Le Quotidien du 12 juin 2020 : Droits fondamentaux

[Brèves] Appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique : la liberté d’expression à l’épreuve de l’incitation au traitement différencié

Réf. : CEDH, 11 juin 2020, Req. 15271/16, 15280/16, 15282/16, 15286/16, 15724/16, 15842/16 et 16207/16, Baldassi et autres c/ France (N° Lexbase : A28003NZ)

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[Brèves] Appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique : la liberté d’expression à l’épreuve de l’incitation au traitement différencié. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58453270-breves-appel-au-boycott-de-produits-a-raison-de-leur-origine-geographique-la-liberte-dexpression-a-l
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par Adélaïde Léon

le 11 Juin 2020

► La condamnation d’auteurs d’un appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique constitue une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) dès lors qu’une telle action est matérialisée par l’expression pacifique d’opinions politiques.

Résumé des faits. À deux reprises, en septembre 2009 et mai 2010, les membres d’un collectif ont participé à une action appelant au boycott de produits israéliens vendus par un hypermarché dans une commune française. Les intéressés ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse pour provocation à la discrimination sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Les prévenus ont été relaxés par deux jugements du tribunal correctionnel de Mulhouse au motif, notamment, que les faits de boycott étaient poursuivis sur le fondement de l’alinéa 8 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, lequel ne vise pas la discrimination économique, délit prévu par l’alinéa 9.

En cause d’appel. Les jugements de première instance ont été infirmés par la cour d’appel de Colmar qui a constaté la caractérisation les éléments matériels du délit de provocation à la discrimination prévu par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 et condamné les intéressés pour les faits commis au cours des deux actions précisant que la jouissance de la liberté d’expression n’autorisait pas à commettre des délits.

À hauteur de cassation. Les prévenus ont formé des pourvois en cassation sur le fondement, notamment, de la violation des articles 7 (N° Lexbase : L4797AQQ) et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) lesquels consacrent respectivement le principe de la légalité des délits et des peines et la liberté d’expression.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois au motif que la cour d’appel avait valablement justifié sa décision en constatant, d’une part, que les éléments constitutifs de l’infraction de provocation à la discrimination étaient réunis et d’autre part que la liberté d’expression pouvait être légalement restreinte en l’espèce en considération des objectifs de défense de l’ordre et de la protection des droits d’autrui.

Les intéressés ont introduit des requêtes devant la CEDH invoquant de nouveau les articles 7 et 10 de la CESDH. Selon les requérants, les juridictions françaises ne pouvaient, sans violer les dispositions de l’article 7, les condamner pour incitation à la discrimination économique sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 dès lors que ce texte ne visait pas ce délit. Invoquant l’article 10, ils dénonçaient par ailleurs leur condamnation à la suite de leur participation à une campagne militante sur un sujet politique et relevant du débat d’intérêt général.

Décision de la CEDH. La Cour strasbourgeoise reçoit les requérant dans certaines de leurs demandes et condamne la France pour violation de l’article 10 de la CESDH.

S’agissant de l’article 7, la Cour constate que la Cour de cassation s’était par le passé prononcée sur d’autres faits de boycott de produits importés d’Israël et avait, à ces occasions, retenu l’application de l’alinéa 8 de l’article 24 de la loi de 1881 (Cass. crim., 28 septembre 2004, n° 03-87.450, FS-D N° Lexbase : A8503ELI et Cass. crim., 16 avril 2013, n° 13-90.008, F-D N° Lexbase : A1309KDT). Dès lors, la CEDH considère que les requérants étaient en mesure de connaître le risque d’être condamnés sur ce dernier fondement.

La Cour conclut donc à une absence de violation de l’article 7 de la Convention.

La Cour se penche ensuite sur le sort réservé à l’article 10. Elle rappelle que la pratique du boycott, « modalité d’expression d’opinions protestataires », induit l’incitation à un traitement différencié susceptible de constituer, dans certains cas, un appel à la discrimination.

La Cour ne remet pas en cause l’interprétation faite par les juridictions française des faits au regard de l’article 24, alinéa 8, de la loi de 1881 et en vertu de laquelle les agissements poursuivis constituent des discriminations des producteurs ou fournisseurs des produits à raison de leur origine.

La Haute juridiction européenne reproche, en revanche, à la cour d’appel de Colmar, de n’avoir pas motivé sa décision de manière circonstanciée. Il lui appartenait en l’espèce de préciser la balance opérée entre la liberté d’expression des requérants et l’interdiction des appels au boycott de produits à raison de leur origine géographique. Cette dernière aurait permis à la cour d’appel de démontrer que la condamnation des intéressés, qui avait fait usage de leur liberté d’expression, s’avérait nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but légitime de protection des droits d’autrui.

Procédant elle-même à une appréciation circonstanciée elle note que les actions poursuivies concernaient, comme indiqué par les requérants, un sujet d’intérêt général et constituaient l’expression d’une opinion politique et militante.

La Cour rappelle qu’elle a par le passé (CEDH, 15 octobre 2015, Req. 27510/08, Perinçek c/ Suisse N° Lexbase : A2687NTP) jugé que les polémiques accompagnant nombre de discours politiques ne doivent pas mener à des restrictions à la liberté d’expression. Ces discours et ces manifestations d’opinion sont d’intérêt public et doivent en ce sens, même lorsqu’ils s’avèrent virulents, être protégés au titre de la liberté d’expression exception faite des incitations « à la violence, à la haine ou à l’intolérance ». Or, en l’espèce, la Cour avait préalablement souligné le caractère particulièrement pacifiste des actions.

La Cour déduit qu’en s’abstenant de procéder à une appréciation circonstanciée des faits, les juridictions françaises n’ont pas fondé leur condamnation sur des motifs pertinents et suffisants

Cette décision est l’occasion pour la Cour de rappeler le niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression, impliquant que ses restrictions soient précisément motivées, mais également de préciser l’étendue de cette liberté en matière d’expression d’opinions politiques et plus précisément de boycott.

Pour aller plus loin :

E. Raschel, ETUDE : Les responsabilités en droit de la presse, La sécurité publique dans la loi du 29 juillet 1881, Droit de la presse, Lexbase(N° Lexbase : E6334Z84)

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