Réf. : Deux décisions AMF du 7 octobre 2011, sanction (N° Lexbase : L2573IRQ) et (N° Lexbase : L2574IRR)
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par Emilie Mazzei, ATER à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne
le 01 Décembre 2011
I - Le suivi défaillant des risques par la société de gestion
Le premier manquement invoqué par l'AMF porte, dans les deux cas d'espèce, sur la politique de sélection (due diligence) menée par les sociétés de gestion. La société de gestion se doit de mettre en place une procédure de due diligence efficace (A) et un contrôle effectif des risques d'investissement (B).
A - L'absence de procédure formelle de due diligence
La mise en place d'un processus de sélection des fonds est organisée par un certain nombre de textes réglementaires. Pour rappel, l'article L. 214-9 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9216IQE), introduit par l'ordonnance du 1er août 2011 (3), reprend les dispositions de l'ancien article L. 214-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3146G9E). Il énonce que "les organismes de placement en valeurs mobilières, le dépositaire et la société de gestion doivent agir de façon indépendante et dans le seul intérêt des porteurs de parts ou actionnaires [...]". Par renvoi de l'article L. 214-24 du même code (N° Lexbase : L9237IQ8), ce texte est applicable aux OPCVM non coordonnés. Concernant la mise en place de la politique des risques, les textes actuellement applicables sont les articles 313-1, 313-60, 313-61 et 313-54 du règlement général de l'AMF . Il y est notamment précisé que "[...] dans le cadre des activités de gestion collective de la société de gestion de portefeuille, ces procédures de prise de décision incluent en particulier les diligences qui président à la sélection, au suivi et au contrôle des risques associés aux instruments financiers dans lesquels l'OPCVM investit". Aussi, la société de gestion alternative doit élaborer des procédures et mettre en oeuvre des politiques qui permettent, tant lors de la sélection que du suivi des fonds, d'identifier les niveaux de risques tolérables.
Les analystes de la société de gestion ne doivent retenir que les hedge funds correspondant et à ses critères d'investissement et au niveau de risque acceptable pour la société de gestion : elle doit donc bâtir un véritable processus de sélection. Ce processus doit être formalisé et structuré. L'AMF apprécie ladite politique de sélection des sociétés de gestion ALF et EIM : concernant la société ALF, elle ne s'est doté d'une procédure dite de "due diligence process" qu'au cours de l'année 2008. Auparavant, elle n'avait mis au point aucun programme formalisé de vérification et de contrôle permettant de démontrer le suivi des risques et des investissements. Le cas de la société EIM est un peu différent. En effet, cette dernière avait mis en place, dès 2004, une "Manager Selection Procedure (Alternative)", distinguant des diligences qualitatives, quantitatives et opérationnelles. Elle prévoyait quinze phases successives, notamment l'obligation pour les analystes de rencontrer les gérants sur place et au moins deux fois par an. Dans ce cas, la question n'était pas l'existence d'une procédure de sélection des contreparties mais son application réelle.
B - Le contrôle insuffisant des risques d'investissement
La formalisation d'une politique des risques et d'un processus de vérification est insuffisante : il faut également contrôler de façon effective les informations transmises lors de cette procédure de suivi des risques. La due diligence n'est qu'un outil de vérification et ne constitue pas la vérification elle-même. Qui plus est, cet outil doit être fiable et efficace. Autrement dit, il ne suffit pas de mettre en place une procédure de contrôle des risques, il faut également la mettre en oeuvre : la procédure est valable pour autant qu'elle laisse à la société concernée la possibilité de connaître avec précision les caractéristiques du risque.
Dans le cadre de la multigestion alternative, ces obligations sont renforcées. En effet, l'information sur certains fonds sous-jacents n'est pas publiquement disponible, l'utilisation de l'effet de levier est particulièrement fréquente et les stratégies des fonds sont complexes et variables. Il faut, selon l'expression de l'AMF, agir "avec diligence et professionnalisme" lors des procédures de sélection et de suivi. Cela passe par une actualisation des données recueilles lors des premières souscriptions et, surtout, par une véritable recherche d'informations, au-delà des données proposées dans les prospectus et des rapports d'audit disponibles. Il existe ainsi un véritable devoir de vigilance à la charge des gérants de fonds dits alternatifs.
Aussi l'AMF fait-elle logiquement une analyse in concreto des mesures de vérification opérées par les sociétés de gestion. Dans les deux décisions, l'absence de vérification du rôle de la société BMIS dans la gestion des fonds hedge funds concernés démontre l'insuffisance des mesures de contrôle. Dans le cas d'ALF, aucune recherche n'a été effectuée sur la société BMIS, sur ses équipes en charge de la gestion, ses moyens techniques et sur les stratégies développées. Dans celui d'EIM, la commission des sanctions juge particulièrement insuffisantes les démarches effectuées par la société auprès de BIMS : la société EIM n'a pu procéder à aucun contrôle périodique de BIMS et n'a jamais tiré les conséquences du manque de transparence et de coopération de cette dernière. L'AMF rappelle à cette occasion la note de synthèse sur le sujet en date du 14 décembre 2008 : peu importe le "rapport de force" entre le sélectionneur et le sélectionné. L'investissement dans un hedge fund doit nécessairement passer par un processus de due diligence efficace, et ce, même si le fonds alternatif est très demandé. La réputation du fonds n'est pas une garantie de son sérieux.
La démarche du gérant doit être active. L'information sur le fonds, pour être fiable, doit être auditée, traçable dans le temps et s'accompagner d'un contrôle adéquat des risques. En définitive, et selon la formulation de la décision de sanction, "EIM n'a pas disposé des éléments susceptibles de constituer le support fiable de décisions qui auraient dû être prises, non pas dans l'opacité, sans avoir eu accès ni aux locaux ni aux équipes de BMIS ni aux modèles économiques employés, mais dans la clarté, après avoir mis en oeuvre les diligences indispensables à la protection de l'intérêt des porteurs". La société de gestion doit organiser et exiger de ses contreparties un accès à l'information efficace et fiable, qui permettent in fine de sécuriser ses investissements : dans les deux cas d'espèce, si la recherche active d'informations n'aurait pas suffi à révéler la fraude, elle aurait dû à tout le moins dissuader les gérants d'investir dans des fonds particulièrement opaques.
II -L'organisation lacunaire des activités de gestion des fonds alternatifs
L'AMF reproche à la société ALF de n'avoir pas respecté son programme d'activités spécifiques (A). Elle rappelle à la société EIM les conditions d'éligibilité des fonds étrangers (B).
A - La non-conformité des investissements au programme d'activités spécifique des fonds
L'AMF reproche à la société ALF le fait de ne pas respecter les conditions auxquelles était subordonné son agrément. Pour rappel, une société de gestion investissant dans des hedge funds devait, jusqu'au décret n° 2011-922 (4), pris en application de l'ordonnance du 1er août 2011, faire approuver par l'AMF un programme d'activités spécifique lors de sa demande d'agrément. Si la terminologie "programme d'activités spécifique" a disparu depuis ledit décret, la société de gestion doit, quoiqu'il en soit, élaborer un programme d'activités pour chaque service qu'elle entend exercer, et ce en application de l'article L. 532-9 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9264IQ8).
La société de gestion doit plus particulièrement se doter de moyens humains et techniques en adéquation avec ses procédures de gestion des risques. Or, la société ALF ne s'est pas dotée de tels moyens : elle contrevient par là même aux dispositions de son programme d'activités spécifique approuvé en 2003 par l'AMF et non modifié depuis. C'est donc sur ce point que la société ALF a été sanctionnée. Lui sont plus particulièrement reprochés l'absence de procédure opérationnelle jusqu'en 2008 et le fait qu'un seul gérant exerce à plein temps ses fonctions alors que le programme d'activités en prévoyait deux. Enfin, l'externalisation de son activité d'analyse, non prévue dans le programme d'activité, est, elle aussi, sanctionnée : deux analystes extérieurs sont intervenus dans la sélection des fonds sans que cette intervention ne soit formalisée dans une quelconque convention. Notons que la commission des sanctions a écarté un autre grief relatif au statut de la personne en charge de la fonction de contrôleur des risques.
L'AMF ne se prononce pas ici sur l'efficacité ou l'opportunité de l'organisation de la société de gestion mais sur la non-conformité à son programme d'activités. Or, les éléments du dossier sont suffisants pour caractériser le manque de moyens matériels et humains nécessaires à l'activité de la société de gestion ALF.
B - Le non respect des conditions d'éligibilité des fonds étrangers
La décision de sanction relative à la société EIM est l'occasion pour l'AMF de rappeler les règles d'éligibilité de fonds étrangers : les OPCVM classiques peuvent investir 10 % de leur actif dans ces fonds qui doivent également répondre à un certain nombre de critères posés à l'article 412-2-2 du règlement général de l'AMF (ancien article 411-34). Par exception, les OPCVM ARIA de fonds alternatifs peuvent détenir, dans la limite de 10 %, des parts de fonds étrangers qui ne répondent pas à ces critères, à condition que le prospectus de ces fonds le prévoit expressément.
L'un de ces critères est la ségrégation des actifs, critère selon lequel les actifs du fonds doivent être conservés distinctement des actifs propres du conservateur ou de ses mandataires. Pour rappel, ce principe s'est révélé particulièrement important dans l'exécution des contrats dits de Prime Brokerage. Dans le cadre de ces conventions, le Prime Broker assure différents services aux hedge funds : exécution des ordres passés par le fond, règlement/livraison, conservation des actifs par délégation du dépositaire mais aussi financements et logistique. Le Broker peut bénéficier, en échange, d'une garantie sur les actifs conservés et d'un droit de "ré-hypothèque" c'est-à-dire d'utilisation des actifs conservés pour ses propres besoins. Or, dans cette hypothèse, le hedge fund n'est titulaire que d'un droit de créance sur les actifs conservés. Simple créancier dans le cadre d'une procédure de faillite, il n'est pas assuré de récupérer ses fonds (5). En sélectionnant un hedge fund respectant le principe de ségrégation des actifs, la société de gestion exclut cette possibilité de "ré-hypothèque" ; elle limite par là même le risque de non-restitution des actifs en cas de défaut du conservateur ou de ses mandataires.
En l'espèce, BIMS était à la fois Investment Advisor et conservateur des actifs. Il n'y avait donc pas, selon l'AMF, de ségrégation des actifs. Malgré cela, la société de gestion EIM a considéré jusqu'en 2007 que les fonds "Madoff" répondaient aux conditions d'éligibilité des fonds étrangers. La société de gestion justifiait sa position par l'enregistrement de la société BIMS auprès de la SEC et s'est basée pour ce faire sur une interprétation formulée en 2006 par l'Association française de gestion financière (AFG). Selon l'AFG, l'enregistrement auprès de la Securities Exchange Commission et du National Association of Securities Dealers emporterait reconnaissance automatique de la condition de ségrégation des actifs. L'AFG visait à uniformiser la pratique des sociétés de gestion en rappelant les principes réglementaires applicables aux hedge funds, et notamment le principe de ségrégation des actifs : ce dernier est respecté si le prospectus du fonds mentionne que les actifs sont conservés de manière distincte et/ou si le conservateur est enregistré auprès de la SEC, de la FSA et du NASD. Or, l'AMF, dans une décision du 8 avril 2010 (6), a nuancé cette position de l'AFG : dans tous les cas, la société de gestion doit procéder à une vérification effective des informations fournies par le hedge fund et s'assurer que la condition de ségrégation continue à tout moment d'être respectée. Autrement dit, la présomption posée par l'AFG n'est pas suffisante (7) et ne peut être appliquée à l'espèce.
Dans le cas d'espèce, les fonds "Madoff" ne pouvaient être considérés comme éligibles à l'actif d'un OPCVM classique. L'investissement dans les fonds "Madoff" n'aurait dû être permis qu'aux OPCVM ARIA III. Or, la société de gestion n'a respecté ni cette restriction, ni le principe selon lequel tout prospectus d'OPCVM ARIA III doit mentionner la possibilité de souscrire des parts de fonds étrangers ne respectant pas les critères d'éligibilité. Ces manquements sont constitutifs d'une faute.
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