Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 septembre 2011, n° 10/20355 (N° Lexbase : A5896HXN)
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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats
le 03 Novembre 2011
Par contrat du 26 février 2006, Me X a été engagée comme collaboratrice libérale du cabinet de Me Y. Après 4 ans de travail apparemment sans difficulté, Me X a décidé de mettre un terme au contrat de collaboration, le 23 mars 2010. C'est alors que Me Y a soutenu qu'aux termes d'un accord entre les parties, il était convenu que sa collaboratrice acquière son cabinet. Comme le relève la cour, "[Me Y] a soutenu que les relations ont évolué depuis la conclusion du contrat de collaboration pour devenir assimilables à une association voire à une reprise de son cabinet". Cet avocat affirmait ainsi qu'à compter du 1er janvier 2009, sa collaboratrice avait accepté de reprendre sa clientèle et les éléments corporels du cabinet. Il s'estimait donc fondé à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par son départ. Cette dernière ne l'entendait visiblement pas de cette manière, estimant qu'elle était toujours restée collaboratrice de Me Y, et sollicitant le paiement d'arriérés d'honoraires.
Le lecteur imagine qu'un tel accord de cession de cabinet devait nécessairement être formalisé par écrit, compte tenu de son importance pour les deux parties. Ce prétendu accord portait, semble-t-il, sur la somme de 216 000 euros, rien que pour le droit de présentation de la clientèle, donc sans compter la cession des éléments corporels et incorporels du cabinet dont le transfert du contrat de travail de la secrétaire. Pourtant, une simple lecture de l'arrêt du 6 septembre 2011 permet de constater que les juges ont dû rechercher la nature de la relation existant entre les parties au moyen d'indices, à défaut de pouvoir se fonder sur un accord explicite.
2. L'analyse de l'arrêt
La cour d'appel de Paris était invitée à statuer sur une sentence arbitrale, rendue le 30 août 2010 par l'arbitre désigné par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris. Cette sentence arbitrale, faisant suite à une tentative de médiation infructueuse a, en substance, dit que Me X avait le statut de collaboratrice libérale au jour de la cessation des relations entre les parties et condamné Me Y à payer à son ancienne collaboratrice la somme de 57 400 euros HT à titre de solde de rétrocession d'honoraires pour la période du 1er janvier 2009 à la fin des relations professionnelles entre les parties.
Mécontent de cette décision, Me Y en a interjeté appel, sollicitant de la cour qu'elle constate que le contrat de collaboration de Me X avait pris fin le 31 décembre 2008 et juge qu'après cette date, la relation des parties était régie par "un autre contrat qui faisait de [Me X] l'unique avocat du cabinet intéressé aux résultats". Me Y reconnaissait que cet accord était verbal mais pouvait néanmoins se prévaloir de sérieux arguments à l'appui de sa thèse. En particulier, il ressort des motifs de l'arrêt qu'à compter du 1er janvier 2009 Me X ne facturait plus de rétrocession d'honoraires au cabinet de Me Y mais facturait directement les clients du cabinet, et que son nom figurait sur les bulletins de salaire de la secrétaire, qu'elle avait d'ailleurs licenciée le 3 mars 2010. Plus encore, Me X figurait sur le papier en-tête du cabinet et avait, semble-t-il, commencé à payer une partie de la somme due au titre de la présentation de la clientèle.
En défense, Me X soutenait que Me Y lui avait parlé d'une éventuelle succession et demandé de prendre en charge la secrétaire du cabinet, au motif qu'il ne voulait plus en supporter la gestion administrative. Me X reconnaissait l'existence de pourparlers mais indiquait que dès le mois de mars 2009, elle avait "fait savoir ne pouvoir poursuivre" et, en tout état de cause, qu'aucun transfert de clientèle n'était intervenu. Elle critiquait également le fait que Me Y ne lui avait jamais indiqué la date à laquelle le transfert aurait eu lieu et le prix de présentation de la clientèle. Enfin, elle établissait que Me Y avait continué de percevoir des honoraires sur son compte professionnel.
Dans sa sentence du 30 août 2010, dont les motifs ont été repris par la cour, l'arbitre a considéré qu'en l'absence de convention expresse, il convenait d'examiner les éléments permettant de rechercher la commune intention des parties. Ainsi, l'arbitre a jugé qu'il n'avait jamais été mis fin au contrat de collaboration libérale, aux motifs suivants :
-Me Y ne produisait aucun élément écrit relatif au prix de présentation de la clientèle et aux modalités de paiement convenues ;
-il n'établissait pas un transfert de clientèle, au moyen par exemple d'une lettre circulaire envoyée aux clients du cabinet ;
-en sa qualité de collaboratrice libérale, Me X pouvait bénéficier d'une "délégation élargie", lui permettant notamment de signer des factures ;
-le rôle joué par Me X à l'égard de la secrétaire pouvait s'expliquer par les pourparlers entre les parties, tendant à ce qu'elle puisse reprendre à terme le cabinet.
En conclusion, l'arbitre a considéré que les parties n'en étaient qu'au stade de pourparlers et que la convention alléguée n'avait reçu aucun commencement d'exécution. La cour a fait sienne cette conclusion et ajouté que rien ne pouvait permettre de considérer "que le contrat de collaboration libérale ait pu prendre fin de manière verbale, alors qu'il s'agit d'un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre, de même que tout avenant contenant novation ou modification du contrat". La cour a donc confirmé la sentence arbitrale, ajustant simplement les comptes entre les parties.
Cette décision laisse le commentateur perplexe. Il ressort en effet des motifs de l'arrêt que les parties avaient dépassé le stade de simples pourparlers, et que Me X avait bien commencé de reprendre le cabinet de Me Y. En particulier, force est de constater que Me X était a minima co-employeur de la secrétaire du cabinet, puisque son propre nom figurait sur les bulletins de salaire de cette dernière et qu'elle l'avait licenciée.
Sur ce point, la motivation de la sentence arbitrale paraît pour le moins succincte, puisque l'arbitre affirme que ce rôle joué à l'égard de la secrétaire s'explique par les pourparlers. Par ailleurs, comment expliquer le fait que Me X ait directement facturé les clients du cabinet ? A l'évidence, un collaborateur libéral ne facture que ses propres clients, et jamais ceux du cabinet qui l'emploie. Comment enfin justifier le fait que Me X ait accepté de ne plus percevoir de rétrocession d'honoraires ? Sur ce point, il est curieux de constater que les motifs de l'arrêt sont silencieux. Il est au demeurant étonnant que la cour ait pu considérer que le contrat de collaboration de Me X n'avait pu prendre fin de manière verbale, au motif que le contrat de collaboration libéral est un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre. En effet, s'il est exact que ce contrat doit être établi par écrit et soumis au contrôle de l'Ordre (RIN, art. 14.2 N° Lexbase : L4063IP8), il peut tout à fait être rompu de manière verbale, l'article 14.4 du RIN relatif à la rupture du contrat n'imposant aucune exigence de forme.
En conclusion, il semble que l'arbitre et la cour d'appel aient plutôt sanctionné l'absence d'écrit entre les parties, l'arbitre ayant pris le soin de relever le caractère étonnant de cette situation de la part de professionnels du droit comme les avocats. A tout le moins, l'arrêt du 6 septembre 2011 invite les parties à formaliser, avec le plus grand soin, les contrats de cession de cabinet ou de présentation de clientèle.
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