Réf. : Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-19.620, FS-P+B (N° Lexbase : A9346HZ8)
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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP
le 12 Janvier 2012
La singularité de la situation, et qui provoque tout l'intérêt du présent arrêt, tient à ce que le mandataire avait eu recours, pour se mettre en conformité avec l'exigence statutaire, à un prêt de consommation d'une action que lui avait consenti un des actionnaires. Or, la transmission de cette action n'avait pas donné lieu à la formalité d'inscription en compte au nom du mandataire bénéficiaire du prêt d'action. En rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui avait jugé que l'intéressé était réputé démissionnaire d'office du conseil de surveillance, la Cour de cassation attire utilement l'attention sur des aspects pratiques liés au respect des exigences propres au transfert de propriété des actions, lorsque le mandataire social n'est pas déjà propriétaire du nombre d'actions statutairement requis lorsqu'il accède aux fonctions.
L'arrêt de la Chambre commerciale est important, d'abord en ce qu'il rappelle le principe selon lequel le transfert de propriété des actions suppose une inscription en compte (I), ensuite parce qu'il confirme que cette règle concerne aussi l'hypothèse du prêt de consommation d'actions (II), et enfin en ce qu'il en tire toutes les conséquences pour les mandataires sociaux tenus d'être propriétaires d'actions de la société anonyme au sein de laquelle ils exercent leurs fonctions (III).
I - L'affirmation du principe du transfert de propriété des actions par l'inscription en compte
L'arrêt commenté est l'occasion de rappeler les règles relatives au transfert de propriété des actions, et d'en mesurer toutes les conséquences. On sait que, par suite de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, dans les conditions fixées par décret, selon les dispositions de l'article L. 228-1, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5565IC4). Au regard de l'article R. 228-10 du même code (N° Lexbase : L0320HZU), qui constitue le texte de nature réglementaire auquel il est fait renvoi, cette inscription est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice.
Pour suivre les circonstances de l'arrêt sous examen, il convient de relever que les textes du Code de commerce ne font aucune distinction selon que les comptes de titres sont tenus par la société elle-même ou par un tiers. Lorsque les titres sont nominatifs, les comptes de titres doivent en principe être tenus par la société émettrice. Toutefois, le registre des titres peut aussi être établi "par une personne qu'elle [la société] habilite à cet effet", selon les dispositions de l'article R. 228-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0318HZS). Que les comptes de titres soient tenus par la société elle-même ou par un tiers, le transfert de propriété est soumis aux mêmes textes du Code de commerce et il n'y a pas d'autres modes d'établissement de la propriété des titres.
Depuis l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, qui a donné sa rédaction actuelle à la règle figurant à l'article L. 228-1 du Code de commerce, l'inscription des titres au compte de l'acheteur est le seul moyen d'établir le transfert de propriété. L'ordre de virement en lui-même ne produit pas cet effet, et il est, en conséquence, logique que le cessionnaire soit autorisé à obtenir, en référé, qu'il soit ordonné à la société dont les titres sont cédés de procéder sous astreinte à l'inscription sur le registre des mouvements de titres (cf., Cass. civ. 3, 16 septembre 2008, n° 07-17.892, F-D N° Lexbase : A4053EAD ; Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 128, note Th. Massart).
En refusant de prendre en considération des éléments invoqués par les auteurs du pourvoi et tenant à des négligences éventuelles dans l'exécution de l'inscription en compte par l'intermédiaire chargé de la tenue des registres, la Cour de cassation s'en tient au résultat observé. Le transfert de propriété des actions n'a pas lieu en l'absence d'inscription en compte. Ce qui est vrai pour un transfert résultant d'une cession va ici être appliqué, dans toute sa rigueur, à l'hypothèse du prêt de consommation d'actions.
II - L'application du principe au prêt de consommation d'actions
Dans la mesure où l'obligation est faite à la personne qui accède aux fonctions d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance d'être "propriétaire" d'un certain nombre d'actions, si elle ne remplit pas cette condition dès avant son accès aux fonctions et qu'elle ne veut ou ne peut procéder à l'acquisition des titres (dans le délai de régularisation), il est de pratique ancienne de recourir à la technique du prêt de consommation portant sur des actions.
L'exigence de propriété des titres fait bien sûr obstacle à un simple prêt d'usage pour lequel le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée (C. civ., art. 1877 N° Lexbase : L2094AB8) et impose le prêt de consommation puisqu'il a justement pour effet de transférer à l'emprunteur la propriété des biens prêtés, selon les dispositions de l'article 1893 du Code civil (N° Lexbase : L2111ABS).
Compte tenu de la très rare jurisprudence relative à cette catégorie d'opérations portant sur des actions, il est déjà intéressant de relever que la Cour de cassation s'y réfère sans aucune réticence, confirmant, certes indirectement, la validité de l'opération. On sait en effet que ce type de prêt ne peut porter que sur les "choses qui se consomment par l'usage" (C. civ., art. 1892 N° Lexbase : L2109ABQ), telles que des denrées ou de l'argent. Mais, s'appuyant sur une position doctrinale majoritaire (V. not. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 24ème éd.,) mais non point unanime (V. Y. Guyon, Le régime des prêts de titres, RD bancaire et bourse, 1988, n° 6) selon laquelle ce prêt peut aussi porter, selon la volonté des parties, sur des choses non consomptibles lorsque l'emprunteur se voit reconnaître le droit de les consommer, c'est-à-dire d'en disposer librement, une jurisprudence ancienne admet la validité du prêt de consommation d'actions alors même qu'il n'est pas dans la nature de ces biens d'être consomptibles (v. not., Cass. crim. 19 avril 1939, JCP, 1939, II, 1322 ; Cass. civ., 8 mai 1950, JCP, 1950, II, 5602 ; adde, prenant position pour la validation du dispositif, QE n° 26594, JO Sénat Q, n° 42, 26 octobre 2000, p. 3710 [LXB=PANIER]). Si la présente décision peut être comprise comme s'inscrivant dans ce courant validant le recours au prêt de consommation de titre pour remplir la condition de propriété d'actions imposée pour l'exercice du mandat social, elle vient aussi rappeler que l'on doit bien être en présence d'un véritable transfert de propriété.
Fort logiquement, en effet, l'arrêt commenté fait application des règles relatives au transfert de propriété des actions telles qu'elles résultent du Code de commerce. Puisque les parties entendent répondre à l'exigence statutaire imposant à la personne qui accède aux fonctions de mandataire social d'être propriétaire d'actions de la société en ayant recours à la technique du prêt de consommation, elles doivent donc respecter les règles fixant les conditions du transfert de propriété en général. Il n'y a pas, pour ce cas de figure, un sort particulier dans les textes et il n'y a rien à attendre sur ce point de la jurisprudence, ainsi que l'arrêt de la Chambre commerciale du 15 novembre 2011 en atteste.
En définitive, il y a lieu de soumettre le prêt des actions aux règles relatives à la cession des actions, puisque dans les deux cas, il y a transfert de propriété. Le transfert doit donner lieu à une inscription en compte au nom du mandataire social, emprunteur des titres, exactement comme l'on procède en présence d'une cession d'actions. Comme cela a été indiqué ci-dessus, en application de l'article R. 228-10 du Code de commerce, les parties à l'acte de prêt doivent s'accorder sur la date à laquelle l'inscription au compte de l'emprunteur doit avoir lieu et notifier cette date à la société. Dans le choix de cette date, elles devront être particulièrement attentives à celle qui marque l'expiration du délai de trois mois -six mois depuis la réforme de 2008- accordé au mandataire social pour régulariser sa situation et remplir l'obligation d'être propriétaire du nombre d'actions imposé par les statuts. Elles doivent, en pratique, choisir une date qui ne soit pas trop proche du terme de ce délai afin de laisser à la société, ou comme en l'espèce à l'intermédiaire, le temps matériel d'effectuer cette inscription. L'arrêt commenté confirme bien l'effet couperet de ladite date. Si le transfert des actions, objets du prêt de consommation, n'a pas été inscrit en compte à la date ultime du délai de régularisation, la condition imposée au mandataire social n'est pas remplie. Il ne reste plus qu'à en tirer toutes les conséquences.
III - Les conséquences du principe pour les mandataires sociaux
Troisième et dernière étape dans la position prise par la Cour de cassation, et qui donne toute la mesure de l'attention qui doit être réservée au respect des formalités, la Haute juridiction considère que "par cette seule constatation" de l'absence d'inscription en compte de l'action prêtée, le mandataire social est réputé démissionnaire de ses fonctions, à l'expiration du délai accordé pour régulariser sa situation.
Le caractère automatique, voire brutal, de la sanction apparaît clairement dans cet arrêt. Même s'il n'était pas contesté qu'un actionnaire avait consenti un prêt de consommation portant sur une action au bénéfice de la personne accédant aux fonctions de membre du conseil de surveillance, et quelles que soient les raisons qui pouvaient expliquer que l'inscription en compte n'ai pas eu lieu dans les livres de la société, l'intéressé est réputé démissionnaire d'office. La date qui constitue le terme du délai offert par le Code de commerce pour procéder à la régularisation de la situation fonctionne comme un couperet. Dès le lendemain, l'intéressé est privé de sa qualité de mandataire social. La Cour de cassation s'en tient dans le présent arrêt à une position stricte parfaitement fondée sur les textes et l'on peut espérer que la médiatisation de cet arrêt (outre la présente publication, il est destiné à figurer au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation) provoque un réflexe de grande attention de la part des professionnels concernés et de leurs conseils.
Certes, les actes et délibérations pris par l'organe social auquel l'intéressé a participé jusqu'à l'expiration du délai de régularisation sont à l'abri de toute contestation sur ce point. En revanche, le risque d'invalidation est grand pour les actes postérieurs à cette date dans la mesure où, étant réputé démissionnaire, l'intéressé n'avait aucun droit à participer à ces décisions et il doit donc être décompté des votants. En conséquence, il peut s'ensuivre que l'organe ne comporte plus le nombre de membres imposé par la loi ou les statuts ou que les exigences de quorum et de majorité requises auxquelles est subordonnée la validité des délibérations ne soient plus atteintes.
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