev. sociétés, 2008, p. 370, note B. Saintourens, RTDCom., 2008, p. 358, obs. P. Le Cannu et B. Dondero, Bull. Joly Sociétés, 2008, 485, note J.-F. Barbièri, Defrénois, 2008, 1475, note B. Thuillier, V. Téchené, Compétence des tribunaux de commerce pour connaître des contestations relatives aux sociétés commerciales : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 294 du 28 février 2008 - édition privée (N° Lexbase : N2219BEW). Pour un commentaire groupé de ces deux dernier arrêts voir, LPA, 2008, n° 143, p. 18, notre note.
(21) Cass. com., 27 octobre 2009, n° 08-20.384, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5573EMD), Bull. civ. IV, n° 138 ; JCP éd. G, 2009, 457, note Ch. Lebel ; D., 2009, p. 2676, note X. Delpech ; JCP éd. E, 2010, 1017, note J.-P. Legros ; LPA, 29 décembre 2009, n° 259, p. 9, nos obs ; V. Téchené, Responsabilité des dirigeants à l'égard des tiers pour faute séparable de leurs fonctions et compétence des juridictions consulaires, Lexbase Hebdo n° 371 du - édition privée (N° Lexbase : N3694BMR. Bien que la solution soit ancienne (Cass. com., 7 avril 1967, n° 64-14.121 N° Lexbase : A6524AGQ), elle reste originale, ne serait-ce qu'au regard de l'approche institutionnelle de la notion de dirigeant. En effet, selon la Cour de cassation, viole l'article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7624HNP), la cour d'appel statuant sur contredit, qui, pour écarter la compétence du tribunal de commerce, retient que, bien qu'il soit soutenu que des dirigeants sociaux auraient commis, à l'occasion de leur gestion, des fautes les rendant justiciables du tribunal de commerce, ces sociétés n'ont pas été appelées devant cette juridiction, alors que cette circonstance ne pouvait avoir pour effet de soustraire ces dirigeants à la compétence de la juridiction consulaire. En d'autres termes, nul besoin en l'espèce d'appeler les sociétés en la cause. Bien entendu, cette règle procédurale ne saurait être confondue avec le droit substantiel (pour une critique toutefois du lien direct, v. note L. Merland et D. Poracchia, RLDA, décembre 2009).
(22) C. com., art. L. 721-3, 3°.
(23) Cass. com., 8 juin 1993, n° 89-14.658 (N° Lexbase : A5400ABM), Bull. civ. IV, n° 228. Une limite doit toutefois être apportée à cette règle : le prêt lié à l'achat d'un fonds de commerce. En effet, uniquement dans ce cas là, et pour qu'il y ait solidarité entre deux époux qui emprunteraient ensemble à la banque une somme d'argent pour acquérir en commun un fonds de commerce, il faudra vérifier l'implication personnelle des deux époux dans le commerce en question, d'autant plus si un seul des deux époux est commerçant, le conjoint n'étant pas en tant que tel commerçant : Cass. com., 13 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 139 ; confirmé par Cass. com., 15 novembre 2005, RTDCiv., 2006, p.316, obs. J. Mestre et B. Fages ; D., 2006, AJ, p. 229, obs. E. Chevrier.
(24) Cass. civ. 1, 29 février 2012, n° 11-12.782, FS P+B+I (N° Lexbase : A7141IDT), Bull. civ. I, n° 40 ; JCP éd. E, 2012, 1314, note J. Monéger ; J. Prigent, Précision sur les conditions de validité de la clause compromissoire, Lexbase Hebdo n° 288 du 15 mars 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N0854BTS).
(25) Avaient-ils fait valoir leur droit à la retraite ? Etaient-ils radiés du RCS ?
(26) Cass. com., 10 juin 1997, n° 94-12.316 (N° Lexbase : A1492ACA), Bull. civ. IV, n° 185.
(27) Cass. com., 4 janvier 2005, n° 03-17.677, FS-P+R+I (N° Lexbase : A8165DE7), Bull. civ. IV, n° 5 ; Cass. com., 10 mars 2009, n° 07-19.447, F-P+B (N° Lexbase : A7034EDU), Bull. civ. IV, n° 33.

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