Réf. : Cass. civ. 1, 15 septembre 2021, n° 19-24.014, F-D (N° Lexbase : A9215443)
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
le 13 Octobre 2021
Mots-clés : indivision • bien indivis • partage judiciaire • partage en nature • égalité de partage • égalité en valeur • constitution de lots • tirage au sort • interdiction du partage par voie d’attribution • rémunération de l’indivisaire-gérant • partage de la plus-value issue des deniers personnels d’un indivisaire • conservation d’un bien indivis • amélioration d’un bien indivis
Le partage en nature avec attribution de lots afférents aux droits des indivisaires ne peut être ordonné que sous réserve d’une entente de l’ensemble des coindivisaires. Par conséquent, à l’occasion d’une procédure de partage judiciaire, le juge se voit interdit de procéder au partage par voie d’attribution.
La réalisation de travaux de conservation ou d’amélioration par un indivisaire sur le bien indivis aux frais de l’indivision ouvre droit à rémunération au sens de l’article 815-12 du Code civil, mais ne peut donner lieu au bénéfice de l’article 815-13 du Code civil. Ainsi, rémunération de l’indivisaire-gérant et plus-value des deniers engagés par celui-ci constituent deux branches distinctes.
(i) « L’art. 826 c. civ. dispose : « L'égalité dans le partage est une égalité en valeur. Chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à ses droits dans l'indivision. S’il y a lieu à tirage au sort, il est constitué autant de lots qu'il est nécessaire. Si la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d'égale valeur, leur inégalité se compense par une soulte. »
Il résulte de ce texte qu'à défaut d'entente entre les indivisaires, les lots faits en vue d'un partage doivent obligatoirement être tirés au sort, et qu'en dehors des cas limitativement énumérés par la loi, il ne peut être procédé au moyen d'attributions.
Après avoir constaté que Mme Y et M. G A proposent un partage en nature du bien indivis correspondant strictement aux droits des parties, l’arrêt relève que M. H A s'oppose à un tel projet.
Il en résulte que leur demande tendant à voir ordonner un tel partage, avec attribution au profit de chacun des indivisaires du lot afférent à ses droits, ne pouvait qu’être rejetée.
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1°, et 1015 du code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié.
[…]
(ii) Selon le premier de ces textes [C. civ., art. 815-12], l’indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l'amiable ou, à défaut, par décision de justice.
Aux termes du second [C. civ., art. 815-13], lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Il en résulte que l'activité personnelle déployée par un indivisaire ayant contribué à conserver ou à améliorer le bien ne peut être assimilée à une dépense dont le remboursement donnerait lieu à application de l’art. 815-13 et que la plus-value de l'immeuble accroît à l'indivision, l'indivisaire pouvant seulement prétendre à une rémunération de son activité conformément à l'art. 815-12. »
Observations. L’arrêt commenté n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il réaffirme deux règles qui sont acquises depuis quelques années déjà, encore que la première soit plus solidement ancrée que la seconde. Il semble cependant que certaines cours d’appel, et pas des moindres comme celle censurée en l’espèce, ignorent encore ces règles, ou, à tout le moins, balbutient quant à leur application. Il n’est donc pas inutile pour la Cour de cassation de les rappeler, et pour nous de les exposer aux lecteurs.
La première règle est la suivante : dans une procédure de partage judiciaire, le juge ne peut attribuer tel bien à tel copartageant nominativement. C’est ce que l’on nomme plus techniquement l’interdiction du partage par voie d’attribution (I).
La deuxième règle est plus torturée, puisque la jurisprudence de la Cour de cassation a pu varier au fil des ans à son propos. Mais dans son dernier état, qui est celui de la décision commentée, il est aisé de l’énoncer : les domaines des articles 815-12 (N° Lexbase : L9941HNI) et 815-13 (N° Lexbase : L1747IEG) du Code civil ne doivent pas être mélangés. Au premier texte la rémunération de l’indivisaire-gérant, et au second le partage de la plus-value issue des deniers engagés par ce dernier. Nul ne doit mélanger les deux branches de cette distinction (II).
I. Le juge du partage ne peut attribuer tel bien à tel copartageant
La règle est d’une confondante clarté : lors d’un partage judiciaire, le juge ne dispose pas du pouvoir d’attribuer tel bien indivis à tel copartageant. C’est ce que rappelle fort opportunément la présente décision. Dès lors qu’un partageant n’était pas d’accord pour que les lots soient attribués à l’amiable, il était nécessaire d’en passer par un tirage au sort des lots composant la masse à partager. Les textes issus de la loi du 23 juin 2006 sont clairs (v. C. proc. civ., art. 1363 N° Lexbase : L5769LTT, 1375 al. 3 N° Lexbase : L6329H7K et 1376 N° Lexbase : L5770LTU). Mais la jurisprudence est fixée depuis le XIXème siècle en ce sens et n’a jamais varié depuis (v. Cass. civ. 19 mars 1844, Jur. gén., V°. Succession, n° 1836 ; Cass. civ. 26 avril 1847, DP 1847, 1. 224 ; Cass. civ. 27 mars 1850, DP 1850, 1. 123 ; Cass. civ. 11 août 1875, DP 1875, 1. 461 ; plus récemment, v. not. Cass. civ. 1, 28 décembre 1962, Bull. civ. I, n° 571 ; Cass. civ. 1, 22 juillet 1985, Bull. civ. I, n° 235 ; Cass. civ. 1, 14 mai 1992, n° 90-20.498, N° Lexbase : A5518AHT, Bull. civ. I, n° 141 ; Cass. civ. 1, 18 juillet 1995, n° 93-17.253, N° Lexbase : A7907ABH, Bull. civ. I, n° 329 ; Cass. civ. 1, 13 janvier 2016, n°14-29.651, N° Lexbase : A9273N3T, Bull. civ. I, n° 8 ; D. 2016. 200 ; Dr. fam. 2016. Comm. 62, obs. M. Nicod ; encore plus récemment, v. Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-22.878, N° Lexbase : A5032ZQG ; Cass. civ. 1, 28 mars 2018, n° 17-14.709, N° Lexbase : A8739XII ; Cass. civ. 1, 31 janvier 2018, n° 17-15.455 N° Lexbase : A4663XCP).
Il importe donc peu que le juge puisse penser qu’il serait plus expédient d’attribuer tel bien à tel héritier, cela n’est pas admis. Il est donc inutile, pour les avocats, de le demander. C’est une demande impossible au contentieux puisqu’elle excède les pouvoirs du juge.
Le lecteur gardera donc bien à l’esprit la logique qui préside au partage judiciaire, que l’on rappellera ici pour la bonne forme.
(a) Lorsque l’on est en phase amiable (laquelle peut resurgir à tout moment en cas de contentieux, puisque le partage est amiable avant d’être judiciaire), ce sont les parties elles-mêmes qui procèdent aux attributions qui leur conviennent (de même qu’ils auront composé les lots amiablement). Où l’on voit l’un des mérites essentiel du partage amiable : éviter l’aléa du tirage au sort.
(b) Lorsque le partage amiable n’est pas possible, le partage contentieux ne laisse aucune marge de manœuvre, que ce soit aux parties, mais aussi au juge, ainsi que le rappelle la décision sous examen : les lots devront être tirés au sort. Cela se fera devant le notaire commis (cela est possible aussi devant le juge, mais c’est beaucoup plus rare), lequel aura le plus souvent composé lesdits lots, un pouvoir qui entre bien dans ses attributions (Cass. civ. 1, 16 avril 1991, JCP 1991. 21755, note J.-F. Pillebout). C’est donc à ce stade qu’il est interdit au juge de procéder par voie d’attribution. On notera que la motivation des juges du fond sur ce point de droit précis était totalement erronée (tirage au sort car grosse mésentente entre les copartageants créant un potentiel risque de blocage de la copropriété à raison de l'égalité de voix des indivisaires). Cependant, l’arrêt attaqué est sauvé in extremis par la Cour de cassation, par le seul constat que les conseillers d’appel avaient fait du refus d’un copartageant de partager à l’amiable. C’est logique : si un copartageant refuse toute attribution amiable (et quand bien même il serait le seul à réagir ainsi), il ne peut faire de doute que d’avoir eu recours au tirage au sort était à l’abri de toute critique puisque c’était la seule chose (licite) à faire.
(c) Enfin, s’il n’est pas possible de constituer des lots égaux, parce que les biens ne sont pas commodément partageables, il faudra procéder par voie de licitation judiciaire. (v. C. civ., art. 1686 N° Lexbase : L1796AB7, qui vise expressément la notion de « perte », et C. proc. civ., art. 1377 N° Lexbase : L1631IUX). Mais c’est là le dernier recours, une telle licitation étant subsidiaire aux autres façons de procéder, et ce caractère subsidiaire devant être respecté. Il conviendra donc de prouver (côté demandeur) et de motiver (côté juge) en quoi la vente à la barre des biens est la seule solution possible. Il ne saurait être question de recourir à cette façon de faire en première intention, juste parce que l’on veut aller vite, ou faire peur aux autres copartageants (mais on peut, évidemment, la demander dans une assignation en partage, à la condition de démontrer d’abord l’échec de toute voie amiable, et, ensuite, que les biens ne sont pas commodément partageables).
Il est donc aisé de voir qu’aucun texte, et aucune jurisprudence, ne donne au juge du partage le pouvoir général de procéder par voie d’attribution. Il ne disposera de ce pouvoir que dans des cas particuliers, qui sont ceux où une attribution préférentielle est prévue par la loi. Mais en dehors de ces cas spécifiques, le juge ne peut dire que tel bien ira dans le lot de tel copartageant. Le partage judiciaire est donc, par nature, un partage aléatoire en termes d’attributions.
II. Les articles 815-12 et 815-13 du Code civil : des domaines bien distincts
Le second point de droit tranché par l’arrêt ne repose pas, contrairement au premier, sur un jurisprudence presque bicentenaire. Tout au contraire, les arrêts ont pu varier dans le passé, et la présente décision n’est probablement qu’une phase de plus dans cette valse prétorienne à deux temps. Ce qui est en cause, c’est la ligne de partage entre les articles 815-12 (N° Lexbase : L9941HNI) et 815-13 (N° Lexbase : L1747IEG) du Code civil, et plus spécifiquement la question de savoir sur lequel de ces textes doit être ancrée la rémunération de l’indivisaire-gérant, c’est-à-dire de l’indivisaire qui a apporté une plus-value aux biens indivis par son industrie, ou en finançant en deniers l’amélioration du bien. Le moins que l’on puisse dire est que la jurisprudence a alors été frappée du syndrome du pendule, allant dans un sens, puis dans un autre.
En 1987, la Cour de cassation a décidé que l’indivisaire-gérant qui a, par son activité personnelle, amélioré l'état d'un bien indivis peut, comme celui qui l'a amélioré par ses impenses, demander qu'il lui en soit tenu compte eu égard au profit subsistant et selon l'équité (Cass. civ. 1, 25 mai 1987, n° 85-16.995, publié au bulletin N° Lexbase : A9592CI4, Bull. civ. I, n° 166, D. 1988. 28, note A. Breton ; Defrénois 1988. 33, obs. A. Breton ; RTD civ. 1988. 374, obs. J. Patarin ; RTD civ. 1989. 354, obs. F. Zénati). C’était donc le triomphe, un peu inattendu, de l’article 815-13 du Code civil. La plus-value apportée à la chose indivise l’était en vertu d’une impense.
Mais, en 1994, la Cour de cassation a désavoué cette solution, décidant que la plus-value accroissait à l’indivision (C. civ., art. 815-13) et que l’indivisaire-gérant avait droit à la rémunération de son industrie sur le fondement de l’article 815-12 du Code civil (Cass. civ. 1, 12 janvier 1994, n° 91-18.104, N° Lexbase : A5977AHT; Bull. civ. I, n° 10 ; Defrénois 1994, art. 35761, obs. L. Aynès ; D. 1994. 311, note R. Cabrillac ; D. 1995. Somm. 41, obs. Grimaldi ; RTD civ. 1996. 229, nos 6 et 7, obs. B. Vareille), même si des discussions doctrinales demeuraient sur la façon de comptabiliser le salaire de l’indivisaire-gérant (sur lesquelles, v. A. Chamoulaud-Trapiers, Rep. civ. Dalloz, Communauté légale : dissolution, n° 242 et les réf.).
En 2007, le pendule revint dans la position qui avait été la sienne vingt ans plus tôt, en 1987, puisqu’il fut décidé que l’indemnisation de l’indivisaire-gérant devait être fondée sur l’article 815-13, et ceci alors pourtant qu’il n’existait pas d’impense en l’espèce, seule l’industrie personnelle du gérant recevant cette qualification (Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-13.320 N° Lexbase : A6852DUC ; Bull. civ. I, n° 109 ; LPA 2008, obs. A. Chamoulaud-Trapiers).
En 2010, le balancier revint cependant à son niveau de 1994 : la plus-value éventuelle du bien indivis résultant de l’industrie personnelle que l’un des indivisaires a pu déployer sur ledit bien profite à toute l’indivision et sera partagée entre les indivisaires en fonction de leurs droits dans cette indivision (Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-13.688, N° Lexbase : A2717E3Z, Bull. civ. I, n° 146 ; RJPF 2010-10/19, obs. F. Vauvillé). L’indivisaire-gérant ne peut donc espérer fonder son droit à remboursement sur cette plus-value, son industrie personnelle n’est pas une « impense nécessaire ». En revanche, il a droit à une rémunération pour l’industrie qu’il a mise au service de la masse indivise. Cette question ressortit alors de l’article 815-12 du Code civil qui dispose qu’il « a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l'amiable ou, à défaut, par décision de justice ».
Il est donc aisé de voir que la solution affirmée par la présente décision est dans la continuité de celle de 2010, dont on peut penser que la doctrine est désormais assez bien stabilisée. Le partage des eaux est donc clair :
- les deniers engagés sur le bien sont des impenses nécessaires qui doivent être remboursés sur le fondement de l’article 815-13. Là encore les choses se divisent en deux ;
> si une plus-value résulte de l’usage de ces deniers, elle sera partagée entre les coïndivisaires, et l’indivisaire solvens aura droit au remboursement de ses dépenses au profit subsistant via le bien connu mécanisme de la dette de valeur (éventuellement pondéré par l’équité, comme l’article815-13 le permet) ;
> si aucune plus-value ne résulte de l’usage des deniers, ou pire qu’une moins-value apparaît, le solvens aura droit au remboursement du nominal de sa dépense, puisqu’il s’agit d’impenses nécessaires. On retrouve là un raisonnement bien connu en d’autres matières utilisant aussi le mécanisme de la dette de valeur (v. C. civ. art. 1469 al. 2 N° Lexbase : L1606AB4, en matière de récompenses pour les dépenses « nécessaires ») ;
- l’industrie personnelle déployée par l’indivisaire-gérant relève du domaine de l’article 815-12 du Code civil. Il faudra donc que l’indivision lui rembourse cette industrie personnelle, selon des modalités qui ne sont pas données par la présente décision (la question n’était pas dans les débats).
On suivra donc avec attention le suite de cette jurisprudence, et spécialement la façon dont l’industrie est remboursée, car c’est aujourd’hui le gros point noir de cette jurisprudence. Mais gardons cela pour une autre fois, puisque l’arrêt commenté ne l’évoque pas…
Au total, la présente décision est fort riche pour un arrêt non publié au Bulletin civil. Les avocats auraient tort de ne pas lui prêter l’attention voulue, car c’est une décision à forte portée pratique, en dépit d’un substrat théorique assez touffu.
Quant aux magistrats, ils ne peuvent se permettre de ne pas maîtriser ces subtilités, lesquelles leurs rappelleront (s’il le faut) que le droit de l’indivision, et celui du partage, sont des eaux sombres et froides qui ne tolèrent aucune approximation. Bref, c’est du droit civil…
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