Réf. : Min. Travail, protocole, 31 août 2020
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par Ludovique Clavreul, Counsel, Département de Droit Social, Francis Lefebvre Avocats
le 23 Septembre 2020
I. Le protocole reprend les mesures applicables lors du déconfinement
Le protocole reprend en grande partie les dispositions des précédents protocoles de déconfinement telles que :
II. Les nouvelles mesures concernent essentiellement le port du masque
Le protocole rend obligatoire le port systématique du masque au sein des entreprises dans les espaces clos et partagés depuis le 1er septembre 2020. En principe, tous les salariés travaillant dans des bureaux partagés ou des open space doivent donc porter le masque de façon systématique.
L’employeur a en conséquence l’obligation de fournir des masques grand public à l’ensemble de ses salariés. A cet égard, les pouvoirs publics recommandent depuis juillet dernier aux entreprises de prévoir un stock préventif de masques de 10 semaines. Le protocole précise que « les masques grand public, de préférence réutilisables, doivent couvrir à la fois le nez, la bouche et le menton doivent répondre aux spécifications de la norme AFNOR S76-001, ou pour les masques importés, aux spécifications d’organismes de normalisations similaires » et satisfaire aux tests garantissant sa performance. Les salariés à risque de forme grave de covid-19 retournant sur site doivent quant à eux porter des masques chirurgicaux.
On peut s’interroger sur la nature des masques pour savoir s’ils sont des équipements de protection individuels (EPI). La première version du protocole semblait assimiler les masques à des EPI, ce qui paraissait assez contestable dans la mesure notamment, où le masque ne protège pas celui qui le porte et où l’apposition du marquage CE n’est pas obligatoire. La deuxième version du protocole paraît revenir sur cette assimilation puisqu’il est désormais précisé que « les performances des EPI, et des masques dits « grand public », sont en effet étroitement dépendantes du respect de conditions d’utilisation idéales ».
Plusieurs exceptions au port systématique du masque sont prévues par le protocole « pour répondre aux spécificités de certaines activités ou secteurs professionnels » :
Le protocole a également ouvert la possibilité d’adaptations au principe du port permanent du masque pour les métiers qui, par nature même, sont incompatibles avec le port du masque (par exemple, pour des interventions orales ou des prises de parole publiques limitées dans le temps). Selon la ministre du Travail, Élisabeth Borne, il revient aux partenaires sociaux de branche de les identifier dans le cadre de la mise à jour des guides par métier.
Le port obligatoire du masque peut enfin connaitre des adaptations selon le niveau de circulation du virus dans le département de l’entreprise ou de l’établissement (zone verte, orange ou rouge), selon le classement publié par Santé Publique France en fonction du taux d’incidence. Cette possibilité implique, pour les entreprises ayant des établissements sur l’ensemble du territoire, d’adapter les règles de fonctionnement en fonction de leur localisation.
Ainsi, dans les bureaux partagés, un salarié à son poste de travail peut retirer temporairement son masque à certains moments dans la journée et continuer son activité si certaines conditions sont remplies. Il n’a cependant pas la possibilité de retirer le masque de manière permanente toute la journée :
Dans les zones « vertes » à faible circulation du virus, les conditions suivantes doivent être remplies :
Dans les zones « orange » à circulation modérée, s’ajoute une double condition :
Dans les zones « rouges » à circulation active du virus, s’ajoute aux précédentes conditions « une condition de densité de présence humaine dans les locaux concernés ». En effet, le port « intermittent » du masque n’est « possible que dans les locaux bénéficiant d’une ventilation mécanique et garantissant aux personnes un espace de 4m² » (par exemple, moins de 25 personnes pour un espace de 100m2).
La mise en œuvre de ces assouplissements peut s’avérer à tout le moins complexe, notamment en raison de l’obligation de fournir des visières.
III. Le télétravail reste recommandé
Le protocole sanitaire indique que le télétravail reste une pratique recommandée en ce qu’il participe à la « démarche de prévention du risque d’infection à la covid-19 et permet de limiter l’affluence dans les transports en commun ». Néanmoins, la mise en place du télétravail n’est pas obligatoire.
Le télétravail doit être favorisé, lorsque cela est possible, pour les travailleurs à risques de formes graves de covid-19, sur demande des intéressés et si besoin après échange entre le médecin traitant et le médecin du travail, dans le respect du secret médical. Il doit être également favorisé pour les travailleurs qui vivent au domicile d’une personne à risque grave.
Selon le Questions/Réponses, l’employeur n’a pas d’obligation d’accorder un ou plusieurs jours de télétravail au salarié qui le demande, « sauf recommandation expresse des autorités à raison du contexte sanitaire ou situation de vulnérabilité attestée médicalement ». Toutefois, si le poste est éligible au télétravail, l’employeur doit motiver son refus d’accorder le télétravail. Le ministère du Travail a précisé que ce refus peut, le cas échéant, et si une situation médicale est de nature à l’étayer, faire l’objet d’un signalement auprès du médecin du travail qui pourra intervenir au titre de son rôle de conseil en matière de santé et sécurité au travail, au regard de la situation médicale du salarié. De même, le salarié a la possibilité de signaler sa situation auprès des représentants du personnel.
Toutefois, cette position pourrait évoluer selon la variation des indicateurs sanitaires. A cet égard, le protocole précise que « en fonction des indicateurs sanitaires, les autorités sanitaires peuvent convenir, avec les partenaires sociaux, d'encourager les employeurs à recourir plus fortement au télétravail ».
IV. La gestion des salariés symptomatiques et des cas contacts
Selon le protocole, il revient, à l'entreprise, en lien avec le service de santé au travail, de rédiger préventivement une procédure adaptée de prise en charge sans délai des personnes symptomatiques (notamment fièvre et/ou toux, difficulté respiratoire, perte du goût et de l’odorat) afin de les isoler rapidement dans une pièce dédiée et aérée. Le protocole ajoute que l’entreprise doit fournir à ces salariés un masque chirurgical.
En l’absence de signe de gravité, l’employeur doit inviter le salarié concerné à rejoindre son domicile en utilisant si possible un autre mode de transport que les transports en commun et contacter leur médecin traitant en vue de réaliser un test.
L’employeur doit ensuite prendre contact avec le service de santé au travail et suivre ses consignes, y compris pour le nettoyage et la désinfection du poste de travail et le suivi des salariés ayant été en contact avec le cas.
Si le test effectué par le salarié symptomatique se révèle positif, les contacts rapprochés des salariés contaminés au covid-19 doivent être identifiés. Selon les critères retenus par Santé Publique France, au sein de l’entreprise, sont des « cas contact à risque » les salariés qui n’étaient pas protégés par une mesure efficace (masque, séparation physique comme une vitre ou hygiaphone), ceux qui ont eu un contact direct avec une personne contaminée au covid-19, en face à face, à moins d’1 mètre, quelle que soit la durée (ex. conversation, repas, flirt, accolades, embrassades), ceux qui ont prodigué ou reçu des actes d’hygiène ou de soins ou qui ont partagé un espace confiné (bureau ou salle de réunion, véhicule personnel…) pendant au moins 15 minutes avec un cas ou étant resté en face à face avec un cas durant plusieurs épisodes de toux ou d’éternuement. Toutes les autres situations de contact sont considérées comme des contacts à risque négligeable.
Ce contact tracing est réalisé par l’Assurance Maladie, en s’appuyant sur les matrices des contacts en entreprise réalisées par le référent covid et/ou le médecin du travail pour faciliter l’identification des contacts et leur qualification (« à risque » ou « à risque négligeable »).
Les contacts évalués « à risque » sont placés en isolement par l’Assurance Maladie pendant une période désormais fixée à 7 jours à partir de la date du dernier contact avec le cas confirmé. Le 7ème jour, le salarié « cas contact » doit réaliser un test. Il reste à l’isolement le temps de recevoir le résultat. S’il est négatif, il peut reprendre son activité dans l’entreprise.
Le protocole ne traite pas des salariés qui ont été en contact en dehors des locaux de l’entreprise avec un cas non identifié comme « cas contact » par l’Assurance Maladie. En l’état, rien n’oblige à les placer à l’isolement et il est donc possible de leur demander de télétravailler ou travailler, le cas échéant avec des mesures barrières et de distanciation renforcée. A cet égard, il est intéressant de relever qu’à l’occasion du point hebdomadaire sur la situation sanitaire du jeudi 17 septembre, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, a indiqué que « les cas contacts des cas contacts ne sont pas des cas contacts ». A ce titre, ils ne devraient pas bénéficier du régime ci-dessus exposé.
V. La mise en œuvre du protocole : une déclinaison par entreprise et par site
Le protocole n’est pas un acte juridique : ce n’est ni une loi, un décret, ni un arrêté. En effet, comme les questions-réponses diffusés par le ministère et les fiches métiers, ce document relève de ce qu’on appelle le droit souple (soft law). Selon un arrêt récent du Conseil d’Etat (CE Sect., 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A55233NU, lire L’élargissement du champ des actes de droit souple pouvant donner lieu à recours contentieux - Questions à Thomas Hochmann, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, Lexbase Public, 2020, n° 833 N° Lexbase : N4162BYS), les actes de droit souple peuvent avoir une valeur juridique (i) s’ils ont une portée générale, (ii) émanent d’autorité publique et (iii) sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes. Toutefois, ce régime juridique n’étant pas pleinement défini à ce stade, il existe un doute sur la valeur normative du protocole.
La solution la plus sure pour les entreprises, qui ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY), est donc de considérer le protocole comme une recommandation et de définir leurs propres règles de sécurité en concertation avec les représentants du personnel et le médecin du travail, après avoir procédé à l’évaluation et à l’analyse des risques.
Cela se traduira par la prise de mesures complémentaires à celles déjà déployées pour prendre en compte les ajouts du nouveau protocole.
S’agissant de l’obligation du port du masque, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, elle devra être inscrite dans le règlement intérieur en application de l’article L. 1321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1837H9W). En pratique, l’obligation du port du masque peut être mise en œuvre par diffusion aux salariés d’une note de service (valant adjonction au règlement intérieur), qui est également transmise à l’inspection du travail et au secrétaire du CSE (C. trav., art. L. 1321-5 N° Lexbase : L8678LGI).
Dans les entreprises de moins de 50 salariés ne disposant pas de règlement intérieur, l’employeur doit, sans délai, rédiger, afficher et porter à la connaissance des salariés une note de service déclinant dans son entreprise le protocole sanitaire et détaillant les obligations du salarié et notamment l’obligation du port du masque avec les éventuelles dérogations.
Quelle que soit la taille de l’entreprise, elle devra être vigilante à reprendre les mesures du protocole nationale en les adaptant à sa situation et à s’assurer qu’elles sont bien comprises et respectées par les salariés.
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