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par Eric Morain, avocat au barreau de Paris, avocat associé, Carbonnier Lamaze Rasle & Associés, avec la collaboration de Laura Ben Kemoun, élève-avocat.
le 27 Mars 2019
Mots-clefs : Doctrine • Avocats • Déontologie • Foi du palais
La foi du palais est une pratique qui trouve régulièrement un certain écho dans les médias, alors qu’elle a pourtant toujours été d’usage entre les murs de nos palais de Justice.
La foi du palais peut être définie comme un espace immatériel de confiance entre les professionnels de la Justice. Il s’agit d’un principe non écrit, une tradition, mais qui pourtant reflète la majorité des relations entre auxiliaires de justice : la confidentialité des échanges en «off». Cette construction déontologique interne à la profession d’avocat, qu’il est difficile de dater, s’est progressivement étendue à l’ensemble des professions judiciaires, faisant de la justice une œuvre collective. L’échange de points de vue est ainsi facilité entre avocats et magistrats sans pour autant compromettre l’intérêt du client, bien au contraire.
La foi du palais découle des principes essentiels de loyauté et de confraternité. Elle peut être invoquée dans tous les domaines du droit, tel que dans le cadre de lettres simples envoyées «sous la foi du palais» en droit civil ou commercial, mais elle est surtout très présente dans le domaine du droit pénal, ayant récemment vu sa légitimité débattue lors de l’Affaire «George Tron» en 2017.
Cette foi du palais est indispensable. Dans une affaire judiciaire, deux personnes s’opposent, représentées par deux avocats. A travers les phases d’enquête et d’instruction, l’avocat voit la foi du palais lui offrir un rôle collaboratif que le droit français n’a jamais prévu. Le droit anglo-saxon au contraire confère à l’avocat une part contributive importante. Le droit français est plutôt dans l’opposition, la remise en cause du rôle de l’avocat dans certaines étapes de la procédure (l’accès au dossier, par exemple). Or, la foi du Palais permet à l’avocat de participer à l’instruction en lui facilitant les rencontres entre partenaires de justice pour qu’ils s’écoutent, discutent et réfléchissent ensemble afin de faire progresser le dossier. Rien ne remplacera la nécessité pour l’avocat, qu’il soit du côté du mis en examen ou de la partie civile, de rencontrer le juge d’instruction en charge du dossier. Il y a une impérieuse nécessité de contact humain sous la foi du palais que de plus en plus de magistrats instructeurs acceptent d’engager au nom de la recherche de la vérité judiciaire, mais qui a bien du mal à survivre dans ce monde avide de transparence.
La foi du palais ne relève pas du secret professionnel prévu à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ). Les échanges «sous la foi du palais» ne bénéficient donc pas de cette protection.
Cette phase privée en «off», dans les coulisses, démontre une certaine beauté de notre système judiciaire : entre avocats et magistrats, nous ne sommes pas ennemis mais adversaires, et uniquement le temps d’un dossier. Notre robe n’est pas une battle-dress avait coutume de dire le regretté Maître Jean-Marc Varaut. Cela ne nous empêche pas de nous respecter et d’échanger. Le secret professionnel n’est pas non plus violé en ce que l’avocat ne le trahit pas. Il agit dans l’intérêt de son client pour exposer ses doutes, son avis, et, dans ce cadre, ne doit pas craindre d’être trahi par son interlocuteur, cet échange ayant pour but de rendre une justice plus rapide, plus efficace et surtout plus humaine.
Cette foi du palais intervient ainsi entre avocats et magistrats, par exemple, lorsqu’un avocat va consulter un juge d’instruction de manière impromptue sur une éventuelle remise en liberté, mise en examen, renvoi, etc.. La Cour de cassation elle-même considère que ces échanges entre avocat et juge d’instruction sont primordiaux (Cass. crim., 1, 4 février 2004, n° 03-82.494). En l’espèce, il était reproché à l’avocat d’avoir eu un entretien avec un juge d’instruction sur la suite réservée à une plainte qui concernait ses clients. L’avocat adverse invoquait donc le manquement à l’impartialité du juge d’instruction, manquement que réfuta la Cour de cassation en considérant que cet entretien «habituel sous la foi du palais et nécessaire au bon fonctionnement de la Justice» ne constituait pas une violation du secret de l’instruction, dès lors qu’il ne créait pas de grief quelconque à l’égard de la partie civile.
Mais elle s’exerce aussi entre avocats, qui peuvent se contacter lorsqu’ils sont saisis d’un dossier pour en discuter, voire proposer des offres transactionnelles, toujours préférables à un passage devant le juge. Cette loyauté entre avocats fait partie de la confiance confraternelle nécessaire à l’apaisement des relations entre nos clients. Cette confiance confraternelle, principe déontologique découlant de la foi du palais, est d’ailleurs protégée par les juges : la Cour de cassation a ainsi développé la notion d’abus de confidentialité en matière de foi du palais. Dans un arrêt du 1er décembre 1993 (Cass. civ. 1, 1er décembre 1993, n° 91-20.953 N° Lexbase : A8387CKT), la première chambre civile est venue sanctionner un avocat pour manquement à sa parole donnée à un confrère, et donc manquement au devoir de loyauté et à la foi du palais, en justifiant une sanction disciplinaire prononcée à son encontre.
Dans une décision du 28 février 2017, le conseil de discipline de l’Ordre des avocats de Paris est venu rappeler la nécessité de cette confiance confraternelle et du caractère protégé des conversations sous la foi du palais entre avocats. Le conseil de l’Ordre s’est vu saisi du dossier d’un confrère, à la suite de sa demande d’avis déontologique, à qui il était reproché d’avoir violé le secret professionnel en révélant à son contradicteur, sous la foi du palais et pour lui demander conseil, des informations confidentielles sur l’incendie dont avait été victime sa cliente. Cet incendie aurait, en effet, été volontaire et criminel pour toucher l’indemnité de la compagnie d’assurance. Le conseil de l’Ordre a considéré que le manquement aux principes essentiels n’était pas établi dès lors que l’information était déjà connue de son contradicteur, grâce au rapport de police scientifique, et surtout lorsque la communication reprochée l’a été sous la foi du palais. Les juges disciplinaires ont précisé qu’il ne fait aucun doute que le rôle essentiel du Bâtonnier comme confident naturel des membres de son barreau serait immédiatement mis à bas si les avocats devaient craindre le déclenchement de poursuites disciplinaires à leur encontre après avoir pris l’initiative d’exposer au Bâtonnier leurs difficultés d’ordre déontologique. L’avocat fut ainsi renvoyé des fins de la poursuite (Conseil de discipline de l’Ordre des avocats de Paris, séance du 28 février 2017, Formation de jugement n° 3, n° 278998).
Nous constatons donc bien qu’avant d’être adversaires le temps d’un dossier, nous sommes avant tout confrères. Et la confraternité impose cette bienveillance et loyauté entre nous que vient matérialiser la foi du palais.
Si la foi du palais semble être protégée dans les rapports entre auxiliaires de justice, la Justice pénale a, cependant, déjà montré qu’elle ne s’embarrasse guère de la confidentialité des confidences faites par un avocat à son Bâtonnier, sous la foi du palais, quand ces confidences ont un intérêt pour elle. Dans le cadre d’une information judiciaire portant sur le financement de la campagne présidentielle de 2007, diverses lignes téléphoniques de l’ancien Président de la République avaient été placées sur écoute, y compris une ligne ouverte sous le nom de Paul Bismuth, en réalité utilisée par Nicolas Sarkozy pour correspondre avec Thierry Herzog, son avocat. L’avocat de l’ancien Président avait ensuite régulièrement été mis sur écoute, le Bâtonnier ayant été averti, dès l’instant où étaient apparus des indices de la participation de l’avocat à une infraction. Maître Thierry Herzog s’était alors confié par téléphone à son Bâtonnier à propos de cette mise en cause et ces propos avaient été retranscris et versés au dossier. La chambre de l’instruction a ensuite refusé d’annuler cette retranscription estimant que la conversation en cause ne relevait pas de l’exercice des droits de la défense.
Les juges seraient donc prompts à protéger une discussion officieuse entre un juge d’instruction et un avocat arguant de cette foi du palais et des principes fondamentaux de loyauté et confiance devant exister entre partenaires de justice, mais auraient beaucoup moins d’égards pour des conversations entre un avocat et son Bâtonnier dès lors que les propos les intéressent. Il y aurait donc une protection sélective…
Fort heureusement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue casser l’arrêt de la chambre de l’instruction en apportant une précision tout à fait opportune : «même si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation téléphonique dans laquelle un avocat placé sous écoute réfère de sa mise en cause dans une procédure pénale à son Bâtonnier ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure, à moins qu’elle ne révèle un indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale», ce qui n’était pas le cas en l’espèce (Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-83.205, FS-P+B N° Lexbase : A7139Q9B).
De manière peut-être moins évidente au premier abord, la foi du palais est également souhaitée entre avocats et journalistes judiciaires, je parle de ceux habitués des prétoires et des procédures. La Cour européenne des droits de l’Homme a considéré qu’ils étaient les chiens de garde de la démocratie, ce qui n’est pas tant un titre moins déshonorant qu’auxiliaire de justice. Ils sont fondamentaux pour aider les citoyens à comprendre la Justice et ses rouages. L’avocat doit pouvoir parler librement à un journaliste et lui faire confiance concernant les informations délivrées et la date de révélation permise. Policiers, juges et procureurs le font sinon comment seraient alimentées les pages d’informations judicaires de nos quotidiens et hebdomadaires…
Ce trio «magistrats, avocats, journalistes», selon Olivier Leurent, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), poursuit donc le même objectif que la foi du palais vient favoriser : «concourir à la démocratie et à la recherche de la vérité». Cet apaisement nécessaire des relations entre partenaires de Justice et ce libre-échange «sous la foi du palais» commence d’ailleurs dès la formation : des élèves-avocats participent à des directions d’études de l’ENM et les auditeurs de justice suivent quatre mois de stage dans nos cabinets d’avocats. Nous leur apprenons le respect nécessaire pour le fonctionnement de la Justice dans les relations magistrats-avocats, et cette fameuse «foi du palais». Malheureusement, opposés par le débat judiciaire, les magistrats et les avocats voient leurs échanges devenir conflictuels, et la foi du palais se fane, au fur et à mesure qu’ils sont de moins en moins partenaires de Justice.
Cette «parole d’honneur» a médiatiquement été attaquée pour la première fois lors de l’affaire «Clearstream», où le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke fut fort injustement mis en cause.
A travers l’affaire «Clearstream», la légalité de la pratique de cette foi du palais fut largement débattue.
L’affaire «Clearstream» a pour origine l’affaire des Frégates de Taïwan qui démarra en 1991 lors de la vente de frégates par la France à Taïwan résultant d’un contrat d’armement géré par Thomson-CSF maintenant Thales. Ont été impliqués dans cette affaire des personnalités telles que François Mitterrand, Roland Dumas, Edith Cresson, Michel Rocard, Edouard Balladur, Eva Joly, Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin, ainsi que les juges Renaud Van Ruymbeke et Dominique de Talancé. La question de la foi du palais eut à se faufiler à travers des morts troublantes et l’affaire «Clearstream II», une affaire de corbeau et de manipulation de la justice sur fond de concurrence industrielle. Sans oublier une ardoise de 630 millions d’euros dont 460 pour l’Etat.
Initialement, le ministre Taïwanais de la Défense, Hau Pei-Tsun, était entré en contact avec le chef d’Etat-major particulier Jacques Lanxade du Président de la République au Printemps 1989. Il était intéressé par seize frégates, bateaux de guerre pourvus de missiles. Après différentes négociations, guerres d’égos des souverainetés impliquant également la Chine et la Corée du Nord, Edith Cresson, Premier Ministre de l’époque, donna son accord à Thomson-CSF pour signer le contrat de vente de six frégates pour 2, 1 milliards d’euros en mai 1991, puis un second contrat de 2, 2 milliards d’euros en août 1991 et enfin un dernier contrat en 1993 alors qu’Edouard Balladur était alors Premier Ministre de François Mitterrand pendant la cohabitation.
Dans le cadre de ces contrats, les commissions, courantes dans les contrats de vente d’armement, qui s’ajoutent au prix de vente, représentaient 400 millions d’euros. Ces 400 millions d’euros ont été versés à des dignitaires du parti communiste Chinois pour leur silence, d’autres ont servi à soudoyer les militaires Taïwanais.
Le 9 janvier 2004, Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, demanda au général Philippe Rondot d’enquêter sur l’affaire de ces frégates de Taïwan.
En mai et juin 2004, le juge Van Ruymbeke, qui mène l’instruction de cette affaire, reçoit deux lettres anonymes et un CD d’un corbeau : il s’agit de listings de personnalités politiques et industrielles qui auraient reçu ces fameuses commissions, versées sur des comptes de la banque Clearstream. Parmi les noms cités, figurent Alain Gomez, ancien dirigeant de Thomson-CSF, Philippe Delmas, vice-président d’Airbus, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Economie, Jean-Pierre Chevènement, Dominique Strauss-Kahn, etc..
En réalité, et ce que l’on saura bien plus tard, ces listings constituaient une manipulation visant les dirigeants d’EADS.
La foi du palais entre alors en jeu dans cette affaire en 2004. Le juge Van Ruymbeke était dans une impasse totale. Il était confronté au secret défense qui lui était opposé dès qu’il sollicitait des informations sur les ventes d’armes effectuées par la France.
C’est dans ce contexte que se présente à lui Maître Thibault de Montbrial, avocat pénaliste réputé ayant d’excellentes relations avec le juge Van Ruymbeke et qu’il considère alors plus que crédible puisqu’il avait déjà fait témoigner devant lui la veuve du commandant Yin, miliaire assassiné en 1993 en marge de cette affaire des frégates. Il lui annonce qu’un de ses clients, un industriel de l’armement, a des «révélations» à lui faire, qu’il connait «des circuits de redistribution», mais qu’il serait en danger et souhaiterait donc rester dans l’anonymat. Ce client voulait rencontrer le juge Van Ruymbeke en dehors de tout cadre procédural pour l’aider à trouver les traces des comptes bancaires qu’il recherchait.
Se met donc en place cet espace de confiance que permet la foi du palais entre le magistrat et l’avocat. Le juge d’instruction accepta de rencontrer secrètement Jean-Louis Gergorin au domicile de son avocat, Maître de Montbrial.
Sur le fondement de la foi du palais qui le liait à Maître Thibault de Montbrial, le juge d’instruction Van Ruymbeke s’était engagé à ne pas révéler ses entretiens avec Monsieur Gergorin.
Monsieur Gergorin affirmait tenir ses informations d’Imad Lahoud, son informaticien, qui a eu accès aux comptes de Clearstream. Il refuse cependant d’être formellement entendu. L’avocat de Monsieur Gergorin va lui déposer une lettre anonyme, sur laquelle le juge imprimera le cachet d’arrivée : 3 mai 2004. L’avocat est donc devenu le facteur du corbeau.
Le jour où il apprit que Monsieur Gergorin lui avait caché un certain nombre d’éléments essentiels, le juge d’instruction s’est senti délié de ses engagements.
Cependant, le 10 mai 2005, le Canard Enchaîné affirme qu’en avril 2004, avant la première dénonciation anonyme, Jean-Louis Gergorin a rencontré secrètement le juge d’instruction pour lui faire des révélations.
Jean-Louis Gergorin est alors déchargé de ses responsabilités chez EADS et le 11 mai 2005, le ministre de la Justice, Pascal Clément, annonce qu’il saisit l’inspection générale des services judiciaires au sujet de la rencontre secrète qui s’est déroulée hors cadre procédural, sous la foi du palais… Cette enquête débouchera sur une plainte du ministre de la Justice en 2006 devant le Conseil de la magistrature.
Le 18 mai 2005, Jean-Louis Gergorin reconnaissait dans une interview au Parisien être l’auteur des lettres anonymes.
Le 2 juin 2005, il est mis en examen pour dénonciation calomnieuse et faux et usage de faux.
Démarre alors une interminable procédure disciplinaire à l’encontre du juge Van Ruymbeke, qui s’est vu dessaisi du dossier des Frégates. La foi du palais était directement visée.
Le respect de ce «lien de confidentialité» entre magistrat et avocat a valu à Renaud Van Ruymbeke le soutien d’un grand nombre d’avocats et d’une petite poignée de magistrats.
Devant le CSM, le juge d’instruction se voit reprocher d’avoir manqué à «ses obligations de prudence et de rigueur» pour avoir conduit ces rencontres hors procédures. Cependant, lors de l’audience, c’est surtout son manquement à «l’obligation de loyauté» qui a été retenue par l’accusation. Il a, en effet, maintenu secret jusqu’en 2006 le nom du corbeau. Mais obligation de loyauté envers qui ? En pensant de bonne foi avancer dans le dossier grâce à des révélations, il a donné sa parole à l’avocat Thibault de Montbrial de respecter la confidentialité de leurs échanges, et avait donc également une obligation de loyauté envers lui.
L’avocat Henri Leclerc, qui faisait partie des farouches soutiens du juge d’instruction, a d’ailleurs relevé que : «il y a certains juges qui pensent que le Code de procédure pénale ne donne pas d’espace au dialogue. Pas Renaud Van Rumybeke. Il écoute, il n’a pas une idée toute faite, figée, on peut parler avec lui. […] La foi du palais, c’est un secret partagé, qu’il ne faut pas confondre avec la complaisance. Elle est fondée sur une confiance dans la confidence qui est parfois nécessaire à la Justice. Lorsqu’un avocat dit à un juge : ‘Il y a quelque chose que mon client ne peut pas vous dire mais il faut que vous le sachiez’, c’est peut-être l’information nécessaire à la manifestation de la vérité. Nous nous sommes tous embarqués, magistrats et avocats, sur le bateau de la Justice. Sur ce bateau, il faut que les juges puissent faire confiance aux avocats et les avocats aux juges».
Cependant, certains considéraient que cette foi du palais, cette loyauté entre magistrats et avocats, n’avait aucune consistance juridique et se trouvait confrontée à une des obligations du serment de magistrat : la loyauté vis-à-vis de ses collègues.
Le 4 mai 2007, Renaud Van Rumybeke comparaissait devant le CSM dans la salle de la première chambre civile de la Cour de cassation, salle où fut rendu l’arrêt réhabilitant le capitaine Dreyfus. Etait présentée ce jour-là au CSM la possibilité de réhabiliter à son tour la foi du palais. Les avocats étaient venus en nombre à cette audience publique, pour manifester leur solidarité envers le juge Van Ruymbeke.
Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services juridiques chargé de porter l’accusation au nom du Garde des Sceaux, requit la plus faible des sanctions prévues par le CSM : la réprimande avec inscription au dossier.
La foi du palais tanguait dangereusement, sur le bateau de la Justice.
Six ans ont été nécessaires pour que le CSM rende enfin une décision. La décision du CSM avait en effet fait l’objet d’un sursis à statuer jusqu’à la fin de la procédure de l’affaire «Clearstream», toujours à l’instruction à l’époque.
Le 21 septembre 2009, s’ouvrait le procès Clearstream devant la 11ème Chambre correctionnelle de Paris. Le 28 janvier 2010, Dominique de Villepin était relaxé, Jean-Louis Gergorin, considéré comme le «cerveau» de l’affaire était condamné à quinze mois de prison ferme et Imad Lahoud à dix-huit mois de prison ferme.
Finalement, le mercredi 17 octobre 2012, le Conseil supérieur de la magistrature a «donné acte» à la ministre de la Justice, Christiane Taubira, «de son désistement des poursuites» contre le juge d’instruction Van Ruymbeke, mettant fin à cette procédure injuste que ne pourra savourer l’immense Philippe Lemaire, avocat du juge Van Ruymbeke et décédé trop tôt. Non seulement il n’y avait rien à reprocher au juge d’instruction, qui continuait d’enquêter sur des affaires sensibles telle que l’affaire «Karachi», mais surtout, la foi du palais était, certes difficilement, réhabilitée.
Parler en «off» avec un juge d’instruction dans le cadre d’une affaire est donc possible et la foi du palais est remise au goût du jour, jusqu’à son prochain ébranlement…
Si l’affaire Clearstream est venue poser la question de la légitimité de la foi du palais, l’affaire «Tron» est venue poser celle de ses limites.
La foi du palais s’est retrouvée en effet sur le devant de la scène dans le cadre d’un procès pour viols et agressions sexuelles reprochés à l’homme politique George Tron, maire de Draveil (Essonne), et son adjointe Brigitte Gruel, sur deux ex-employées de la mairie en décembre 2017.
Sur fond de la vague #balancetonporc et de l’affaire «Weinstein», le procès se déroulait sous tension, mais la résonnance médiatique fut des plus surprenantes.
Six ans et demi après le début de l’affaire, et alors que le procès avait commencé, celui-ci était renvoyé sine die par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis à la suite d’une journée pleine d’éclats et d’incidents hors normes.
Les faits de viols et d’agressions sexuels étaient intégralement contestés par les accusés, il n’y avait pas non plus de preuves matérielles et une ordonnance de non-lieu avait initialement été rendue par les juges d’instruction d’Evry avant qu’elle ne soit infirmée par la chambre de l’instruction de Paris. La Défense, composée notamment de Maîtres Vey et Dupond-Moretti, comptait donc se fonder sur ces éléments pour affirmer qu’il existait de multiples contradictions et incohérences dans les témoignages des plaignantes. Cela promettait quelques débats véhéments dans le prétoire.
Ce fut le cas.
A la suite de la diffusion en plein procès de l’émission Envoyé Spécial avec un reportage sur l’Affaire «Tron» auquel les plaignantes et l’un des avocats de la partie civile, Maître Vincent Ollivier, ont participé ; puis de l’interrogatoire de la plaignante Virgine Ettel par le Président Régis de Jorna scandalisant certains de par le «manque de respect» et cruauté des questions (il faut rappeler que le Président doit faire vivre le contradictoire et donc s’assurer des éléments à charge et à décharge à travers l’oralité des débats, c’est la loi) ; et après la haine virale se propageant sur les réseaux sociaux, l’implosion était plus que prévisible le vendredi 15 décembre.
La défense demanda le renvoi du procès en invoquant l’extase médiatique et l’influence des réseaux sociaux sur le déroulement des interrogatoires, dénonçant un climat non serein et remettant en cause l’impartialité objective de la cour. L’impartialité objective ne revient pas à contester la capacité par le Président et la cour de juger, mais revient à affirmer sa remise en cause par l’extérieur qui vient ébranler les débats et son autorité.
L’audience était alors suspendue et le Président revint pour annoncer le rejet de la demande de renvoi «au nom de la liberté d’information».
Maître Eric Dupond-Moretti se leva alors :
«Je ne veux pas qu’il soit dit que c’est la défense qui a demandé le renvoi, par peur. Il faut dire les choses telles qu’elles ont été dites, Monsieur le Président. Nous avons demandé le renvoi parce que vous avez dit que vous étiez en difficulté. Il nous a été dit que c’était difficile pour vous de poursuivre dans ces conditions, que vous vous interdiriez un certain nombre de questions. On a fait ça pour vous soulager, Monsieur le Président !».
Il faut dire qu’Eric Dupond-Moretti souhaitant soulager un magistrat était une première…
«Vous n’êtes pas là pour me soulager», s’indigne Régis de Jorna, le Président.
«Vous nous avez dit, Monsieur le Président que vous préféreriez que ce soit une femme qui préside ! Disons-le !»
«Dans une conversation privée, où vous n’étiez pas. Je l’assume !», répondit le Président.
Maître Eva Touboul, partie civile, s’exclama alors : «C’était une conversation confidentielle !».
La voici donc faisant son entrée en fanfare, la foi du palais : cette conversation confidentielle.
En effet, un peu plus tôt, dans son bureau, le Président Régis de Jorna avait fait part aux avocats de la défense et des parties civiles, que certaines questions seraient mieux vécues si elles étaient posées par des femmes. Le débat porte alors sur l’interprétation de cette phrase par le Président et sur la confidentialité de propos tenus dans de telles circonstances : sommes-nous en présence de la foi du palais ?
Vincent Ollivier, avocat d’une partie civile et présent dans le bureau, n’y a vu aucune gêne ou malaise ressentis par le Président. Il s’agissait, selon lui, d’une considération tout à fait générale, sans qu’il soit question d’une éventuelle incapacité pour lui de juger cette affaire, affirme-t-il lors d’un entretien à Dalloz Actualité, et, dans le cadre de la foi du palais. Pour lui, cette foi du Palais est un espace nécessaire de respiration entre les avocats et les magistrats, compréhensible dans le cadre de tels procès générateurs de tensions.
Pour Maître Vey, également dans un entretien à Dalloz Actualité, ce genre de discussion ne devrait pas avoir lieu entre un magistrat et un avocat et ne devrait être en aucun cas protégé par la foi du palais. Selon lui, la foi du Palais revient à dire «j’ai la grippe», à avoir des échanges cordiaux, mais ne devrait jamais couvrir des discussions qui sont en réalité «des fautes professionnelles». D’après Maître Vey, le Président aurait fait part d’un malaise quant au climat qui entourait la conduite de ces assises et avouait être fragilisé par les critiques dont il faisait l’objet. Le renvoi devenait donc nécessaire selon la défense, et à l’annonce de son rejet, il leur est apparu indispensable de dire la vérité pour la défense de leur client, au détriment de la foi du palais.
Or, les avis divergent sur l’atteinte ou non au devoir de loyauté et à la foi du palais commise par Maître Dupond-Moretti en dévoilant des propos tenus dans le cadre d’une conversion en «off». Selon lui, la limite de la foi du palais serait l’intérêt supérieur de celui qu’on défend. Fermez le ban.
Aucun texte ne définit les limites de ce secret particulier, le principe étant que seuls les propos portant atteinte à l’intérêt supérieur du client puissent être révélés. Mais dans le cas présent, les interlocuteurs ne sont pas d’accords sur ce qui a effectivement été dit ! Cela révèle les tensions croissantes opposant magistrats et avocats.
L’ancien Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, estime que «la défense bénéficie d’un fait justificatif absolutoire parce que, justement, elle est la défense. La défense peut soutenir que tout lui est permis pour sauver la peau d’un accusé. Oui mais, même à la guerre, il y a des lois écrites et non écrites que chaque partie reconnait. Une sorte d’élégance chevaleresque, que même Jacques Vergès respectait scrupuleusement dans la rupture».
Comme une sorte de morale, sœur siamoise de la déontologie et qui renvoie à Cyrano : «Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances». Pour la défense de Georges Tron, elle n’a fait que son travail en défendant l’intérêt supérieur de son client. Cela est louable. Mais est-ce qu’invoquer la violence de l’opinion publique sur une affaire pour justifier la violation d’un principe tel que la foi du palais est légitime quand les procès pénaux sont quotidiennement le lieu de l’expression d’une violence judiciaire ? La réponse trouve au moins une part de réponse dans le fait que l’autorité de poursuite des avocats n’a pas trouvé bon d’engager des poursuites.
Reste qu’au-delà de ce cas particulier, il nous faut continuer de croire sans cesse et de dire haut et fort que la foi du palais sert à rendre la justice plus efficace et plus humaine, que des acteurs de la Justice se sont battus pour elle et qu’elle vaut mieux que d’être poignardée dans le dos. Un président d’une cour d’assises doit pouvoir envisager de régler une question délicate, voire échanger son point de vue, en invitant l’avocat général et les avocats du dossier à en discuter hors audience, dans son bureau. Et inversement, un avocat doit pouvoir faire des confidences à un Président sur son client en dehors des audiences publiques, ayant pour but de le réhumaniser dans l’inconscient du juge.
Ce qui s’est passé au procès «Tron» a créé une véritable jurisprudence concernant la foi du palais qui n’ira certainement pas dans le sens d’une amélioration des relations avocats-magistrats, déjà bien entaillées par l’inaccessibilité graduelle des juges.
George Tron fut acquitté le 15 novembre 2018.
La fermeture de la buvette du palais en 2014, faute de rentabilité, a porté un coup à la foi du palais, tous les avocats vous le diront. Ce lieu chargé d’histoire, qui voyait passer les condamnés à mort qui attendaient la charrette qui devait les conduire à l’échafaud, dont Marie-Antoinette, était un lieu de vie, de convivialité et d’échanges. Il s’agissait d’une véritable antichambre du tribunal. S’y pressait tout le peuple du Palais : magistrats, avocats, journalistes judiciaires, greffiers, etc..
La fermeture de la buvette n’était que les prémices d’une certaine déshumanisation de la justice, symbolisée par le nouveau TGI de Paris.
Que ce mastodonte de transparence ne trompe pas : son verre est en fait opaque. Problèmes de circulation, isolement des magistrats, mesures de sécurité démesurées. Ce bâtiment favorise une forme de technocratie au détriment d’une justice de visages. Se pose la question du dialogue nécessaire au bon fonctionnement de la justice quand les seuls interlocuteurs ne sont plus que les magistrats du siège et du parquet, regroupés entre eux avec leurs accès réservés au sein de cette tour d’ivoire.
Il est difficile de lutter contre une modernité qui voit l’humain (pour ne pas dire l’avocat…) comme une gêne.
Il est, en effet, ardu d’accéder aux étages pour discuter avec les magistrats et les greffiers d’audience. Le problème est cependant reconnu : le Président du TGI, Jean-Michel Hayat, prend en compte les remarques des avocats et travaille pour arranger les choses autant que faire se peut. Mais ce palais ressemble plus à un bunker où le seul moyen d’approcher un magistrat du siège ou du Parquet est d’aller aux audiences, ce que certains juges et greffiers eux-mêmes déplorent. Or, il est déjà compliqué de maintenir des relations par le biais de la foi du palais avec rien que les 75 juges d’instruction du TGI de Paris, mais force est de constater que les impératifs de sécurité imposés par le ministère de la Justice entravent la liberté d’échange.
Le palais de Justice fut un temps le lieu privilégié de communication. Les magistrats et avocats fourmillaient dans les salles des pas perdus. Tous bavardaient sous la foi du palais.
Il est regrettable que cette foi du palais, fidèle alliée de l’avocat, devienne un peu plus chaque jour, obsolète. A quand une foi du palais en visio ?
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