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par Sarada Nya, Avocate aux barreaux du Cameroun et de Paris, Associé au cabinet Chazai & Partners, Freddy Mooh Edinguele, juriste collaborateur au sein du cabinet Chazai & Partners et Khadidja Benazir Moussa, juriste stagiaire au sein du cabinet Chazai & Partners.
le 28 Mars 2019
L’agriculture représente plus de la moitié des recettes d'exportation non pétrolières et emploie pratiquement 60 % de la population active au Cameroun. Les récentes estimations font état de ce que 90 % des ménages ruraux sont, d’une façon ou d’une autre, employés dans l'agriculture, et près d’un tiers d'entre eux gagnent leur vie grâce aux cultures d'exportation [1].
Pour mémoire, courant 2017, la contribution de l’agriculture à la croissance économique du Cameroun était de 76,38 % [2].
Au regard de son importance dans l’économie, l’Etat Camerounais s’est donné pour mission d’améliorer la participation du secteur agricole à son Produit Intérieur Brut en mettant en place des mesures incitatives à l’investissement. Un des premiers chantiers de cette mission a été d’encourager l’entrepreneuriat des jeunes dans ce secteur.
Le Gouvernement camerounais a notamment organisé, du 28 février au 3 mars 2019, un sommet international de l’entrepreneuriat agro-pastoral des jeunes. Celui-ci visait à informer les jeunes des possibilités qui leur étaient offertes dans ce secteur. Il visait également à les connecter aux autorités du secteur public et privé offrant des opportunités d’affaires leur permettant ainsi de rationaliser ou de maximiser leurs efforts, afin de réduire le chômage, la pauvreté rurale et d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Autant d’initiatives conduisant à s’interroger sur le cadre juridique des investissements en matière agricole au Cameroun.
Il existe un certain nombre de dispositions et de dispositifs encadrant plus ou moins les activités se rapportant de près ou de loin aux activités agricoles et constituant ensemble le cadre juridique et institutionnel du secteur agricole au Cameroun (I). Pour autant, les multiples textes de loi d’ores et déjà existants ne suffisent pas à eux seuls à atteindre le pari ambitieux du Gouvernement camerounais vis-à-vis de ce secteur, raison pour laquelle diverses mesures incitatives ayant vocation à booster les investissements dans ce secteur ne cessent d’être prises. Autant de mesures supposées rendre le succès de l’activité agricole camerounaise imparable, mais dont il importe d’apprécier la pertinence (II).
1. Cadre juridique et institutionnel du secteur agricole
1.1. Cadre juridique
L’encadrement juridique de l’activité agricole camerounaise se constitue de textes de loi nationaux, de formes sociales propices à son activité et d’institutions publiques en charge de promouvoir son développement.
1.1.1 Textes et lois
On parle de cadre juridique du secteur agricole mais le législateur camerounais n’a pas consacré explicitement de loi encadrant l’activité agricole dans sa globalité. Il a uniquement prévu des textes relatifs à des domaines d’activité connexes à l’agriculture. Il s’agit de :
- la loi n° 90/013 du 10 août 1990, portant protection phytosanitaire, modifiée par la loi n° 2003/003 du 21 avril 2003 : elle fixe les règles régissant la protection phytosanitaire, c.-à-d. le contrôle des procédés de production et de traitement des végétaux ;
- la loi n° 2003/007 du 10 juillet 2003 régissant les activités du sous-secteur engrais, c.-à-d. la production, l'importation, l'exportation, le conditionnement, la distribution et l'utilisation des engrais ;
- la loi n° 2001/014 du 23 juillet 2001 relative à l’activité semencière, c.-à-d. la production, le conditionnement, l’importation, l’exportation et la commercialisation des semences ;
- le décret n° 2011/2584 /PM du 23 août 2011 fixant les modalités de protection du sol et du sous-sol.
1.1.2. Forme sociale
L’activité agricole ne nécessite pas forcément de s’ériger en forme sociale particulière. A l’instar de tout produit commercial, l’activité agricole se destinant à la vente peut tout à fait être structurée sous n’importe quelle forme de société commerciale. Toutefois, le législateur OHADA prévoit certaines formes sociales plus adaptées aux activités agricoles. Il s’agit de la société coopérative et du groupement d’intérêt économique (GIE).
1.1.2.1. La société coopérative
La société coopérative s’entend d'un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes coopératifs [3].
Appliquée à l’agriculture, la société coopérative réunit en général des agriculteurs qui mettent en commun leurs ressources en vue de la production et/ou la transformation et/ou la commercialisation de leurs produits. Lesdites ressources peuvent être des terres, du matériel ou encore du personnel, entre autres.
1.1.2.2. Le groupement d’intérêt économique («GIE»)
Le GIE réunit des personnes ayant pour but de mettre en œuvre tous les moyens propres à faciliter ou à développer leurs activités économiques respectives [4].. Plus concrètement, il vise à faire croître les résultats de l’activité de chacun de ses membres.
A l’instar de la société coopérative, appliqué à l’agriculture, le GIE rassemble plusieurs agriculteurs en vue de développer leur activité. Mais contrairement à la société coopérative, le GIE n’a pas vocation à réaliser des bénéfices (appelés excédents dans la société coopérative). Il peut à ce titre être constitué sans capital.
1.2. Cadre institutionnel : le MINADER
Le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (ci-après «MINADER») est l’autorité en charge de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation de la politique du gouvernement dans les domaines de l’agriculture et du développement rural. Il assure à ce titre la tutelle technique de plusieurs organismes publics chargés du développement du secteur agricole et celle de certaines sociétés parapubliques, notamment :
- la Chambre d’Agriculture, de Pêche, de l’Elevage et des Forêts («CAPEF») ;
- la South West Development Authority (Mission de Développement du Sud-Ouest) («SOWEDA») ;
- la Mission de Développement du Nord-Ouest («MIDENO») ;
- l’Upper Noun Valley Development Authority (Mission de Développement du Haut Noun) (UNDVA) ;
- le Centre National d’Etude et d’Expérimentation du Machinisme Agricole («CENEEMA») ;
- l’Unité de Traitement Agricole par Voie Aérienne («UTAVA») ;
- le Laboratoire National d'Analyse Diagnostique des Produits et Intrants («LNAD») ;
- la Cameroon Development Corporation («CDC») ;
- la Société de Développement du Cacao («SODECAO») ;
- la Société de Développement du Coton («SODECOTON») ;
- la Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua (SEMRY).
A ces institutions peut s’ajouter l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD), bien qu’étant placé sous la tutelle technique du Ministère de la Recherche Scientifique et de l'Innovation.
Au regard de ce qui précède, on peut valablement considérer que cette industrie porteuse n’est en théorie pas nécessairement lésée en termes d’encadrement juridique. Pour autant, les acteurs de l’activité agricole ne semblent pas majoritairement faire usage de cet accompagnement, se cantonnant à une exploitation rurale qui ne leur permet pas de connaître le plein potentiel de leur activité. La raison à cela est le manque de moyens requis pour l’exploitation optimale de leurs produits. L’État camerounais se devait donc d’impacter ce secteur par l’encouragement à l’investissement.
2. Les incitations a l’investissement dans le secteur agricole
Les incitations à l’investissement dans le secteur agricole au Cameroun se distinguent selon qu’il s’agit de l’agro-industrie ou de l’agriculture.
2.1. Les incitations à l’investissement dans le domaine de l’agro-industrie
La loi n°2013/00 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privée (la «Loi sur Les Investissements») envisage la promotion de l’agro-industrie comme un objectif prioritaire au développement de l’agriculture. De ce fait, elle prévoit un régime incitatif pour les investissements dans le domaine de l’agro-industrie au plan fiscal, douanier et financier [5].
2.1.1. Au plan fiscal
Les avantages fiscaux tiennent sur les exonérations des droits d’enregistrement et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) [6].
Relativement aux exonérations sur les droits d’enregistrement, elles portent sur les :
- baux d'immeubles à usage professionnel ;
- actes d’acquisition d’immeubles bâtis ou non ;
- contrats de fourniture des équipements et de construction des immeubles et installations ;
- contrats de concession ;
- actes d'augmentation du capital.
Quant aux exonérations relatives à la TVA, celles-ci portent sur :
- les prestations de services liées à la mise en place du projet et provenant de l'étranger ;
- l’importation des équipements et matériels liés au programme d'investissement.
2.1.2. Au plan douanier
Les incitations douanières consistent en l’exonération des taxes et droits de douane sur tous les équipements et matériels importés liés au programme d'investissement [7].
2.1.3. Au plan financier
Les avantages financiers quant à eux confèrent à l’investisseur les droits suivants [8] :
- droit d’ouvrir au Cameroun et à l’étranger des comptes en monnaie locale et en devises et d’y effectuer des opérations ;
- droit d’encaisser et de conserver à l’étranger les fonds acquis ou empruntés à l’étranger et d’en disposer librement ;
- droit d’encaisser et de conserver à l’étranger les produits d’exploitation, les dividendes et produits de toute nature des capitaux investis, ainsi que les produits de la liquidation ou de la réalisation des avoirs ;
- droit de payer directement à l’étranger les fournisseurs non-résidents ;
- libre transfert des dividendes et du produit de la cession d’action en cas de désinvestissement ;
- libre conversion et transfert vers leur pays d’origine des sommes dues au personnel expatrié.
2.2. Les incitations à l’investissement dans le domaine de l’agriculture
Les entreprises ayant pour objet une activité agricole bénéficient des avantages fiscaux prévus par le Code général des impôts 2019. Elles peuvent aussi également bénéficier des financements accordés par le budget d’investissement public dont la gestion est confiée au MINADER.
2.2.1. Les avantages prévus par le Code général des impôts 2019
Le Code général des impôts [9] prévoit plusieurs avantages fiscaux dans le but d’encourager les investissements dans le secteur agricole. Il s’agit de :
- la dispense des charges fiscales et patronales sur les salaires versés aux ouvriers agricoles saisonniers par les exploitants individuels ;
- l’exonération de la TVA sur l’achat des pesticides, des engrais et des intrants utilisés par les producteurs, ainsi que des équipements et matériels de l’agriculture ;
- l’exonération des droits d’enregistrement des mutations de terrains affectés à l’agriculture ;
- l’exonération des droits d’enregistrement des conventions de prêts destinées au financement des activités agricoles ;
- l’exonération de la taxe foncière des propriétés appartenant aux entreprises agricoles, et affectées à ces activités, à l’exclusion des constructions à usage de bureau.
Relativement à l’exonération de TVA, le Code général des impôts fournit en annexe la liste des équipements et matériels de l’agriculture exonérés de TVA. Celle-ci comprend entre autres : les semences, les engrais, les pesticides, le matériel de préparation du sol, le matériel de plantation, de transformation, d’irrigation et d’emballage.
2.2.2. Les financements octroyés par le MINADER
Les financements du MINADER sont octroyés sur la base du budget d’investissement public de l’Etat, mais aussi sur la base des fonds mis à disposition par les organismes internationaux d’aide au développement.
2.2.2.1. Le financement sur la base du budget d’investissement public
Les financements du MINADER sur la base du budget d’investissement public sont intégrés à des programmes de développement de filières agricoles précises [10]. En effet pour chaque filière, il existe un programme dédié octroyant des financements aux entreprises s’employant à la développer.
La principale difficulté qui se pose avec ces financements provient du fait que les conditions d’obtention des financements ne sont pas toujours clairement définies et facilement accessibles. Il faut se rendre dans les locaux du MINADER afin de prendre attache avec le coordonnateur de chaque programme pour obtenir les informations nécessaires à l’obtention d’un financement.
Au rang de ces programmes, peuvent être cité à titre illustratif :
- le projet d’appui à la production du matériel végétal de qualité ;
- le projet national d’appui au développement des cultures céréalières ;
- le projet d’amélioration et de gestion de la qualité dans les filières cacao et café («PAGQ2C») ;
- le projet national de structuration et d’accompagnement des producteurs et de vulgarisation agricole («Pro-Sapva») et bien d’autres.
2.2.2.2. Le financement par les organismes internationaux d’aide au développement
Les principaux organismes internationaux d’aide au développement œuvrant au Cameroun sont la Banque Africaine de Développement («BAD») et l’Agence Française de Développement («AFD»). En 2016 ces deux organismes ont mis à la disposition du Cameroun un peu plus de 100 milliards de FCFA pour développer le secteur agricole. L’AFD s’est particulièrement illustrée dans le cadre du deuxième contrat de désendettement et de développement [11].
Par ailleurs, ce dernier a également a mis en place deux programmes. Le premier est un programme d’appui aux petites et moyennes entreprises agricoles et agroalimentaires. Il vise l’amélioration de l’accès au crédit des petites unités de production et de transformation. Il est réalisé en collaboration avec le MINADER et les institutions de microfinance. Le second est un programme de gestion des risques agricoles, il met en place des instruments nouveaux permettant de réduire la variation des prix agricoles sur les marchés.
Toutes ces mesures incitatives démontrent à souhait, la volonté de l’Etat camerounais de développer et rendre attractif son secteur agricole. Toutefois, les agriculteurs camerounais continuent de se heurter à des obstacles tels que :
- le vieillissement de la population rurale et de la ressource humaine agricole : lequel est préjudiciable au secteur agricole dans la mesure où l’exode rural amène les jeunes vers les villes à la recherche des meilleures conditions de vie, ce qui éloigne ces derniers des activités agricoles. Les mesures incitatives de l’Etat vis-à-vis des jeunes devraient sans doute se multiplier de sorte à permettre à ces derniers un meilleur accès à l’information sur le potentiel de l’activité agricole et ses opportunités, à l’instar du sommet international de l’entrepreneuriat agro-pastoral ou encore des comices agricoles ;
- l’accès aux techniques agricoles modernes et autres innovations de la recherche agronomique encore très limité : dès lors que les techniques de culture sont encore pour la plupart rudimentaires. L’outillage utilisé fait essentiellement appel à l’énergie humaine (houe, machette, plantoir, pioche, etc…), alors que la recherche agricole est présente au Cameroun à travers le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation («MINRESI»). Ce dernier assure la tutelle de tous les centres de recherche agricole exerçants sur le territoire national. Ces centres de recherche font partie du Système National de Recherche Agricole («SNRA») dont l’IRAD en constitue le pilier. Ces difficultés d’accès aux innovations technologiques naissent alors du défaut d’information et d’encadrement des agriculteurs ruraux qui pourrait pourtant être aisément rectifié ;
- le transport et la commercialisation de la production bancale dus à l’absence d’infrastructure : l’état des réseaux de communication et des routes en milieu rural demeure indigent. Cette situation occasionne un accroissement sensible des coûts de transport préjudiciable à la fois aux producteurs qui ne peuvent écouler et valoriser convenablement leur production sur les marchés nationaux et internationaux. Les infrastructures collectives de stockage sont également déficientes surtout en zone rurale. Les marchés ruraux et les grands marchés urbains sont peu nombreux et mal équipés. Au bout du compte, cette situation engendre des coûts de transaction élevés, ce qui limite fortement le pouvoir de négociation des petits producteurs. Autant d’obstacles que l’Etat se doit de résoudre, mais dont les réponses et/ou solutions qui devront y être apportées vont bien au-delà du droit.
Liens utiles :
[3] Articles 4 et suivants de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives.
[4] Article 869 de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.
[5] L’article 18 de la loi sur les investissements dispose tout de même que ces incitations sont accordées sous réserve de l’obtention de l’agrément. Ce dernier est accordé à l’investisseur par le ministre chargé des investissements privés, après avis conforme du Ministre dûment annexé à l’agrément.
[6] Art.5 et suivants, loi n° 2013/00 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privée.
[7] Art.5 et suivants, loi n° 2013/00 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privée.
[8] Art.12 et 13, loi n° 2013/00 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privée.
[9] CGI, art.122.
[10] Ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Stratégie de développement du secteur rural, synthèse du volet agriculture et développement rural.
[11] Le contrat de désendettement et de développement est un programme innovant de l’AFD d’appui aux petites et moyennes entreprises agricoles. En 2017 il a permis la distribution de chèques services dans trois villes dans trois villes du Cameroun. Le chèque service est un outil qui permet aux entreprises agricoles d’accéder à des services non financiers nécessaires à leur développement et leur structuration. Depuis le début d’année 2018, cet outil est intégré dans l’agence des petites et moyennes entreprises ce qui le rend disponible dans les dix régions du Cameroun.
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