Lexbase Avocats n°311 du 4 février 2021 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] La trajectoire de l’intervention principale

Réf. : Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 18-22.984, F-P+I (N° Lexbase : A22974C3)

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par Romain Laffly, avocat au barreau de Lyon.

le 04 Février 2021

Mots-clefs : Commentaire • avocat • CNB • intervention principale • condition 

L’intervention du CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, doit être qualifiée de principale dès lors qu’il élève une prétention indemnitaire à son profit.


 

Distinguer l’intervention principale de l’intervention accessoire et le sort qui en dépend n’est pas toujours chose aisée. Une société de conseil assigne devant le Tribunal de commerce son co-contractant en paiement de ses honoraires d’intervention au titre d’un contrat destiné à la réalisation d’économies de charges liées à la rémunération du travail. Reconventionnellement, la société défenderesse argue de la nullité de la convention pour exercice illégal, par la société́ de conseils, d'une consultation juridique en violation des articles 54 et 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). En cause d’appel, alors que le Conseil National des Barreaux avait régularisé une intervention volontaire aux fins d’obtenir un euro symbolique en réparation de son préjudice moral sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1018KZQ) et 1383 (N° Lexbase : L4419C33) du Code civil, un accord intervient entre les deux parties au contrat. La cour d’appel de Paris estime irrecevable l’action du CNB dès lors que « son intervention ne peut être qualifiée que d’accessoire à la demande en nullité de la convention litigieuse », la demande accessoire disparaissant par l’effet du désistement. Le CNB forme un pourvoi en cassation en avançant qu’il disposait d’un droit propre et que son intervention était bien principale et non accessoire. La 2ème chambre civile, au visa de l’article 329 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2005H4Z), casse et annule l’arrêt en ce que l’intervention a été déclarée irrecevable « alors que le CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, avait formé une demande de dommages-intérêts de sorte qu'il émettait une prétention à son profit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

La cour d’appel de Paris, qui qualifiait l’intervention volontaire d’accessoire, avait estimé que l’extinction de la demande originelle au soutien de laquelle intervenait le CNB (c'est-à-dire la prétention relative à la nullité de la convention) ayant disparu par l’effet du désistement, l’intervention devenait de facto irrecevable. Comment qualifier l’intervention du CNB ? Pour répondre à l’interrogation, il est plus sûr de se fier au Code de procédure civile plutôt qu’à une mention figurant sur les conclusions, ce d’autant plus qu’au cours du procès l’intervention peut être mouvante. D’accessoire, l’intervention peut toujours devenir principale si une prétention propre est par la suite élevée. On sait que l’intervention est une demande incidente par application de l’article 66 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1272H4U), le tiers devenant partie engagée au procès initié entre d’autres parties. Elle est dite principale par application de l’article 328 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2003H4X) dès lors qu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme (C. proc. civ., art. 329 N° Lexbase : L2005H4Z) et accessoire si elle appuie les prétentions d’une partie (C. proc. civ., art. 330 N° Lexbase : L2007H44). Dans les deux cas, l’intervention doit se rattacher, selon leurs conditions propres, par un lien suffisant aux droits et obligations discutées à l’origine du litige. De même, et comme toujours, qualité et intérêt à agir de l’intervenant peuvent être examinés par le Juge. L’intervention peut avoir lieu dès la première instance mais aussi en appel, ce qui impose bien sûr, dans cette dernière hypothèse, que l’intervenant n’ait pas été partie en première instance, donc qu’il ne soit pas intervenu volontairement en première instance !

En l’espèce, l’intervention du CNB répondait sans doute un peu des deux critères de l’accessoire et du principal, mais en cette matière, comme souvent, l’accessoire suit le principal. Bien sûr le CNB était venu appuyer la demande de nullité de la convention, mais il avait, aussi, formulé une prétention propre, distincte de celles des autres parties, en sollicitant une condamnation à réparer son préjudice moral.

L’autre condition, également posée par les articles 328 et 329, ressortait de l’intérêt du CNB, lequel devait avoir intérêt à agir au regard de la prétention qu’il formulait si son intervention était principale, et intérêt, seulement dira-t-on, pour la conservation de ses droits à soutenir une partie si son intervention était accessoire. Or, ainsi que le rappelait le CNB, bien que tiers à la convention, il est un « établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale » et se trouve « chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics » par application de l'article 21-1 de la loi 1971-1130 du 31 décembre 1971 modifiée. Dès lors qu’était en question l’exercice illégal via des conseils juridiques ou des actes sous seing privé pour autrui à l’instar d’une consultation, l’intérêt à agir comme l’émission d’une prétention à son seul profit étaient à l’évidence marqués : l’intervenant agissait au nom de la profession d’avocat et formulait une demande de condamnation, fût-elle modeste, comme limitée à l’Euro symbolique. L’intervention n’était pas accessoire et ne pouvait qu’être qualifiée de principale.

Le second enseignement, majeur, de l’arrêt est le rappel de l’autonomie parfaite de l’intervention principale. Une fois qualifiée l’intervention de principale, et à cette condition seulement, son sort n’est plus lié à celui de l’appel. Le désistement de l’appel, comme au cas présent, ou même l’irrecevabilité de l’appel, sont sans emport sur son destin : il suit sa trajectoire. L’intervention principale peut en effet être recevable alors même que l’appel serait irrecevable (Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-16.579, FS-P+B N° Lexbase : A5042DQS Procédures, 2006, n° 204, obs. R. Perrot ; Cass. civ. 2, 11 avril 2013, n° 12-18.931, F-D N° Lexbase : A0918KCY ; JCP G, 2013, 1225, n° 6, obs. Serinet ; Cass. civ. 3, 16 mai 2019, n° 17-24.474, FS-P+B+I N° Lexbase : A4716ZBB, Dalloz actualité, 18 juin 2019, obs. A. Bolze). Dès lors, l’intervenant volontaire principal peut user de toutes les voies de recours, ordinaires comme extraordinaires. Au contraire, l’extinction de l’instance, du fait d’une irrecevabilité de la demande principale, d’une transaction ou d’un désistement par exemple, entraîne celle de l’intervention accessoire. Et si celle-ci a été jugée recevable, l’intervenant accessoire ne peut que s’associer à une voie de recours sans pouvoir en prendre l’initiative.

Mais attention, la règle n’est pas, logiquement compte tenu des règles applicables devant elle, identique devant la Cour de cassation. En effet, du fait de sa qualité d’intervenant principal devant les juges du fond et de l’autonomie qui s’y rattache, le pourvoi principal du CNB était recevable. Mais à rebours, une intervention principale du CNB n’aurait pas été admise pour la première fois devant la Cour de cassation ! En effet, seule l’intervention accessoire est recevable pour la première fois en cassation par application de l’alinéa 2 de l’article 327 du Code de procédure civile, la Haute Cour exigeant alors « que la partie intervenante devant la Cour de cassation ne peut que s'associer aux moyens du demandeur au pourvoi sans invoquer de moyens distincts » (Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 08-12.648, F-P+B+I N° Lexbase : A9116HU8 Bull. civ. I, n° 145). Cassant l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, la 1ère chambre civile, par cet arrêt publié, rappelait in fine qu’elle recevait la partie « ès qualités, en son intervention en tant qu'elle invoque le moyen du pourvoi, mais déclare irrecevable le moyen qu'elle invoque elle-même ». C’est ainsi qu’a pu être déclaré irrecevable pour défaut d'intérêt l'intervention de la Conférence des Bâtonniers au soutien d'un pourvoi d'un Ordre d'avocats contre un arrêt ayant annulé certaines dispositions de son règlement intérieur, chaque barreau arrêtant librement son règlement intérieur (Cass. civ. 1, 25 mai 1992, n° 89-10.096, publié au bulletin N° Lexbase : A4176AH7, JCP G, 1993, II, 22155, note J.-P. Woog), irrecevabilité encore relevée d’office à propos de l’intervention du Syndicat de la Magistrature qui ne justifiait pas d'un intérêt pour la conservation de ses droits à soutenir une partie dans un litige qui n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de ses adhérents (Cass. civ. 1, 11 mai 2016, n° 15-18.731, F-P+B N° Lexbase : A0904RP8). Comme vient de le rappeler récemment la Chambre commerciale cette fois, les interventions volontaires sont admises pour la première fois devant la Cour de cassation « si elles sont formées à titre accessoire à l’appui des prétentions d’une partie et si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie » (Cass. com., 8 juillet 2020, n° 19-25.065, F-D N° Lexbase : A11113RL). En procédure civile, aussi, la trajectoire se définit bien par le mouvement et celle de l’intervention principale, toujours évolutive, peut s’avérer complexe.

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