Réf. : Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.008, FS-P+B (N° Lexbase : A6622IKH)
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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)
le 28 Juin 2012
"Sur la régularité de la saisie des correspondances d'avocats qui seraient, selon elle soumise à la règle de la confidentialité, les dix-sept courriels à l'en-tête de 'X..., Avocats', pourvus d'un avis de confidentialité, celles-ci sont, en réalité, relatives à des prestations étrangères à la mission confidentielle qui doit être protégée d'un avocat dans l'exercice de sa mission de défense. En effet elles sont relatives à la domiciliation concrète des installations de la société Y.. au Luxembourg, à son raccordement téléphonique, à l'établissement de son bilan, aux retards de paiement de l'impôt au Luxembourg et au paiement des honoraires du commissaire aux comptes, toutes missions de pure gestion qui auraient pu être exercées par un autre mandataire non protégé".
La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'ordonnance du 2 mars 2011 pour violation des dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dont elle rappelle les termes.
Depuis 1990, la rédaction de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 a été modifiée à de nombreuses reprises, au gré notamment de la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a résisté à son application.
Cette évolution rédactionnelle doit être relatée, comme doit l'être celle de la jurisprudence de la Chambre criminelle, dans laquelle s'inscrit la décision cassée par la Chambre commerciale.
Une ordonnance du 30 janvier 2009 (ordonnance n° 2009-112, portant diverses mesures relatives à la fiducie N° Lexbase : L6939ICY), et en dernier lieu une loi du 28 mars 2011 (loi n° 2011-331, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées N° Lexbase : L8851IPI), ont complété l'article 66-5 pour tenir compte de la nouvelle activité de fiduciaire de l'avocat puis de celle d'agent sportif, instituant dans ces domaines particuliers d'exercice de l'avocat des exceptions aux principes généraux du secret professionnel énoncés à l'alinéa 1er, tenant aux règles spécifiques de ces activités. Nous n'évoquerons pas ces exceptions nouvelles, sauf pour souligner qu'elles sont les seules prévues par le texte de l'article 66-5.
Faut-il rappeler qu'il n'existe pas de société démocratique sans prééminence du droit, pas de prééminence du droit sans une justice indépendante capable de le faire appliquer, pas de justice équitable si les droits de la défense ne sont pas garantis ?
Faut-il rappeler que le secret professionnel est l'une des garanties fondamentales des droits de la défense, établi non pas dans l'intérêt de l'avocat, ni davantage dans celui de son client, mais exclusivement dans l'intérêt général, celui de la Justice ? Que dans une société libre qui consacre et protège les droits de la défense, toute personne doit pouvoir trouver en son avocat un interlocuteur auquel elle pourra se confier avec une absolue confiance, leur relation étant protégée par une confidentialité sans faille ?
Le secret professionnel est la condition sine qua non de l'exercice de la profession d'avocat.
Que les autorités de poursuites, judiciaires ou administratives, pour pallier les difficultés de leurs enquêtes, aient la tentation constante de puiser des informations à la source, directement dans la relation entre l'avocat et son client, est regrettable mais compréhensible.
Que le juge, auquel incombe également le devoir de garantir les libertés et les droits fondamentaux, succombe à la même tentation, soit en initiant soit en validant des perquisitions ou des saisies dans le cabinet d'un avocat, dans le but d'obtenir commodément des informations pourtant couvertes par le secret professionnel, voilà qui est bien plus regrettable encore, et totalement incompréhensible.
Ni l'efficacité de l'enquête ou de l'instruction, ni la nécessité de protéger les intérêts de la société ne peuvent justifier une atteinte aux droits de la défense par une violation du secret professionnel.
L'avocat est un auxiliaire de justice, non un auxiliaire de police judiciaire ou administrative.
L'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, issu de la loi du 30 décembre 1990, affirmait clairement la règle intangible du secret professionnel :
"Les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".
Visant tout à la fois les consultations et les correspondances dans la relation entre l'avocat et son client, sans aucune restriction quant au domaine d'activité de l'avocat, le champ d'application du secret professionnel tel que défini par la loi ne semblait souffrir aucune ambigüité.
Complétant ces dispositions, la loi du 4 janvier 1993 (loi n° 93-2, portant réforme de la procédure pénale N° Lexbase : L8015H3A) a précisé, à propos des consultations, qu'étaient couvertes par le secret professionnel non seulement les consultations adressées par un avocat à son client, mais également celles qui étaient "destinées à celui-ci".
"En toute matière les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".
Par arrêt en date du 7 mars 1994, dans un cas d'espèce où des saisies de correspondances avaient été pratiquées dans le cabinet d'un ancien conseil juridique devenu avocat, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé "qu'en effet si, selon les principes rappelés par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure que le juge d'instruction tient de l'article 97 du Code de procédure pénale [N° Lexbase : L4269DG9 dans sa version en vigueur à l'époque des faits] le pouvoir de les saisir dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense" (Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-84931, publié au bulletin N° Lexbase : A4422CGU).
Sans doute fallait-il clarifier davantage encore ce qui, pourtant, paraissait clair dans les mots "en toutes matières".
Le législateur a complété le 7 avril 1997 (loi n° 97-308, modifiant les articles 54, 62, 63 et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L4398IT3) les termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, d'une part, en précisant que l'expression "en toutes matières" visait tout à la fois le domaine du conseil et celui de la défense, d'autre part, en spécifiant que le secret professionnel couvrait aussi les correspondances entre avocats, ainsi que les notes d'entretien.
Consacrant de la façon la plus explicite qui soit le principe du secret professionnel de l'avocat, et manifestement dans le but d'infléchir une jurisprudence qui n'était conforme ni au texte, ni à l'esprit de la loi, le législateur a pris soin de conclure l'énumération des documents couverts par le secret professionnel par une formulation générale englobant "toutes les pièces du dossier".
"En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel".
Pourtant et à nouveau, par arrêt en date du 30 juin 1999, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 5 novembre 1997, confirmant une ordonnance du juge d'instruction qui rejetait une demande de restitution de pièces saisies dans le cabinet d'un avocat, au motif notamment :
"Qu'en effet, il résulte des articles 97 et 99 du Code de procédure pénale et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que le juge d'instruction peut s'opposer à la restitution de documents saisis dans le cabinet d'un avocat et couverts par le secret professionnel, dès lors que leur maintien sous la main de la justice en vue de déterminer l'existence d'infractions pénales est nécessaire à la manifestation de la vérité et qu'il ne porte pas atteinte aux droits de la défense" (Cass. crim., 30 juin 1999, n° 97-86.318 N° Lexbase : A5390AWK).
Relevons que dans cet arrêt, la Cour de cassation admet explicitement que les documents saisis dans le cabinet de l'avocat sont couverts par le secret professionnel, et qu'ainsi le champ d'application de ce secret tel qu'il résulte des dispositions de l'article 66-5 est enfin reconnu par la Haute juridiction.
Mais, de façon surprenante, la Cour de cassation n'en déduit pas que les pièces saisies et couvertes par le secret professionnel devraient être écartées, puisqu'elles permettent de déterminer l'existence d'infractions pénales, sont nécessaires à la manifestation de la vérité... et ne portent pas atteinte aux droits de la défense.
Oserons-nous remarquer que la défense devient infiniment plus compliquée quand au nom de la manifestation de la vérité, la preuve des infractions pénales est recherchée dans le secret de la relation entre l'avocat et son client ?
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Gageons que l'arrêt de la Chambre commerciale du 3 mai 2012 soit le signe annonciateur d'un revirement de la Chambre criminelle.
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