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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef
le 27 Mars 2014
Lexbase : La facilité avec laquelle la fausse avocate a pu intervenir dans le dossier de son amant est déroutante. Ce type de cas se présente-t-il fréquemment ?
Myriam Lasry : La Commission de la réglementation de l'exercice du droit, la "CRED" (1), a ouvert plus de 260 dossiers contre des personnes qui ne sont pas des professionnels du droit, qui n'ont pas le titre d'avocat, et qui, pourtant, exercent des activités similaires.
Aujourd'hui, les cas comme celui de l'affaire en question co-existent avec d'autres exemples d'exercice illégal.
Les principales cibles de la CRED, à l'heure actuelle, sont, tout d'abord, les sites web et, ensuite, les "experts" ou les "sociétés de conseil". Internet a multiplié et accéléré les échanges, et est un outil aujourd'hui connu et utilisé de tous. Malheureusement, certaines personnes pressées, ou qui n'ont pas envie de rémunérer un avocat, font appel à des "experts" sur le web, pour les conseiller dans le cadre d'un divorce, d'une création d'entreprise, etc.. La CRED lutte contre ce type de "professionnels", qui n'en ont que le nom. Cette lutte n'est pas vaine : les juges ont déjà condamné plusieurs fois des sociétés pour exercice illégal de la profession d'avocat.
L'affaire de l'amante qui défend la personne qu'elle aime au cours de son divorce est donc un cas minoritaire au regard de l'activité intense des sites web et sociétés pratiquant illégalement le conseil juridique.
Lexbase : Les condamnations pour exercice illégal de la profession d'avocat sont-elles fréquentes ?
Myriam Lasry : Madame le Bâtonnier Christiane Féral-Schuhl a fait de la lutte contre l'exercice illégal de la profession d'avocat un axe prioritaire et constant. Chaque jour, les membres de la CRED sont sollicités pour défendre la profession d'avocat contre de nouvelles "attaques". Les avocats font part à la CRED de l'existence d'un nouveau site de conseil juridique, qu'ils ont trouvé par hasard ou dont leurs clients leur ont parlé. De plus, la Commission dispose d'un système de veille interne. Enfin, un site web (www.garantieavocat.org) a été ouvert, qui vise à avertir les particuliers sur l'exercice illégal de la profession d'avocat et des risques qu'ils encourent à faire appel à un faux expert plutôt qu'à un vrai avocat. Notamment, ce site prévoit un renvoi vers l'annuaire des avocats au barreau de Paris, qui permet à toute personne qui tape le nom de son avocat dans la barre de recherche de vérifier si cet avocat est bien reconnu comme tel à Paris.
Ces outils sont efficaces. Ainsi, les actions pénales connaissent le succès dans près de 98 % des dossiers.
Les "pirates du droit" risquent des condamnations à des amendes de plusieurs milliers d'euros, voire des peines d'emprisonnement avec sursis, en cas de délit d'usurpation.
La CRED tente d'éviter la case "juge". Parfois, l'envoi d'une simple mise en demeure suffit. En effet, les sociétés ou les particuliers visés savent qu'ils violent le périmètre du droit ou, s'il l'ignorent, l'apprennent par la mise en demeure et craignent d'être poursuivis en justice.
Lexbase : Quels sont les risques de l'exercice illégal de la profession d'avocat pour les justiciables ?
Myriam Lasry : L'urgence, pour les avocats et la CRED, est la protection du public. Un justiciable entre dans une procédure juridique pour être aidé, parce qu'il connaît des difficultés dans sa vie personnelle (divorce, loyer, assurance) ou professionnelle (entreprise en difficulté, licenciement). Il confie à un professionnel ses problèmes, les originaux de ses papiers et la gestion de la procédure, notamment des délais. Lorsqu'il fait appel à une personne qui n'est pas un avocat, le justiciable n'est pas protégé par la confidentialité. En effet, l'avocat prête serment, suit des règles de déontologie et bénéficie du secret professionnel.
De plus, l'avocat est une personne compétente, qui a suivi une formation spécifique et très pointue et qui bénéficie de la formation continue : c'est lui le véritable expert.
Enfin, faire appel à un avocat présente des garanties pour le justiciable, car l'avocat dispose d'une assurance couvrant sa responsabilité. Lorsqu'un conseil est délivré par un "professionnel" incompétent, non couvert par la déontologie, une telle responsabilité n'existe pas.
C'est donc le justiciable qui pâtit de l'exercice illégal de la profession du droit et en est la première et principale victime.
Lexbase : Quel est le sort réservé au jugement de divorce rendu dans cette affaire ?
Myriam Lasry : Juridiquement, tous les actes pour lesquels la présence d'un avocat est indispensable devraient être frappés de nullité, ce qui serait le cas du jugement de divorce puisqu'en France, la présence d'un avocat dans ce type de procédure est obligatoire. Malgré tout, il n'est pas possible de se prononcer plus avant, et il faut attendre d'avoir du recul et voir ce que les tribunaux saisis décideront.
(1) La Commission de la réglementation de l'exercice du droit a été créée dans le but de protéger le périmètre du droit, c'est-à-dire les prérogatives et le champ de compétence réservés aux avocats. En effet, la rédaction d'actes et les consultations, ainsi que l'assistance et la représentation judiciaire leur sont exclusivement réservées, sauf exceptions très strictes prévues par la loi. La CRED intente des actions judiciaires à l'encontre de ceux qui ne respectent pas le périmètre du droit.
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