La lettre juridique n°491 du 28 juin 2012 : Bancaire

[Jurisprudence] La "garantie solidaire" de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier à l'aune du principe de liberté contractuelle

Réf. : Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-18.210, F-P+B (N° Lexbase : A3916IND)

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 28 Juin 2012

On prête ces mots un rien pressés à la Marquise de Sévigné, à l'occasion d'un échange épistolaire avec sa fille, Madame de Grignan : "le tourbillon nous emporte, nous n'avons pas le loisir de nous arrêter si longtemps sur une même chose". Je ne saurai dire s'il nous emporte, mais le tourbillon financier qui tient lieu de toile de fond à nos chroniques depuis quatre ans est bien réel. Pourtant, il nous laisse le loisir de nous arrêter, à intervalles réguliers, sur une même chose : la cession de créance professionnelle des articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier (dite "cession Dailly" (1)). A ce propos, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 5 juin 2012 nous invite à réfléchir à un point particulier du régime de la cession Dailly : le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI), qui dispose que "sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession [...] est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement".
Une société (le cédant) avait cédé, sous le régime de la cession Dailly, à un établissement de crédit (le cessionnaire), une créance (la créance cédée) détenue à l'encontre de l'un de ses clients (le débiteur cédé), pour garantir son obligation de remboursement d'une dette de compte courant pour laquelle le cessionnaire bénéficiait également d'une caution. Le moment venu, le cessionnaire se retourna contre le cédant (et la caution) pour obtenir le paiement des sommes lui étant dues au titre de la dette garantie ; il essuya un refus net : la cession Dailly portant sur la créance cédée ayant déjà pour objet d'assurer son complet paiement, le cessionnaire devait trouver de quoi se désintéresser directement auprès du débiteur cédé. Les tribunaux du fond abondèrent en faveur de cette thèse défendue par le cédant (et la caution), au grand dam du cessionnaire qui en appela au juge de cassation.
Ainsi, la Cour de cassation était-elle invitée à répondre à la question de droit suivante : le cessionnaire d'une créance cédée sous le régime de la cession Dailly doit-il obligatoirement diligenter ses premières poursuites en direction du débiteur cédé puis, à la condition qu'elles s'avèrent malheureuses, exciper auprès du cédant de la garantie qui lui est offerte par l'alinéa second de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier ? Au nom du sacro-saint visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à cette question de la manière la plus simple qui soit : parce que la cession dont il était question en l'espèce avait été réalisée sous l'empire d'une convention stipulant que "le client [le cédant] s'interdit d'exiger de la banque [le cessionnaire] l'accomplissement d'une formalité quelconque ou une intervention de quelque nature que ce soit auprès du débiteur cédé, et le décharge de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées", le cessionnaire était bel et bien en droit de poursuivre directement un paiement auprès du cédant.

Cette décision, qui n'est pas sans rappeler certaines rendues précédemment sur des sujets proches, confirme une chose : comme le laisse clairement comprendre le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier, la garantie due par le cédant au titre d'une cession Dailly à son cessionnaire est gouvernée par un entier principe de liberté contractuelle, s'agissant tant de l'existence même de la garantie (I) que de ses modalités de mises en oeuvre (II).

I - La "garantie solidaire", option à la disposition des parties

En disposant que la garantie qu'il met en place vaut "sauf convention contraire", l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier instaure évidemment le règne de la liberté contractuelle : les parties peuvent exclure l'application de ce texte (A) mais, à défaut de le faire, il leur est applicable (B).

A - La possible exclusion de la "garantie solidaire"

Que le cédant d'une créance garantisse (ou désire le faire) au cessionnaire le bon paiement par le débiteur cédé de la créance qu'il lui transporte ne va pas de soi. C'est ainsi que l'article 1694 du Code civil (N° Lexbase : L1804ABG), à propos d'une question fort proche (pour ne pas dire économique identique), dispose que "[celui qui vend une créance] ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu'il s'y est engagé", ce que l'article 1695 du même code (N° Lexbase : L1805ABH) complète avec sévérité de la manière suivante : "lorsqu'il a promis la garantie de la solvabilité du débiteur, cette promesse ne s'entend que de la solvabilité actuelle, et ne s'étend pas au temps à venir, si le cédant ne l'a expressément stipulé". Là, l'idée directrice est claire : par principe, l'aléa de la valeur de la créance cédée (qui, in fine, ne peut valoir plus que le crédit du débiteur de ladite créance) est supporté par le cessionnaire (2). En matière de cession Dailly, vraisemblablement au nom de l'initiative prise par le cédant dans la signature du bordereau de cession et -lorsque la cession Dailly intervient à titre de garantie et non d'escompte- dans la dette qu'il a contractée envers le cessionnaire qu'il cherche à garantir via cette cession de créance, la règle de départ est inversée : si le débiteur cédé fait défaut, alors qu'il plaise au cessionnaire de discuter avec le cédant... sauf si les parties en ont décidé autrement.

En pratique, la décision contraire est souvent prise au nom d'accords commerciaux trouvés entre le cessionnaire et le cédant ; c'est d'ailleurs le cas que la cession Dailly intervienne à titre d'escompte ou de simple garantie. A titre d'exemple, dans les schémas d'escompte, on peut imaginer le cas d'un affacturage sans recours, dans lequel le factor prend à sa charge la gestion du poste clients du cédant et garantit un financement à ce dernier, nonobstant la survenance d'impayés : clairement, cela renchérit le coût de l'opération pour le cédant, puisque ce dernier transfère alors l'intégralité du risque de crédit pris sur ses clients au factor. Cette exclusion se justifie parfois par le souci de pouvoir traiter, en termes comptables, la cession comme une opération déconsolidante au sens de la norme IAS39 (3), laquelle interdit au bénéficiaire du financement de garder, eu égard aux créances cédées, un quelconque risque.

B - Le caractère supplétif de la "garantie solidaire"

L'option que nous venons de décrire n'avait pas été retenue dans les faits de l'espèce ayant abouti à l'arrêt du 5 juin 2012, dans lequel les parties avaient donc choisi de se maintenir sous le droit commun de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. A proprement parler, ce n'est pas véritablement une surprise : la cession Dailly était consentie par le cédant à titre de garantie de certaines de ses dettes envers le cessionnaire. Or, à défaut de cette "garantie solidaire" entre le cédant et le débiteur cédé, la cession Dailly ne peut pleinement tenir lieu de garantie : elle ne réalise qu'un transfert, plus ou moins absolu, des droits du cessionnaire du chef du cédant à celui du débiteur cédé. Certes, même sans la "garantie solidaire", la cession Dailly ne libère pas automatiquement le cédant, mais elle n'offre pas au cessionnaire-bénéficiaire de la "garantie solidaire" la plénitude de ses prérogatives : non seulement, il peut agir contre le cédant au titre de la dette principale, mais encore plus contre le débiteur cédé et le cédant au titre de la créance cédée.

En l'espèce, c'était bien ce que devaient avoir en tête les parties : le cessionnaire jouissait de la cession de créance, et de la "garantie solidaire" offerte par le cédant quant au paiement par le débiteur cédé, laquelle n'est pas véritablement un cautionnement mais une sorte de garantie sui generis doublant les recours du cessionnaire (un peu comme pourrait le faire une délégation imparfaite).

Les parties ont donc toute latence pour retenir ou non la "garantie solidaire" que leur propose le législateur dans l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. Reste ensuite à savoir ce que sont les modalités de mise en oeuvre de cette "garantie solidaire" et, plus précisément, les obligations particulières qu'elle est susceptible de créer à l'égard du cessionnaire qui en profite.

II - Les modalités de mise en oeuvre de la "garantie solidaire" à la disposition des parties

Au-delà du rappel général de ce que le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier est à la libre des dispositions des parties, l'arrêt du 5 juin 2012 constitue surtout un enrichissement très appréciable du régime de mise en oeuvre des droits du cessionnaire au titre de cette garantie : elle est essentiellement contractuelle (A) et peut être assortie d'une exonération de responsabilité du cessionnaire infructueux dans ses poursuites contre le débiteur cédé (B).

A - La contractualisation des modalités de mise en oeuvre de la "garantie solidaire"

La jurisprudence récente nous avait déjà fourni des éléments assez nombreux à partir desquels il était possible de déduire un régime général de mise en oeuvre par le cessionnaire des droits qu'il tire de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier. Ainsi,

- le cessionnaire, une fois qu'il a notifié le débiteur cédé dans les formes prévues par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN) (4), n'est pas tenu de justifier d'une poursuite judiciaire préalable à l'encontre du débiteur cédé (5 ). En l'espèce commentée, il n'était donc pas possible de reprocher au cessionnaire de ne pas avoir assigné le débiteur cédé en paiement ;

- pour autant, le cessionnaire ne peut refuser au cédant des explications quant aux raisons l'amenant à exercer ses droits au titre de la garantie légale (6 ), même si la Haute juridiction avait pu laisser entendre que l'engagement légal du cédant devait s'entendre comme faisant de lui un véritable codébiteur, justifiant un choix complet au bénéfice du cessionnaire (7). C'était précisément ce que la cour d'appel de Montpellier reprochait au cessionnaire, en l'espèce : ne pas avoir justifié d'une demande amiable adressée au débiteur cédé ou d'un événement rendant impossible le paiement par ce dernier.

Et pourtant, la Cour de cassation désapprouve, dans son arrêt du 5 juin 2012, la position des juges héraultais. Cela s'explique tout simplement parce que le contrat de cession qui régissait les conditions de la cession de créance réalisée sous l'empire du régime des cessions Dailly stipulait, en son article 10, que "le client [le cédant] s'interdit d'exiger de la banque [le cessionnaire] l'accomplissement d'une formalité quelconque ou une intervention de quelque nature que ce soit auprès du débiteur cédé, et le décharge de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées". Les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites, les magistrats devaient suivre la lettre et l'esprit de cette clause qui dispensait purement et simplement le cessionnaire de toute démarche à l'égard du débiteur cédé : la cession de créance opérait donc comme une véritable alternative, une roue de secours, créant dans le patrimoine du cessionnaire des droits qu'il pouvait mettre en oeuvre ou non. Pour des raisons qui le regardent (8), il avait choisi de ne pas le faire : le cédant n'a rien à lui reprocher.

Au final, par le jeu de l'arrêt du 5 juin 2012, on constate donc une véritable extension de la contractualisation de la garantie légale de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier : il peut y être renoncé par les parties, à la faveur du débiteur cédé, mais la possibilité pour le cessionnaire-bénéficiaire d'y faire appel peut aussi être extrêmement aménagée, au grand avantage de ce dernier.

B - L'exonération de responsabilité du cessionnaire

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, car, à bien lire la Cour de cassation, la possibilité d'écrire contractuellement le régime de la garantie donnée par le cédant d'une cession Dailly quant au paiement de la créance cédée par le débiteur cédé va plus loin. En effet, implicitement, la Chambre commerciale semble avoir donné sa bénédiction à la partie finale de la clause que nous avons déjà citée : "[le cédant...] décharge [le cessionnaire] de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées". Nous pensons qu'il faut comprendre qu'il est licite de stipuler dans les contrats cadres de cession Dailly (9) des clauses exonérant le cessionnaire de la responsabilité qu'il pourrait encourir à l'égard du cédant pour le préjudice que ce dernier viendrait éventuellement à subir de l'incapacité du cessionnaire à se faire payer la créance cédée par le débiteur cédé. C'est évidemment un dispositif contractuel très intéressant pour le cessionnaire qui se retrouve ainsi, en plus de ses droits au titre de la créance principale, avec deux poches dans lesquelles glisser la main pour se faire payer, sans contrainte de diligenter ses poursuites dans un ordre particulier et sans pouvoir encourir de responsabilité vis-à-vis du cédant si ce dernier est amené à payer en lieu et place du débiteur cédé.

Cela va sans dire : cette exonération ne peut avoir lieu que pour autant qu'elle repose dans les limites de la jurisprudence "Chronopost" (10), même si, comme d'autres (11), nous manquons quelque peu d'imagination quant à ce qui pourrait constituer l'obligation essentielle du cessionnaire-bénéficiaire de la garantie de l'alinéa second de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier : serait-ce l'absence de notification dans les formes prévues par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier ? Une notification tardive, quand bien même le cessionnaire avait connaissance de difficultés financières du débiteur cédé ?

Messieurs les Magistrats, nous sommes déjà impatients de vous lire à propos de cette chose, sur laquelle nous avons, malgré le tourbillon qui nous embrasse, tout le loisir et le plaisir de nous arrêter !


(1) Disons-le une (nouvelle) fois pour toutes !
(2) Ce qui peut laisser à croire que le législateur a, historiquement, compris les cessions de créances comme des opérations spéculatives.
(3) Cf. norme IAS39.
(4) De sorte que la cession de créance réalisée sous le régime de la cession Dailly lui soit opposable, ce qui constitue la première étape de mise en oeuvre de son droit principal au titre de la créance cédée.
(5) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034 (N° Lexbase : A3701AUM), RTDCom., 2000, p. 996, obs. R. Cabrillac.
(6) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD), RTDCom., 2000, p. 821, obs. D. Legeais ; D. Robine, Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition privée (N° Lexbase : N8785BCD).
(7) Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), RDBF, 2002, 129, obs. A. Cerles.
(8) Sans doute pour pouvoir obtenir un paiement auprès de la caution, qu'il aura jugée plus solvable que le débiteur cédé.
(9) Voilà plusieurs fois que nous faisons référence à de tels contrats. Soyons clairs : la loi n'oblige pas à leur conclusion et la signature d'un simple bordereau conforme aux exigences formelles de l'article L. 313-23 du Code monétaire et financier. Néanmoins, des raisons pratiques commandent à ce qu'une telle convention soit conclue, en particulier lorsque des cessions sont envisagées à titre régulier.
(10) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, publié (N° Lexbase : A2343ABE), Bull. civ. IV, n° 261 ; et pour le dernier avatar en matière de clause limitative de responsabilité, cf. l'arrêt "Faurecia" : Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5360E3W), D., 2010, 1707, obs. X. Delpech ; D. Bakouche, in La Chronique de droit des contrats - Septembre 2010 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N7023BPS).
(11) D., 2012, Actualité, 13 juin 2012, obs. X. Delpech.

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