Réf. : Cons. const., décision n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020 (N° Lexbase : A49423WX)
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par Adélaïde Léon
le 28 Octobre 2020
► Il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin ;
Aucun recours devant le juge administratif ou judiciaire ne garantit aujourd’hui au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire ;
Indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d’être engagées à raison de conditions de détention indignes, le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2984IZK) méconnaît les exigences constitutionnelles de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement, de dégradation et de droit à un recours effectif devant une juridiction
Dispositions mises en cause. Le 9 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A71573Q7 ; lire N° Lexbase : N4075BYL ; Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.731, FS-D N° Lexbase : A10363RS), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 137-3 (N° Lexbase : L7465LP8), 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) et 144-1 du Code de procédure pénale. Joignant les deux questions, le Conseil a estimé que la QPC devait être regardée comme visant le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale relatif à l’obligation pour le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention, d’ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire dès que les conditions prévues aux articles 144 et 144-1 ne sont plus remplies.
Motifs de la mise en cause. Selon les requérants, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence en n’imposant pas au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine. Cette carence affecterait le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de la prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée. Au surplus, les requérants dénonçaient, pour les mêmes motifs, la méconnaissance directe, par les dispositions renvoyées, des mêmes exigences constitutionnelles.
Incidence de l’interprétation préalable des dispositions mises en cause. Se pliant aux termes de la condamnation de la CEDH (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9), la Cour de cassation avait procédé à l’interprétation des dispositions contestées dans deux décisions du 8 juillet 2020 (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I et n° 20-81.731, FS-D). Elle avait affirmé qu’il appartenait au juge judiciaire, en sa qualité de gardien des libertés individuelles, de veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et que la constatation de conditions indignes de détentions pouvait constituer un obstacle au maintien d’une détention provisoire.
Le Conseil constitutionnel précise à cet égard qu’il lui appartenait de se prononcer sur lesdites dispositions indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation
Cadre constitutionnel de référence. Le Conseil constitutionnel rappelle que, conformément au Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Rappelant les articles 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel affirme qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
À la lumière de ces dispositions, les sages ont déduit qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité de la personne, de prévenir et de réprimer les atteintes portées à la dignité des personnes placées en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices éventuellement subis. Enfin, le Conseil constitutionnel estime qu’il appartient au législateur d’assurer aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge afin de dénoncer des conditions de détention qui s’avéreraient contraires à la dignité de la personne humaine et d’obtenir qu’il y soit mis fin.
Contrôle de constitutionnalité des dispositions mises en cause. Se livrant à un examen des procédures aujourd’hui en vigueur, le Conseil constitutionnel constate qu’en cas d’exposition à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, les personnes placées en détention provisoire peuvent d’une part saisir le juge administratif (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT et L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU). Les sages soulignent cependant que les mesures que ce juge est susceptible de prendre, lesquelles peuvent dépendre de la possibilité pour l’administration de les mettre en œuvre utilement et à très bref délai, ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention méconnaissant la dignité de la personne.
Le Conseil constate d’autre part que la personne placée en détention peut à tout moment présenter une demande de mise en liberté (C. proc. pén., art. 148 N° Lexbase : L4989K8B). Toutefois, la Haute juridiction rappelle que le magistrat ainsi saisi n’est tenu de donner suite à cette demande que lorsque la détention provisoire en question excède une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité, ou lorsque la détention n’est plus justifiée au regard des exigences propres à la sauvegarde de l’ordre public ou à la recherche des auteurs d’infractions.
Enfin, le cas d’urgence dans lequel l’article 147-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7700LPU) autorise le juge à ordonner la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire ne s’applique qu’à la condition qu’une expertise médicale établisse que l’intéressé est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec son maintien en détention.
Aux termes de ces constatations, le Conseil constitutionnel affirme que les recours devant les juges administratif et judiciaire ne permettent aux personnes détenues provisoirement d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à leur dignité résultant des conditions de leur détention. Les sages en déduisent que les dispositions contestées méconnaissent le cadre constitutionnel de l’espèce.
Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Jugeant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives le Conseil décide de la reporter au 1er mars 2021. Il estime en effet qu’une abrogation à compter de la publication de sa décision ferait obstacle à la remise en liberté de personnes placées en détention provisoire dont la détention ne serait plus justifiée ou excéderait un délai raisonnable.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel octroi au Parlement un délai de cinq mois pour adopter de nouvelles dispositions propres à permettre aux personnes placées en détention provisoire d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à leur dignité résultant des conditions de leur détention.
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