Lexbase Avocats n°311 du 4 février 2021 : Avocats

[Actes de colloques] La profession d’avocat : les risques de l’exercice (colloque du 25 septembre 2020 à Amiens) - Risques et avocats en entreprise

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par Xavier Chiloux, Avocat à la Cour, Ancien membre du Conseil National des Barreaux et du Conseil de l'Ordre

le 03 Février 2021

Le 25 septembre 2020, s'est tenu à Faculté de droit d'Amiens un colloque sur le thème « La profession d'avocat : les risques de l'exercice », sous la direction scientifique de Rodolphe Bigot et François Viney. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N6281BYB).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


En premier lieu, je voulais vous exprimer le plaisir et l’honneur que j’ai à parler devant vous en introduction de nos travaux.

Je souhaitais aussi remercier chaleureusement l’UFR de droit et sciences politiques d’Amiens, et particulièrement mon ami Rodolphe Bigot que j’ai eu à connaître en d’autres endroits, et à d’autres moments, car si certains l’ignorent Rodolphe est un formidable joueur de squash, ancien pensionnaire de l’équipe de France.

L’annonce de ma présence lors de ce colloque n’est pas totalement exacte puisque si je suis bien candidat depuis quelques temps à la fonction de Bâtonnier de l’Ordre de Paris, je ne le serai pas pour la prochaine élection qui se tiendra en novembre 2020, mais pour celle d’après en 2022.

Du fait de mon passé sportif que Rodolphe connaît bien, je souhaiterais humblement avoir la chance, la prise de fonction s’effectuant en janvier 2024, d’être le Bâtonnier olympique.

Le sujet qui nous occupe aujourd’hui, et que j’ai à traiter est, d’une certaine façon, l’un des marronniers de notre profession.

En effet, l’avocat en entreprise déchaîne les passions des avocats depuis plusieurs décennies.

Lors de chaque vote au conseil national des barreaux depuis trois ou quatre mandatures, le résultat est toujours le même : 40 pour… et 40 contre…

Certains y voient une formidable chance pour la profession d’avocat, et un développement qu’on ne peut ignorer, alors que d’autres croient en la création de « sous avocats » qui feront peser des risques économiques sur les avocats actuels.

Je l’ai écrit à plusieurs reprises, dit et redit, et cela ne vous surprendra pas, je fais partie de la première catégorie.

La question que l’on peut et doit se poser à ce stade est de savoir si une profession, quelle qu’elle soit, peut elle-même se réformer de l’intérieur ou, si toute évolution ne peut venir que des pouvoirs publics.

L’exemple assez récent de la profession d’avoué en est une belle illustration.

Alors qu’il leur était simplement demandé d’abandonner leur droit proportionnel que des abus fréquents avaient rendus économiquement impossible, cette profession n’a pas voulu le faire, et a été purement et simplement supprimée.

Quel paradoxe aujourd’hui que d’observer, qu’avec la complexification incessante de la procédure d’appel cette activité s’est purement et simplement recréée, la plupart des praticiens souhaitant transférer les risques inhérents à cette procédure d’appel à un autre professionnel.

Ce ne sont plus donc des avoués qui interviennent en appel, mais des avocats spécialisés en procédure d’appel…

Le risque d’affaiblissement de la profession d’avocat, dans l’hypothèse où elle n’intégrerait pas l’avocat en entreprise est considérable, ne serait-ce que pour les quelques raisons suivantes.

Premièrement, de nombreux pays de la communauté européenne acceptent depuis fort longtemps, l’avocat en entreprise comme : le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne ou encore le Portugal.

Ainsi, et afin de se conformer aux règles européennes, dès 2017, le barreau de Paris a reconnu la possibilité aux avocats du barreau de Paris d’exercer en entreprise… à la condition qu’ils exercent sur le territoire d’un autre État membre reconnaissant cette possibilité…

Un avocat parisien peut donc être avocat en entreprise en gardant son titre, ses droits et ses privilèges, en Allemagne ou en Espagne mais ne pourrait pas l’être en France.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette situation ne pourra durer indéfiniment, et que ce n’est simplement qu’une question de temps : la durée restant à définir.

Le second risque colossal pour la profession d’avocat résulte des revendications qui peuvent sembler légitimes des juristes d’entreprises.

En effet, ceux-ci revendiquent de pouvoir bénéficier de ce que l’on appelle le legal privilege.

Comme nous le savons, les deux grands obstacles à la reconnaissance du statut de l’avocat en entreprise sont l’indépendance, et le secret professionnel que dans les pays de common law on assimile, plus ou moins, au legal privilege

Nous reviendrons tout à l’heure sur le premier.

Concernant le legal privilege, à savoir le droit de ne pas communiquer les avis juridiques donnés à un client dans les procédures américaines de discovery, ou anglaises de disclosure, la demande des juristes salariés en France est prégnante.

Il s’agit ici de bon sens.

Soit les avocats en entreprise dans les pays les autorisant disposent de ce secret professionnel, soit les juristes en entreprise, notamment dans la tradition anglo-saxonne peuvent bénéficier de ce legal privilege.

Pour sa part, le juriste français exerçant en entreprise n’en bénéficiant pas, non seulement son influence sur les décisions seront moindres, mais encore son, ou ses employeurs, se méfieront de toutes consultations ou conseils qu’il pourrait être amené à donner, et ainsi en cas de litige, divulgués.

N’y allons pas par quatre chemins, cette insécurité juridique, et nous savons tous que le monde économique déteste cela plus que tout, ne peut se résoudre que de deux façons.

Soit l’acceptation en France de l’avocat en entreprise, soit, et dans cette deuxième hypothèse la profession d’avocat aura énormément à perdre, le légal privilège est octroyé aux juristes en entreprise qui ainsi n’auront plus aucun intérêt à devenir avocat, et qui même en deviendront des concurrents.

Troisième risque clairement identifié et non des moindres, la concurrence d’autres professions.

Chaque profession, ou corps social, réagit dans sa propre vision, ou paradigme.

Or, il est démontré de longue date, que les véritables concurrents d’une entité sont ceux qui se situent à sa marge, ou même souvent qui ne font pas partie de son monde.

On en voudra pour exemple ce qui s’est passé dans l’industrie horlogère à la fin des années 70.

Les fabricants suisses représentaient près de 95 % du marché de l’horlogerie dans le monde, et étaient alors dans une situation florissante qu’aucune ombre réelle ne venait menacer.

Comme on le sait, les mouvements étaient alors traditionnels et mécaniques.

L’industrie japonaise qui n’existe pas alors réellement sur le marché de l’horlogerie crée à cette époque la miniaturisation du quartz qui va révolutionner, notamment les montres.

Ce procédé est alors proposé à l’horlogerie suisse qui, fort de son monopole sur le marché préfère en ricaner.

10 ans plus tard, ce sont les Japonais qui détiendront 90 % du marché.

Les concurrents identifiés et actuels des avocats sont en premier lieu les experts-comptables qui doivent se réinventer du fait des atteintes constantes à leur sphère d’intervention.

Mais il s’agit aussi et de longue date des notaires qui font preuve d’un entrisme et d’un lobbying bien supérieurs à ce que proposent les avocats.

Enfin, et surtout devons-nous dire, il s’agit de tous les sites, et start-ups qui se développent et viennent concurrencer la profession d’avocat sur ses activités qui ne sont pas protégées ou monopolistiques, à savoir le conseil et les avis juridiques.

À ces concurrences multiples et variées, identifiées ou non encore identifiées à ce jour, la seule réponse est une grande profession d’avocat : forte, jeune et dynamique.

L’avocat en entreprise, permettra aux jeunes, et plus particulièrement aux femmes qui en sont demanderesses, d’avoir des carrières variées passant du cabinet à l’entreprise à la satisfaction des uns et des autres, ne serait-ce que par les synergies ainsi créées.

On le sait, la plupart du temps dans les entreprises, les perspectives d’évolution sont plus rapides que dans les cabinets d’avocats, et les opportunités plus fréquentes.

C’est toujours la mort dans l’âme, qu’un avocat envisage de quitter la profession qu’il a choisie, le titre, les droits et les devoirs qui l’accompagnent, pour entrer en entreprise et n’être plus… qu’un ancien avocat.

Mais c’est une réalité que nous devons prendre en considération.

Il y a 30 ans, tout jeune qui se destinait à la profession d’avocat n’envisageait pas d’autre choix que de devenir, d’être, et de finir avocat.

Aujourd’hui la très grande majorité des futurs avocats entrant en école de formation du barreau pensent qu’ils ne resteront pas avocat toute leur vie.

Ne pas en tirer les conséquences sclérosera purement et simplement la profession d’avocat qui n’aura plus du tout le capital d’attirance qu’elle a encore aujourd’hui, mais pour combien de temps ?

Après cette première question du legal privilege qui comme on vient de le voir pourrait se résoudre assez rapidement avec un peu de logique et de concertation, le deuxième point de blocage identifié à l’acceptation de l’avocat en entreprise est celui de l’indépendance.

Je vous propose d’y réfléchir au travers de ce que pourrait être un contrat type d’avocat en entreprise.

En 2018, plusieurs rapporteurs, dont mon amie Nathalie Attias de l’ACE, ont proposé au barreau de Paris un contrat type de cette nature dans le but de faire avancer la réflexion en la matière.

En effet, il était alors apparu de façon assez évidente, que la meilleure façon de traiter l’indépendance de l’avocat en entreprise était de concevoir des clauses d’un contrat type.

Vous trouverez ce contrat type en annexe du présent exposé.

L’indépendance y est définie en article 4 et s’inspire des clauses existantes dans les contrats élaborés pour les médecins salariés, par le conseil de l’Ordre des médecins.

Il est prévu que l’indépendance de l’avocat salarié sera garantie par une clause contractuelle d’ordre public de protection, celle-ci étant obligatoire à peine de nullité du contrat lui-même.

Il est ainsi rappelé que l’avocat exerce son activité et ses missions en toute indépendance vis-à-vis de l’entreprise, conformément aux principes essentiels de la profession.

Ceux-ci comme le savent beaucoup d’entre nous, sont décrits à l’article 1.3 de notre Règlement Intérieur National des avocats (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8).

Il s’agit ici de dignité, conscience, indépendance, probité et humanité.

On peut y ajouter les suivants qui font l’objet d’un second paragraphe à savoir : l’honneur, la loyauté, le désintéressement, la confraternité, la délicatesse, la modération et la courtoisie.

Puis un peu plus loin : le dévouement, la diligence et la prudence.

Surtout, cet article 4 du contrat type prévoit que l’employeur ne peut imposer à l’avocat l’accomplissement d’une mission que ce dernier considérerait comme contraire à sa conscience ou à ses opinions et surtout que l’avocat ne peut en aucune façon être sanctionné pour l’expression d’une opinion.

Ainsi, cet article en est l’illustration, mais le reste du contrat le démontre aussi, l’idée principale est que la déontologie de l’avocat entre à l’intérieur, et au cœur des entreprises.

Le secret professionnel de l’avocat qui devrait être sanctuarisé constitutionnellement comme il l’est dans certains pays, est protégé dans ce contrat type :

  • Accès aux fichiers informatiques distinct du reste de l’entreprise.
  • Espace clos permettant de garantir le secret professionnel.
  • Personnel instruit et formé aux règles du secret professionnel de l’avocat.
  • Confidentialité des correspondances et des archives.
  • Sécurité et confidentialité des données.
  • Sécurisation des échanges au sein de l’entreprise.

L’article 6 qui répond à une forte demande de certains avocats, surtout ceux intervenant au judiciaire, qualifie l’obligation de distance qui interdit à l’avocat en entreprise de représenter en justice la société qui l’emploie.

Néanmoins, vis-à-vis de son Ordre, l’avocat en entreprise conservera ses obligations de formation ainsi que celle en matière d’aide juridictionnelle et de commission d’office.

Ces dernières obligations sont l’exception liée aux obligations professionnelles de tout avocat, à l’interdiction pour l’avocat en entreprise de traiter une clientèle personnelle.

En ce qui concerne l’application des conventions collectives, il est retenu qu’afin de ne pas léser l’avocat en entreprise par rapport à ses autres collègues, c’est celle de l’entreprise qui trouvera application.

Cependant, tous les éventuels manquements déontologiques de l’avocat en entreprise restent soumis au conseil de l’Ordre du barreau dont il relève.

De même, si le conseil des prud’hommes reste compétent pour traiter de la cessation du contrat de travail néanmoins, lorsqu’il s’agira d’une interprétation ou du respect d’une obligation professionnelle celle-ci sera soumise à l’arbitrage du Bâtonnier.

Enfin, les rédacteurs de ce contrat type ont tenu à stipuler que : « toute clause contraire aux stipulations non déclarées sera tenue pour nulle et non avenue »

Il s’agit ici d’empêcher toute contre-lettre qui entrerait de ce fait en contradiction avec les dispositions contractuelles.

On voit ici, que les risques potentiels ; notamment sur le plan déontologique ou professionnel, que l’avocat en entreprise pourrait représenter sont facilement contournables avec un tant soit peu de bonne volonté et d’analyse de la situation.

L’avocat en entreprise est indispensable à l’avenir de la profession d’avocat.

En aucune façon il ne peut être un risque pour celle-ci, mais bien une chance à saisir… vite…

La profession d’avocat a réussi sa première mutation avec l’intégration des avoués de première instance en 1971, puis la deuxième avec celle des conseils juridiques en 1991, il est temps, il est grand temps d’envisager celle avec les avocats d’entreprises.

À chacune de ces mutations, de ces changements par fusions avec d’autres professions, on a promis à la profession d’avocat un effondrement, ainsi que la perte de ses valeurs et de son identité.

Comme chacun le sait, il en a été tout autrement, et au contraire ces mutations ont renforcé une profession qui attire chaque année plus de 3000 futurs jeunes avocats.

Néanmoins, et soyons-en persuadés, comme le dit l’adage populaire plein de bon sens : « qui n’avance pas recule… »

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