La lettre juridique n°468 du 12 janvier 2012 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Janvier 2012

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N9549BSH

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

le 12 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique d'actualités de droit des étrangers rédigée par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Dans la première décision étudiée, la Cour de justice de l'Union européenne indique que l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5884G4P), en ce qu'il prévoit une peine d'emprisonnement pour tout ressortissant d'un pays tiers âgé de plus de 18 ans et qui séjourne irrégulièrement en France après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, n'est pas conforme à la législation communautaire en la matière (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11). Dans la deuxième décision étudiée, le Conseil d'Etat énonce que le ministre de l'Immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents qu'il produit à leur appui, du fait, notamment, de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité, et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées (CE 2° et 7° s-s-r., 28 novembre 2011, n° 343248, publié au recueil Lebon). Enfin, dans la troisième décision commentée, les juges du Palais-Royal précisent qu'un ressortissant algérien désirant exercer une activité artisanale en France doit respecter les conditions de qualification professionnelle posées par les textes en régissant l'exercice (CE 2° et 7° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 343083, publié au recueil Lebon).
  • Non-conformité de l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la Directive "retour" (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 N° Lexbase : A4929H3X)

1) Retour sur l'arrêt "El Dridi" et la pénalisation du droit des étrangers

Dans l'arrêt "El Dridi" du 28 avril 2011 (1), la CJUE avait jugé que la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS), dite Directive "retour", s'oppose à une réglementation nationale infligeant une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ce territoire.

Rappelons, à cet égard, qu'en France, la pénalisation du droit des étrangers (c'est-à-dire de l'entrée irrégulière, du séjour irrégulier et de la non-exécution d'une mesure d'éloignement) est ancienne. Des sanctions pénales ont accompagné la quasi-totalité des textes imposant des obligations aux étrangers depuis 1893. Elles ont été étoffées par le décret-loi "Daladier" du 2 mai 1938 sur la police des étrangers, qui a pénalisé l'entrée ou le séjour irrégulier sur le sol français. Aujourd'hui, le titre II du livre VI du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit une série d'infractions pénales spécifiques au droit des étrangers. La décision de la CJUE, notamment ses considérants 55 à 58, remet en cause certaines de ces dispositions.

Sont, ainsi, concernés, en premier lieu, les articles L. 621-1 (N° Lexbase : L5884G4P) et L. 621-2 (N° Lexbase : L5123IQS) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient qu'un étranger en situation irrégulière en France encourt une peine d'emprisonnement d'une durée d'un an, une peine d'amende d'un montant de 3 750 euros et, le cas échéant, une peine d'une interdiction du territoire français (ITF) de trois ans, peine complémentaire qui est hors du champ d'application de la Directive "retour" en vertu de son article 2, § 2, b). Ces deux textes font, du seul fait pour un étranger d'avoir pénétré sur le territoire français sans être muni des documents ou visas exigés ou d'y avoir séjourné, une infraction pénale.

Est également concerné l'article L. 624-1 du même code (N° Lexbase : L5125IQU) qui prévoit que le refus d'un étranger de se soumettre à une obligation de quitter le territoire français est passible de trois ans d'emprisonnement et d'une peine d'ITF de dix ans. Les juridictions pénales considèrent que le simple fait de ne pas exécuter de soi-même la mesure d'éloignement constitue le délit. L'infraction peut aussi consister en un refus d'embarquement. Or, dans son arrêt, la CJUE déclare que la Directive "retour" s'oppose à une réglementation nationale permettant l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un étranger "pour le seul motif qu'il demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié".

Est, enfin, concerné l'article L. 622-1 (N° Lexbase : L5886G4R) qui prévoit que l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers, le "délit de solidarité", est punie de cinq ans d'emprisonnement et d'une peine d'amende d'un montant de 30 000 euros. Ce texte peut-il rester une infraction dès lors que l'infraction principale à laquelle ce délit se rattache a disparu ? Il paraît fragilisé mais pourrait, néanmoins, être maintenu, car il semble conforme à la Directive (CE) 2002/90 du 28 novembre 2002, définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers (N° Lexbase : L7681A8Y).

L'arrêt "El Dridi" est venu fragiliser une partie de ce dispositif pénal. Il a, en outre, rendu illégal le placement en garde à vue d'un étranger au seul motif de l'irrégularité de son séjour. Si, désormais, à l'occasion d'un contrôle d'identité sur le fondement des dispositions des articles 78-1 (N° Lexbase : L7139A48) et 78-2 (N° Lexbase : L8747IQZ) du Code de procédure pénale, les forces de police peuvent toujours exiger de l'étranger qu'il établisse son identité et la preuve de la régularité de son entrée et de son séjour en France, le constat d'une situation irrégulière ne peut, à lui seul, justifier un placement en garde à vue. Seule la procédure administrative (reconduite à la frontière ou obligation de quitter le territoire français) pourra être suivie. Depuis cet arrêt, les juges du fond français étaient divisés quant à l'impact de cet arrêt, notamment sur le point de savoir si la Directive "retour" s'oppose, ou non, aux dispositions de l'article L. 621-1, qui fait de l'entrée et du séjour irréguliers un délit punissable d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros. L'arrêt du 6 décembre 2011 vient mettre fin à cette incertitude.

2) La solution retenue dans le présent arrêt

Dans le cadre d'un litige opposant M. X au préfet du Val-de-Marne au sujet du séjour irrégulier de ce ressortissant arménien sur le territoire français, la Cour de justice a été saisie d'une demande de décision préjudicielle introduite par la cour d'appel de Paris (2) qui portait sur l'interprétation de la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008.

Alors que la chambre désignée a refusé d'examiner l'affaire selon la procédure d'urgence prévue par l'article 104 ter du règlement de procédure, le président de la Cour a décidé de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée conformément aux articles 23 bis du statut de la Cour et 104 bis du règlement de procédure, ce qui a permis à la Cour de statuer dans un délai de cinq mois après l'introduction de la demande. La Cour a entendu souligner que la Directive (CE) 2008/115 ne porte que sur l'adoption de décisions de retour et l'exécution de ces décisions et ne s'oppose pas à un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier, ou non, du séjour d'un ressortissant d'un pays tiers.

Dans un premier temps, la Cour affirme que les autorités compétentes doivent disposer d'un délai "bref mais raisonnable" pour identifier la personne et rechercher les données permettant de déterminer si elle est un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier. Elle précise que les autorités nationales sont tenues d'"agir avec diligence et de prendre position sans tarder sur le caractère régulier ou non du séjour de la personne concernée". Une fois l'irrégularité du séjour constatée, ces autorités doivent, en principe, "adopter une décision de retour". Selon la Cour, la Directive (CE) 2008/115 ne s'oppose donc ni à une réglementation, telle que l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans la mesure où celle-ci qualifie le séjour irrégulier d'un ressortissant d'un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d'emprisonnement, pour réprimer ce séjour, ni à la détention d'un ressortissant d'un pays tiers en vue de la détermination du caractère régulier, ou non, du séjour de celui-ci. Cette compétence des Etats membres s'explique, notamment, par le fait qu'il leur faut permettre d'éviter, au moyen d'une peine privative de liberté telle qu'une garde à vue, qu'une personne soupçonnée de séjour irrégulier puisse s'enfuir avant que sa situation ait pu être clarifiée.

Dans un second temps, la Cour a rappelé la jurisprudence "El Dridi" selon laquelle les Etats "ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis" par la Directive "retour" "et partant de priver celle-ci de son effet utile". Elle a apporté ensuite des précisions sur les termes "mesures" et "mesures coercitives" de la Directive (à son article 8), en indiquant que ces mesures se réfèrent à "toute intervention qui conduit, de manière efficace et proportionnée, au retour de l'intéressé". La Cour a, ensuite, examiné si cette Directive s'opposait à une réglementation telle que l'article L. 621-1, dans la mesure où elle est susceptible de conduire à un emprisonnement au cours de la procédure de retour régie par ladite Directive. La Cour a considéré que l'infliction et l'exécution d'une peine d'emprisonnement au cours de la procédure de retour ne contribuaient pas à la réalisation de l'éloignement que cette procédure poursuit. Il lui est apparu que la réglementation française, qui prévoit une peine d'emprisonnement pour tout ressortissant d'un pays tiers âgé de plus de 18 ans et séjournant irrégulièrement en France après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, est susceptible de conduire à un emprisonnement, alors qu'en vertu des règles énoncées aux articles 6, 8, 15 et 16 de la Directive "retour", un tel ressortissant d'un pays tiers doit prioritairement faire l'objet d'une procédure de retour et peut, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus faire l'objet d'un placement en rétention. C'est en cela qu'elle porte atteinte à l'effet utile de la Directive. Peu importe donc que les peines soient rarement infligées pour le seul délit de séjour irrégulier.

3) Les conséquences de l'arrêt

Quelques jours après cet arrêt, le Garde des Sceaux a tenté, dans une dépêche du 13 décembre 2011, d'en préciser la portée. Selon cette dépêche, la Directive "retour" "ne s'oppose pas en toute hypothèse" à l'article L. 621-1, puisque la peine d'emprisonnement que prévoit cette disposition "n'est pas la seule prévue", et que la peine d'emprisonnement peut s'appliquer aux étrangers en situation irrégulière à l'encontre desquels "une mesure d'éloignement administratif a été prononcée mais n'a pu être mise à exécution, en dépit du placement en rétention de l'intéressé pour la durée maximale de 45 jours".

Ainsi, les dispositions de la Directive "retour" "ne sont susceptibles d'affecter ni les mesures de garde à vue engagées sur le fondement de l'article L. 621-1, ni les procédures de rétention administrative qui peuvent faire suite à ces mesures", ajoute la dépêche. Cette possibilité de placer en garde à vue divise les juges du fond. Le Garde des Sceaux estime que l'arrêt du 6 décembre 2011 ne serait susceptible de produire des effets "qu'au stade de l'engagement des poursuites pénales contre l'étranger en situation irrégulière au titre de l'article L. 621-1 [du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile]".

La dépêche indique, en outre, qu'une fois que la mesure de garde à vue a permis de caractériser l'irrégularité du séjour, des poursuites exclusivement fondées sur l'article L. 621-1 ne doivent pas être engagées. L'autorité préfectorale doit "mettre en oeuvre une mesure d'éloignement de l'intéressé assortie, le cas échéant, d'un placement en rétention". Des poursuites du seul chef d'entrée ou de séjour irréguliers ne peuvent être engagées "qu'à l'encontre des seuls ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour établie par cette Directive a déjà été appliquée". La dépêche précise, enfin, que ces personnes doivent avoir fait, à ce titre, "l'objet d'un placement en rétention d'une durée globale de 45 jours", et qu'elles persistent "à séjourner irrégulièrement sur le territoire français sans qu'existe un motif justifié de non-retour".

  • Modalités d'examen des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière (CE 2° et 7° s-s-r., 28 novembre 2011, n° 343248, publié au recueil Lebon N° Lexbase : N9138BSA)

1) Le rejet par le ministre de l'Immigration des demandes d'asile à la frontière en raison de leur caractère manifestement infondé suppose un examen au fond de ces demandes

Dans l'arrêt qui faisait l'objet d'un pourvoi du ministre de l'Intérieur, la cour administrative d'appel de Paris (3) avait jugé que, dans le cadre de l'examen rapide des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière, le ministre chargé de l'Immigration ne pouvait porter aucune appréciation sur le contenu du récit du demandeur d'asile et devait limiter son appréciation à la vérification formelle du type de menaces et risques invoqués par ce dernier.

Rappelons qu'aux termes de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5034IQI), "l'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement, ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée [...]". En vertu des articles R. 213-2 (N° Lexbase : L0282IRU) et R. 213-3 (N° Lexbase : L1552HWE) du même code, la décision visée à l'article L. 213-9 précité est prise par le ministre chargé de l'Immigration, après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

La question posée était donc la suivante : au titre de l'article L. 221-1, le ministre doit-il seulement vérifier que les menaces et risques évoqués par le demandeur d'asile entrent dans la catégorie des types de persécutions énoncés à l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sur le statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), sans aucunement apprécier la réalité de ces risques de persécutions, ou peut-il et doit-il même, au contraire s'assurer, fût-ce dans un bref délai, que les déclarations du demandeur d'asile font apparaître ces risques comme réels et crédibles ?

La réponse était assez prévisible : le ministre doit pouvoir, pour se prononcer sur le caractère manifestement infondé de la demande d'asile, examiner le contenu du récit du demandeur et, plus précisément, en vérifier le caractère crédible et cohérent, ceci afin de s'assurer que celui-ci peut se prévaloir de risques de persécutions personnelles dans le pays dont il vient, du fait de race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Il y avait presque une contradiction dans les termes entre la solution retenue par la cour, qui excluait que l'appréciation du ministre pût s'étendre au bien fondé de l'argumentation du demandeur, et le texte de l'article L. 221-1 qui autorise le ministre à rejeter les demandes manifestement infondées. En effet, pour considérer qu'une demande est manifestement infondée, il faut bien procéder à un examen au fond, et donc à un examen du bien fondé, même si cet examen est bref et n'est pas approfondi, et si, en particulier, il ne peut et ne doit être aussi approfondi que celui auquel se livrent l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile. Cet examen au fond est donc clairement distinct d'un simple examen de la recevabilité de la demande d'asile : le ministre doit se prononcer sur le fond, ce qui signifie qu'il doit examiner la crédibilité des déclarations faites et des menaces alléguées par le demandeur d'asile.

Dans ses conclusions sous la décision d'Assemblée "Ministre de l'intérieur c/ Rogers" (4), J.-M. Delarue indiquait que, selon le Conseil constitutionnel, il s'agit d'"appréhender la situation de l'intéressé sans avoir à procéder à aucune recherche", c'est-à-dire, selon un commentateur autorisé, "sans vérification d'ordre matériel" (5). Toujours dans ses conclusions sous la décision d'Assemblée, J.-M. Delarue relève que, selon l'avis d'Assemblée générale du 23 septembre 1993, "une demande d'asile serait certainement infondée si leurs auteurs prétendaient être persécutés dans des pays où il n'existerait pas de telles persécutions". Or, en prenant argument de l'absence de persécutions, le ministre se prononce bien sur le fond de la demande, et donc sur son bien-fondé. Les conclusions relèvent, d'ailleurs, expressément que l'examen du ministre est un examen au fond, même s'il doit être bref, et que la décision de rejet d'une demande manifestement infondée "doit être rendue sur des erreurs, des appréciations ou des relations de circonstances par le demandeur d'une évidence telle qu'elles ne laissent la place ni à aucune interprétation personnelle, pas plus qu'à une hésitation de raisonnement". Il est donc bien acquis que le ministre doit examiner le contenu du récit du demandeur d'asile.

La jurisprudence était engagée dans ce sens : le Conseil d'Etat n'a jamais reproché au ministre d'avoir examiné le contenu des déclarations des demandeurs d'asile pour s'assurer que les risques qu'il invoquait étaient réels, crédibles et personnels. Simplement, lorsque qu'il est saisi d'un contentieux tendant à l'annulation de la décision du ministre, il vérifie si les déclarations du demandeur étaient si peu crédibles qu'elles permettaient au ministre de rejeter sa demande comme manifestement infondée. Plusieurs ordonnances du juge des référés du Conseil d'Etat prises au titre du référé-liberté à l'encontre de décisions ministérielles ayant rejeté des demandes d'asile en raison de leur caractère manifestement infondé ont confirmé cette approche. Ainsi, une ordonnance du 18 avril 2002 juge légale la décision ministérielle motivée par les déclarations "imprécises et contradictoires" de l'étranger (6), de même que celle motivée par le défaut de justification précise (7), et celle motivée par le "caractère très général des documents produits" par le demandeur (8). En revanche, le juge des référés du Conseil d'Etat a jugé illégale une décision motivée par l'absence de liens de parenté entre le demandeur et le fondateur d'un parti politique d'opposition alors qu'il résultait de l'instruction que ces liens étaient réels (9). L'on voit bien que, dans toutes ces affaires, il n'a pas été reproché au ministre d'avoir apprécié le bien fondé de la demande, même s'il a pu s'être trompé dans l'appréciation de ce bien-fondé.

Il apparaissait donc clairement que le rejet d'une demande d'asile en raison de son caractère manifestement infondé permet au ministre, et lui impose même, d'examiner si les déclarations du demandeur d'asile sont cohérentes, précises et crédibles, et attestent de risques réels et personnels de persécutions dans son pays d'origine. C'est pourquoi la décision commentée du 28 novembre 2011 précise (nous soulignons) "qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l 'article 1er A. (2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sur le statut des réfugiés".

En juger autrement reviendrait à accorder l'entrée sur le territoire à tout étranger invoquant un risque de persécutions (du fait de race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques) : il suffirait, par exemple, à l'étranger de déclarer qu'il craint des persécutions en raison de ses opinions politiques pour être admis sur le territoire, et il serait interdit au ministre de l'interroger plus avant sur la nature de ces opinions et la nature de son engagement politique. En bref, il lui serait interdit de porter la moindre appréciation sur la véracité des propos tenus. Ce serait donc créer une admission automatique sur le territoire français puisque, hormis, peut-être, les "réfugiés économiques", rares seraient les étrangers qui seraient incapables d'invoquer l'un des types de persécutions énoncés à l'article 1er de la Convention de Genève.

2) L'obligation de communiquer à l'étranger le rapport écrit de l'OFPRA et la sanction de la méconnaissance de cette obligation

La décision ici commentée apporte deux autres intéressantes précisions en ce qui concerne la procédure d'examen des demandes d'asile formées par les étrangers se présentant à la frontière. En premier lieu, le Conseil d'Etat précise les modalités de communication à l'étranger du rapport de son audition par un agent de l'OFPRA qui intervient préalablement à la décision du ministre. Le Conseil, confirmant la solution retenue par une décision du 10 décembre 2010 (10) sur le fondement de l'article 14 de la Directive (CE) 2005/85 du 1er décembre 2005 (N° Lexbase : L9965HDG), juge que, même lorsque la demande, formée par l'étranger qui se présente à la frontière, est traitée selon la procédure de l'article L. 221-1, l'intéressé doit avoir accès au rapport de son audition devant l'OFPRA afin de pouvoir former son recours. Anticipant sur la rédaction du nouvel article R. 213-3 issu d'un décret du 29 août 2011 (décret n° 2011-1031 du 29 août 2011, relatif aux conditions d'exercice du droit d'asile N° Lexbase : L0263IR8) adopté à la suite de la décision n° 326704 (obligation de transmission du rapport de l'OFPRA "en même temps que la remise de la décision du ministre chargé de l'Immigration ou, à défaut, dans des délais compatibles avec l'exercice effectif par l'étranger de son droit au recours"), le Conseil d'Etat précise que la communication du rapport de l'OFPRA à l'étranger, eu égard au "bref délai de quarante-huit heures dont dispose l'étranger se présentant à la frontière pour former son recours", doit "en principe" intervenir "en même temps que la décision du ministre ou dans un délai très bref après la notification de cette décision". En effet, cette communication ne peut être utile à la présentation d'un recours par l'étranger dans le délai de 48 heures que si elle intervient le plus vite possible. Le principe est, à cet égard, que le rapport soit annexé à la décision du ministre.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat indique que l'absence de communication du rapport de l'OFPRA à l'étranger, est certes "sans influence sur la légalité de cette décision" mais fait, toutefois, "obstacle au déclenchement de ce délai de recours et à l'exécution d'office de la décision ministérielle de refus d'entrée au titre de l'asile". Cette précision est essentielle : à défaut de communiquer le rapport de l'OFPRA, le ministre peut voir sa décision perpétuellement contestée, sans pouvoir opposer aucune forclusion à l'étranger, et il ne peut, en outre, exécuter matériellement sa décision, c'est-à-dire renvoyer l'étranger dans son pays d'origine. Autrement dit, l'étranger qui ne s'est pas vu communiquer le rapport de son audition par l'OFPRA voit son délai de recours et sa présence en France prolongés sine die. Il y a là une très forte incitation à communiquer ce rapport en même temps que la décision du ministre.

  • Application aux ressortissants algériens des textes de portée générale encadrant la délivrance de titre de séjour à visée professionnelle (CE 2° et 7° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 343083, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9955HZQ)

1) Une jurisprudence qui tirait les strictes conséquences de l'"autosuffisance" de l'accord franco-algérien

Aux termes de l'article 5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : "Les ressortissants algériens s'établissant en France pour exercer une activité professionnelle autre que salariée reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur justification, selon le cas, qu'ils sont inscrits au registre du commerce ou au registre des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence dans les conditions fixées aux articles 7 et 7 bis". Aux termes de l'article 7c du même accord : "Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation reçoivent, s'ils justifient l'avoir obtenue, un certificat de résidence valable un an renouvelable et portant la mention de cette activité". Or, selon une jurisprudence constante, l'accord franco-algérien régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, et les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'établir en France (11). La possession d'une carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale n'est, d'ailleurs, pas une obligation imposée aux algériens.

Jusqu'à présent, la jurisprudence n'examinait donc la légalité des décisions accordant ou refusant à un ressortissant algérien un titre de séjour autorisant une activité professionnelle qu'au regard des seules stipulations de l'accord franco-algérien, sans tenir compte du droit interne. Dans l'arrêt ayant fait l'objet du pourvoi, la cour administrative d'appel de Paris (12) avait, ainsi, jugé en principe qu'en vertu du caractère "autosuffisant" et exclusif de l'accord franco-algérien, les stipulations de cet accord relatives au statut "artisan" et "commerçant" ne donnaient pas pouvoir au préfet de vérifier que le ressortissant algérien respectait les conditions prévues par la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (N° Lexbase : L9475A8G). La cour avait ajouté que les dispositions de l'article L. 313-10 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5040IQQ), qui subordonnent la délivrance d'un titre de séjour à l'étranger désireux d'exercer une activité artisanale à la condition qu'il respecte les obligations imposées aux nationaux pour l'exercice de la profession envisagée, "n'étaient pas davantage applicables aux ressortissants algériens". La cour en avait conclu que le Préfet de police ne pouvait refuser la délivrance d'un certificat de résidence "artisan" à un algérien au motif qu'il ne disposait pas des qualifications professionnelles requises au sens des dispositions du décret n° 98-246 du 2 avril 1998 du 2 avril 1998 (N° Lexbase : L9355IP8), pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 5 juillet 1996, précitée. La solution retenue par la cour conférait, ainsi, un avantage important aux ressortissants algériens par rapport aux autres étrangers, avantage qui pouvait s'autoriser de la spécificité de l'accord franco-algérien et, plus généralement, de la "relation particulière" existant entre la France et l'Algérie qui avait motivé la conclusion d'un tel accord. Toutefois, elle exonérait les ressortissants algériens des conditions qui pesaient tant sur les ressortissants français eux-mêmes, que sur les ressortissants des autres Etats membres de l'Union européenne ou des Etats appartenant à l'Espace économique européen.

La décision du Conseil d'Etat du 23 novembre 2011 réintègre en partie les ressortissants algériens dans le droit commun des étrangers et aligne leurs obligations de qualification professionnelle sur celles s'imposant aux ressortissants français et communautaires.

2) La soumission des ressortissants algériens aux obligations de qualification professionnelle prévues par le droit national

Le Conseil d'Etat était saisi de la question d'un ressortissant algérien qui s'était vu refuser par le Préfet de police la délivrance d'un certificat de résidence en vue d'exercer la gérance d'une société de plâtrerie, maçonnerie et carrelage qu'il avait créée au motif qu'il ne disposait pas, pour l'exercice de cette activité, des qualifications professionnelles requises par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. La difficulté tenait, en l'espèce, à l'exclusivité qu'il convenait ou non de conférer aux stipulations des articles 5 et 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, prévoyant que les ressortissants algériens qui s'établissent en France pour exercer une activité professionnelle non salariée reçoivent, après vérification de leur inscription au registre du commerce, des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence. En vertu de ces stipulations, jusqu'à présent, c'est seulement lorsque l'activité en cause était soumise à autorisation que la délivrance du certificat était elle-même soumise à son obtention. En revanche, aucune disposition de droit interne ne s'appliquait en sus de ces stipulations.

A la différence de la cour administrative d'appel de Paris, le Conseil d'Etat considère que les stipulations de l'accord franco-algérien ne sont pas exclusives de l'application des textes de portée générale relatifs à l'exercice par toute personne de l'activité professionnelle envisagée. Selon le considérant de principe : "[...] si cet accord régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, cette circonstance ne saurait faire obstacle à ce que leur soient appliqués les textes de portée générale relatifs à l'exercice, par toute personne, de l'activité professionnelle envisagée, ainsi, d'ailleurs, que le rappellent, pour l'exercice de certaines professions par les étrangers d'autres nationalités, les dispositions du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile".

En conséquence, les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité artisanale doivent désormais, comme les ressortissants de tous les autres pays dont la France :
- soit être titulaires du diplôme français propre à la profession (certificat d'aptitude professionnelle, brevet d'études professionnelles, diplôme ou titre de niveau égal ou supérieur homologué ou enregistré lors de sa délivrance au répertoire national des certifications professionnelles) ;
- soit justifier d'une expérience professionnelle de trois ans dans un Etat de l'Union ou de l'Espace économique européen ;
- soit être titulaire d'un diplôme ou d'un titre de formation équivalents délivrés dans un Etat tiers et reconnus par un Etat membre de la Communauté européenne ou par un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen et avoir exercé, effectivement, l'activité concernée dans l'un de ces Etats pendant trois années.

Le Conseil d'Etat ayant renvoyé le jugement de l'affaire au fond à la cour administrative d'appel de Paris, il appartiendra à celle-ci d'examiner si le ressortissant algérien concerné remplissait l'une de ces conditions de formation et d'exercice en ce qui concernait la profession de "second oeuvre du bâtiment".


(1) CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 (N° Lexbase : A2779HPM).
(2) CA Paris, pôle 2, ch. 11, 29 juin 2011, n° 11/02792 (N° Lexbase : A9490HXR).
(3) CAA Paris, 8 juillet 2010, n° 09PA05719.
(4) CE, Ass., 18 décembre 1996, n° 160856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2300APU).
(5) B. Genevois, RFDA, 1992, p. 192.
(6) CE, S., 18 avril 2002, n° 245267, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7513AYW).
(7) CE, référé, 8 juillet 2002, n° 248313, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8399EPR).
(8) CE, 8 décembre 2003, n° 262446, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0871H97).
(9) CE, référé, 24 octobre 2005, n° 286247, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4803DLH).
(10) CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2010, n° 326704, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7175GMP).
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 25 mai 1988, n° 81420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7699APT).
(12) CAA Paris, 9ème ch., 1er juillet 2010, n° 09PA02577 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 3498763, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CAA Paris, 9e, 01-07-2010, n\u00b0 09PA02577", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A2495E7K"}}).

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