Lexbase Fiscal n°869 du 17 juin 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Conclusions] Les services de restauration scolaire ne sont pas assujettis à la TVA - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 28 mai 2021, n° 441739, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A48674TG)

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[Conclusions] Les services de restauration scolaire ne sont pas assujettis à la TVA - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/69294193-conclusionslesservicesderestaurationscolairenesontpasassujettisalatvaconclusionsdurap
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État

le 16 Juin 2021


Mots-clés : TVA • assujettissement • cantines scolaires • concurrence 

Les cantines scolaires, en tant que service éducatif, sont exonérées de TVA. Telle est la solution dégagée par le Conseil d’État dans un arrêt du 28 mai 2021. Lexbase Fiscal vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Romain Victor.

Notons que le Conseil d’État a retenu la même solution dans un arrêt du même jour concernant les piscines municipales.

Lire en ce sens, MC. Sgarra, Non-assujettissement à la TVA d’une commune exploitant une piscine municipale : appréciation de la condition de distorsion de concurrence, Lexbase Fiscal, juin 2021, n° 868 (N° Lexbase : N7802BYM).


 

 

1.- Située dans le département de la Dordogne, Sarlat-la-Canéda compte un peu moins de 9 000 habitants. Plutôt que de traiter avec les mastodontes du secteur de la restauration collective, la commune a fait le choix, comme nombre de communes de sa taille, d’exploiter en régie directe le service de la restauration scolaire au sein des écoles maternelles et élémentaires publiques situées sur son territoire, au profit des élèves demi-pensionnaires – ils sont 900 environ. Les repas, dont les menus sont élaborés par une diététicienne, sont confectionnés par des employés communaux à la cuisine centrale municipale, à partir de produits locaux et de saison, et livrés tôt chaque matin aux six restaurants scolaires de la ville, où ils seront plus tard réchauffés et servis à table. La tarification est fonction du quotient familial, le prix unitaire d’un repas s’établissant entre 0,80 euros et 4,75 euros.

La commune s’est interrogée, comme d’autres communes, sur sa situation au regard de la taxe sur la valeur ajoutée et a tôt fait de considérer qu’il serait financièrement avantageux pour elle d’être assujettie à la taxe à raison des opérations du service de la restauration scolaire, dont l’exploitation lui procure des recettes atteignant péniblement 50 % de ses dépenses. C’est ainsi que, le 21 décembre 2015, le maire de Sarlat a écrit à l’administration fiscale pour demander que soit remboursé à la commune, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, un crédit de TVA de 20 217 euros correspondant à la différence entre les montants de taxe déductible payés sur ses achats (31 727 euros) et la taxe qu’elle aurait dû collecter lors de la facturation aux parents d’élèves des frais de restauration scolaire (11 510 euros).

L’administration a rejeté sa demande par une décision du 13 juin 2016, en se fondant sur le motif que la fourniture de repas aux élèves des établissements d’enseignement du premier degré constituait une prestation de services étroitement liée à l’activité d’enseignement exonérée de TVA en vertu des dispositions du a du 4° du 4 de l’article 261 du CGI (N° Lexbase : L7044LZW[1], qui assurent la transposition des dispositions du i) du paragraphe 1 de l’article 132 de la Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), ayant repris les termes du i) du paragraphe 1 du A de l’article 13 de la sixième Directive [2], et aux termes desquelles « 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / […] i) l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire […] ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ».

Ce faisant, l’administration s’est conformée à sa propre doctrine publiée au BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 (N° Lexbase : X5092AL8), dont les paragraphes 40 et 50, énoncent que « L’exonération s’applique aux prestations d’enseignement proprement dites ainsi qu’aux prestations de services ou livraisons de biens qui sont étroitement liées à cet enseignement (logement et nourriture des internes ou demi-pensionnaires, articles ou fournitures scolaires, tels que livres ou cahiers, qui constituent le complément obligé et inséparable de l’enseignement dispensé) » et que « Les cantines scolaires et universitaires sont également exonérées de TVA […] ».

La commune a porté le litige devant le tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 juillet 2018. Elle a interjeté appel mais a eu la surprise de voir sa requête rejetée par une ordonnance prise en application des dispositions du dernier alinéa de l’article R. 222-1 du CJA (N° Lexbase : L2796LPA), en date du 12 mai 2020, par laquelle le président de la 4ème chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé, d’une part, qu’« [i]l ne [pouvait] être sérieusement contesté que les cantines scolaires nécessaires pour fournir un repas aux élèves en demi-pension sont au nombre des services étroitement liés à l’enseignement scolaire », d’autre part, que le droit interne ne méconnaît pas les objectifs de la Directive « en ce qu’il ne prévoit pas qu’un établissement scolaire puisse opter pour l’assujettissement à la TVA des fournitures de repas aux élèves par les cantines scolaires ».

C’est cette ordonnance que la commune vous demande d’annuler, étant indiqué qu’un pourvoi, affecté à la 3ème chambre et au stade de l’admission, a été introduit sous le n° 442538 par la commune voisine de Marsac-sur-l’Isle contre une ordonnance identique du 16 juin 2020.

Pour conclure ce prologue, nous relevons enfin que si la décision attaquée est une ordonnance, au demeurant sommairement et imparfaitement motivée, de rejet pour défaut manifeste de fondement de la requête d’appel, la question que soulève la demande de la commune de Sarlat, inédite dans votre jurisprudence et d’un grand intérêt pratique pour les collectivités territoriales, est loin d’être évidente et a d’ailleurs donné lieu à des jurisprudences divergentes des juges du fond, les tribunaux administratifs de Toulouse et de Limoges ayant statué en sens opposé par des jugements plus rigoureusement motivés [3].

2.- Trois moyens sont invoqués à l’appui du pourvoi, dans un ordre contestable, car la commune fait porter sa critique, d’abord, sur l’ordonnance en tant qu’elle a jugé que l’activité de restauration scolaire était exonérée et, ensuite seulement, sur l’ordonnance en tant qu’elle a jugé (ou aurait à tout le moins jugé) que la commune était placée en dehors du champ de la taxe, c'est-à-dire qu’elle n’avait pas la qualité d’assujettie.

2.1.- La commune reproche à l’auteur de l’ordonnance attaquée, par son deuxième moyen, d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que la loi ne lui permettait pas d’opter pour un assujettissement à la TVA de la fourniture de repas aux élèves.

Elle se prévaut des dispositions du premier alinéa de l’article 256 B du CGI (N° Lexbase : L5161HLQ) qui, tout en prévoyant le non-assujettissement à la TVA des personnes morales de droit public pour certaines de leurs activités exercées en tant qu’autorités publiques, opère un retour à la règle générale d’assujettissement à la taxe de toute personne exerçant à titre onéreux une activité économique lorsque le non-assujettissement de la personne publique en cause est à l’origine de distorsions de concurrence d’une certaine importance.

Il est certain que l’ordonnance, dont la rédaction est assez flottante, a au moins implicitement admis que la commune était placée en dehors du champ de la taxe, sans quoi elle n’aurait normalement pas eu à prendre parti sur le point de savoir si elle exonérée sur le fondement de l’article 261, 4, 4°, a, puisque la question de savoir si un assujetti peut prétendre à une mesure d’exonération, et avoir ainsi la qualité d’assujetti non redevable, se pose en aval de celle d’un éventuel non-assujettissement [4].

Nous signalons d’emblée que la question de l’assujettissement fait consensus entre le ministre et la commune : les parties considèrent en effet que l’activité de restauration scolaire est bien dans le champ de la TVA. Le ministre mentionne en peu de mots que « le caractère concurrentiel de l’activité en cause exclut la collectivité » du champ d’application de l’article 256 B du CGI. Et la commune revendique, de son côté, depuis l’origine du contentieux, son assujettissement, tout en faisant valoir que son non-assujettissement entraînerait des distorsions de concurrence d’une certaine importance sur le marché au détriment des opérateurs privés. Il s’agit cependant d’une question d’ordre public dont vous seriez fondé à vous saisir d’office si vous n’étiez saisis d’un moyen en ce sens.

Or, pour des raisons tout à fait voisines de celles que nous venons de rappeler dans l’affaire « Commune de Castelnaudary » (CE 8ème et 3ème ch.-r., 28 mai 2021, n° 442378, publié au recueil Lebon), il nous semble difficile de nous unir au consensus ambiant dès lors que, d’une part, la commune agit en tant qu’autorité publique, dans le cadre du régime de droit public qui lui est applicable, en définissant par des décisions à caractère réglementaire les modalités d’organisation du service public, lorsqu’elle assure le service de la restauration scolaire, d’autre part que, sur le marché de la restauration scolaire dans les établissements d’enseignement du premier degré, la seule présence des grands opérateurs privés de la restauration collective ne doit pas occulter la réalité des conditions d’exploitation qui conduisent à écarter l’existence d’une concurrence véritable.

Il résulte en effet de l’article 147 de la loi n° 98-657, du 29 juillet 1998, d’orientation relative à la lutte contre les exclusions que les tarifs les plus élevés pratiqués par un service public administratif à caractère facultatif ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée. Cette règle générale est déclinée pour la restauration scolaire par les dispositions de l’article R. 531-53 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L3682IE4) dont il résulte que les tarifs pratiqués, qui sont fixés par la collectivité territoriale ayant la charge de l’établissement desservi, « ne peuvent, y compris lorsqu'une modulation est appliquée, être supérieurs au coût par usager résultant des charges supportées au titre du service de restauration, après déduction des subventions de toute nature bénéficiant à ce service ».

Dans un schéma de fixation administrative d’un prix qui se trouve en tout état de cause plafonné au coût de revient, nous avons beaucoup de mal à trouver des indices d’une concurrence réelle et non faussée et à nous faire à l’idée que le non-assujettissement de la commune à la TVA serait, par lui-même, la cause d’une distorsion de concurrence résultant de ce que les opérateurs privés seraient taxés alors que les collectivités territoriales ne le seraient pas [5].

2.2.- À supposer que vous considériez que l’activité économique en cause est dans le champ de la taxe, au motif qu’il ne serait pas établi que la commune agit en tant qu’autorité publique (ce que nous pouvons admettre) ou que des distorsions de concurrence d’une certaine importance seraient identifiables (ce dont nous doutons sérieusement), il resterait à déterminer si elle n’est pas exonérée.

Par le premier moyen de son pourvoi, la commune soutient qu’en regardant la restauration scolaire comme une prestation étroitement liée à l’enseignement scolaire, comme telle exonérée de TVA, le président de la 4ème chambre de la cour de Bordeaux a entaché son ordonnance d’erreur de droit.

Il n’est peut-être pas inutile de commencer par cerner les contours de la notion même d’enseignement scolaire au sens du régime de la TVA, avant de s’intéresser à la notion de prestations étroitement liées.

Il résulte de la jurisprudence communautaire que « la transmission de connaissances et de compétences entre un enseignant et des élèves est un élément particulièrement important de l’activité d’enseignement » [6] (cela ne surprend pas) et que « la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire », aux fins du régime de la TVA, renvoie, en général, à un système intégré de transmission de connaissances et de compétences portant sur un ensemble large et diversifié de matières, ainsi qu’à l’approfondissement et au développement de ces connaissances et de ces compétences par les élèves et les étudiants au fur et à mesure de leur progression et de leur spécialisation au sein des différents degrés constitutifs de ce système » [7].

La cour a précisé que la notion ne se limitait pas aux enseignements qui conduisent à des examens mais comprenait « d’autres activités dans lesquelles l’instruction est donnée dans des écoles ou des universités en vue de développer les connaissances et les aptitudes des élèves ou des étudiants, pourvu que ces activités ne revêtent pas un caractère purement récréatif » [8].

La notion d’enseignement recouvre ainsi des activités « qui se distinguent tant du fait de leur nature propre [la transmission de connaissances et de compétences] qu’en raison du cadre dans lequel s’effectue leur exercice » [écoles, collèges, lycées, universités, centres de formation d’apprentis et autres établissements d’enseignement général ou technique] ».

En conclusion, l’activité d’enseignement « est constituée par un ensemble d’éléments qui incluent concomitamment ceux relatifs aux relations s’établissant entre enseignants et étudiants ainsi que ceux formant le cadre organisationnel de l’établissement dans lequel l’instruction est fournie » [9].

Ceci étant posé, on peut rappeler que la Cour de justice s’est penchée à trois reprises sur la notion de prestations de services « étroitement liées » à l’enseignement :

  • dans son arrêt « Commission c/ Allemagne » [10] de 2002, elle a jugé que l’Allemagne avait méconnu les objectifs de la sixième directive en exonérant les activités de recherche exercées à titre onéreux par des établissements publics d’enseignement supérieur car, bien qu’elles soient « fort utiles à l’enseignement universitaire », elles n’étaient pas indispensables pour atteindre l’objectif de formation des étudiants en vue de leur permettre d’exercer une activité professionnelle ;

 

  • dans l’affaire « Horizon College » [11] de 2007, elle était interrogée sur le cas d’un établissement d’enseignement qui mettait à titre onéreux à disposition d’un autre établissement d’enseignement du personnel d’enseignement ;
  • enfin dans l’arrêt « Brockenhurst College » [12] de 2017, elle était interrogée sur l’exonération des prestations à titre onéreux de services de restauration et de spectacles fournies par les élèves d’un établissement d’enseignement dans le cadre de leur formation initiale, et plus précisément de travaux pratiques.

La Directive de 2006 ne comportant pas de définition de la notion de prestations de services « étroitement liées », la Cour a apporté cinq précisions, les plus importantes étant celles qui ne découlent pas directement des textes appliqués.

i) elle a observé que les exonérations mentionnées à l’article 132 de la Directive avaient pour objet de favoriser certaines activités d’intérêt général : celles et uniquement celles qui sont mentionnées spécialement et de manière détaillée par cet article ;

ii) elle a rappelé que l’article 132 était d’interprétation stricte tout en soulignant que l’interprétation retenue ne devait pas priver d’effets utiles l’exonération ; elle a même observé, dans l’arrêt « Commission c/ Allemagne » [13] et dans un arrêt « MDDP » [14] qu’une interprétation « particulièrement stricte » serait malvenue dans la mesure où l’exonération des prestations liées est destinée à éviter de renchérir le coût de l’enseignement, prestation principale ;

iii) la Cour a dit, comme elle l’avait fait pour les prestations liées à une prestation de soins médicaux exonérée [15], que des opérations ne sauraient être considérées comme étroitement liées à l’enseignement que tant qu’elles sont effectivement fournies en tant que prestations accessoires, c’est-à-dire lorsqu’elles ne constituent pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire ;

iv) la Cour a rappelé qu’en vertu des termes mêmes du i) du paragraphe 1 de l’article 132, tant la prestation principale d’enseignement que la prestation étroitement liée devaient être effectuées par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre ;

et v) la Cour a rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article 134 de la Directive, les opérations étroitement liées ne peuvent être exonérées que si elles sont indispensables à l’accomplissement de la prestation principale et si elles ne sont essentiellement destinées à procurer à l’organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d’opérations effectuées en concurrence directe avec celles d’entreprises commerciales soumises à la TVA.

Il vous reste à appliquer cette batterie d’indications au cas des cantines scolaires en vue de choisir, à notre avis, entre les deux seules solutions que sont soit le rejet du pourvoi, soit le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice.

C’est en faveur de la solution de rejet que nous nous sommes déterminé, au bénéfice des observations suivantes.

1°) Nous ne sommes pas dans la configuration d’une prestation de services ou d’une livraison de biens à titre onéreux qui serait réalisée par un établissement d’enseignement au profit de tiers. Les destinataires de la prestation principale (l’enseignement scolaire) et de la prestation accessoire (la restauration scolaire) sont les mêmes : ce sont les élèves.

2°) Si la restauration ne peut, en elle-même, être regardée comme une activité d’enseignement, nonobstant sa dimension éducative, la CJUE inclut dans l’enseignement, nous l’avons souligné, non seulement les relations enseignants-élèves, mais aussi « les éléments […] formant le cadre organisationnel de l’établissement ». Or les élèves demi-pensionnaires prennent leurs repas, en règle générale, dans les lieux mêmes de leur établissement scolaire, dans l’enceinte duquel la cantine est située. De ce point de vue, et même si les personnels qui fournissent l’une et l’autre activité n’ont pas le même employeur, le restaurant scolaire nous paraît constituer un élément du cadre organisationnel de l’école. Le lien étroit revêt dans cette mesure une dimension topographique : mêmes clients donc, et mêmes lieux.

3°) La commune qui fournit la prestation de services de restauration scolaire en régie est un « organisme de droit public de même objet » que « l’organisme » exerçant l’activité d’enseignement au sens du i) du paragraphe 1 de l’article 132, étant rappelé qu’en vertu des dispositions du Code de l’éducation et du CGCT [16], « la commune a la charge des écoles publiques » [17], même si c’est l’État qui définit les programmes, fixe le calendrier scolaire, organise les examens, recrute et emploie le personnel enseignant et de direction.

4°) Si la restauration scolaire ne constitue pas, pour les élèves, une fin en soi, elle est néanmoins le moyen d’obtenir la prestation principale aux meilleures conditions, et répond pour ce motif à la définition de la prestation accessoire ; il est assez évident que, compte tenu de l’organisation du temps scolaire en France, qui repose sur le principe d’une journée entière passée au sein de l’établissement scolaire, sous réserve du mercredi, la cantine permet aux élèves de profiter complètement du temps consacré aux apprentissages ; la transmission des connaissances et des compétences ne serait pas de même qualité si les élèves avaient le ventre vide l’après-midi ou s’ils devaient faire un long trajet aller-retour entre leur domicile et l’établissement, sans compter que, pour certains élèves, la qualité nutritionnelle et la variété des repas pris à la cantine peuvent être très supérieures à celles des repas pris dans leur famille ou de pique-niques qu’ils apporteraient.

5°) Soumettre à la taxe la fourniture de repas par les cantines aurait certes pour effet de procurer à la commune un surcroît de ressources, compte tenu de l’insuffisance structurelle des recettes sur les dépenses, mais elle aurait concomitamment pour effet de renchérir le coût de l’enseignement pour les parents d’élèves, ce qui va directement à l’encontre de l’objectif poursuivi par les exonérations prévues par la Directive.

6°) Notre dernière observation concerne le caractère indispensable de la restauration scolaire à l’accomplissement de l’activité d’enseignement, qui ne peut se résumer à la seule utilité pour la prestation principale de la prestation accessoire.

Cette condition nous confronte à un paradoxe qui tient à ce que la restauration scolaire est un service public facultatif, ainsi que le retient votre arrêt de Section « Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet » du 5 octobre 1984, aux termes duquel : « la création d’une cantine scolaire présente pour la commune […] un caractère facultatif » [18], et ainsi que l’a rappelé le législateur lorsqu’il a inséré dans le code de l’éducation, en 2017 [19], un article L. 131-31 affirmant que l’inscription à la cantine des écoles primaires est un droit pour tous les enfants scolarisés, « lorsque ce service existe ». Et même lorsque le service existe, votre récent arrêt Commune de Besançon (CE 4° et 1° ch.-r., 22 mars 2021, n° 429361, publié au rec., concl. R. Chambon N° Lexbase : A00384MD) juge que la collectivité territoriale qui en est responsable peut légalement refuser d’y admettre un élève lorsque, à la date de la décision, la capacité maximale d’accueil du service est atteinte. Enfin, la fréquentation de la cantine est également facultative pour les élèves, dont les parents peuvent privilégier d’autres choix, pour des raisons pratiques, économiques ou du fait de leurs convictions religieuses.

Vous pourriez être tentés d’en tirer qu’un service public facultatif ne saurait constituer le complément indispensable de l’activité d’enseignement.

Toutefois, nous pensons que le paradoxe n’est qu’apparent.

Le caractère indispensable de la prestation accessoire par rapport à l’activité principale doit résulter, selon la Cour de justice, de ce que la première est d’une nature ou d’une qualité telle que, sans son concours, il ne saurait être assuré que l’enseignement dont bénéficient les élèves est d’une valeur équivalente. Or nous croyons fermement que tel est le cas.

On peut bien sûr concevoir des écoles sans cantine. Il y en a d’ailleurs, quelques-unes. Et, sans restauration scolaire, les élèves pourraient malgré tout s’alimenter, en apportant le pique-nique préparé par les parents ou en retournant chez eux, lorsque la distance le permet et que les parents ou des proches sont disponibles pour confectionner des repas.

Mais l’on voit bien que cette organisation non seulement n’est pas optimale pour les élèves, leurs parents et leurs professeurs, dans une société développée, mais aussi ne favorise pas l’atteinte des objectifs assignés au service public de l’éducation, alors que le code de l’éducation rappelle qu’il est « conçu et organisé en fonction des élèves », qu’il « contribue […] à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative », qu’il « a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements d’enseignement situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé » [20] et comprend des actions d’éducation à la santé [21] et, maintenant, d’éducation à l’alimentation [22].

Or, ainsi que le retient encore l’arrêt « Commune de Besançon », un intérêt général s’attache à ce que tous les élèves puissent bénéficier du service public de la restauration scolaire. Et si la cantine est un inlassable sujet de débat au sein de la communauté éducative, parfois aussi un objet de polémique électorale [23], c’est qu’il ne se réduit pas à une dimension strictement alimentaire : c’est aussi, et de manière croissante, un lieu d’apprentissage de la vie collective, du goût, des bonnes pratiques nutritionnelles, et comme le montre le cas de Sarlat, un bon moyen de sensibiliser les enfants à l’origine et à la qualité des produits qu’ils consomment, à la saisonnalité ou au bien-être animal.

Au bout de notre réflexion, nous sommes en définitive étreints par le même sentiment d’évidence qui a saisi l’auteur de la décision attaquée et l’a conduit à juger, par une simple ordonnance, qu’on ne pouvait sérieusement nier que la cantine scolaire est en lien étroit avec l’enseignement scolaire.

Enfin, il nous paraît assez manifeste que l’activité de restauration scolaire n’est pas essentiellement destinée à procurer à la commune des recettes supplémentaires au sens des dispositions du b) de l’article 134 de la Directive, pour les raisons qui ont été dites en ce qui concerne la tarification plafonnée au coût de revient [24].

2.3.- Le dernier moyen de la commune peut être plus rapidement écarté. Il est tiré de ce que l’auteur de l’ordonnance l’aurait entachée d’erreur de droit en lui opposant que le droit à remboursement d’un crédit de TVA était subordonné à la condition d’une collecte effective de la TVA par la commune.

Si l’ordonnance jugeait cela, il faudrait l’annuler car il s’agirait d’une erreur grossière.

Si la directive subordonne le bénéfice du droit à déduction tant à des exigences de fond [25] qu’à des conditions de forme, qui intéressent en particulier les modalités d’exercice du droit à déduction et de son contrôle par l’administration et concernent la comptabilité, la facturation et les déclarations, la jurisprudence constante de la Cour de justice est en ce sens que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de la TVA amont soit accordée dès lors que les exigences de fond sont satisfaites, quand bien même certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-385/09 Nidera Handelscompagnie BV (N° Lexbase : A2204GCM) ; CJUE, 28 juillet 2016, aff. C-332/15, point 45, Astone (N° Lexbase : A0125RYB) ; CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-69/17, point 34, Siemens Gamesa N° Lexbase : A7628X3W).

Est ainsi fondé à faire valoir son droit à déduction l’assujetti qui a omis de s’identifier à la TVA, de déclarer un commencement d’activité ou de souscrire une déclaration de TVA, s’il remplit les conditions de fond de la déduction [26] et agit dans les délais de réclamation fixés par l’État membre concerné.

Un assujetti peut ainsi apporter pour la première fois la démonstration, dans une réclamation présentée sur le fondement de l’article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L3311LCM), par laquelle il demande bénéfice du droit à déduction résultant des dispositions législatives et réglementaires assurant la transposition de la directive, qu’il avait la qualité d’assujetti et qu’il remplissait les autres conditions de fond pour bénéficier du droit à déduction, sans qu’on puisse lui opposer qu’il n’ait pas facturé la taxe et qu’il ne l’ait ni collectée ni reversée au Trésor.

Toutefois, malgré les imprécisions de la rédaction, nous ne pensons pas que l’ordonnance doive être lue comme ayant fondé la solution de rejet de l’appel sur le motif erroné tiré de ce que la commune n’aurait pas effectivement collecté et reversé la TVA au Trésor, cette circonstance ayant été relevée « en passant », comme une pure circonstance de fait dont il est possible de faire abstraction.

Par ces moyens nous concluons au rejet du pourvoi.

 

[1] Aux termes duquel « Sont exonérés de la TVA : / […] 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : / de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés […] ».

[2] Directive 77/388/CEE, du Conseil du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme.

[3] TA Toulouse, 16 avril 2019, n° 1800067, 1800068, 1800069, « Commune de Cornebarrieu » ; TA Limoges, 26 décembre 2019, n° 1701293, « Commune de Déols ».

[4] Cf. sur cette logique l’avis contentieux « Centre hospitalier de Vire » (CE 9° et 10° ch.-r., 12 avril 2019, n° 427540 (N° Lexbase : A2813Y93), RJF, 2019, n° 642, concl. E. Bokdam-Tognetti C642),

[5] CJUE, 25 mars 2010, aff. C-79/09, Commission c/ Pays-Bas, point 90 (N° Lexbase : A9885ETB).

[6] CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-473/08, Eulitz, point 30 (N° Lexbase : A6692EQW).

[7] CJUE, 14 mars 2019, aff. C-449/17, A & G Fahrschul-Akademie GmbH, point 26 (N° Lexbase : A6940Y3G).

[8] CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-473/08, Eulitz ; point 29.

[9] CJCE., 14 juin 2007, aff. C-434/05, Horizon college, points 18 à 20 (N° Lexbase : A8188DW8) et arrêt Eulitz, point 30.

[10] CJCE, 20 juin 2002, aff. C-287/00, Commission c/ Allemagne (N° Lexbase : A2776A39).

[11] Cf. arrêt « Horizon College » précité.

[12] CJUE, 4 mai 2017, aff. C-699/15, Brockenhurst College (N° Lexbase : A9962WBL).

[13] Cf. sur ce point l’arrêt « Commission c/ Allemagne » précité, point 47.

[14] CJUE, 28 novembre 2013, aff. C-319/12, MDDP sp. z o.o. Akademia Biznesu, point 26 (N° Lexbase : A4048KQY).

[15] La Cour a renvoyé aux points 27 à 30 d’un arrêt du 11 janvier 2001, « Commission/France » (aff. C‑76/99 N° Lexbase : A0203AWG) ainsi qu’aux points 17 et 18 d’un arrêt du 1er décembre 2005 « Ygeia » (aff. C-394/04 et aff. C-395/04 N° Lexbase : A7840DLX), à propos des dispositions similaires du b) du paragraphe 1 du A de l’article 13 de la sixième Directive, reprises au b) du paragraphe 1 de l’article 132 de la Directive de 2006.

[16] L’article L. 2121-30 du CGCT (N° Lexbase : L8544AAP) donne compétence au conseil municipal pour décider de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public, dans le cadre de la répartition française des compétences entre l’État () et les collectivités territoriales (qui possèdent et gèrent les locaux, organisent les activités périscolaires, le cas échéant logent les instituteurs et emploient du personnel périscolaire).

[17] Cf. article L. 212-4 du Code de l’éducation.

[18] CE Section, 5 octobre 1984, n° n° 47875, Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet (N° Lexbase : A5613ALH), rec. p. 315. Cette solution a été confirmée pour ce qui concerne les départements, s’agissant des collèges (CE 3° et 8° ch.-r., 24 juin 2019, n° 409659, Département d’Indre-et-Loire, rec. p. 226 N° Lexbase : A3717ZGR), en dépit de la rédaction de l’article L. 213-2 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de l’article 82 de la loi du 13 août 20014 relative aux libertés et responsabilités locales, selon lequel « Le département a la charge des collèges. À ce titre, il en assure […] le fonctionnement […]. Le département assure l’accueil, la restauration, l’hébergement […] dans les collèges dont il a la charge ». La solution vaut symétriquement pour les régions, en ce qui concerne les lycées.

[19] Par l’article 186 de la loi n° 2017-86, du 27 janvier 2017, relative à l’égalité et citoyenneté (N° Lexbase : L6432LC9).

[20] C. éduc., art. L. 111-1 (N° Lexbase : L6766LRZ).

[21] C. éduc., art. L. 121-4-1 (N° Lexbase : L3161L4T).

[22] C. éduc., art. L. 312-7-3.

[23] Cf. CE 3° ss, 9 juin 2015, n° 385327 (N° Lexbase : A8995NM4).

[24] Au surplus, la Cour de justice considère que les exonérations de l’article 132, paragraphe 1, sous i), combinées à celles de l’article 134, ne s’opposent pas à ce que des opérations étroitement liées aux prestations de services éducatifs exonérées soient elles-mêmes exonérées de TVA y compris lorsqu’elles sont fournies par des organismes non publics à des fins commerciales (v. arrêt « MDDP » précité, points 32 et 33).

[25] Avoir la qualité d’assujetti, avoir bénéficié d’une livraison de biens ou d’une prestation de services rendue par un autre assujetti ; utiliser en aval les biens ou les services grevés de la TVA pour les besoins de ses propres opérations taxée.

[26] Il n’en va différemment qu’en cas de fraude ou si la violation des exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (CJUE, 12 juillet 2012, aff. C-284/11, EMS-Bulgaria Transport, point 71 N° Lexbase : A8483IQA).

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