Réf. : Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-14.677, F-P+B (N° Lexbase : A5182HZX)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 08 Décembre 2011
I - L'exclusion de la qualification de clause pénale
La clause pénale est clairement définie par le Code civil de 1804, puisque depuis Napoléon elle est, nous renseignent, d'abord, l'article 1226 (N° Lexbase : L1340ABA), "la clause [...] pas laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution", et, ensuite, l'article 1229 (N° Lexbase : L1343ABD), "la compensation en dommages et intérêts que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale". L'utilisation de l'adjectif "pénal" peut prêter à confusion ; en effet, malgré la dénomination qui lui est donnée, il s'agit bien d'une sanction civile.
Pour être qualifiée de clause pénale, il faut donc que la stipulation conventionnelle dont il s'agit constitue une évaluation forfaitaire et anticipée des conséquences d'une inexécution (Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-16.869 N° Lexbase : A6341AHC, Bull. civ. I, n° 347, D., 1996, somm., p. 116, obs. Ph. Delebecque, JCP éd. G, 1996, II, 22580, note G. Paisant ; cf. dernièrement Cass. civ. 3, 26 janvier 2011, n° 10-10.376, FS-P+B N° Lexbase : A8571GQI).
La jurisprudence en la matière est fort abondante. Sans faire un catalogue exhaustif, puisque tel n'est pas notre propos, on rappellera rapidement que ne peut être qualifiée de clause pénale la disposition qui ne prévoit pas une évaluation forfaitaire et anticipée. Il en est ainsi, de la clause résolutoire insérée dans un contrat de bail commercial (Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.856, publié N° Lexbase : A7818AGN, Bull. civ. III, n° 172 ; Defrénois, 1990, 361, obs. Aubert ; RTDCiv. 1990, 74, obs. Mestre) ou encore de la clause qui fixe un plafond d'indemnisation "dans la limite du préjudice subi par le client", auquel cas il s'agit d'une clause limitative de responsabilité (Cass. com., 18 décembre 2007, n° 04-16.069, FS-P+B N° Lexbase : A1149D3X, Bull. civ. IV, n° 265 ; D., 2008, AJ, 15 obs. Delpech ; JCP éd. G, 2008, I, 125 n° 13 et s., obs. Stoffel-Munck). De même la clause prévoyant le versement d'une somme à titre d'avance sur des dommages-intérêts n'est pas une clause pénale (Cass. com., 5 avril 1994, n° 92-14.582 N° Lexbase : A6961ABG ; JCP éd. G, 1995, II, 22384, note Dagorne-Labbe).
En outre, ne remplissent pas les conditions d'une telle qualification les clauses qui ne sanctionnent pas l'inexécution d'une obligation. Ainsi, en est-il des clauses compensant l'exercice d'une faculté, comme l'indemnité d'immobilisation contenue dans une promesse unilatérale de vente puisque son bénéficiaire, n'étant pas tenu d'acquérir, il ne manque pas à son obligation en s'abstenant de le faire (Cass. civ. 3, 5 décembre 1984, n° 83-11.788 N° Lexbase : A2409AAH, Bull. civ. III, n° 207 ; Defrénois, 1986, 126, note Olivier ; RTDCiv. 1985, 372, note Mestre). De même, à défaut de relever l'obligation mise à la charge du réservataire d'une habitation à construire par le contrat et dont l'inexécution serait sanctionnée par la perte d'un dépôt de garantie, ledit dépôt ne peut être qualifié de clause pénale (Cass. civ. 3, 28 mars 1990, n° 88-11.820 N° Lexbase : A3546AHS ; D., 1991, 187 note R. Cabrillac). La clause de dédit dont l'objet est de permettre aux parties de se libérer unilatéralement de leurs engagements ne saurait non plus s'analyser en une clause pénale (Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-11.448, publié N° Lexbase : A1732AC7, Bull. civ. IV, n° 255 ; D., 1999, 103 note Ch. Willmann ; Defrénois, 1998, 328, obs. D. Mazeaud). Aussi, la clause stipulant une indemnité pour le remboursement anticipé d'un prêt ne peut être considérée comme une clause pénale puisque le remboursement ne constitue pas une inexécution (Cass. civ. 1, 24 novembre 1993, n° 91-16.150 N° Lexbase : A9670ATC ; Defrénois, 1994, 800 obs. D. Mazeaud ; RTDCiv., 1994, 857, obs. J. Mestre)
Ne sanctionne pas non plus l'inexécution d'une obligation la clause qui constitue la contrepartie de l'exécution d'une obligation et de l'octroi d'un avantage, que ce soit une indemnité d'immobilisation en cas de vente sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt (Cass. civ. 3, 29 juin 1994, n° 92-19.645, publié [LXB= A7310ABD], Bull. civ. III, n° 139 ; Defrénois, 1994, 1459, obs. D. Mazeaud ; JCP éd. E, 2003, 585, n° 12, obs. Seube), de la contrepartie d'une obligation de non-concurrence (par ex. : Cass. soc. 17 octobre 1984, n° 82-41.114, publié N° Lexbase : A0610AAT, Bull. civ. V, n° 385), ou encore du remboursement d'avances consenties à un agent général d'assurance, en cas de fin prématurée de son mandat (Cass. civ. 2, 19 juin 2003, n° 00-22.626, FS-P+B N° Lexbase : A8751C8M, Bull civ. II, n° 202).
Enfin les clauses qui ont pour but d'assurer l'équilibre économique du contrat sont traditionnellement exclues de la qualification de clause pénale (cf., not., Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 06-15.486, FS-P+B N° Lexbase : A7011D88, Bull. civ. I, n° 141, pour un élément de détermination du prix ou encore Cass. civ. 1, 6 juin 2000, n° 98-12.307, publié N° Lexbase : A3603AUY, Bull. civ. I, n° 180 pour la compensation d'un manque à gagner).
Dans l'arrêt du 2 novembre 2011, étaient donc visées les pénalités prévues par l'article L. 441-6, alinéa 6, du Code de commerce qui sont dues en cas de retard de paiement. En effet, aux termes de ce texte, entre clients et fournisseurs, "les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire".
Le fait que les pénalités prennent la forme d'un intérêt moratoire n'exclut pas en soi qu'elles puissent être qualifiées de clause pénale. Un auteur s'était alors intéressé à la question, considérant que leur caractère automatique et leur exigibilité de plein droit, indépendamment de toute manifestation de volonté du créancier, devaient conduire, selon lui, à écarter la notion de peine privée qui caractérise la clause pénale (M.-P. Wagner, Pénalités de retard : encore des interrogations, D., 2004. 2634).
C'est bien la position qu'adopte la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté puisqu'elle exclut la qualification de clause pénale du fait que les pénalités ne trouvent pas leur origine dans une disposition contractuelle mais résultent bien d'une disposition légale supplétive. Cette solution semblait s'imposer, et ce même si la stipulation pouvait avoir un caractère comminatoire.
II - Les conséquences de l'exclusion de la qualification de clause pénale
La Cour de cassation, après avoir exclu que les pénalités de retard de l'article L. 441-6 puissent revêtir la nature de clause pénale, approuve logiquement la cour d'en avoir déduit que le juge ne pouvait faire application des dispositions de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ). Pour rappel, depuis son introduction par la loi du 9 juillet 1975, ce texte permet au juge, même d'office, de modérer ou d'augmenter la peine convenue lorsque celle-ci est manifestement dérisoire ou excessive.
Exit donc la révision judiciaire des pénalités de l'article L. 441-6, alinéa 6 ! Dès lors, le montant des pénalités automatiques mises en oeuvre au titre des retards de paiement entre fournisseurs et clients ne peut être, notamment, minoré comme le prétendait la demanderesse au pourvoi. Cette conséquence qu'impose le rejet de la qualification de clause pénale pourra apparaître particulièrement dommageable tout particulièrement lorsque le créancier aura fixé des pénalités à un taux très élevé voire exorbitant. Ainsi, s'il est peu critiquable que l'intervention du juge soit exclue lorsque les pénalités sont contractuellement fixées à un taux inférieur au taux supplétif fixé par la loi, il peut sembler sévère qu'il en soit également ainsi lorsque le taux des pénalités dépasse celui fixé par l'article L. 441-6. En effet, rien n'est prévu dans de telles circonstances : bien que le texte mette en place un taux plancher égal à trois fois le taux d'intérêt légal, aucun plafond n'est envisagé.
Au-delà de cette seule critique qui n'est finalement que la résultante d'un schéma imparfait et non de la position de la Cour de cassation qui doit être pleinement approuvée, cet arrêt vient utilement préciser le régime juridique des pénalités de retard de paiement. Il s'ajoute, notamment, à un important arrêt du 3 mars 2009 qui a consacré, d'une part, que les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l'article L. 441-6 du Code de commerce, qui répondent à des considérations d'ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables, dès la date d'entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours, et, d'autre part, que les pénalités de retard pour non paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats (Cass. com., 3 mars 2009, n° 07-16.527, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A5632EDX ; N. Ferrier, Conditions d'application de l'article L. 441-6 du Code de commerce en matière de pénalités de retard, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition privée N° Lexbase : N9829BIU).
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