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N6332BTP
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
le 28 Mars 2013
L'occasion a déjà été donnée, à de très nombreuses reprises, d'insister sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat, particulièrement lorsqu'il commet une faute consistant dans un manquement à son obligation d'information et de conseil, voire de mise en garde. On sait bien, en effet, qu'en dehors des hypothèses dans lesquelles la faute de l'avocat résulte d'un manquement à l'une quelconque des obligations découlant, à proprement parler, du mandat qui le lie à son client, et en vertu duquel il est chargé de le représenter en justice et doit, dans le cadre de l'activité judiciaire, accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure (1), la faute de l'avocat peut résulter d'un manquement à son devoir d'information et de conseil. Les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l'avocat est ainsi susceptible d'être engagée sont d'ailleurs très nombreuses, d'autant que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (2). Il lui incombe également, à ce titre, d'informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former un recours. Tout cela est, on le concèdera volontiers, parfaitement entendu. Plus délicate est l'hypothèse dans laquelle les conseils donnés par l'avocat peuvent apparaître comme empreints d'une incertitude, notamment lorsque le droit positif n'est pas fixé au jour de son intervention, et qu'il s'avère, a posteriori en tout cas, que lesdits conseils n'étaient pas judicieux. Il n'est évidemment pas rare, dans de tels cas de figure, que l'avocat tente de minimiser sa faute, en faisant valoir que, lorsqu'il a conseillé son client, il ne pouvait pas savoir, en l'absence de jurisprudence parfaitement établie sur telle ou telle question, que celle-ci statuerait finalement, après coup, dans un sens autre que celui qu'il avait pu préconiser (3). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 février 2013 mérite, sous cet aspect, d'être ici signalé.
En l'espèce, consulté sur les modalités de la fusion-absorption d'une société par une autre, opération accompagnée d'une restructuration avec fermeture de certains sites industriels et suppression d'emplois, un avocat avait, d'une part, conseillé la prorogation des mandats des membres du comité d'entreprise de la société absorbée qui venaient à expiration jusqu'à la première réunion des représentants du personnel nouvellement élus à la suite de la fusion et, d'autre part, élaboré, un plan de sauvegarde de l'emploi qui a été soumis au comité d'entreprise de la société absorbante dont la composition avait été élargie aux membres du comité d'entreprise de la société absorbée. Par une décision devenue irrévocable (TGI Moulins, 18 mai 2007), la procédure de licenciement a cependant été annulée à défaut de consultation valable des représentants du personnel. C'est dans ce contexte que la société absorbante a engagé une action en responsabilité contre son avocat. Les premiers juges, pour écarter la responsabilité de l'avocat, et en l'occurrence juger que la proposition de prorogation des mandats des membres du comité d'entreprise de la société absorbée ne pouvait pas être imputée à faute, ont retenu que la solution envisagée n'était pas dépourvue de pertinence puisqu'elle tendait à assurer, en fin de mandat, la continuité de la représentation des salariés de la société absorbée, entité privée d'autonomie, dans un contexte difficile et conflictuel, en l'absence de toute autre solution satisfaisante. Cette décision de la cour d'appel de Paris, en date du 8 novembre 2011, est cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que la solution proposée par l'avocat était incertaine dans le silence des dispositions du code du travail alors en vigueur, sans s'assurer, en présence d'une contestation sur ce point, que le client avait été informé de l'aléa ainsi constaté, la cour d'appel a, de ce chef, privé sa décision de base légale".
De l'arrêt, il ne faudrait évidemment pas déduire que, pour engager la responsabilité de l'avocat, il appartiendrait au client qui s'estime victime du manquement de l'avocat à son obligation d'information et de conseil, de prouver ce manquement (4). On sait bien, en effet, que la jurisprudence est parfaitement acquise en ce sens que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation : après avoir consacré une présomption simple de non exécution, par le débiteur, de son obligation d'information, à propos du médecin (5), la jurisprudence l'a étendue à l'avocat (6), à l'huissier (7), au notaire (8), à l'assureur (9), etc. L'arrêt ne fait, nous semble-t-il, aucun doute : il n'exige aucunement que le client rapporte la preuve qu'il n'aurait pas été informé, la Cour de cassation, qui casse l'arrêt d'appel pour manque de base légale, reprochant seulement aux premiers juges d'avoir écarté la responsabilité de l'avocat sans avoir recherché et s'être expliqués sur le point de savoir si le client avait été informé de l'aléa entourant les conseils donnés par l'avocat.
Sans doute la jurisprudence décide-t-elle, avec bon sens d'ailleurs, qu'il ne saurait être reproché à un professionnel du droit de n'avoir pas prévu une évolution ultérieure du droit (10). Elle affirme ainsi que "les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence" (11). Mais si l'on conçoit parfaitement que le notaire ou l'avocat ne puissent pas anticiper une évolution du droit imprévisible au jour de leur intervention (12), il est en revanche évident qu'il en va différemment lorsque, au moment où ils interviennent, il existe une incertitude sur l'état du droit positif, soit que la jurisprudence apparaisse contradictoire ou hésitante, soit que, comme en l'espèce, le législateur n'ait pas clairement réglé telle ou telle question, de telle sorte que leurs conseils, la stratégie élaborée, les actes rédigés, etc., sont par hypothèse affectés d'un certain aléa quant à leur efficacité ou leur validité. Le client doit logiquement en être informé, pour être à même de se déterminer en connaissance de cause. L'arrêt du 16 février 2013 doit, sous cet aspect, être rapproché de plusieurs arrêts de la même première chambre civile de la Cour de cassation qui avaient jugé que l'existence d'une incertitude juridique ne dispense pas le notaire de son devoir de conseil (13).
Comme toute opération intellectuelle, les conseils donnés par l'avocat sont empreints d'une certaine relativité. C'est, au demeurant, ce qui explique qu'on ne puisse jamais garantir la réussite de la stratégie qu'il aura pu élaborer, d'autant qu'il faudra tenir compte de l'aléa inhérent à toute action en justice. La nature de la prestation, intellectuelle, ainsi que l'aléa affectant l'exécution de son obligation, justifient d'ailleurs que l'avocat ne soit en principe tenu que d'une obligation de moyens, autrement dit qu'il faille, pour engager sa responsabilité, prouver sa faute (14). Cette faute, présumée en cas de manquement à son devoir d'information et de conseil, suppose que le conseil qui fait éventuellement défaut soit de nature juridique. Ainsi, tout comme pour le notaire, l'avocat n'a pas à répondre des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients qui en connaissaient ou devaient en connaître les risques (15). Mais même lorsque c'est bien un conseil de nature juridique qui est en cause, la responsabilité de l'avocat ne peut être engagée qu'à la condition que sa faute soit avérée : encore faut-il, en effet, qu'un manquement à son devoir d'information puisse être caractérisé. Lorsque, au contraire, les circonstances font apparaitre que l'information délivrée par l'avocat était claire, précise et complète, sa responsabilité ne saurait être engagée. C'est ce que rappelle un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 23 janvier 2013.
En l'espèce, recherchant la responsabilité d'une société d'avocat bien connue, qu'elle aurait mandatée afin de l'assister à l'occasion d'une opération d'optimisation de son régime fiscal, en l'occurrence en optant pour le régime d'une société d'investissement immobilier cotée en bourse (SIIC), instauré par l'article 11 de la loi de finances n° 2002-1575 du 30 décembre 2002, pour 2003 (N° Lexbase : L9371A8L), et lui reprochant d'avoir failli à sa mission de conseil au regard des conditions d'obtention du bénéfice de ce régime posées par ce texte, ainsi que d'avoir omis de vérifier l'effectivité de la mise en oeuvre des opérations nécessaires à cette fin, une société avait assigné celle-ci devant le tribunal de grande instance de Paris. Ce dernier, par jugement en date du 24 novembre 2010, a accueilli la demande et, retenant la responsabilité de l'avocat, l'a condamné à payer des dommages et intérêts conséquents à son client, le quantum de la réparation dépassant le million d'euros. La société d'avocats a interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Paris. Après avoir relevé, d'une part, que l'appelant reconnaissait, nonobstant l'absence de contrats entre les parties, avoir bien été choisi en qualité de conseil de la société immobilière et, d'autre part, qu'il devait répondre de ses éventuels manquements fautifs dans le cadre de la mission dont il était spécifiquement et précisément investi, les magistrats parisiens, pour infirmer le jugement, et donc écarter la responsabilité de l'avocat, décident qu'il se déduit des circonstances de fait et des pièces produites devant eux, que la société immobilière "détenait une information claire, précise, complète et totale sur les conditions exigées par la loi fiscale et précisément sur celles relatives au montant du capital social devant être atteint à la date du 1er juillet 2008 afin de pouvoir bénéficier du régime fiscal SIIC et ainsi parvenir à la réalisation de l'opération en cause". Et dès lors de préciser "qu'il ne peut en conséquence être retenu à l'encontre de la société d'avocats [...] aucun manquement fautif dans le cadre de la mission dont elle était investie".
La cour d'appel censure ainsi les premiers juges qui s'étaient contentés, pour engager la responsabilité de l'avocat, de constater que l'objectif poursuivi par le client d'optimisation de son régime fiscal n'avait pas été atteint, le capital social, qui aurait dû être porté à la somme minimum de 15 millions d'euros au plus tard au début de l'exercice au cours duquel l'opération fiscale était exercée, soit le 1er juillet 2008, n'étant, à cette date, que de 9 millions d'euros, ce qui ne pouvait que priver la société du bénéfice dudit régime. Peut-être les premiers juges s'étaient-ils laissés embarquer par l'idée selon laquelle l'avocat est tenu de veiller à l'efficacité des actes à propos desquels il intervient (16). L'analyse était, évidemment, un peu courte. Pour que l'avocat soit responsable, il ne suffit pas que le but poursuivi par le client ne soit finalement pas atteint ; il faut que la non-réalisation de cet objectif soit imputable à une faute de l'avocat. Et c'est bien ce que reproche la cour d'appel de Paris aux premiers juges : rien ne permettait de déduire des circonstances de la cause que l'avocat aurait manqué à son obligation d'information et de conseil puisque, au contraire, l'information dont disposait le client, sur la base d'un certain nombre de documents que lui avait remis son avocat, était semble-t-il "claire, précise, complète et totale sur les conditions exigées par la loi fiscale". Il faut donc comprendre que la cause de la non-réalisation de l'objectif d'optimisation de son régime fiscal que poursuivait le client ne tenait pas à une faute de son conseil, mais bien, en réalité, à sa propre faute : manifestement, ce qui ressort de l'arrêt de la cour d'appel, c'est bien, comme le soutenait d'ailleurs devant elle l'avocat, que le client était parfaitement informé de ce que la condition tenant au montant du capital souscrit, soit 15 millions d'euros, devait être remplie à la date du 1er juillet 2008, de telle sorte que le client était à l'origine des préjudices qu'il invoquait, en ayant augmenté tardivement son capital, et en ayant en tout état de cause refusé de suivre les recommandations faites par l'avocat consistant à contester la position de refus adoptée par l'administration fiscale dès lors que le recours avait, selon lui, toutes les chances d'aboutir.
(1) Etant entendu que la détermination de sa responsabilité suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié : Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33), énonçant que "la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat ad litem qui lui a été confié". Voir encore CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 octobre 2009, n° 07/15062 (N° Lexbase : A9417EMQ), jugeant que "la faute consistant en un manquement au devoir de conseil et d'information ne peut s'apprécier qu'au regard du mandat". En l'espèce, des propriétaires et usufruitiers de vignes, endettés dans une exploitation familiale, avaient chargé un avocat fiscaliste, de procéder à une restructuration financière de leur groupe. Ce dernier leur a conseillé, après avoir poursuivi des démarches auprès de l'administration fiscale, afin de s'assurer de la validité du projet, de procéder à une cession temporaire de l'usufruit leur permettant, à terme, de maintenir l'unité d'exploitation du patrimoine familial, de retrouver, ainsi, sans frais l'usufruit cédé, et de disposer d'un capital important. Mais, à la suite de cette opération de restructuration, les exploitants ont subi, en contrepartie d'un gain effectif, une très importante imposition. Ils ont, alors, recherché, devant le tribunal de grande instance, la responsabilité professionnelle du spécialiste, en raison de son manquement à son devoir de conseil et à son obligation de résultat du fait de son erreur d'appréciation dans la préparation de la restructuration ayant entraîné l'imposition litigieuse, alors que, selon eux, une solution plus intéressante financièrement existait. Les magistrats parisiens, pour écarter la responsabilité de l'avocat, ont considéré que sa mission, telle qu'elle ressortait du mandat qui lui avait été confié, ne consistait nullement dans la recherche d'un système évitant toute imposition du remboursement de la dette fiscale.
(2) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(3) Voir d'ailleurs, en ce sens, l'argumentation développée par l'avocat dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 22 décembre 2012 (CA Versailles, 22 décembre 2012, n° 11/02179 N° Lexbase : A1988IZN), et nos observations "L'avocat fiscaliste qui n'attire pas l'attention de son client sur le risque que l'administration fiscale requalifie le montage qu'il a élaboré ou y décèle un cas d'abus de droit manque à son devoir de mise en garde et engage sa responsabilité civile", in Lexbase Hebdo n° 144 du 21 février 2013 - édition Professions (N° Lexbase : N5842BTK).
(4) Contra, voir (N° Lexbase : N5874BTQ).
(5) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75.
(6) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ) Bull. civ. I, n° 132.
(7) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-15.321 (N° Lexbase : A2361AXQ), Bull. civ. I, n° 364.
(8) Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-13.201 (N° Lexbase : A2233ACP), Bull. civ. I, n° 44.
(9) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923 (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. I, n° 356.
(10) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, n° 95-22.240 (N° Lexbase : A0801ACN), Bull. civ. I, n° 328.
(11) Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-24.550, F-P+B+I (N° Lexbase : A2907H88).
(12) Voir, très nettement en ce sens, Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899 (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92.
(13) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-21.407 (N° Lexbase : A0784ACZ), Bull. civ. I, n° 362 ; rappr. Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-10.101, FS-P+B (N° Lexbase : A4958DNX), Bull. civ. I, n° 136 (évolution juridique en cours, devant conduire le notaire à mettre en garde son client).
(14) Voir not. Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899 (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92, RTDCiv. 2009, p. 493, obs. Deumier, ibid. p. 725, obs. Jourdain, jugeant que, tenu d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et investi d'un devoir de compétence, l'avocat, sans que puisse lui être imputé la faute de n'avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer.
(15) Cass. civ. 1, 8 décembre 2009, n° 08-16.495, FS-P+B (N° Lexbase : A4385EP4).
(16) Voir not., pour un manquement de l'avocat à son obligation de veiller à l'efficacité d'un acte de prêt rédigé par ses soins : Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46 ; comp., sur le devoir d'efficacité incombant à une société d'avocats dans l'accomplissement de sa mission d'élaboration des documents fiables en vue de l'approbation des comptes et de la gestion de l'exercice et de l'assistance lors des négociations relatives à la cession des actions de la société concernée : Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-13.840 (N° Lexbase : A8623GBY).
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