Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 13 mars 2013, n° 352393, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9904I9P)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
le 30 Mars 2013
Résumé
En déterminant un âge auquel le personnel des industries électriques et gazières peut être mis en inactivité à l'initiative de son employeur, et en relevant progressivement cet âge de soixante-cinq à soixante-sept ans, le pouvoir réglementaire a mis en oeuvre le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre. Cet objectif répond, notamment, aux exigences de la politique de l'emploi et du marché du travail et à la nécessité, dans le cadre de la garantie d'emploi offerte par le statut du personnel des industries électriques et gazières, de permettre une meilleure distribution des emplois concernés entre les générations. Cet objectif est légitime et justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l'âge, telle que celle prévue par le décret n° 2011-289 du 18 mars 2011. En relevant progressivement de soixante-cinq à soixante-sept ans l'âge auquel un agent est mis en inactivité à l'initiative de son employeur, le décret n° 2011-289 du 18 mars 2011 confère à l'agent le droit inconditionnel de poursuivre son activité au sein de l'entreprise qui l'emploie jusqu'à son soixante-septième anniversaire. Cette disposition permet à l'agent d'augmenter les revenus sur la base desquels sa pension de retraite sera calculée et ainsi augmenter le montant de cette dernière. Le décret n'a pas pour effet de le contraindre à se retirer définitivement du marché du travail. Le décret n° 2011-289 revêt un caractère approprié et nécessaire. |
I - En droit européen, la mise à la retraite d'office n'est pas qualifiée de discrimination fondée sur l'âge
Le droit européen de la discrimination fondée sur l'âge comprend de nombreuses références contentieuses. Le Conseil d'Etat n'en vise que deux : les arrêts C-411/05 du 16 octobre 2007 (N° Lexbase : A7508DYQ) et C-447/09 du 13 septembre 2011 (N° Lexbase : A7249HXR). Il pouvait également viser d'autres décisions rendues en 2012 (CJUE, 7 juin 2012, aff. C-132/11 N° Lexbase : A3380INI (3) ou CJUE, 19 avril 2012, aff. C-415/10 N° Lexbase : A0985IKP (4)) ; en 2010 (CJUE, 18 novembre 2010, deux arrêts, aff. C-356/09 N° Lexbase : A5491GI9 et aff. C-250/09 N° Lexbase : A5488GI4 (5) ; CJUE, 12 octobre 2010, 2 arrêts, aff. C-45/09 N° Lexbase : A4807GBN) (6) ; ou enfin en 2008 (CJCE, 23 septembre 2008, aff. C-427/06 N° Lexbase : A4274EAK) (7).
Par son arrêt C-411/05 du 16 octobre 2007, la CJUE s'est prononcée sur le régime espagnol de la mise à la retraite d'office des travailleurs ayant atteint un certain âge aux fins de résorber le chômage. La CJUE a reconnu la compatibilité du droit espagnol avec la Directive 2000/78 prohibant toute discrimination, notamment en raison de l'âge.
De même, par son arrêt C-447/09 du 13 septembre 2011, la CJUE a décidé qu'une mesure, fixant à soixante ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations nationale et internationale fixent cet âge à soixante-cinq ans, n'est pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé. La sécurité aérienne ne constitue pas un objectif légitime, au sens de l'article 6 § 1 alinéa 1er de la Directive 2000/78.
A - Possibilité d'une différence de traitement selon l'âge hors qualification de discrimination
En droit européen (Directive 2000/78, art. 6, al. 2), des différences de traitement fondées sur l'âge peuvent être introduites dans les législations sociales. Elles pourraient comprendre : la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ; la fixation de conditions minimales d'âge, d'expérience professionnelle ou d'ancienneté dans l'emploi, pour l'accès à l'emploi ou à certains avantages liés à l'emploi ; la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite.
Les Etats membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l'âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d'âges d'adhésion ou d'admissibilité aux prestations de retraite ou d'invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d'âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l'utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d'âge dans les calculs actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.
B - Conditions de validité d'une différence de traitement selon l'âge
Les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination, mais sous la stricte condition énoncée par l'article 6 de la Directive 2000/78, à savoir qu'elles soient objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, "notamment" par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. La CJCE a précisé, en 2009 (CJCE, 5 mars 2009, aff. C-388/07) (8), que l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78 n'impose pas aux Etats membres d'établir, dans leurs mesures de transposition, une liste spécifique des différences de traitement pouvant être justifiées par un objectif légitime. Les objectifs légitimes et les différences de traitement qui y sont visés n'ont qu'une valeur indicative, ainsi qu'en atteste le recours, par le législateur communautaire, à l'adverbe "notamment".
1 - Un objectif légitime
L'appréciation de la notion d'objectif légitime varie considérablement d'une affaire à l'autre.
Ainsi, dans l'arrêt C-411/05 du 16 octobre 2007 (préc.), la CJCE a relevé que la disposition transitoire unique, autorisant l'insertion dans les conventions collectives de clauses de mise à la retraite d'office des travailleurs, a été adoptée à l'instigation des partenaires sociaux dans le cadre d'une politique nationale visant à promouvoir l'accès à l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations. La mise à la retraite d'office des travailleurs ayant atteint un certain âge a été introduite dans la réglementation espagnole au cours de l'année 1980, dans un contexte économique caractérisé par un niveau de chômage élevé, aux fins d'offrir, dans le cadre de la politique nationale de l'emploi, des opportunités sur le marché du travail aux personnes à la recherche d'un emploi.
Pour la CJCE, dans l'arrêt du 16 octobre 2007, la légitimité d'un tel objectif d'intérêt général ne saurait être raisonnablement mise en doute, la politique de l'emploi ainsi que la situation sur le marché du travail figurant au nombre des objectifs expressément énoncés à l'article 6 § 1 alinéa 1er de la Directive 2000/78 et, conformément aux articles 2 TUE (N° Lexbase : L8419IN7) et 2 TCE (N° Lexbase : L2506IPI), la promotion d'un niveau d'emploi élevé constituant l'une des finalités poursuivies tant par l'Union européenne que par la Communauté.
En 2010, la CJUE (CJUE, 12 octobre 2010, aff. C-45/09) (9) a également admis que la volonté de libérer des emplois au bénéfice de jeunes travailleurs peut constituer un motif légitime justifiant un régime de mise à la retraite, dès lors que les salariés concernés bénéficiaient d'un régime de retraite et des mêmes droits que les salariés licenciés. En d'autres termes, la CJUE a admis que la mise à la retraite des salariés constitue un élément pertinent de la politique d'emploi qu'un Parlement peut mettre en place, à partir d'une logique de partage de l'emploi.
A nouveau en 2010, la CJUE (CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09 et C-268/09) (10) a relevé que la Directive 2000/78 (art. 6 § 1) ne s'oppose pas à une législation nationale qui prévoit la mise à la retraite d'office des professeurs d'université, lorsqu'ils atteignent l'âge de soixante-huit ans et la poursuite de leur activité par ces derniers au-delà de soixante-cinq ans, uniquement au moyen de contrats à durée déterminée de un an renouvelables au maximum deux fois, pour autant que cette législation poursuit un objectif légitime lié notamment à la politique de l'emploi et du marché du travail, tel que la mise en place d'un enseignement de qualité et la répartition optimale des postes de professeurs entre les générations, et qu'elle permet d'atteindre cet objectif par des moyens appropriés et nécessaires. Il appartient au juge national de vérifier si ces conditions sont remplies.
La CJCE a jugé en 2007 (CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208/05 N° Lexbase : A4560DT3) (11) que la promotion de l'embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l'emploi des Etats membres, et cette appréciation doit s'appliquer à des instruments de la politique du marché du travail national visant à améliorer les chances d'insertion dans la vie active de certaines catégories de travailleurs.
A contrario, bien que la liste n'en soit pas exhaustive, les objectifs légitimes énumérés à l'article 6 de la Directive 2000-78 sont, pour la CJUE, liés à la politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle (arrêt C-447/09 du 13 septembre 2011, préc.) (12). Un objectif tel que la sécurité aérienne ne relève pas des objectifs visés à l'article 6 § 1 alinéa 1er de la Directive 2000/78.
2 - Des moyens appropriés et nécessaires
La CJUE a admis, dans son arrêt C-144/04 du 22 novembre 2005 (N° Lexbase : A6265DLM), que les Etats membres ainsi que les partenaires sociaux au niveau national disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d'un objectif déterminé parmi d'autres en matière de politique sociale et de l'emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (13).
Pour la CJCE, dans son arrêt C-411/05 du 16 octobre 2007, un dispositif de mise à la retraite déclenché dès qu'un salarié atteint un certain âge, peut être qualifié d'"appropriée" et "nécessaire" pour atteindre l'objectif légitime invoqué dans le cadre de la politique nationale de l'emploi et consistant à promouvoir le plein emploi en favorisant l'accès au marché du travail. Une telle mesure ne porte pas une atteinte excessive aux prétentions légitimes des travailleurs mis à la retraite d'office du fait qu'ils ont atteint la limite d'âge prévue, dès lors que la réglementation ne se fonde pas, seulement, sur un âge déterminé, mais prend également en considération la circonstance que les intéressés bénéficient au terme de leur carrière professionnelle d'une compensation financière au moyen de l'octroi d'une pension de retraite, telle que celle prévue par le régime espagnol, dont le niveau ne saurait être considéré comme déraisonnable.
La CJUE a rendu d'autres décisions, qui permettent de mieux saisir la notion de "moyens mis en oeuvre pour réaliser un objectif de politique de l'emploi". La question de la fixation d'une limite d'âge de soixante-huit ans a été tranchée par la CJCE, en 2010 (point 70 de l'arrêt CJCE, 12 janvier 2010, aff. C-341/08 N° Lexbase : A2386EQG) : selon l'évolution de la situation de l'emploi dans le secteur concerné (dentaire), l'application d'une limite d'âge (laquelle conduit à la sortie du marché des praticiens les plus âgés) peut permettre de favoriser l'emploi des professionnels plus jeunes. La CJUE (18 novembre 2010, aff. C-250/09 et C-268/09, préc.) conclut qu'un Etat membre peut estimer approprié de fixer une limite d'âge pour atteindre des objectifs de politique de l'emploi. La fixation d'une telle limite d'âge pour la cessation du contrat de travail n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre des objectifs de politique de l'emploi, pour autant que la législation nationale réponde à ces objectifs de manière cohérente et systématique.
II - Droit interne : mise à la retraite et rejet de la qualification de discrimination fondée sur l'age
A - Mise à la retraite et différence de traitement fondée sur l'âge
1 - Mise à la retraite
La mise à la retraite correspond à la rupture à l'initiative de l'employeur du contrat de travail du salarié qui a atteint un certain âge (soixante-cinq ans, progressivement porté à soixante-sept ans) lui ouvrant droit à pension de vieillesse et lui permettant de bénéficier d'une pension à taux plein à la date de la rupture. La mise à la retraite écarte donc l'application du principe de discrimination fondée sur l'âge.
Mais si les conditions d'une mise à la retraite ne sont pas remplies, la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement. La Cour de cassation sanctionne de nullité un tel licenciement, parce que motivé par la seule considération de l'âge il est discriminatoire (14).
2 - Mise à la retraite avant soixante-cinq ans sur la base d'un accord de branche
La question de la nature juridique (discriminatoire ou pas) d'une différence de traitement fondée sur l'âge s'est posée, pour la Cour de cassation, à propos du régime de la mise à la retraite avant soixante-cinq ans sur la base d'un accord de branche. La Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC, fondée sur une atteinte au principe de non discrimination (Cass. soc., 14 septembre 2012, n° 12-40.052, FS-P+B N° Lexbase : A9282ISL) (15).
La loi "Fillon" (loi n° 2003-775, 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM) avait ouvert la possibilité, pour les employeurs, de mettre un salarié à la retraite avant soixante-cinq ans, à condition qu'il puisse bénéficier d'une retraite à taux plein, lorsqu'un accord collectif étendu autorisant l'employeur à mettre un salarié en retraite avant soixante-cinq ans était conclu et s'il prévoyait des contreparties en matière d'emploi ou de formation. L'accord de branche étendu pouvait alors prévoir la mise à la retraite avant soixante-cinq ans (C. trav., anc. art. L. 122-14-13 N° Lexbase : L4477H9P). Ce dispositif a été supprimé : depuis le 23 décembre 2006 (date d'entrée en vigueur de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 N° Lexbase : L8098HT4), toute possibilité de signer ou d'étendre des conventions ou accords collectifs prévoyant la mise à la retraite d'office d'un salarié à un âge inférieur à soixante-cinq ans est supprimée (lettre circulaire Acoss n° 2007-052, 13 mars 2007 N° Lexbase : L0009HWA). Le législateur (loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2007 n° 2006-1640, du 21 décembre 2006 puis LFSS 2009 n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 N° Lexbase : L2678IC8) a mis un terme au régime transitoire et définitivement abandonné cette réforme.
La Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC, dans la mesure où la différence de traitement, instituée par le législateur, qui ouvre à la négociation collective de branche, à titre temporaire et sous certaines conditions, la faculté d'aménager le régime de la mise à la retraite, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
B - Conditions de validité des mesures de mise à la retraite, au regard des différences de traitement fondées sur l'âge
1 - Cour de cassation
La jurisprudence mise en place par la Cour de cassation montre que le critère de l'âge peut être qualifié de discrimination, dans une grande variété de situations : au regard des mesures comprises dans un PSE ; au titre de la mise à la retraite, essentiellement, ou enfin, au titre de dispositifs liés au droit du licenciement (16).
En 2010, la Cour de cassation (17) a rappelé que le législateur autorise les différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée (C. trav., art. L. 1133-1 N° Lexbase : L0682H97). Plus précisément, les différences de traitement en considération de l'âge des salariés sont licites dès lors qu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime et que les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. En l'espèce, le choix de l'âge de cinquante-sept ans, comme critère de plafonnement des indemnités accordées aux salariés ne pouvant être reclassés mais bénéficiant d'une retraite à taux plein à l'âge de soixante ans, reposait sur la prise en compte du régime d'indemnisation du chômage plus favorable alors applicable aux salariés licenciés remplissant ces conditions, qui limitait la perte de revenus consécutive au licenciement. La limitation du montant des indemnités prévue dans le plan à l'intention de ces salariés était destinée à favoriser le maintien dans l'emploi de cette catégorie de salariés, en les incitant à envisager une réinsertion professionnelle. Aussi, il est apparu que cette mesure était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime de maintien de l'emploi et d'équilibre entre les catégories de salariés qui ne bénéficiaient pas des mêmes avantages après la perte de leur emploi, et que les moyens employés pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.
Les juges doivent vérifier, en détail, le motif de mise à la retraite, au regard des exigences posées notamment par la Directive 20008/78, article 6 alinéa 2 (préc.). La Cour de cassation (Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.465, FS-P+B+R N° Lexbase : A1625GXH) (18) a, ainsi, eu l'occasion de retenir la qualification de discriminatoire selon l'âge, s'agissant d'une décision de mise à la retraite d'office, dès lors qu'un employeur s'était contenté d'invoquer la nécessité dans laquelle il se trouvait, au titre de sa mission de service public, d'adapter ses effectifs à l'évolution du contexte dans lequel il se situe et de bénéficier d'une souplesse durable dans la gestion de ces effectifs en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité. La cour d'appel a retenu que la généralité des motifs invoqués ne permettait pas de considérer la mise à retraite de la salariée comme étant justifiée par un objectif légitime.
En mai 2010, la Cour de cassation s'est prononcée sur la demande tendant à l'annulation de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts d'un salarié, pilote de ligne (19). La cour d'appel a relevé que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers. Pour la Cour de cassation, si ces objectifs étaient légitimes, il appartenait aux juges du fond de rechercher si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de soixante ans était nécessaire à leur réalisation.
2 - Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé, en 2011 (Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-98 QPC N° Lexbase : A1691GR3), s'agissant du dispositif de la mise à la retraite d'office (20). L'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS) n'est contraire à aucun droit ou liberté. Le principe d'égalité (article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen N° Lexbase : L7558AIR) ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. La règle, ouvrant à l'employeur la possibilité de mettre d'office à la retraite un salarié ayant atteint l'âge de soixante-cinq ans, est fondée sur des critères objectifs et pertinents pour mettre ainsi en oeuvre le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre.
3 - Conseil d'Etat
En l'espèce, dans l'arrêt étudié, un agent a demandé l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2011-289 du 18 mars 2011, modifiant le statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que du décret n° 2011-290 du 18 mars 2011, relatif au régime spécial de retraite du personnel des industries électriques et gazières.
Il faut rappeler que le décret n° 2011-289 du 18 mars 2011 a relevé de soixante-cinq à soixante-sept ans l'âge auquel l'agent qui n'a pas pris l'initiative d'un départ en retraite peut être mis en inactivité à l'initiative de son employeur. Le décret n° 2011-289 applique les mêmes mesures que celles retenues pour les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires. Les premiers reports effectifs de l'âge de mise en inactivité interviendront pour les agents nés à compter de 1957.
Le décret n° 2011-290 du 18 mars 2011 a étendu la réforme des retraites au régime spécial de retraite du personnel des industries électriques et gazières. Il applique ainsi les mêmes mesures que celles retenues pour les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires, notamment le recul progressif de deux ans des âges d'ouverture du droit à pension et des durées de services afférentes, le maintien provisoire du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants et la refonte du minimum garanti.
Le Conseil d'Etat s'est appuyé sur l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78 (les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires). Le juge administratif a donné son interprétation de la Directive 2000/78 : les objectifs légitimes (tels que mentionnés par la Directive 2000/78) se distinguent, par leur caractère général, des motifs purement individuels qui sont propres à la situation de l'employeur, tels que la réduction des coûts ou l'amélioration de la compétitivité. Parmi ces objectifs légitimes figure la politique nationale visant à promouvoir l'accès à l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations.
Enfin, le Conseil d'Etat a retenu le principe selon lequel le caractère approprié et nécessaire d'une différence de traitement fondée sur l'âge s'apprécie en tenant compte notamment de la circonstance que les personnes concernées bénéficient au terme de leur carrière professionnelle d'une compensation financière au moyen de l'octroi d'une pension de retraite dont le montant, compte tenu de la perception éventuelle d'allocations subsidiaires, ne saurait être considéré comme déraisonnable.
Appliqué au contentieux dont il est saisi, le Conseil d'Etat (arrêt rapporté) admet que la fixation d'un âge, auquel un agent est mis en inactivité à l'initiative de son employeur, constitue une différence de traitement en fonction de l'âge. Mais la qualification de "discrimination" doit, pour autant, être écartée. En effet, le décret n° 2011-289 a déterminé un âge auquel le personnel des industries électriques et gazières peut, comme l'ensemble des agents relevant d'un statut réglementaire et bénéficiant de régimes spéciaux de retraite, être mis en inactivité à l'initiative de son employeur, et relevé progressivement cet âge de soixante-cinq à soixante-sept ans. Aussi, le pouvoir réglementaire a mis en oeuvre, conformément aux dispositions du Préambule de 1946 ([LXB=1750951]) et dans le respect de l'habilitation donnée par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (N° Lexbase : L9920HIA), le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre. Pour le Conseil d'Etat, cet objectif répond aux exigences de la politique de l'emploi et du marché du travail et à la nécessité, dans le cadre de la garantie d'emploi offerte par le statut du personnel des industries électriques et gazières, de permettre une meilleure distribution des emplois concernés entre les générations. Cet objectif est légitime, il justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l'âge (au sens de l'article 6 de la Directive 2000/78).
Enfin, le décret n° 2011-289 a relevé progressivement de soixante-cinq à soixante-sept ans l'âge auquel un agent est mis en inactivité à l'initiative de son employeur, selon un calendrier identique au relèvement de soixante à soixante-deux ans de l'âge d'ouverture du droit à pension opéré par le décret n° 2011-290, relatif au régime spécial de retraite du personnel des industries électriques et gazières.
Ce décret n° 2011-290 confère ainsi à l'agent le droit inconditionnel de poursuivre son activité au sein de l'entreprise jusqu'à son soixante-septième anniversaire, notamment pour augmenter les revenus sur la base desquels sa pension de retraite sera calculée et ainsi augmenter le montant de cette dernière. Aussi, pour le Conseil d'Etat, le décret n° 2011-290 n'a pas pour effet de contraindre le salarié à se retirer définitivement du marché du travail (au contraire). Le statut national prévoit, en outre, le recul de cet âge de mise en inactivité, sous réserve de l'aptitude physique de l'agent à exercer un emploi, notamment lorsque l'agent a encore un enfant à charge ou lorsqu'il n'a pas validé le nombre de trimestres devant être validé au titre du régime des industries électriques et gazières pour obtenir le taux maximum. Bref, pour le Conseil d'Etat, le décret n° 2011-290 instaure des dispositifs qui revêtent un caractère approprié et nécessaire, conformément aux exigences posées par la Directive 2000/78.
(1) Conseil d'orientation des retraites, Retraites : un état des lieux du système français, Rapport, 22 janvier 2013, spéc. p. 55.
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 13 mars 2013, n° 352393, publié au recueil Lebon ; LSQ, n° 16310, 21 mars 2013. Sur la prohibition des discriminations liées à l'âge du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2589ET3).
(3) V. nos obs., Une différence de traitement en fonction de la date de recrutement n'est pas qualifiable de discrimination fondée sur l'âge, Lexbase Hebdo n° 489 du 14 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2420BTS).
(4) V. nos obs., Discriminations (sexe, âge ou origine ethnique) : tout est question de preuve, Lexbase Hebdo n° 484 du 10 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1769BTP).
(5) V. nos obs., La volonté du salarié de continuer de travailler après l'âge de la retraite face à la mise à la retraite d'office, Lexbase Hebdo n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8308BQR).
(6) V. nos obs., Comment la CJUE caractérise une discrimination fondée sur l'âge et apprécie la justification d'une différence de traitement Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4314BQT).
(7) V. nos obs., En droit communautaire, toute discrimination fondée sur l'âge n'est pas nécessairement sanctionnée, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4881BHA).
(8) V. nos obs., La mise à la retraite d'office n'est pas nécessairement discriminatoire au nom des politiques de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 284 du 31 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3667BD8).
(9) CJUE, 12 octobre 2010, aff. C-45/09 (N° Lexbase : A4807GBN). V. nos obs., Comment la CJUE caractérise une discrimination fondée sur l'âge et apprécie la justification d'une différence de traitement, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4314BQT).
(10) CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09 et C-268/09 (N° Lexbase : A5491GI9) ; v. nos obs., La volonté du salarié de continuer de travailler après l'âge de la retraite face à la mise à la retraite d'office, Lexbase Hebdo n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8308BQR).
(11) V. nos obs., Liberté de circulation des chômeurs migrants face à l'activité des agences d'emploi privées, Lexbase Hebdo n° 246 du 1er février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8443A9L).
(12) La CJCE a ainsi jugé que les objectifs pouvant être considérés comme "légitimes" au sens de l'article 6 § 1 alinéa 1 et, par voie de conséquence sont des objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l'emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle : CJCE, 5 mars 2009, aff. C-388/07 (N° Lexbase : A5596EDM) ; CJCE, 18 juin 2009, aff. C-88/08 (N° Lexbase : A2798EIH).
(13) CJCE, 22 novembre 2005, C 144/04 ; Lexbase Hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition sociale (préc.).
(14) Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE) : aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul. L'armateur n'invoquait comme cause de rupture que l'âge de l'officier, lequel, au moment de la rupture du contrat de travail, ne bénéficiait pas d'une retraite à taux plein : sa mise à la retraite constitue un licenciement nul. V., plus récemment, Cass. soc., 15 janvier 2013, n° 11-15.646, FS-P+B (N° Lexbase : A4858I3C), JSL, n° 338 du 26 février 2013 ; LSQ, n° 30, 12 février 2013 ; SSL, n° 1569 du 28 janvier 2013.
(15) V. nos obs., Mise à la retraite d'un salarié à la retraite avant l'âge de 65 ans en application d'une disposition conventionnelle étendue : pas de renvoi devant le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition sociale (préc.)
(16) V. nos obs., Discrimination selon l'âge et indemnité de licenciement conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 350 du 14 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0723BKY). Pas de discrimination indirecte : la cour d'appel n'a pas montré en quoi le plafonnement de l'indemnité de licenciement aurait eu pour effet de désavantager les salariés du fait de leur âge.
(17) Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-42.071, F-D (N° Lexbase : A5830GK7). V. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2589ET3).
(18) V. nos obs., Différences de traitement selon l'âge reconnues non discriminatoires : les juges du fond doivent vérifier les conditions posées par les textes Lexbase Hebdo n° 430 du 3 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6302BRT).
(19) Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT) ; Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-43.681, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1605EXQ), Bull. civ. V, n° 105, Liaisons sociales Europe, n° 253, 27 mai 2010, note J. P. Lhernould.
(20) V. les obs. de Ch. Radé, Actualité de la QPC en droit du travail, Lexbase Hebdo n°429 du 24 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4949BRQ) ; Le régime de la mise à la retraite n'est contraire ni au droit pour chacun d'obtenir un emploi, ni au principe d'égalité, Constitutions - Revue de droit constitutionnel appliqué, avril-juin 2011, n° 2/2011, p. 238-240.
Décision
CE 1° et 6° s-s-r., 13 mars 2013, n° 352393, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9904I9P) Textes concernés : Directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) ; loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 (N° Lexbase : L3048IN9) ; CJUE, arrêts C-411/05 du 16 octobre 2007 (N° Lexbase : A7508DYQ) et C-447/09 du 13 septembre 2011 (N° Lexbase : A7249HXR), décret n° 2011-289 du 18 mars 2011, modifiant le statut national du personnel des industries électriques et gazières (N° Lexbase : L7847IPC) Mots-clés : industries électriques et gazières, mise a la retraite, régime spécial, décrets n° 2011-289 et n° 2011-290 du 18 mars 2011, conformité au droit européen, discrimination fondée sur l'âge, différence de traitement autorisée Liens base : (N° Lexbase : E0554EU3) |
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