La lettre juridique n°771 du 7 février 2019 : Procédure civile

[Jurisprudence] Fin de non-recevoir tirée de la prescription et irrecevabilité des conclusions d’intimés devant la cour d’appel

Réf. : Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-20.018, F-P+B (N° Lexbase : A9849YSL)

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par Gabrielle Guizard, Avocate au barreau de Paris (GLH Avocats), membre de l’Association Droit et Procédure

le 06 Février 2019

Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation donne une illustration de l’effet dévolutif de l’appel en matière de prescription tout en se prononçant sur l’effet de conclusions d’intimés jugées irrecevables.

Dans cette affaire, l’appelant, associé d’une entreprise familiale avait cédé ses parts dans le capital de la société à ses trois frères, par acte sous seing privé du 27 juin 1986. A l’occasion d’un litige ultérieur dans le cadre de la succession de leur père, estimant avoir été spolié lors de la cession de ses parts sociales, il a fait assigner ses frères par acte du 17 juin 2011 devant le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier aux fins d’obtenir la nullité pour dol de l’acte de cession et subsidiairement leur condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement d’un manquement à leur obligation de loyauté en tant que dirigeants sociaux. Par acte du 17 juin 2013, l’associé cédant faisait également assigner la société rédactrice de l’acte, en responsabilité civile extracontractuelle.

Le tribunal a, par jugement du 22 avril 2015, déclaré irrecevable l’action en nullité de la cession pour cause de dol, estimant que l’action n’avait pas été engagée dans le délai de cinq ans à compter de la révélation du dommage. Le tribunal avait également soulevé d’office le moyen de prescription de l’action fondée sur le devoir de loyauté des mandataires sociaux et le délai de trois ans prescrit à l’article L. 223-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L5848AIG) mais ce chef du jugement sera ensuite annulé et ne sera pas commenté ci-après.

L’associé cédant a relevé appel du jugement le 22 septembre 2015 devant la cour d’appel de Besançon. Il soulevait à titre liminaire l’irrecevabilité des conclusions des intimés, constatée par ordonnance du conseiller de la mise en état, et estimait que la cour d’appel n’était dès lors pas saisie du moyen tiré de la prescription. Subsidiairement, il arguait de ce que le délai de prescription n’aurait couru qu’à compter du dépôt d’un rapport d’expertise en date du 2 juin 2006.

 

La cour d’appel de Besançon (CA Besançon, 17 janvier 2017, n° 15/01896 N° Lexbase : A4985S9I) n’a pas suivi son raisonnement et considéré que le moyen tiré de la prescription était manifestement dans le débat pour avoir été soulevé par les intimés dans leurs écritures devant la juridiction de première instance, laquelle y avait expressément répondu et l’avait d’ailleurs considéré opérant. La cour d’appel a par ailleurs relevé qu’en application de l’article 562 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7233LEM), la dévolution de l’appel s’était opérée pour le tout, l’appel n’étant pas limité à certains chefs du jugement, et qu’au surplus l’appelant avait conclu subsidiairement sur le moyen tiré de la prescription. Elle a donc statué sur ce moyen de défense et confirmé le jugement, considérant en l’espèce que l’associé cédant avait déjà connaissance de l’existence du dol bien avant le dépôt du rapport d’expertise, ainsi qu’il ressortait de ses conclusions prises dans l’instance successorale le 27 novembre 2001, et que le point de départ de la prescription devait être fixé à tout le moins à cette date, de sorte que le délai quinquennal était expiré à la date de l’assignation du 17 juin 2011.

 

L’associé cédant a formé un pourvoi en cassation, estimant qu’en application combinée des articles 954, alinéa 2 (N° Lexbase : L0386IGE), 561 (N° Lexbase : L6714H7S) et 562 du Code de procédure civile dans leur rédaction alors applicable, la cour d’appel ne pouvait retenir que sa demande de nullité pour dol était prescrite, dans la mesure où les intimés n’avaient pas déposé des conclusions recevables devant la cour d’appel, et ce même si la prescription avait été soulevée par les intimés en première instance et alors même que la juridiction de première instance avait déclaré sa demande prescrite.

Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui considère qu’ayant constaté que les conclusions déposées par les intimés avaient été déclarées irrecevables, ce dont il résultait qu’ils étaient réputés ne pas avoir conclu et s’être approprié les motifs du jugement ayant accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué sur le moyen de défense dont elle était saisie.

 

Cette décision illustre l’effet de conclusions d’intimés jugées irrecevables en matière de prescription. Il sera ci-après brièvement revenu sur l’effet de conclusions d’intimé irrecevables et l’état de la jurisprudence existante en la matière (I) avant de s’interroger sur la portée de cet arrêt au regard des nouvelles dispositions issues du décret de 6 mai 2017 (II).

 

I - Effet de conclusions d’intimés jugées irrecevables

 

Il a déjà été jugé que si l’intimé ne conclut pas, la cour d’appel statue néanmoins sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l’appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés [1].

Par ailleurs, il a été implicitement jugé que la cour d’appel ne peut déduire de l’irrecevabilité des conclusions d’intimé que ce dernier ne sollicite pas la confirmation du jugement [2]. Ces décisions ont été rendues au visa de l’article 472 du Code de procédure civile selon lequel si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. La Cour de cassation a ainsi étendu l’application de cet article, régissant la procédure de première instance, à la procédure d’appel.

 

Dans un arrêt de 2015, la Cour de cassation a précisé que la cour d’appel qui n’est pas saisie de conclusions de l’intimé doit, pour statuer sur l’appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance [3].

 

La cour d’appel ne statue donc pas au vu des seules conclusions de l’appelant mais doit prendre en compte l’ensemble des données et notamment les prétentions de l’intimé accueillies en première instance.

 

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation estime qu’en présence de conclusions déclarées irrecevables, l’intimé est réputé ne pas avoir conclu et s’être approprié les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de l’intimé, à savoir ici la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Cette décision peut être rapprochée de l’article 954, alinéa 5, du Code de procédure civile qui, dans sa rédaction antérieure au décret du 6 mai 2017, prévoyait que la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s’en approprier les motifs.

La Cour de cassation va néanmoins plus loin que l’article 954, alinéa 5, puisqu’en l’espèce les intimés n’avaient pas demandé la confirmation du jugement sans énoncer de nouveaux moyens mais leurs conclusions avaient été déclarées irrecevables. On notera à cet égard que l’arrêt n’est d’ailleurs pas rendu au visa de l’article 954. La Cour de cassation se fonde ici, sans toutefois le mentionner, sur le principe de l’effet dévolutif de l’appel, édicté aux articles 561 et suivants du même code.

Peu importait ici que l’intimé n’ait pas conclu ou que ses conclusions soient jugées irrecevables, la cour d’appel était saisie des prétentions de l’intimé qui avaient été accueillies par les premiers juges.

 

A noter que la cour d’appel prenait le soin de préciser également que l’appel de l’associé cédant n’était pas limité et que dans ses conclusions d’appel il s’était défendu à titre subsidiaire sur le moyen de prescription. Ce raisonnement est approuvé par la Cour de cassation qui indique que la cour d’appel a, à bon droit, statué sur le moyen de défense dont elle était saisie.

 

II - Portée des nouvelles dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile

 

Depuis l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 (décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile N° Lexbase : L3858LGY), l’article 954, alinéa 6 (N° Lexbase : L7253LED), prévoit désormais que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs. La règle précédemment évoquée est donc étendue au cas d’absence de conclusions. Ainsi en l’absence de conclusions de l’intimé, ce dernier est réputé s’approprier les motifs du jugement.

 

On peut se demander si cette nouvelle disposition vise également le cas de conclusions irrecevables. La circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L6244LGD), prise à la suite du décret susvisé semble dire le contraire puisqu’il y est précisé que la présomption vise nécessairement la partie qui, après avoir comparu, ne conclut pas et non la partie qui n’a pas comparu ou dont les conclusions sont jugées irrecevables [4].

 

Eu égard à l’arrêt commenté, on peut s’attendre à ce que la Cour de cassation donne néanmoins les mêmes effets à l’absence de conclusions de l’intimé qu’à des conclusions d’intimé irrecevables. La sanction de l’irrecevabilité de ses conclusions ne serait en définitive pas dramatique pour l’intimé qui se contente de demander la confirmation du jugement, si on met de côté le fait qu’il ne peut alors soulever de moyens nouveaux et qu’il ne pourra plaider. Si néanmoins l’intimé entend relever appel incident, l’irrecevabilité de ses conclusions lui causera grief puisqu’il sera réputé ne pas critiquer le jugement et la cour d’appel ne sera pas saisie de son appel incident.

 

Il en ressort que l’intimé, tout comme l’appelant, doit être très vigilant quant au respect des délais et au contenu de ses conclusions, même si dans certains cas sa négligence pourra être couverte par l’effet dévolutif de l’appel, de sorte que le juge d’appel se trouvera saisi des motifs du jugement ayant accueilli ses prétentions.

 

[1] Cass. civ. 2, 30 avril 2003, n° 01-12.289, FS-P+B (N° Lexbase : A7537BSX).

[2] Cass. civ. 2, 30 avril 2009, n° 08-15.947 ([LXB=]).

[3] Cass. civ. 3, 7 juillet 2015, n° 14-13.715, F-D (N° Lexbase : A7641NMX).

[4] BOMJ, n° 2017-08 du 31 août 2017, page 12.

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