Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 18-86.961, F-D (N° Lexbase : A58983CG)
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
le 26 Février 2020
► L'article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) impose au juge de rechercher si les manquements relevés résultent de l’abstention de l’un des organes ou représentants de la société et s’ils sont commis pour son compte.
C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 21 janvier 2020 qui rappelle la règle désormais classique relative aux conditions de la responsabilité d’une personne morale (Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 18-86.961, F-D N° Lexbase : A58983CG).
Aux termes de l’article 121-2 du Code pénal, les personnes morales ne répondent pénalement des infractions commises par leurs organes ou représentants que si les faits ont été réalisés « pour leur compte ». Leur responsabilité est donc écartée si, par abus de fonction, l'organe ou le représentant a agi pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers.
Résumé des faits. Un agent de nettoyage salarié de la société Generis, filiale de la société Veolia Propreté Ile de France, s'est retrouvé coincé par la porte refermant la remorque d'un camion à l'issue du déchargement de bouteilles en plastique, alors qu'il avait entrepris de nettoyer des déchets à l'arrière dudit camion. L’agent de nettoyage a poursuivi les deux sociétés du chef de contravention de blessures involontaires et d’infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs. Le tribunal correctionnel a déclaré les faits prescrits. Le procureur de la République a interjeté appel de cette décision.
En cause d’appel. Pour déclarer la prévenue coupable de contravention de blessures involontaires et de manquements à des obligations de sécurité ou de prudence, la cour d’appel énonce que la société Veolia Propreté Ile de France a mis à la disposition du conducteur du camion une remorque présentant un poste de commande situé en façade avant depuis lequel l'opérateur n'avait pas de visibilité sur la zone de mouvement de la porte, et qu'elle a ainsi causé involontairement des blessures à la victime. Ladite société se pourvoit en cassation.
Décision. Par cet arrêt en date du 21 janvier 2020, la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Versailles au visa des articles 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), mais en ses seules dispositions ayant déclaré la société Veolia Propreté Ile de France coupable, toutes autres dispositions étant expressément maintenues. La Cour de cassation estime que la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du Code pénal dans la mesure où elle n’a pas recherché si les manquements relevés résultaient de l’abstention de l’un de ses organes ou représentants et s’ils avaient été commis pour le compte de la société Veolia Propreté.
La détermination de l’organe ou du représentant. Jusqu'au début des années 2010, la Cour de cassation admettait que l'implication d'un organe ou d'un représentant de la personne morale dans la commission de l'infraction pût être présumée par les juges du fond, et qu'il n'était donc pas nécessaire, en pareil cas, d'identifier l'intéressé (v. par ex. Cass. crim., 24 mai 2000, n° 99-83.414 N° Lexbase : A8133AXI, usage en justice, par la personne morale, d'une fausse attestation). Cette présomption, par la suite abandonnée, continue de jouer implicitement. C’est le cas par exemple, lorsque la Haute juridiction reproche à une cour d'appel d'avoir condamné une personne morale « sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue » : la recherche omise pourrait en effet consister à inférer des circonstances de commission de l'infraction la certitude qu'un organe ou un représentant - même non identifié - ne pouvait pas y être étranger (v. par exemple : Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-81.095, F-D N° Lexbase : A2584WBC). Mais en réalité, il existe des arrêts qui, plus nettement, exigent des juges du fond qu'ils indiquent « par quel organe ou représentant » l'infraction a été commise. Cependant, la cassation d'un arrêt de condamnation s'explique parfois simplement par le fait que l'organe ou le représentant identifié est relaxé et qu'il fallait donc en rechercher un autre qui soit coupable (Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249, D N° Lexbase : A4460WW4 ; Cass. crim., 3 février 2016, n° 15-80.133, F-D N° Lexbase : A3151PKW ; Cass. crim., 06 septembre 2016, n° 14-85.205, F-P+B N° Lexbase : A5122RZQ ; Cass. crim., 25 mai 2016, n° 14-85.908, F-D N° Lexbase : A0335RRT ; Cass. crim., 16 avril 2019, n° 18-84.073, FS-P+B+I N° Lexbase : A2854Y9L). En outre, nonobstant l'abandon de la présomption dans sa mouture originelle, la Cour de cassation l'a récemment ravivée, sous une forme atténuée en estimant que lorsque les faits ne peuvent guère s'expliquer sans l'intervention d'un organe ou d'un représentant - notamment en cas d'infraction intentionnelle -, il appartient au juge du fond d'ordonner un supplément d'information (Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249, D (N° Lexbase : A4460WW4) ; Cass. crim., 31 octobre 2017, n° 16-83.683, FS-P+B N° Lexbase : A8112WXQ ; Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-85.248, F-P+B N° Lexbase : A7026R4Y).
L’arrêt rendu le 21 janvier 2020 rappelle au demeurant que l’article 121-2 du Code pénal exige des juges du fond un minimum de motivation quant à l’identification de l’organe ou du représentant responsable des manquements reprochés. Faute de quoi, la cassation s’impose.
Pour aller plus loin : Lire S. Detraz, ETUDE : Les conditions de la responsabilité pénale, La détermination de l'organe ou du représentant (N° Lexbase : E1512GAA) |
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